Les Chansons des trains et des gares/Simple légende

Édition de la Revue blanche (p. 68-70).


SIMPLE LÉGENDE


J’ai rêvé d’une petite gare, dans un pays perdu,
Où personne, jamais personne, ne serait descendu.

Et alors, lorsque le train passe,
Le chef de gare aurait des gestes pleins de grâce,
Et de bons sourires engageants ;
Et tout le personnel serait casquette basse,
Et saluerait même les gens
Qui voyagent en troisième classe…

Mais personne pourtant, jamais,
Personne ne s’arrêterait.


Et l’on verrait aussi paraître
La femme du chef de gare à sa fenêtre,
Blonde, au visage épanoui,
Très accorte
Quoique un peu forte,
Entourée de quatre petits,
Roses et joufflus, pour montrer comme
L’air du pays
Fait aux enfants un bien énorme…

Mais, malgré l’appel accueillant de son visage,
Et l’opulence de son corsage,
On ne s’arrêterait pas davantage.

Puis une fois, une seule fois,
— Ô joie ! —
Un gros monsieur aurait ouvert
La portière :
Ce serait une fausse joie.
— Monsieur, soyez le bienvenu !…
Dirait le chef de gare, étrangement ému.

Mais, en le regardant à peine.
Et sans prononcer un seul mot,
Le gros monsieur repartirait presque aussitôt
Satisfait d’avoir satisfait à l’hygiène…

Personne plus n’est descendu,
Et le chef de gare s’est pendu.