Les Cinq/II/48. Machine à tuer


XLVIII

MACHINE À TUER


Mylord avait la tête haute et le regard brillant. Ses compagnons subissaient maintenant son prestige. Ils voyaient possible le succès de sa monstrueuse combinaison.

Or, l’homme est le même toujours et partout. Pour les bandits comme pour les honnêtes gens, la réussite, sainte chose ! change l’extravagance en sagesse.

Ce qui paraissait être tout à l’heure une tentative aveugle et inepte faisait partie maintenant d’un plan tracé. Le calcul stratégique perçait sous la sauvage brutalité des moyens.

Il avait du sang jusqu’aux genoux, l’élève du docteur Jos. Sharp, le bachelier de l’université des rogues, mais sa tête restait froide, son coup d’œil sûr : il savait où il allait.

La confiance revint ; on avait un chef !

Le Poussah, enthousiasmé, se leva sans aide.

Il avait, ma foi, le couteau à la main et parlait de trouer lui-même la peau de capitaine Blunt.

— En avant ! dit-il ; le petit est un dieu ! Vive sa mécanique !

Au dehors, le bruit semblait diminuer et s’éloigner. Peut-être ce fait n’était-il pas sans influence sur l’accès de bravoure qui prenait le père Preux et ses compagnons.

Ils entrèrent tous les trois dans le couloir qui menait aux bosquets en passant par la grotte et disparurent.

Sur la couchette, Giambattista Pernola restait étendu. Il avait perdu connaissance.

— Laurent de Tréglave, que vous appelez Blunt, dit Laure, est un homme redoutable. Il peut échapper. Prenez garde !

Mylord leva les yeux au ciel !

— Le Seigneur a ses oints, prononça-t-il à voix basse. Je suis vierge comme Samson ; je jure que jamais femme ne touchera à ma chevelure. Personne ne m’arrêtera. Si je ne contenais pas ma poitrine, elle rugirait comme celle d’un lion !

Il prit à terre la bougie et la mit dans la main de Laure.

— Marchez devant, dit-il, je vous suis.

— Où allons-nous ? demanda Laure.

— Vers mon père et vers ma mère, marchez !

Laure obéit, quand elle eut passé le seuil de la galerie, Mylord revint sur ses pas et s’approcha du lit où Pernola était couché.

Il se pencha.

La bougie, déjà lointaine, emportait les dernières lueurs.

Dans l’obscurité presque complète on aurait pu deviner le mouvement du bras de Mylord, qui se leva et s’abaissa deux fois.

Cela produisit, par deux fois aussi, un bruit faible et sourd, auquel la gorge de Pernola répondit par un double râle.

Avant de rejoindre la baronne, Mylord entrouvrit la porte de la grotte et prêta l’oreille.

On n’entendait plus rien au dehors.

Au dedans aussi, tout était silence.

— Que va devenir le malheureux homme ? demanda Laure au moment où son compagnon entrait dans le corridor.

Mylord répliqua :

— Ne vous occupez plus de lui.

Laure comprit peut-être, car elle se sentit trembler.

— Et les autres, fit-elle, on ne les entend plus ?…

Mylord la couvrit de son regard froid et dit :

— Il faut que la place soit nette autour de celui que le Seigneur a choisi entre tous.

Elle eut envie de fuir, mais ses jambes ne pouvaient pas la porter.

— Vous les avez tués, balbutia-t-elle, et vous allez me tuer !