Les Cathédrales de France/Testament

Armand Colin (p. 134-136).


XIV


C’est dans mes dernières minutes que je parle, pour ranimer et faire réapparaître les siècles passés. Je suis comme un souffle dans un clairon qui grandit le son.


Je me résigne à la mort de ces édifices comme à la mienne.


Je fais ici mon testament.


Ce sont les lois de l’instinct que j’exprime. Elles n’ont pas besoin de la grammaire, nourrice des enfants.


Ce livre ne dissèque pas la Cathédrale ; il la montre, vivante, à la vie.


De l’esprit sur un fond d’intelligence : beau bas-relief.


L’intelligence dessine, mais c’est le cœur qui modèle.


L’ignorant, l’indifférent, rien qu’en les regardant détruit les belles choses.


L’homme se plaît à vivre sur le bord de ses rêves et il néglige les réalités, si belles !


Une vieille femme, courbée, lève la tête et me regarde ; puis elle continue de glaner, par petites poignées. Moi aussi, je suis un glaneur, le glaneur heureux de l’ancien temps, ou plutôt l’élève, le vieil apprenti des fiers compagnons d’autrefois. Ne vois-je pas partout autour de moi, dans le démenti que leur donne notre siècle, la preuve qu’ils avaient raison ?


La race retourne à sa source ! Comme je sens en moi la joie de ces artistes d’il y a des siècles, et leur naïveté féconde ! Cœurs sensibles, qui trouvaient dans l’art, non pas un luxe, mais le principe même de leur vie.


Ah ! le Secret ! Tout le monde ne l’aime pas. Je ne demande pas, moi, « plus de lumière », comme Gœthe : je ne veux pas perdre le bénéfice de la grotte merveilleuse où sont toutes les Mille et une Nuits ; je m’y arrête.


La prodigieuse beauté recouvre tout, comme un tissu, comme une égide.


Il n’y a pas de chaos dans le corps humain, modèle de tout, départ et aboutissement de tout.

La répétition et la régularité constituent le fond des belles choses. C’est une loi. Le Roman et le Gothique en sont esclaves : colonnes, balustres extenseurs, ces moulures…

Le balustre et la dentelle sont gothiques. Plus tard de nombreux cartouches remplaceront le trèfle gothique dans le tympan.


Qui peut croire au progrès ? Le temps, comme la terre, monte et descend, son ellipse charrie au cours d’un siècle le siècle précédent, en bien et en mal, en jour et en nuit. Il y a longtemps que nous serions des dieux si la théorie du progrès indéfini était vraie.


J’aime l’effort de l’homme, qui s’augmente continuellement par de régulières répétitions. Ce mouvement répété, c’est l’ordonnance d’une bataille, et ce sont ces colonnes de la Cathédrale qui décuplent leur grâce en se suivant, en s’unissant.