Les Chansons des trains et des gares/Bagages

Édition de la Revue blanche (p. 57-59).


BAGAGES


Bout-ci, bout-là, ou bien en pile,
(Fragile !)
Dans le fourgon on les empile,
Valises
Recouvertes de toile grise,
Chapelières, paniers d’osier,
Dont d’Hozier
Reconnaîtrait et saluerait les initiales,
Mais qu’ignorent les employés,
Qui ne sont pas monsieur Crozier,
Et qui, voyant sur une malle
F. F.,

S’en ficheraient comme de nèfles ; —
Ouste ! cantines d’officier ;
Malles rurales,
Dont le bois blanc s’orne de poils ;
Étuis, où l’on met ces chapeaux
Que l’on compare à des tuyaux
De poêle ;
Plates, mais innombrables caisses
Des représentants de commerce,
Et de notre gaîté française ; —
Sans précautions inutiles,
Au fourgon en pile s’empilent,
(Fragile !) —

On s’installe du mieux qu’on peut ;
Pour faire ensemble un long voyage,
Il faut bien s’entr’aider un peu,
(Qu’importe la roture ou qu’on ait le sang bleu !)
Entre bagages…

D’ailleurs, tous sont bien vite unis
Dans un commun sentiment de mépris

Pour une pauvre bicyclette
Qu’ils voient dans un coin, et lui jettent
D’ironiques regards, l’accablent de lazzis :
— Hou ! madame la Bicyclette,
Hou ! hou !
Que vous nous faites de la peine !
Vraiment, si nous avions des roues
Comme vous,
Nous aurions honte qu’on nous traîne ! —

Et sournoisement chacun use
De ruse
Pour venir bousculer l’intruse :

Trop heureux s’ils pouvaient briser à la pauvrette,
Par hasard, un rayon ou deux,
Ou, ce qui vaudrait mieux,
Son pneu,
Afin de lui bien mettre en tête
Que les trains ne sont pas faits pour les bicyclettes.