Les Cathédrales de France/Introduction 2

Armand Colin (p. xx-lxiii).


II


VIE DE LA CATHÉDRALE


Qu’est-ce donc que la Cathédrale ?

Œuvre d’amour, d’enthousiasme et de foi, jadis, objet de haine et de mépris, hier, d’étonnement et d’admiration, aujourd’hui, qu’est-ce, à bien précisément dire, que cet ensemble moral et matériel, cette unité multiple, ce colossal et majestueux et mystérieux monceau de pensées et de pierres ?

Est-il possible de répondre d’un trait et tout de suite à cette question ? L’apparence immédiate et l’ordonnance physique, plastique, de l’édifice nous renseignent-elles suffisamment ? Et comment nous en rapporterions-nous, s’ils ne sont pas tout à fait d’accord, à ce que nous en disent les historiens, les esthètes, les archéologues ? Nous sommes au lendemain d’une longue période d’erreur, et nous venons de voir que même les admirateurs de la Cathédrale en ont donné, parfois, des explications singulièrement fausses ou incomplètes. Cette période trouble est-elle si décidément dépassée que nous puissions nous référer sans contrôle à l’autorité même des plus récents spécialistes ? que nous n’ayons pas besoin de faire appel à notre propre raison pour choisir entre eux, ou pour coordonner les éléments de la vérité, s’ils nous les offrent épars, ou pour les éclairer s’ils les ont obscurcis par des commentaires contradictoires ?

« Les siècles qui ont précédé le XIXe n’avaient pas l’esprit historique », affirme M. Camille Enlart. Est-ce assez de l’esprit historique pour approfondir tout le mystère ? N’y faut-il pas aussi, ou peut-être d’abord, l’esprit artistique, seul capable de déchiffrer, grâce à des certitudes qu’on n’acquiert pas en compulsant les documents, ces hiéroglyphes du temps et de la beauté ? N’y faut-il pas aussi, ou sans doute surtout, l’esprit poétique, seul assez intelligent et assez compréhensif — je veux dire assez pénétrant et assez enveloppant — et seul assez sensible pour permettre à des hommes modernes de se substituer par la pensée et par le sentiment à ceux qui vivaient il y a sept cents et huit et neuf cents ans, de s’adapter à leur psychologie, de s’initier à leur mysticisme ?

Mais, s’il faut tant de lumières, qui se vantera de les avoir toutes ?

Nous voulions nous imaginer, afin de pouvoir nous expliquer comment elle est morte, historiquement, puis comment elle s’est ranimée dans les esprits modernes, la Cathédrale en vie, militante ou triomphante, active, telle en effet qu’elle fut il y a sept et neuf cents ans. Peut-être notre dessein, trop ambitieux, n’est-il pas réalisable. Nous pouvons du moins préciser quelques lignes, réunir quelques couleurs vraies de ce vaste tableau.


Il y a plusieurs Cathédrales. Encore qu’elles puissent se ramener toutes, idéalement, dans une période donnée, au même type, il convient de tenir compte de certaines grandes nuances.

Il y a plusieurs points de vue. La Cathédrale est un lieu religieux, un lieu social, un lieu artistique, et, bien que cette trinité, aux belles époques, ne soit jamais divisée, on ne saurait la rendre d’un mot.

Il y a plusieurs époques. Celles qui précèdent l’apothéose nous y préparent, et nous ne pouvons négliger les renseignements qu’elles nous donnent.

Impatients des retards que toutes ces complications nous imposent, nous interrogeons l’un, puis l’autre de ces monuments, avec l’espoir de ravir à l’un d’eux le secret de tous, l’âme commune à tous, et ce sont leurs différences qui aussitôt nous apparaissent. Mais ces différences ne sont-elles pas concertées ? Pour comprendre les Cathédrales, dans la seule intention, par exemple, de leurs dédicaces, ne faut-il pas composer dans notre esprit une immense Cathédrale unique, faite de toutes les cathédrales ?

« La cathédrale de Chartres est la pensée même du moyen âge devenue visible ; il n’y manque rien d’essentiel. Ses dix mille personnages peints ou sculptés font un ensemble unique en Europe… Amiens est une cathédrale messianique, prophétique. Les prophètes de la façade, jetés en avant des contreforts comme des sentinelles, observent l’avenir. Tout, dans cette œuvre grave, parle de l’avènement prochain d’un Sauveur… Notre-Dame-de-Paris est l’église de la Vierge[1]. Quatre portails sur dix lui sont consacrés. Elle occupe le milieu de deux des grandes roses peintes. Elle est le centre des choses… La cathédrale de Laon est érudite. Elle semble mettre au premier rang la science. Elle cache les vérités du Nouveau Testament sous les symboles de l’Ancien. On sent que des docteurs fameux ont vécu à son ombre. Elle a elle-même la figure sévère d’un docteur… Reims est la cathédrale nationale. Les autres sont catholiques, c’est-à-dire universelles, elle seule est française. Le baptême de Clovis emplit le haut du pignon. Les rois de France sont peints sur les vitraux de la nef… Bourges célèbre les vertus des saints. Ses vitraux illustrent la Légende dorée… Le portail de Lyon raconte les merveilles de la création… Sens laisse entrevoir l’immensité du monde et la variété de l’œuvre de Dieu… Rouen ressemble à un riche livre d’Heures, où Dieu, la Vierge et les saints occupent le milieu des pages, pendant que la fantaisie se joue dans les marges[2]. »

En vérité, ne dirait-on pas la composition de quelque symphonie énorme, savamment ordonnée pour l’esprit et pour les yeux de quelque surhumain spectateur ? Mais ne s’adaptait-elle pas, par un procédé de succession, aux proportions humaines grâce aux déplacements corporatifs des fidèles qui, compagnonnant de ville en ville selon les exigences du métier ou pour faire leur tour de France, pèlerinaient, par la même occasion, de Cathédrale en Cathédrale ? L’image totale de l’immense Cathédrale unique, synthèse de toutes, pouvait ainsi se reconstituer dans leur mémoire. Et ne serait-ce pas en prévision de ces visites, faites périodiquement par les mêmes personnes aux diverses églises, que les auteurs de ces édifices les ont ainsi variés et les uns par les autres complétés ? On allait de la sorte, plus ou moins délibérément, à l’unité morale du pays. — Ceci, toutefois, ne serait vrai que pour les églises du style gothique, dont l’identité architectonique générale invitait les artistes à les diversifier par le choix d’un thème nouveau ou renouvelé ; une telle pensée reste étrangère aux églises romanes, qui diffèrent les unes des autres par leur structure même. — Au XIIIe siècle, du moins, en parcourant la France, en feuilletant les grands livres de pierre qu’elle tenait ouverts dans les villes, on s’édifiait, on s’instruisait aussi, et des écrivains ont cru démêler, dans ce caractère encyclopédique des Cathédrales, leur essentiel trait commun ; je ne pense pourtant pas qu’il nous rende compte de toute la Cathédrale, ni surtout de son architecture.

Avant tout, et c’est ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, la Cathédrale est bien un lieu religieux, domus orationis. Si les fidèles y peuvent être appelés par d’autres intérêts que ceux de leur salut, c’est de tout ce qui le concerne qu’il s’y agit principalement. L’enseignement que le chrétien doit y recevoir, c’est donc, surtout, celui de sa religion ; le spectacle qui l’y attend, c’est la célébration des rites, à laquelle il participe.

Mais cette maison de Dieu est faite pour les hommes, non pour Dieu.

Michelet, comme on sait, a dit que la Cathédrale était la maison du peuple. C’est vrai, dans le sens où il l’entendait : outre un lieu d’enseignement et de prière, l’église était un lieu de délibérations, de réunions civiles, même un lieu de fête populaire ; les individus y bénéficiaient, de plus, du droit d’asile, grâce à quoi leur liberté et leur vie furent fréquemment sauvegardées.

La parole de Michelet s’approfondit d’un autre sens. L’église chrétienne appartenait au peuple en ce qu’elle lui était destinée, qu’elle avait été construite pour le contenir et l’abriter, à la différence des temples polythéistes, où il n’y avait guère de place que pour le dieu et ses prêtres. Le dieu, d’autre part, n’était que dans son temple, il l’habitait, en justifiait par sa présence l’édification et n’avait pas, littéralement, le droit d’en sortir. Quant aux rites, ils s’accomplissaient presque toujours extérieurement au temple proprement dit. Le Dieu de l’Évangile est aussi dans son église. Comment n’y serait-il pas, puisqu’il est partout ? Il y est même d’une façon très particulière et sensible, sous les espèces consacrées ; mais il y est pour la foule des fidèles, pour y habiter avec eux.

L’église ne se réserve donc pas, comme le temple, un retrait de mystère où il soit sacrilège de pénétrer. Le mystère a pris cette forme concrète, le sacrement, qui authentique l’entretien de l’homme avec Dieu. Entretien, en quelque manière, à égalité, sous le couvert que Dieu et l’homme se partagent, dans l’ombre clôturée où Dieu attend l’homme, dans le carrefour toituré où l’homme a ses rendez-vous avec Dieu. Tout y est ménagé pour que cet entretien soit libre, profond, intime, et rien n’y a aucun autre but. C’est cet entretien que rhythme l’espace régulièrement compté entre les piliers : ils déconseillent les pas désordonnés et les pensées précipitées. À cette seule condition d’une prudence, d’une déférence — que recommandent expressément les figures des Vertus taillées en bas-reliefs aux murs du monument — l’entretien est familier, familial. On pourrait donc définir justement la Cathédrale un vaste amas d’ombre assurée où le peuple se sent en sécurité sous la garde de Dieu, qui le défend du donjon où règne un autre maître avec lequel on ne parle point à égalité, et de la route pleine des dangers auxquels l’homme consent, le jour, ou dont il est victime, la nuit. Aussi, même quand il faut qu’il la quitte, l’homme ne s’écarte d’elle que le moins possible. Elle est la protectrice et la régulatrice de la ville entière, le centre de la sécurité et de l’activité. Les petites maisons où dorment les travailleurs s’unissent, s’accotent à elle étroitement, — avec modestie, car elle reste la grande, et ses couleurs rayonnent d’elle sur tous ces humbles toits, comme son ombre, qui tourne selon l’heure et n’en aura au bout du jour oublié de visiter aucun, comme la plume de la poule se propage dans le duvet plus tendre des poussins, — mais avec jalousie et comme si elles craignaient que leur mère les laissât orphelines : en effet, la Cathédrale s’envolera.

C’est pourquoi, dans le temps de leur vie réelle et avant l’intervention d’esthètes municipaux qui n’avaient plus le sens des choses, les monuments les plus amples, qui par leurs dimensions mêmes semblaient provoquer les plus lointains reculs et les plus larges regards, ne les obtinrent jamais : captifs par destination de toutes ces existences anonymes qui tenaient d’eux leur âme collective. Ils ne possédaient en propre que leur élévation au-dessus de toutes ces prières, de tous ces labeurs, de tous ces sommeils ; encore cette élévation même se justifiait-elle par le souci des intérêts humains, constituant un phare : la lumière de sa flèche, la vibration de ses cloches, rassurait, avertissait les voyageurs, dans le soleil et dans les ténèbres.

Il était inévitable que, rayonnant du point de vue mystique au point de vue social, cette expression centrale, cette grande image de la vie spirituelle renouvelât toutes les relations des hommes.

On ne peut s’étonner que les populations les plus désireuses d’échapper au joug féodal, c’est-à-dire les plus vivantes, les plus conscientes, aient montré le plus d’empressement à construire des Cathédrales.

« Où voyons-nous », dit Viollet-le-Duc[3], « les grandes Cathédrales s’élever à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe ? C’est dans des villes telles que Noyon, Soissons, Laon, Reims, Amiens, qui toutes avaient, les premières, donné le signal de l’affranchissement des communes ; c’est dans la ville capitale de l’Île-de-France, centre du pouvoir monarchique, Paris ; c’est à Rouen, centre de la plus belle province, reconquise par Philippe-Auguste. »

Mais faut-il conclure, avec l’auteur cité, que les Cathédrales sont nées de ce désir même d’affranchissement bien plutôt que de l’inspiration religieuse, qu’elles ont procédé d’un développement de l’esprit politique plutôt que d’un développement de l’esprit catholique ? Personne aujourd’hui ne s’en aviserait. L’esprit catholique et l’esprit politique ne faisaient qu’un, au XIIIe siècle. Il faut consentir que le moyen âge ait été clérical, — au sens précis que ce mot devrait garder en dehors et au-dessus des polémiques électorales, — qu’il ait été éduqué par l’Église, gouverné par les prêtres. La pensée ecclésiastique fut, presque sans partage et pendant des siècles, la pensée nationale de notre pays. Loin de chercher à s’affranchir de l’Église, les hommes du moyen âge, jusque vers la fin du XIIIe siècle, ne trouvaient qu’en elle un recours contre les abus de l’autorité séculière ; de son côté l’Église eut toujours une tendance très marquée à déborder son domaine propre, le spirituel, à s’immiscer dans les affaires temporelles. Ce sont les seigneurs féodaux qui sont en querelle avec elle, ce n’est pas le peuple. Et cependant, ces mêmes seigneurs, par une inconséquence qu’expliquent sans l’excuser des vues d’intérêt immédiat, encourageaient l’Église à se mêler des choses du temps, en exigeant des évêques et des abbés leur concours matériel, en hommes, en armes et en argent, à des expéditions entreprises pour l’extension des domaines féodaux ou pour leur défense. Quand le clergé renonça aux mœurs militaires et, faisant cause commune avec la monarchie, prit parti contre les seigneurs, « il commença par étendre au delà de toutes limites sa juridiction, qui d’abord avait été toute spirituelle »[4]. Il prétendait avoir, en vertu du pouvoir que Dieu lui a donné, le droit de prendre connaissance de tout ce qui est péché, et par conséquent, puisque toute contestation judiciaire peut prendre sa source dans la fraude, de juger tous les procès. Il faut se placer au point de vue moderne pour trouver ce raisonnement mauvais ; les contemporains le trouvaient bon :

« Le peuple ne voyait pas ces envahissements d’un mauvais œil », poursuit Beugnot, « il trouvait dans les cours ecclésiastiques une manière de procéder moins barbare que celle dont on faisait usage dans les justices seigneuriales : le combat n’y avait jamais été admis ; l’appel y était reçu ; on suivait le droit canonique, qui se rapproche, à beaucoup d’égards, du droit romain ; en un mot, toutes les garanties légales que refusaient les tribunaux des seigneurs, on était certain de les obtenir dans les cours ecclésiastiques. »

C’est-à-dire qu’en face de la société féodale, contre elle, avec l’appui de la monarchie, l’Église provoquait un état moral nouveau. Le peuple y pouvait espérer plus de justice, plus de liberté, plus de bonheur. Comment ces bienfaits ne l’auraient-ils pas enchaîné par la gratitude et surtout par 1 intérêt à la maîtresse qui les lui prodiguait, en outre des promesses éternelles ?

Ce sont précisément ces biens « dans le temps » que figurait, au regard des multitudes, la Cathédrale, et c’est aussi dans ce sens qu’elle était la Maison du Peuple. Synthèse de toute une civilisation, la régulatrice de la vie mystique dispensait aussi la dignité et sauvegardait la sécurité de la vie sociale.

Le peuple savait donc qu’il travaillait pour lui-même en concourant à l’accroissement de la puissance ecclésiastique, en multipliant les églises. Ce n’est donc pas contre la tyrannie monacale que s’insurgeaient les bâtisseurs de Cathédrales. — D’ailleurs, la collaboration du clergé et du peuple à ces grandes œuvres est irrécusablement établie. « MM. Anthyme Saint-Paul et Enlart ont montré que les moines comptèrent parmi les propagateurs les plus zélés du système nouveau [l’architecture gothique] ; et M. Émile Mâle, que le programme encyclopédique et iconographique dont s’inspirèrent les imagiers resta fidèle et subordonné aux enseignements des docteurs et des clercs[5]. »

Toutefois, les constructeurs et les imagiers, du moins dans la période gothique, sont des laïcs ; l’église était donc la Maison du Peuple pour une autre raison encore et sans doute la meilleure de toutes : c’est qu’elle était l’œuvre du cœur et des mains du peuple. Il construisait sa Maison. Comprend-on qu’il l’aimât ? Il lui donnait son temps, son industrie, tout son génie, toute sa fantaisie, et mieux encore, il en faisait le sanctuaire de son âme, le reliquaire de ses traditions, l’image réduite et magnifiée à la fois de son pays, dont la faune et la flore fournissaient à l’édifice tant d’éléments de décoration.

Ici s’impose le point de vue artistique, — auquel il est grand temps de venir, puisque c’est proprement le nôtre. Il était toutefois impossible de le séparer absolument de la pensée mystique et de la pensée sociale, dont l’art, au moyen âge, est le docile interprète. Mais nous n’associerons plus guère à l’œuvre d’art que la pensée mystique, car c’est surtout, sinon exclusivement, en elle que l’architecte et le sculpteur trouvent leur thème et leur règle, puisqu’elle impose à tout, durant les siècles romans et gothiques, et même à la société civile qu’elle organise, le caractère religieux.

La religion, en effet, emploie l’art. Cette formule, qui marque des relations de maîtresse et de serviteur, est rigoureusement juste, d’abord. Le serviteur, du reste, ne se plaint pas de sa servitude. Ce ne serait pas assez de dire qu’il l’accepte ; il n’imagine pas et il ne pourrait pas imaginer, à son profit, une autre condition.

Toutes les directions humaines, au moyen âge, la philosophie et la science comme la théologie, n’ont qu’un but : « le Royaume de Dieu ». Comment donc l’art ferait-il exception à la loi universelle ? Mais comment pourrait-il mieux faire, s’il se soumet à cette loi, comment pourrait-il faire autrement que de s’en remettre au conseil, à l’infaillible autorité de ceux que Dieu même a commis au soin de conserver la doctrine dans son intégrité et de la communiquer au monde, quand, surtout, c’est précisément cette doctrine que l’art se propose de rendre sensible et de glorifier ? — Cette parfaite obéissance de l’artiste au prêtre n’est pas spéciale à la religion chrétienne. Elle se rencontre au début de toutes les religions, parce qu’elle est selon l’ordre et la logique, selon le bon sens. Nous la retrouverions en Égypte et en Grèce comme à Rome et à Chartres. Tant que les fidèles d’un culte ont le sentiment de l’importance du dogme, ils lui sacrifient tout, ils règlent et modèlent sur lui la vie entière. L’obéissance de l’artiste ne tarde pas à se nuancer, à se relâcher, dans le développement de toutes les civilisations ; c’est que la foi est atteinte. Elle est mortellement blessée quand les artistes, sans toutefois dénouer leur serment de fidélité, se constituent, à côté des prêtres, une vie toujours plus indépendante : le jour ne tardera pas à venir, fatal à la religion et dommageable à l’art, quoi qu’on en ait dit, où la séparation entre elle et lui se sera faite, irréparablement.

C’est donc l’esprit religieux qui règne, d’abord, seul. L’art n’apparaît même, sous le régime chrétien, qu’à une date relativement tardive, et seulement en vertu du tacite décret qui l’a chargé de rendre sensible aux yeux des illettrés, incapables de lire les Écritures, l’image des amis de Dieu, la représentation de leurs belles actions. Le but, moral et pratique uniquement, est de faire naître dans tous les cœurs le désir du Paradis et la crainte de l’Enfer.

Comment, coadjuteur d’abord obscur, anonyme, du prêtre, l’artiste — souvent confondu avec celui-ci, au commencement, en une même personne — s’est peu à peu élevé en importance et en dignité ; comment il a trouvé dans la gloire de l’Église l’occasion de son propre grandissement et les éléments de sa personnelle gloire ; comment le plein accord de la puissance sacerdotale et de la puissance artistique a produit, dans notre Occident, l’épanouissement splendide, mais bref, du génie chrétien : il nous faut, pour nous rendre un peu précisément compte de cette grande histoire, suivre l’incessant développement de la clarté chrétienne elle-même, depuis la petite lampe triste des Catacombes jusqu’au joyeux éblouissement des verrières immenses de nos Cathédrales. Ce sera, du même coup, donner à la question que nous nous sommes posée au début de ce chapitre : Qu’est-ce que la Cathédrale ? la réponse historique.

Cette histoire comporte quatre phases : la période des Catacombes ; la période latine, mérovingienne et carolingienne ; la période romane, et la période gothique (avant sa corruption flamboyante).


I. Période des Catacombes. — La lampe des catacombes : première lueur européenne de l’aurore chrétienne. C’est l’aurore dans la nuit, une lueur vacillante dans une cave. Cette lueur, allumée par l’apôtre Pierre, dissipera les ténèbres cimmériennes et hyperboréennes, dont les Anciens avaient la notion, et les ténèbres slaves et scandinaves, qu’ils soupçonnaient à peine. Or, cette lampe, avant de servir aux chrétiens, avait deux destinations ; c’était la lampe des morts et celle des esclaves châtiés. N’était-ce pas déjà tout le christianisme ? Il est né en Judée, il eût pu naître partout ailleurs. Il est né de la douleur du monde. Elle ne pouvait être éliminée ; mais elle pouvait être honorée, glorifiée ; elle pouvait devenir méritoire et précieuse : Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés. C’est la grande parole chrétienne, la plus significative des Béatitudes, celle qui distinguait le plus radicalement de toutes les religions anciennes la nouvelle religion. C’est cette parole qui transforma le monde. Les événements extérieurs, les persécutions qui contraignirent les chrétiens à chercher un asile sous la terre, tous les maux qu’ils souffrirent étaient, à leurs yeux, grâce à cette parole, comme des problèmes qui apportaient avec eux-mêmes leur solution, claire, évidente, et consolante. La lampe des douloureux et des morts illuminait, dans l’esprit des néophytes, la nécessité de la douleur et de la mort, ces loyers de la joie céleste et de l’éternelle récompense.

À cette lumière cachée sous le boisseau de la terre, la Cathédrale va naître, spirituellement.

Point d’art, dans ce froid jour de cave. L’art a pour patrie le plein air, la pleine lumière. Et puis, les prêtres se défient de lui. Au service des dieux grecs et romains, il a pris les couleurs de l’idolâtrie. Il ne faut pas oublier que le christianisme est l’héritier du mosaïsme, ennemi des images. Il craint toujours quelque damnable confusion entre la Divinité et sa représentation ; avec les récents convertis, cette crainte n’est que trop fondée. — L’art est donc proscrit des catacombes, au début, pour des raisons matérielles et morales.

Et pourtant, bien peu d’années se passeront et il sera devenu la principale occupation des emmurés, après la prière, avec la prière.

Les prêtres ont cédé à l’incompressible instinct qui oblige l’homme à chercher la beauté, à s’efforcer de l’exprimer. Il s’est reproduit, dans ces cavernes, ce qui s’était produit déjà, un nombre incalculable de siècles auparavant, dans d’autres cavernes, celles de la Vézère, du Fond de Gaume et d’Altamira, et dans tant d’autres que la science n’a pas encore retrouvées, — avec cette grave différence, toutefois, que les artistes de la période paléolithique étaient incomparablement supérieurs à ceux des catacombes. Dans la mesure où ceux-ci cédaient à l’influence romaine, qui ne leur permettait pas de concevoir des tombes dénuées d’ornementation plastique, ils apportaient à cette illustration de la foi nouvelle beaucoup de science et encore plus de fatigue. Ces méthodes empruntées aux ateliers païens se ressentaient du désenchantement de longues générations évertuées à l’interprétation traditionnelle des mêmes mythes, et qui déjà trahissait, avec la déchéance des cultes polythéistes, l’usure des esprits, l’universel besoin d’un grand changement.

Le salut de l’art eût été dans un franc retour à la nature. Mais, justement, dans les catacombes, l’étude de la nature était interdite à l’art chrétien. Il dut attendre l’édit de libération, et aussi l’influx du sang barbare pour rompre avec la leçon des maîtres antiques. L’art des catacombes, dans sa facture, est presque toujours le frère cadet de cet art faible et charmant que Pompéi exhumée nous a fait connaître.

Mais, au delà de la facture, il y a le sujet, la pensée exprimée. Dans le choix des sujets, dans l’expression des pensées, l’art primitif chrétien manifeste une personnalité forte. C’est un art tout abstrait, sans doute, sans plastique, presque, et tout en idées : est-ce un art ? C’est du moins un procédé tout voisin de celui de nos artistes contemporains, quand, le soir, à la lampe, après la journée faite, ils fixent des plans, esquissent des projets, au crayon ou à la plume, se réservant d’exécuter plus tard les œuvres, se contentant d’indiquer la pensée et le sentiment. L’artiste des catacombes ne vit-il pas dans un soir éternel ? Les modèles lui sont refusés, car ces pâles ombres qui errent autour de lui, ou qui s’immobilisent dans la prière, n’ont plus rien des lignes animées et des tons chauds de la vie. Son spectacle est en lui, dans ses souvenirs et ses espérances, dans les images que la parole des prêtres impose à son imagination, dans la méditation constante de la mort et de l’immortalité. Voilà ses thèmes. Il les exécute à la lampe, lui aussi, et les moyens dont il dispose l’amèneront à les formuler en symboles.

Mais, par ces inventions symboliques, il collabore déjà, puissamment, à la construction et à l’ornementation de la Cathédrale : elle en vivra ; et c’est la part de cet artiste sans nom dans le grand œuvre que les siècles vont élaborer.

Dès cette première heure, nous voyons le génie mystique nouveau et le vieux génie oriental s’associer étroitement dans une activité féconde, qui correspond également aux besoins du premier et aux préférences du second. Le goût passionné du symbole rejoint par le christianisme l’orient à l’occident. Parfois même, le christianisme et le paganisme se confondent dans un hétérodoxe amalgame, dont les fresques mithriaques sont les plus caractéristiques témoignages.

Le christianisme, du reste, comme nous l’observions, s’approprie sans scrupule tout ce qui lui convient dans les richesses poétiques thésaurisées par son adversaire ; il procède à ce choix avec autant d’habileté que d’audace. En baptisant Psyché, en substituant le Bon Pasteur au personnage d’Orphée, il fait preuve d’une merveilleuse faculté d’accommodation. D’autres fois, sans rien dérober, en adaptant seulement à sa pensée de l’au-delà les interprétations de la nature dont les maîtres grecs lui avaient laissé d’admirables modèles, sur cet éternel thème, par exemple, des Saisons, « universel symbole de la vie et de la mort, qui pour les chrétiens doit éveiller l’idée de la résurrection promise »[6], il donne à son tour des indications d’une nouveauté émouvante. C’est, dans la grande crypte de Prétextat, l’occasion de « tout un décor d’une vivacité charmante, le chef-d’œuvre de la peinture chrétienne à l’époque de Septime-Sévère »[7]

Avec moins de certitude, de maîtrise, avec toutefois le beau sentiment décoratif que, durant tout le premier siècle, il gardera de la fréquentation des ateliers païens, l’art chrétien montre plus de grandeur dans les créations qui lui sont propres. Art extrêmement cérébral, qui ne cherche pas la grâce, qui n’a rien absolument de sensuel, qui vaut par la chose signifiée et non point par les formes de la signification, il se propose d’exprimer les plus profonds mystères de la liturgie et sacrifie tout au désir d’être clair et surtout orthodoxe. Il tombera dans la barbarie au IIIe siècle, ayant alors oublié la leçon de ses anciens maîtres, mais il n’aura rien perdu de ses caractères spécifiques : au contraire, il les dégagera plus fortement que jamais, avec plus d’intensité et moins de charme. Plus tard, quand ces abstractions, inharmoniquement figurées jusqu’alors, se produiront dans le plein air, elles s’y rajeuniront, elles s’y transformeront, ce sera comme une première Renaissance, chrétienne, et nous admirerons aux voussures de nos porches romans et gothiques ces images que nous contemplons sans plaisir dans les fresques du cimetière de Calliste ou de Comodille. Les artistes de nos cathédrales nous enseignent l’esthétique du Paradis : les ouvriers d’art des catacombes nous en disent la métaphysique.

Cette métaphysique était, dans le même temps, et plus philosophiquement, approfondie par Philon et ses élèves, saint Clément d’Alexandrie et Origène. Les apôtres eux mêmes, et surtout saint Paul, avaient inauguré l’interprétation allégorique des Écritures, expliquant les personnages et les événements de l’Ancien Testament comme des figures de la Loi Nouvelle. L’école d’Alexandrie systématisa cette interprétation. En Occident, saint Hilaire la reçut d’Origène. Saint Ambroise la rendit populaire : « La lettre tue et l’esprit vivifie », disait-il. Isidore de Séville, après saint Augustin et saint Grégoire le Grand, donna, dit M. Émile Mâle que nous résumons ici, « une forme définitive aux commentaires mystiques de l’Ancien Testament. Les écrivains du moyen âge répéteront pendant des siècles les interprétations allégoriques trouvées par les Pères, et désormais consacrées. » Les artistes du moyen âge, en ajoutant la forme plastique à l’interprétation allégorique de la Bible, se conformèrent donc à la tradition des premiers siècles, telle qu’elle était née dans les livres d’Alexandrie et dans les fresques des catacombes ; et par celles-ci plus que par ceux-là elle avait été préparée à l’adaptation plastique.

Adam et Ève, Noë, Abraham et Isaac, Moïse, Tobie, Job, David, Élie, les trois jeunes Hébreux, Suzanne, Daniel dans la fosse aux lions, Jonas et la baleine, puis, Jésus et la Vierge, l’adoration des Mages, l’Agneau, les principaux miracles du Christ, les Sacrements : les catacombes font, littéralement, provision de figures pieuses et de symboles. L’occident puisera sans compter dans ce trésor. Dès le triomphe de l’Église, dès l’édit de Milan, la somptueuse décoration des basiliques, et notamment les mosaïques populariseront les thèmes imaginés dans les catacombes, où déjà, d’autre part, ont été fixées dans leurs lignes essentielles les grandes compositions que les artistes chrétiens, de la période byzantine à la Renaissance, consacreront par leur génie.

La Cathédrale future s’anime donc, à proprement parler, dans les catacombes. N’y cherchons ni architecture, naturellement, ni sculpture, ni peinture même. Mais il y a l’élément primordial, sans lequel l’art chrétien ne serait pas celui que nous connaissons, il y a la constitution de ce langage symbolique que les styles roman et gothique vont illustrer.

Il y a autre chose encore. La religion des larmes, avec son adoration d’un Dieu crucifié, avec ses promesses d’un bonheur sans fin au delà de la vie terrestre, était chez elle dans la cité de la mort. Les persécutions, il est vrai, l’y avaient réduite, et, pour y sauvegarder son refuge contre les Césars, elle invoquait politiquement la loi qui déclare inviolable le champ de la sépulture. Mais l’harmonie était évidente, entre l’habitante et l’habitat : le christianisme fait, de la mort, l’objet principal de ses méditations. Après le grand mort divin, il honorait, dans les catacombes, ses martyrs, et plaçait sur leurs tombeaux ses autels. Les empereurs ne le laissèrent pas manquer de reliques. Mais il conserva cet usage après l’ère des persécutions, substituant seulement au réel sarcophage du saint une petite table de marbre, c’est-à-dire une pierre tombale : c’était l’autel. L’autel n’est-il pas, moralement, le centre, la pierre angulaire de l’église ? Il est resté ce qu’il était au premier siècle. Il sent le goût chrétien de la mort. C’est des catacombes, avec le Symbole, d’où dérivera toute l’ornementation chrétienne, que l’Église a hérité l’autel-tombeau.

II. Période latine, mérovingienne et carolingienne. — Il est peut-être arbitraire de prétendre réunir en une seule période les longs siècles qui s’écoulèrent depuis le jour où fut construite la première église chrétienne jusqu’à l’avènement du style roman. Mais ces neuf siècles ont un caractère commun, qui est capital. Ils cherchent, ils tâtonnent, ils s’efforcent vers l’unité. Le monde chrétien ne connaîtra pas la paix qu’il n’ait acquis cette solidité dont s’enorgueillit la puissante cathédrale romane, et qui affirme, par une image, la présence de la certitude dans les esprits.

Ce n’est pas trop de tant d’années pour atteindre à ce grand résultat. Il ne paraîtra même pas que ce soit beaucoup si l’on songe que, dans le même temps où le christianisme « se cherchait » ainsi lui-même, les nations, profondément troublées par la chute de Rome, par le déplacement du centre impérial, par la désorientation des âmes qui résultait de l’inauguration d’une ère nouvelle, et par ces formidables mêlées de races que furent les Invasions, se cherchaient elles aussi. États, philosophies et sciences, langues et littératures, tout était épars, et à l’organisation de tout procédait, unique, la pensée chrétienne. Elle était le centre nécessaire d’où divergeait et où convergeait l’ordre. Et l’ordre exigeait que la première œuvre accomplie fût un signe sensible de cette pensée. Ce signe, la Cathédrale, fut donc le but de tous les efforts, de toutes les consciences, collectives et individuelles.

L’Église vient de triompher. Elle a désormais le droit de célébrer publiquement son culte ; bien plus encore : cette pensée politique, née de bonne heure dans l’esprit des pontifes de Rome, cet ambitieux dessein d’asservir l’État, et de n’accepter d’abord sa protection que dans l’intention de s’élever au-dessus de lui bientôt et de le protéger à son tour, va se réaliser. — Que fera l’Église, avant toutes choses ?

Sa doctrine est fixée depuis plus d’un siècle[8]. Elle va la répandre. Elle ne se contente pas d’user de ses droits nouveaux dans les contrées où elle est déjà moralement constituée. À peine libre, c’est la conquête de l’univers qu’elle entreprend, déléguant aux confins des provinces romaines, à la découverte des terres ignorées, des missionnaires, chargés d’évangéliser les peuples.

Mais partout, à Rome comme dans les pays barbares, c’est par ses rites qu’elle peut le plus plausiblement espérer d’atteindre les sensibilités et les consciences : ces rites, du reste, qui comportent les sacrements, sont de pratique obligatoire, et, très démocratiques de caractère, exigent la participation active de la foule des fidèles au sacrifice dont aucun regard profane ne doit offenser la sainteté.

Le premier soin de l’Église sera donc d’offrir à la parole de ses prêtres, aux cérémonies de son culte, à la piété de ses fidèles, un abri.

Inexpérimentée en la matière, car elle n’a guère fait jusqu’alors que des tombeaux et c’est la Maison de Vie qu’il s’agit d’édifier, l’Église ne refuse pas le conseil de la civilisation qu’elle vient de détruire. Elle s’inspire à la fois et des maisons privées, où se réunissaient souvent les premiers chrétiens quand ils osaient s’évader pour quelques heures des catacombes, et des thermes romains, et des basiliques romaines. C’est à celles-ci qu’elle empruntera le modèle général de ses constructions, en négligeant pourtant de leur demander le secret de leur solidité, la recette de l’établissement des voûtes, peut-être n’osant pas, peut-être ne pouvant pas encore se risquer en de si savants travaux.

Elle trouve dans la basilique ce qui lui est le plus immédiatement nécessaire, un grand espace couvert, où les officiants et les fidèles soient respectivement à l’aise pour l’accomplissement des rites. Les destinations originelles de l’édifice l’avaient déjà divisé selon un ordre et des proportions très convenables à son utilisation nouvelle. Palais de justice et Bourse de commerce à la fois, il se composait, on le sait, d’une abside, où se réunissaient les juges et les justiciables, et d’une nef, où se rencontraient les marchands et leurs clients. Les prêtres ne changeront rien à cette disposition. Ils abandonneront presque toute la nef à la foule et se réserveront l’abside, qui deviendra le chœur et s’agrandira des dernières travées de la nef. On élèvera l’autel en avant de l’abside ; sous l’autel on creusera la Confessio, où seront conservées les reliques des saints et qui, dès le VIe siècle, deviendra la Crypte. Entre l’abside et la nef, le transept, à l’époque carolingienne, christianisera solennellement la basilique en lui donnant la forme de la croix. Et la plupart de ces premières églises auront des collatéraux, quelquefois doubles, surmontés de tribunes.

Aux Thermes, l’Église prendra le modèle architectural de ses baptistères.

De la maison antique, elle conservera l’atrium, précédé du narthex, ouvert sur la basilique, ou du porche, ouvert sur le monde extérieur.

Mais elle invente un élément essentiel, qui la caractérise, qui signifie sa nouveauté, qui transformera l’aspect extérieur du monument : la tour, le Clocher. Elle en a besoin pour appeler les fidèles aux cérémonies du culte. L’importance matérielle du clocher se développera sans cesse avec la puissance de l’Église. Dès son apparition nous reconnaissons en lui la ligne spécifique de l’architecture chrétienne, la ligne verticale.

Ainsi, toutes les parties du vaste ensemble, tous les organes du grand corps mystique sont déjà définis, constitués, doués de vie. Mais ils sont séparés ; le baptistère et les clochers restent distants du bâtiment principal ; celui-ci, d’autre part, n’a qu’une existence précaire, son toit plat, en bois, l’exposant perpétuellement à l’incendie.

L’esprit de concentration, de solidité, de durée, qui est l’esprit même de l’Église, qui est le sens de l’orthodoxie, va consacrer les siècles qui viennent à l’œuvre nécessaire d’assemblage, de réunion. Cette œuvre accomplie sera l’expression sensible de la cohésion des pensées, des croyances, des espérances chrétiennes, une sorte d’articulation matérielle des dogmes.

Y a-t-il, dès le premier jour, dans cet immense effort, une préoccupation de beauté ? Oui, sans doute, puisqu’il y a un désir d’unité, c’est-à-dire d’harmonie. C’est, d’ailleurs, dans la pensée commune, la certitude, l’évidence, que la maison consacrée au Seigneur doit être de toutes la plus spacieuse et la plus ornée. Mais ici la beauté, et c’est ce qui lui assure un long avenir, se confond avec l’utilité. Rien n’est laissé au caprice. Le programme est d’accommoder les divers éléments de l’édifice à son but unique, le service de Dieu. L’artiste, dans l’accomplissement de ce programme, n’est qu’une main, à laquelle commande le cerveau du prêtre.

Et d’abord ils vont tous deux au plus pressé : ce sont les grosses parties de l’œuvre que d’urgence il s’agit de réduire à l’unité.

Le baptistère est le vestibule de l’église. Nul ne peut participer aux sacrements avant d’avoir reçu le premier de tous, le baptême. Il avait donc paru naturel, dans les commencements, que le local destiné à cette cérémonie préliminaire se trouvât placé à côté de l’église, un peu en avant de la façade. Mais convient-il que le néophyte, avant d’entrer dans la communion des saints, s’expose à perdre les bénéfices du baptême en traversant l’air du siècle ? On rapproche progressivement le baptistère de l’église, puis on l’y réunit par une galerie et il y est même incorporé, dans quelques rares basiliques, dès le IXe siècle. Il n’y sera, toutefois, définitivement et universellement absorbé que dans la période romane ; encore, conservant son sens d’introduction, d’initiation, restera-t-il presque toujours placé près de la porte.

Le clocher, indiqué dans les mosaïques de Rome du Ve siècle, réalisé dès 470 à Saint-Martin de Tours, est encore isolé dans les églises de Ravenne, les plus complètes que nous ait laissées le VIe siècle. Lui aussi, pour se réunir au monument dont il est l’achèvement logique et comme la définition, puisqu’il signifie l’appel de la terre au ciel, il attend l’avènement du style qui assurera par la voûte la solidité de tout l’édifice. La voûte seule permettra à la façade, devenue robuste, de supporter cette formidable masse de pierre et de bronze.

L’atrium subira des vicissitudes très diverses selon les temps et les contrées. Ici, on sera forcé de le sacrifier à cause de la cherté croissante des terrains. Là, on pourra le sauver, sous la forme nouvelle du parvis (paradisus) qui, s’exagérant même en maints endroits, deviendra le cimetière de la commune, le petit cimetière des villains, tandis que les seigneurs et les clercs de marque auront dans l’église même leur tombeau, sujet offert au talent des sculpteurs romans : ils varieront sur ce thème en d’innombrables chefs-d’œuvre.

Quant au corps principal du monument, l’église proprement dite, longtemps son aspect extérieur reste morose et dénué. Comme si l’on avait conscience que, dans les grosses parties de l’œuvre, on ne peut faire encore que du provisoire, ce n’est pas à celles-ci qu’on s’applique. Les efforts décoratifs ne vont point à la couverture de l’ombre, aux murs qui la limitent. Ils tendent uniquement à embellir l’intérieur du temple, et là c’est déjà un véritable luxe de mosaïque et de marqueterie, de feuilles de marbre et de stuc, de peinture à la fresque. Un plafond de bois, sculpté ou peint, dissimule la couverture en charpente.

Les symboles imaginés aux catacombes fournissent aux peintres la plupart des sujets de leurs compositions : l’Agneau, les vingt-quatre Vieillards, les Quatre Fleuves, et le Christ, la Vierge, les Apôtres étaient représentés sur les parois de l’abside. Dans la nef, les saints et les saintes, en procession, entraînaient les regards des fidèles vers les figures, d’un ordre plus élevé dans la hiérarchie sacrée, qui ornaient le chœur. Une pensée voisine de celle qui retenait le baptistère près du seuil abandonnait l’atrium aux représentations des scènes de l’Ancien Testament : ainsi l’humanité avait été préparée à la Rédemption par les Prophéties.

La sculpture occidentale n’est pas née encore, ou du moins ne montre que d’hésitants essais. Il serait difficile d’en augurer les splendeurs du XIIe siècle. De tous les arts qui concourront à la beauté de la Cathédrale, la statuaire est celui qui se décidera le dernier.

L’art du vitrail n’est pas même encore dans l’enfance. Il n’aura pas d’enfance, à bien dire ; à peine né il sera parfait. Mais, lui aussi, il attend le fiat roman. On sent, toutefois, depuis longtemps sa nécessité. Il procédera, comme toutes les grandes choses, d’un besoin. Car il faut bien ouvrir, sur le vaste vaisseau de la basilique, pour y verser quelque lumière, des fenêtres : on les ouvre ; mais comment les fermer ? On s’ingénie. On les bouche au moyen de grillages de bois, de métal, de pierre découpée, de lames de pierre transparente, et même (dès le VIe siècle) de vitres à couleurs. On était bien près de la grande découverte, semble-t-il ; de la vitre à couleurs au vitrail à dessins le passage n’aurait-il pas dû être rapidement franchi ? À le franchir, pourtant, on mettra six siècles encore.

Ainsi, par toutes les voies, et toujours en écoutant le seul conseil de la nécessité, la Cathédrale, depuis le jour où la possibilité matérielle d’être lui a été donnée, tend au style roman. On peut dire qu’elle le porte comme une femme porte son enfant dans son sein. Il existe virtuellement dans tous les esprits bien avant de se produire à la lumière : quand on pourra le voir, on le reconnaîtra.

Quelle sera, dans cette grande création, la part de Rome ?

Nous n’entendons pas entrer dans la controverse fameuse, encore pendante, où Courajod, avec tant d’ardeur et d’éloquence, défendit contre les Romanistes le génie de ces Barbares, si longtemps dédaignés, qui sont nos pères. Il nous suffit de retenir cette conclusion, seule, du reste, acquise au débat, à savoir qu’il est impossible aujourd’hui de méconnaître la collaboration de ces Barbares au grand œuvre roman.

C’est Courajod encore, après Vitet, qui mit le plus nettement en lumière l’influence décisive des Byzantins, ou, pour mieux dire, des Néo-Grecs sur les architectes du Nord occidental. La Cathédrale s’est élevée au point idéal d’intersection où se rencontreraient trois lignes partant, la première, de Rome, la seconde, du Nord lointain (régions slaves, Scandinaves, germaniques), la troisième, de l’Orient hellénistique (Alexandrie, Éphèse, Antioche, Byzance, avec Ravenne pour point d’avancée).

La ligne romaine n’est pas des trois la plus importante. Rome, en ce qu’elle garde de vertu artistique dans la mêlée des races qui l’emplissent et dont les conflits précipitent sa décadence, est toute conquise par le génie grec. Il n’est pas bien sûr que la basilique adoptée par les chrétiens soit d’origine purement romaine. Ce qu’il y a de plus authentiquement romain dans les églises primitives d’Occident, ce sont les marbres antiques, non pas choisis comme modèles, mais dérobés par les armées de l’invasion et employés tels quels, à titre d’ornements, par les décorateurs des basiliques. Et la mine où ces trésors furent pillés n’est pas inépuisable ; le temps viendra bientôt où, par son dénûment même, l’Occident sera mis en demeure de faire appel à ses propres ressources, à son personnel génie, et ce ne sera pas la moindre des excitations auxquelles nous devrons les logiques nouveautés du XIIe siècle. C’est à ce même moment que s’exercera l’influence des vraies traditions romaines, auxquelles on demandera les secrets du traitement des voûtes et de l’appareillage. Mais Rome, — si tant est qu’on puisse, et nous venons d’indiquer que c’est un sujet de controverse, reconnaître le style romain dans la basilique primitive — n’a rien, en ces temps-là, donné de plus aux chrétiens que cette basilique, nûment.

Autrement précieux, considérable, que ce simple fait, brutal, des quatre murs de la grande maison, est l’apport décoratif des Barbares, surtout si l’on observe, comme nous l’avons noté, que les chrétiens carolingiens réservent pour l’intérieur de la basilique toutes leurs ressources plastiques, tout leur effort vers la beauté.

Ce n’est pas seulement la conscience ou l’instinct des limites de leur conception et de leurs moyens d’exécution qui leur avait prescrit ce parti, c’est aussi un sentiment singulièrement lucide de l’ordre selon lequel il convenait de procéder à l’élaboration de leur pensée et de leur œuvre. Que signifient, en effet, les dehors d’un monument, sinon ce qu’il contient ? Je dois deviner sa destination à son aspect ; le contenant se modèle sur le contenu. Il s’agissait donc, avant toutes choses, de préciser ce contenu, de le développer, d’en accumuler les signes expressifs. C’est à quoi la communauté entière des fidèles s’appliqua durant des siècles. Avant même que l’édifice religieux eut réuni ses membres séparés, son intérieur avertissait quiconque y pénétrait que là s’accomplissaient des choses graves et saintes ; tout y sentait la règle et cette si spéciale austérité, mystique et sensuelle, concise et emphatique, qui caractérisera toujours le culte chrétien. Cette église est un théâtre (son ordonnance ne manque pas d’analogies avec le théâtre antique) où l’on représente le « Mystère » tragique de la Rédemption. Drame unique et quotidien, sans spectateurs, car tous les assistants y jouent un rôle et le dialogue s’échange entre eux et le prêtre. Au sens de ce ballet sacré de la messe, au décor qui lui convient, les races du Nord apportaient une intelligence sérieuse et un goût de splendeur sévère admirablement appropriés. — Quand l’œuvre d’art intérieure, spirituelle, sera composée dans toutes ses parties et pour ne plus varier, alors elle débordera l’enceinte de l’église, elle se répandra sur les murs extérieurs. C’est comme un homme qui, après avoir longtemps réfléchi, la tête basse, les traits fermés et ne laissant lire que l’effort d’une réflexion dont il connaît seul l’objet, relèverait enfin la tête, ayant trouvé la certitude qu’il cherchait, et nous montrerait sur son visage l’épanouissement de sa pensée.

Peut-être, toutefois, l’œuvre architecturale des Barbares, leur œuvre personnelle, fut-elle plus complète, ou plus compliquée que nous ne le faisons entendre. Nous ne savons presque rien des églises de bois qu’ils édifièrent, et il serait imprudent de nous en rapporter à la représentation que nous en donne la célèbre tapisserie de Bayeux. Il est certain, du moins, que les Barbares, dans ces constructions, obéissaient à des principes et employaient des procédés inconnus de l’antiquité classique, puisqu’elle n’a pas utilisé le bois dans son architecture. Ce que ces églises de bois ont dû avoir d’original, c’est peut-être dans les églises de pierre élevées plus tard par les mêmes Barbares qu’il faut le chercher, encore qu’ils se fussent alors mis à l’école des Anciens : comment croire qu’ils eussent, pour acquérir des connaissances nouvelles, absolument oublié leurs propres traditions ?

Comme l’a dit admirablement Courajod, et bien qu’en ce point sa divination ne se fonde sur aucune preuve rigoureusement scientifique, c’est à leurs habitudes de travailleurs du bois qu’il faut demander le secret du grand esprit de découverte que manifestèrent les constructeurs de nos Cathédrales romanes et gothiques. Même après avoir appris l’art de la construction en pierre, ils continuèrent à penser en charpentiers. C’est dire qu’ils restèrent dans la nature, dans leur nature ; ils puisèrent dans ce sentiment de la nature — et aussi dans l’idée mystique qu’ils interprétaient, si différente de l’idée polythéiste — l’énergie de résister à la leçon romaine, dans le choix des formes.

« Il reste incontestable, écrit M. André Michel[9], que l’architecture du Moyen Âge alla s’émancipant toujours plus de toute imitation romaine, obéit à un principe et aboutit à une expression, non seulement essentiellement différents de ceux des monuments antiques, mais qui leur sont directement contraires. »

Cela est surtout vrai de l’art du moyen âge comparé avec l’art romain. On ne saurait affirmer que le principe et l’expression de l’art du moyen âge soient directement contraires à ceux des traditions néo-grecques. S’il a fait des emprunts à l’antiquité, c’est en s’adressant à ces traditions. On sait que d’intermittentes relations existèrent, dès les hauts temps, entre les races qui habitèrent les parties septentrionales de l’Europe et les Grecs. Une communauté immémoriale d’origine maintenait des sympathies naturelles entre ces ignorants et ces savants. L’influence orientale a donc pu nous parvenir aussi bien par le Nord que par le Midi. Si elle n’a pas suivi ces deux chemins simultanément, c’est peut-être celui du nord qu’elle a pris le premier, rencontrant au passage la civilisation scandinave et nous apportant, avec l’enseignement hellénistique, les principes et les matériaux de l’architecture norvégienne.

Quoi qu’il en soit, cette influence orientale s’exerça dans l’Occident avec une grande autorité, comme en témoigne la Cathédrale d’Aix-la-Chapelle, cette église de Charlemagne, lourde copie de Saint-Vital de Ravenne, qui sera elle-même copiée plus d’une fois. Mais cette docilité,, qui menaçait de réduire l’art occidental à la pure et servile imitation, par son excès même dénonçait qu’elle n’avait pas d’avenir. Elle constituait un redoutable et insupportable obstacle au développement des artistes nouveaux : or, déjà le génie personnel de la race était conscient de ses forces et capable de donner la vie à tout un art original et puissant. Voyez l’invention ornementale des orfèvres francs ; feuilletez l’œuvre énorme des enlumineurs, qui prépare celle des verriers romans. D’autre part, le sol et le climat ont des exigences qu’ignorent les architectes d’Antioche et de Ravenne et qui s’opposent à la stricte application de leurs principes. — L’art hellénistique, qui a commencé à pénétrer la latinité décadente dès le premier siècle de l’ère chrétienne, laissera pour toujours d’ineffaçables traces dans l’art religieux de l’Occident ; mais il va perdre sa suprématie.

L’art carolingien, bien qu’il ne soit sans doute pas un art tout entier, conclut pourtant une longue période de tâtonnements et d’essais. Il annonce l’art roman. Il a déjà produit des églises entièrement voûtées (Aix et Germigny). Vers sa fin, il verra les sculpteurs achever de conquérir le Style sous l’influence de l’Orient. Surtout, il accompagne, il sert l’immense effort de l’Église cherchant son unité, se ramassant dans sa pensée, se concentrant dans l’ombre du monument accepté plutôt que choisi, en soudant les éléments divers, l’emplissant des choses belles qu’elle consacre et qui la signifient.

Le monument est maintenant plein d’elle. Désormais elle a la double préoccupation de s’assurer contre les désastres qu’elle a trop longtemps, trop souvent subis et de faire devant le siècle grande figure. Une à l’intérieur, elle veut s’y asseoir dans sa force et montrer aux hommes la beauté de cette force et de cette unité.

Elle veut si intensément, que sa volonté triomphe de tous les obstacles : le style roman est né.


III. Période Romane. — L’art roman a rayonné au delà de nos limites, mais c’est en deçà qu’il s’est exprimé avec le plus de richesse et de variété. Non moins exactement que l’art gothique il correspond au sol, au climat, à l’esprit du pays qui le produisit et qui l’amena au point de perfection où nous le voyons dès 1120.

Pour parvenir à l’apogée il lui a fallu deux cents ans. Il est constitué dès le Xe siècle ; mais il est encore rude et comme hésitant pendant tout le XIe. Au XIIe s’épanouit dans sa plénitude la pensée que portait en lui l’esprit occidental et chrétien dès ses premiers balbutiements, — car la Cathédrale romane a plus d’un trait d’étroite parenté avec la Catacombe elle-même, basse, voûtée, sombre et pleine d’hypogées.

Essentiellement, en quoi consiste le style roman ? C’est la voûte qui en est l’élément principal.

« Les voûtes romanes sont appareillées d’une façon beaucoup plus sommaire que celles des Romains ; elles s’en distinguent surtout par leur élasticité ; elles sont construites en blocage, tout au plus en moellons, à gros joints. Les types sont les mêmes que ceux de l’antiquité : berceaux, voûtes d’arêtes et coupoles, mais les tracés sont très différents. La voûte en berceau est souvent brisée, surtout au XIIe, pour diminuer la poussée : la voûte d’arêtes peut l’être également, et souvent elle est bombée, avec arêtiers tracés sur une ellipse, mais en plein cintre, et qui viennent mourir vers la clef ; cette voûte nécessite un appareil analogue à celui de la coupole ; elle forme un compromis entre les deux systèmes et semble inspirée de la voûte d’arêtes byzantine où cette similitude d’appareils s’affirme plus franchement qu’en Occident. Enfin, la voûte en coupole sert à couvrir des travées carrées, le passage du rectangle au plan circulaire s’opérant au moyen soit de trompes, avec diagonaux bandés dans les angles, soit de pendentifs, en sections triangulaires de coupoles. Le premier système donne une assiette octogone ; le second une base circulaire ; la coupole elle-même suit l’un ou l’autre de ces tracés. Elle est employée à l’intersection de la nef et du transept dans la plupart des églises du sud de la Loire et des écoles bourguignonne et germanique ; quelquefois, les églises ont été entièrement voûtées en coupoles. L’architecture byzantine avait fourni les modèles de ces deux dispositions. La disposition des voûtes et des arcs commande le plan de l’édifice et détermine la conception des supports[10]. »

On voit, par ces explications techniques, si précises, et que nous nous sommes gardé d’abréger, que les architectes occidentaux sont loin d’avoir emprunté la voûte telle qu’ils la trouvaient dans les monuments romains. D’une part, ils en ont simplifié l’appareil et augmenté l’élasticité ; d’autre part, ils l’ont perfectionnée en s’inspirant des exemples que leur offrait l’architecture byzantine.

Il suffira d’ajouter, pour achever de caractériser l’art roman, que toutes les églises construites selon ses principes ont la forme d’une croix, composée de la nef et du chœur, qui se suivent en ligne droite et rappellent le corps du crucifié, et du transept qui rencontre la ligne de la nef avant le chœur et représente les bras ; que presque toujours (l’ogive, toutefois, qui apparaît à la fin du XIIe siècle, se rencontre dans certaines églises purement romanes par tous leurs autres caractères) les lignes qui ne sont pas verticales affectent la courbe du plein cintre, celles des portails et des fenêtres comme celles des voûtes ; que des deux côtés de l’église, entre les fenêtres, des contreforts appuient les murs et les aident à supporter le poids des voûtes ; que la façade, partie la plus ornée du monument, est surmontée d’un, parfois de deux clochers, et qu’il peut y avoir des clochers encore au-dessus des deux portails qui s’ouvrent aux extrémités des bras du transept ; enfin, qu’il y eut plusieurs écoles d’art roman, celles de la Normandie, du Nord, de la Bourgogne, de l’Auvergne, de la Provence, du Poitou, distinguées entre elles par de notables différences.

Il faut surtout noter que la magnifique éclosion de la sculpture et de la peinture occidentales et la création du vitrail complètent de leur splendeur celle de l’architecture romane ; ces trois arts ne sont guère moins caractéristiques de l’édifice que les lois mêmes de sa construction.

Nous devrons donc insister, au point de vue plastique, sur la composition quatripartite de la symphonie romane pour en suggérer l’unité vivante.

C’est le sort de tout ce qui vit de tendre à se dépasser. La basilique cherchait la Cathédrale romane et celle-ci cherchera la Cathédrale gothique[11]. Sans doute, celle-ci réunira des conditions de solidité que le roman ne possédait pas encore, et il faut convenir qu’en matière d’architecture la solidité est une vertu primordiale. Mais, à tous les autres points de vue, malgré notre admiration profonde pour le style gothique, nous ne saurions convenir qu’il passe en beauté le style roman.

Peut-être, des deux, est-ce en lui qu’on trouve le plus de réelle grandeur. La Cathédrale gothique a plus d’essor ; mais la Cathédrale romane a plus de majesté. On sent qu’elle est pleine du Dieu qui l’habite. N’est-elle pas le corps même de ce Dieu, dont elle détient l’âme dans son chœur ? L’autre, comme si elle oubliait qu’elle est un reliquaire, cherche Dieu dans le ciel, éperdument.

Peut-être des deux est-ce la Cathédrale romane qui correspond avec le plus d’exactitude à l’essence de la pensée chrétienne.

Plus encore qu’en sa voûte et son plein cintre elle consiste en ceci, qu’elle est une crypte, une Confessio en plein air, aux proportions géantes, ou plutôt un vaste tombeau.

« À Jérusalem, au Saint-Sépulcre, les Croisés trouvèrent une rotonde bâtie sous Constantin et très restaurée de 1010 à 1048[12]. »

On ne prétend pas dire que nos églises romanes furent construites à l’imitation du Saint-Sépulcre. Mais est-il par trop téméraire d’avancer que la même pensée est sensible au Saint-Sépulcre et dans nos églises romanes ? Le christianisme est le culte d’un Dieu mort pour le salut des hommes, et la perpétuelle action rédemptrice de ce Dieu s’exerce grâce à sa « présence réelle » dans toute hostie consacrée. Toute église est donc le Saint-Sépulcre. — L’église romane affirme plus nettement que l’église gothique cette signification. Ses proportions écrasées, ses trois nefs sombres conviennent aux rites d’une religion de la douleur ; elles rappellent à tout chrétien qu’au prix d’une constante participation volontaire à la douleur infinie d’un Dieu, il obtiendra le bonheur infini, qu’il ne doit pas l’espérer dans ce monde, qu’il doit vivre dans la pensée perpétuelle de la mort, dans un tombeau.

Mais ce tombeau est grandiose et magnifiquement orné. Les artistes romans n’ont pas sacrifié à l’utilité de la voûte la commodité et l’ampleur de la basilique. Au contraire, ils l’allongent, surtout ils l’élargissent, profitant de la solidité acquise pour donner à tout l’édifice plus de grandeur.

Merveilles sévères, que l’art gothique ne fera pas oublier : Cluny, qui fut la plus vaste des églises de ce style, mais dont il ne nous reste que des débris ; la Trinité de Caen, Jumiège, Notre-Dame-du-Port à Clermont, Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, Saint-Savin, Moissac, Cahors, Saint-Sernin de Toulouse, Saint-Lazare d’Avallon, Paray-le-Monial, Vézelay, Autun, Beaune, Saint-Martin-d’Ainay à Lyon, Saint-Trophime d’Arles, Carpentras, Nîmes, Angoulême et Saint-Front de Périgueux, avec leurs voûtes triomphant en coupoles, et, belle entre les plus belles, la cathédrale du Puy.

La beauté plastique de la peinture, du vitrail et de la sculpture commente la beauté spirituelle et comme abstraite de ces monuments. Écritures variées et concordantes. L’entente est parfaite entre les quatre principaux artistes. La même pensée les anime, l’émulation les unit, nulle rivalité ne les divise. C’est le maître de l’œuvre qui commande, l’architecte ; c’est lui qui a fait le premier geste. Les peintres et les verriers, précédés eux-mêmes par les miniaturistes, les mosaïstes, les ivoiriers, les orfèvres, sont entrés avant le sculpteur, nous l’avons dit, dans ce concours de beauté.

Il n’y a pas longtemps, en ce qui concerne les peintres, que cette certitude nous est acquise. Elle s’appuie chaque jour, grâce aux recherches des archéologues, sur de plus abondantes preuves : nous possédions dès le XIe siècle, en peinture, un art du plus grand style.

Depuis la découverte des fresques de Saint-Sernin, par Mérimée, nombre d’autres merveilles du même ordre nous ont été rendues. Par exemple, les fresques de Saint-Jacques-de-Guérets ont été découvertes en 1891, celles de Berzé-la-Ville en 1893. Les recherches se poursuivent, reprennent, en quelque sorte, in extremis, des chefs-d’œuvre au temps qui les efface et dans le moment même où ils allaient disparaître. Nous savons maintenant, avec certitude, ce qu’on pouvait à peine soupçonner il y a quarante ans, qu’un grand nombre d’églises et de chapelles romanes étaient entièrement peintes, même sur leurs piliers, comme les couvents du Mont-Athos : entre autres, Saint-Sernin, les églises ou les chapelles de Ligat, de Poncé, de Montoire, de Montmorillon, de Vie, de Berzé-la-Ville, de Brioude, du Puy, de Saint-Loup-de-Naud, de Saint-Chef, de Rocamadour, la crypte de la cathédrale d’Auxerre, l’abbaye de Cluny…

Production énorme, où l’on distingue des centres d’activité particulièrement intense ou de mérite singulièrement éminent. Mais, tout permet de le croire, le régime des églises que nous venons de nommer devait être celui de toutes les églises, au XIIe siècle. Il est à présumer qu’on en trouvera la preuve sous l’immonde badigeon dont elles ont été déshonorées du XVIIe au XIXe siècle. Les découvertes accomplies déjà ont une importance extrême, que chacun voit. Elles bouleversent l’histoire de la peinture, en ce premier chapitre, du moins, qu’elle consacre aux « Primitifs » et qu’elle voit de jour en jour s’éclairer de nouvelles lumières dont sa chronologie de la veille est désorientée, s’allonger d’ante dicta, d’appendices à rebours qui finiront par dévorer le livre. Aucune école étrangère n’a plus d’œuvres à citer qui, dans le temps, se placent avant les œuvres de notre école romane de peinture, et ces œuvres sont d’une parfaite beauté. Voilà de quoi inspirer à tous, pour ce moyen âge méconnu, méprisé, un respect étonné. L’étonnement l’emporta d’abord sur le respect, et Mérimée, tout le premier, crut devoir — sans apporter, du reste, à l’appui de sa thèse aucune preuve, — attribuer à des maîtres grecs ces témoignages d’un art si savant. Erreur universellement reniée. Non pas qu’on doive répudier, ici non plus qu’en architecture, l’influence hellénistique. Le moine Théophile, dans sa Diversarum Artium Schedula, qu’il écrivait à la fin du XIe siècle, se recommande expressément des Grecs et se vante de transmettre à l’Occident tous leurs secrets. Que de temps perdu si l’Occident avait dû réinventer tous les arts ! C’est un grand bonheur que l’incomparable bénéfice de la tradition ne lui ait pas été refusé : loin de là, car il est manifeste que la tradition grecque n’a, presque jamais, cessé de vivifier la pensée occidentale. Mais cette pensée, nourrie de cette tradition, a trouvé dans la substance de la race les vertus qui lui ont permis de s’exprimer à son tour ; pour être restée fidèle à des principes certains, aujourd’hui comme alors unanimement respectés, elle ne s’est pas réduite à l’imitation ; elle a fait preuve de force personnelle et d’originalité.

Du reste, l’influence grecque, si l’on tient à la voir dans nos fresques romanes, d’une part n’en explique pas tout le mérite, et d’autre part n’a sûrement pas attendu les révélations du moine Théophile pour épargner aux artistes de glorieux tâtonnements. Les miniatures, les ivoires, les mosaïques, les orfèvreries, où ils étaient parvenus, dès les temps carolingiens et même mérovingiens, à une grande virtuosité, avaient exercé, aiguisé les intelligences et les sensibilités, les avaient familiarisées avec les combinaisons des lignes et des couleurs. Il est clair que des œuvres comme les fresques de Saint-Sernin ne sauraient avoir pour auteurs des hommes, la veille encore, tout à fait ignorants ; entre de telles œuvres et l’ignorance il y a des générations de travailleurs. Mais, ce que les artistes n’avaient pu apprendre en ciselant des bijoux ou en illustrant des missels, c’est l’accommodation de la peinture aux impérieuses exigences de l’architecture. Mérite essentiel, car il n’est pas sans lui de décoration monumentale. Sa présence, évidente, témoigne irréfutablement d’un sens profond des grandes harmonies et d’une science très développée.

Quel enchantement ces grandes figures, ces compositions peintes, si amoureusement épousées par les lignes architecturales de l’église romane, devaient y apporter ! Ce tombeau était plein de vie. Ce n’est pas sans raisons que dans la langue courante d’alors — la langue mystique —- on désignait l’église, dès le seuil, de ce mot : le paradis. En y pénétrant n’est-ce pas au paradis, en effet, qu’on entrait, accueilli par les patriarches et les prophètes, conduit au sanctuaire par les saints et les saintes, par les martyrs glorifiés, bénit devant les autels par la Mère de Dieu, par Dieu même en ses trois personnes ? — La Mort qu’on célébrait dans cette église n’était pas l’ultima rerum linea, mais la première ligne du livre de vie. Et déjà on était là au lendemain de la mort : une lumière surnaturelle enlevait les esprits jusqu’à la vision d’une Jérusalem céleste, idéale et réelle.

Le vitrail, ce baptême de la lumière, ne permettait à personne de regretter la nature, l’air libre, les paysages, les jardins, les gloires et les grâces de la vie. Le vitrail donnait tout cela et donnait plus encore, colorant de clartés supraterrestres tout ce qu’il empruntait à la réalité : les plus admirables visages grâce à lui se transfiguraient, atteignaient à une beauté supérieure, qui les abandonnait au seuil du « paradis ».

Le temps et les hommes n’ont pas permis que la joie de ce prodigieux ensemble nous fût conservée. Nous ne le retrouverions aujourd’hui dans aucune de nos Cathédrales romanes. Les fresques ont été recouvertes ou s’effacent, les vitraux se brisent ou ont été remplacés, les sculptures sont mutilées, les monuments tombent en ruines ; c’est l’œuvre des guerres de religion de 1562, des chapitres du XVIIIe siècle, de la Révolution de 1793, de la bande noire des premières années du XIXe, de nos conseillers municipaux actuels, et de huit cents ans. Il nous faut donc recourir à notre imagination, conseillée par la science, pour nous représenter cette merveille. Songez que les fresques devaient trouver à la fois l’harmonie de leurs lignes avec celles du monument et l’harmonie de leurs couleurs avec celles des vitraux. Tour de force, tour de génie, cent fois réalisé. Nous ne retrouverons pas cela dans les églises gothiques, où le plein du mur en s’effaçant exclut, peu s’en faut, la peinture, où l’art du vitrail lui-même subit une éclipse momentanée. Le style gothique est un miraculeux accord entre le génie de l’homme et celui de la nature à laquelle il ouvre et livre la Cathédrale ; le génie de l’homme a plus de part dans le style roman, et le génie de l’homme, ici, c’était le génie français.

Nous venons de dire tout ce que l’architecte roman et le peintre roman avaient ajouté aux traditions romaines et orientales. Le vitrail est à nous plus encore, il est à nous tout entier, né chez nous, sans précédents ailleurs. On croit le voir préluder, à Reims, de 969 à 988. À Saint-Denis — où naîtront aussi la sculpture monumentale et l’architecture gothique — il est, de 1140 à 1144, à son plus haut période. On a fait justice de la fausse doctrine qui nous le donnait pour une conquête des croisades. Rien ne pouvait, en Orient, l’inspirer, le faire même pressentir. Il produisit presque tout de suite, pendant la seule période romane, ses plus grands chefs-d’œuvre : à Chartres, avant 1158, et au Mans, à Poitiers, à Angers, à Châlons, sensiblement vers les mêmes dates. Plus tard, le peintre-verrier, en remplaçant par la forme en médaillons les barres de fer qui d’abord se coupaient à angles droits, donnera plus de clarté à sa composition, non pas plus de beauté. Les plus beaux vitraux sont les plus anciens. Si le dessin des personnages y reste archaïque, le dessin ornemental y montre une richesse, une grandeur qu’il ne tardera pas à perdre. Pour sa puissance de couleur et sa science de l’effet, l’artiste d’alors n’aura pas d’héritiers. On ne retrouvera plus ce bleu lumineux, si franc et si doux, si opulent, qui est la propre nuance de l’extase. On échappera, sans doute, à certaines imperfections matérielles, mais le génie décroîtra dans la proportion même, semble-t-il, où se perfectionnera la technique. Le verrier finira par méconnaître les caractères constitutifs de son art. Il fermera les fenêtres au moyen de tableaux peints sur verre, qui ne sont plus des vitraux. — Il n’y a rien, dans tout l’âge gothique, de comparable aux trois vastes verrières qui remplissent, à Chartres, les trois larges et hautes fenêtres percées dans le mur occidental.

Le style qui produit le vitrail ressuscite la sculpture.

Elle était restée stérile pendant cinq siècles, si toutefois, car là-dessus on discute, l’époque mérovingienne n’a pas eu une sculpture personnelle. On donne de cette stérilité diverses raisons : la répugnance des prêtres et des peuples chrétiens aux représentations anthropomorphiques, la décadence des arts romains, les progrès des arts apportés ou plus volontiers cultivés par les Barbares, notamment l’enluminure et l’orfèvrerie. Mais, après une période d’essais très fortement empreints de l’esprit oriental, la Cathédrale, au XIIe siècle, revêt cette splendide parure de pierres sculptées et polychromées, la statuaire romane.

Le pays se partage, selon les sympathies des provinces entre elles, en plusieurs écoles qui rivalisent par la justesse et l’ingéniosité de l’adaptation des œuvres sculpturales à l’architecture, par l’intensité de l’expression, par les raffinements d’élégance et les adresses de technique. Et ce sont partout des Nativités, des Crucifixions, des Ascensions, des Visions apocalyptiques, des Jugements derniers, des scènes de l’Ancien Testament, des figures de prophètes et d’apôtres, de saints et de martyrs, d’évêques et d’abbés, le Christ et la Vierge de majesté, les vertus et les vices, une immense multitude d’images douces et graves, familières ou solennelles, dont l’art achevé témoigne d’une intense spiritualité et, tout à la fois, d’un sentiment délicat de la convenance, d’un sincère amour de la réalité : les modèles de ces chefs-d’œuvre partagent la vie des artistes qui les ont taillés, ce sont les hommes et les femmes qui vivent sous leurs yeux : promus, pour les nécessités de la représentation, aux plus hautes dignités dans la hiérarchie céleste ou hagiographique, ils gardent les traits spécifiques de la race et de l’individualité.

Laquelle, entre ces antiques écoles de l’Auvergne, du Languedoc, de la Bourgogne, de l’Île-de-France, de la Saintonge associée avec le Poitou, produisit le plus de ces vermeilles ? Les bénédictins de Cluny, qui paraissent avoir donné l’essor à cet art national, en réservèrent-ils les plus glorieuses créations à leur toute-puissante abbaye ? Faut-il préférer l’illustration des saisons, des différents tons de la musique, des sept Vertus, des âges du monde, qu’ils firent exécuter pour eux, à la sublime Ève nue, qui était sculptée à l’une des portes latérales de Saint-Lazare d’Autun, ou à cette figure de la luxure, étonnante de fougue et d’audace, placée au jambage gauche de la porte principale du portail de Charlieu, ou à la Visitation, ou à la Nativité de la façade de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, ou au tympan de la porte méridionale de Saint-Sernin, ou à celui du portail septentrional de Saint-Étienne de Cahors ?

On peut hésiter, devant cette étourdissante profusion de chefs-d’œuvre, à préciser des préférences, et nous ne donnons ces brèves indications que, précisément, pour suggérer au lecteur cette étonnante abondance des œuvres statuaires romanes ; il en trouvera aisément l’énumération et la description dans les livres spéciaux[13], mais c’est surtout aux œuvres elles-mêmes qu’on voudrait l’adresser. Ces figures tombales, ces statues, ces bas-reliefs, presque tous mutilés, gardent pourtant une vérité et une beauté ineffables ; ils sont étonnants de vie profonde. Le génie inventif et le goût ornemental, nulle part, et pas même en Grèce, ne se sont affirmés avec une plus exubérante richesse et selon de plus belles proportions qu’en France, à cette date. Les artistes qui ont fait tout cela étaient de grands observateurs et des exécutants d’une science absolue. Ils vivaient dans la familiarité de la nature, tantôt la copiant avec une pieuse fidélité, tantôt se permettant d’inventer selon ses lois et comme elle crée. C’est ainsi qu’ils ont osé ces ornementations végétales d’un si hardi et si juste sentiment décoratif, ces chapiteaux dont personne ne sait le nombre et dont quelques-uns des plus beaux sont à Notre-Dame-du-Port, à Saint-Nectaire, à Mozac, au Puy, à Saint-Benoit-sur-Loire, à Fontevrault, à Chantelle, à Saint-Menoux, à Noirlac, à Neuvy-Saint-Sépulcre, à Déol, à Beaulieu, à Gargilesse, à Moissac, à Souillac, à Saint-Etienne de Toulouse… L’esprit s’effare à l’évocation de cette immense moisson d’œuvres. Quand on se souvient que beaucoup d’entre elles ont été arrachées aux églises et sont aujourd’hui disséminées dans les musées et dans les collections particulières, que les incendies, les tremblements de terre, les guerres, les révolutions, les restaurations, le temps en ont détruit bien plus encore, on se demande comment, matériellement, cette production infinie a été possible, comment dans le même temps le même pays a pu réunir tant de sculpteurs, pleins de talent et quelques-uns de génie. Et dans le même temps le même pays ne comptait plus ses grands architectes, ses grands peintres, ses grands maîtres verriers ! Voilà l’époque « barbare » de notre histoire, voilà ce style qu’on a si longtemps méprisé et qu’aujourd’hui encore les gens de goût discutent, hésitent à admirer. Voit-on, pourtant, quelle dut être la splendeur, l’activité, la passion, la joie de ces grandes années où tout un peuple, animé de la même foi, produisait sans relâche ces œuvres, ces chefs-d’œuvre ? Sent-on le frémissement unanime de cette vie ? C’est cela, la vie de la Cathédrale. Elle est peut-être plus émouvante encore au temps roman qu’elle ne le sera au temps gothique, parce que, neuve au temps roman, elle avait plus de candeur et de ferveur, partant plus d’unité.

L’unité ! C’est elle qui fait l’incomparable splendeur de l’art chrétien, c’est cette indissoluble union de tous les éléments qui le composent. Architecture, peinture, vitrail, sculpture, orfèvrerie, tapisserie, broderie…, tout procède de l’Un, tout se réduit à l’Un. Et c’est que tous les artistes obéissent, volontairement et passionnément, à un commandement unique, celui du docteur, du clerc, du prêtre.

Jamais démenti plus catégorique ne fut donné à cette audacieuse assertion de Renan : « L’histoire démontre que la perfection dans les arts n’a jamais été atteinte tant que l’art a été exclusivement dominé par la religion[14]. » L’histoire démontre précisément le contraire, aussi bien aux sublimes périodes primitives de l’Égypte ou de la Grèce qu’au XIIe et au XIIIe siècle français. Il est, du reste, assez clair, en soi, que la foi, en cimentant l’union entre les vivants, en exaltant chez tous les mêmes pensées et les mêmes sentiments, en leur donnant en outre l’assurance — fût-elle illusoire — qu’ils peuvent compter sur la fidèle collaboration des générations futures à des œuvres dont l’accomplissement exige de longues années, est une condition singulièrement favorable aux entreprises artistiques désintéressées et vastes.

La foi chrétienne est l’âme du style roman. À l’exécution de toutes les grandes œuvres qui font la gloire du XIIe siècle a présidé cette loi, si souvent citée, du concile de Nicée : Non est imaginum structura pictorum inventio, sed ecclesiæ catholicæ probata legislatio et traditio, cette Tradition : non est pictoris (ejus enim sola ars est), veram ordinatio et dispositio patrum nostrorum qui ædificaverunt. — Ce sont donc les pères qui conçoivent et composent ; l’artiste exécute.

Ce gouvernement de l’opération artistique par la pensée liturgique, en maintenant l’art dans la stricte observance du dogme, l’a aidé à se développer harmoniquement, l’a gardé fidèle à lui-même. Et, d’ailleurs, l’art n’a-t-il pas trouvé dans les grandes abbayes les plus féconds, les plus éclairés encouragements ? Les meilleurs artistes du siècle ne furent-ils pas, bien souvent, des clercs et des moines, comme ce moine Théophile qui écrivit la Schedula, ou cet abbé Guillaume, ou ce moine Ubald et tant d’autres, renommés pour leur talent de sculpteurs ? Il n’y a pas encore de ligne de séparation nettement tracée entre les clercs inspirateurs et les laïcs exécutants. Même aux siècles gothiques, c’est dans les traités et les sermons des docteurs que les artistes puiseront leurs thèmes et l’ordonnance de leurs compositions. Aux siècles romans les inspirateurs passent volontiers à l’action et se mêlent à la foule des exécutants.

Si donc l’art roman a donné dans quelque excès, ce serait folie d’y voir la réaction de l’esprit civil contre l’esprit clérical. Si faute il y eut, clercs et laïcs en sont complices, et saint Bernard ne fait entre eux aucune distinction quand il fulmine contre le luxe des églises de son temps (1130). Ce texte est connu : Fulget ecclesia in parietibus et in pauperibus eget, dit saint Bernard, « L’église enduit d’or ses murs et laisse ses enfants nus ». Il blâmait les formes monstrueuses qu’affectaient certaines décorations : Quod facit illa ridicula monstruositas, mira qædam deformis formositas ac formosa deformitas ? Et il ajoutait : « Comment n’a-t-on pas honte, sinon de la sottise, du moins de la dépense ? » Il y a dans ce jugement quelque étroitesse d’esprit sans doute ; toutefois, en cherchant à ramener l’art chrétien à la sobriété, à ce qui est essentiel, saint Bernard témoignait d’une profonde intelligence des lois de cet art et des conditions de sa durée. Pressentait-il les grandes, mais périlleuses aventures, où l’ivresse plastique allait l’entraîner et ce triomphe sans lendemain de l’essor gothique ? Il se fût volontiers contenté de la beauté plus simple, plus austère, plus « définie » des primitives églises romanes, parcimonieusement ornées à l’extérieur, et dont la sévérité ne laissait pas l’imagination des fidèles s’emporter dans de vagues et sensuelles rêveries. Si l’on eût écouté ce docteur, qui estimait trop grandes les églises romanes, il est probable que le style gothique ne serait jamais né.


IV. Période Gothique. — Le gothique est enté sur le roman, qu’il consolide et développe.

En dépit des apparences, la voûte d’arêtes romane n’avait pas toute la solidité désirable. Elle était, en outre, d’une exécution difficile. Ces raisons utilitaires ont-elles seules déterminé la condamnation de ce style ? Il y a des motifs pour croire que les artistes se lassèrent de l’aspect massif de l’édifice ; et puis, sa privation intérieure de clarté les gênait. Double série de prétextes et de causes qui les conduisirent à désirer et à chercher un perfectionnement du système.

Une première transformation, peut-être inspirée des Byzantins, « consiste dans une suite de berceaux perpendiculaires à l’axe du vaisseau qu’ils couvrent ; ils se contrebutent et ne chargent que les doubleaux et les murs extérieur[15]. Bien qu’elle ait laissé des traces dans de nombreuses églises dès le XIIe siècle, cette méthode ne fut jamais d’une application généralisée et on l’abandonna vite.

La voûte en coupole, qui se définit par elle-même, autre essai d’amélioration, ou plutôt, peut-être, style intervenu en concurrence avec le style roman (car Saint-Front de Périgueux, construit d’après ce système, est de 1120) et sous une influence certainement orientale, a donné de très curieux et très beaux monuments : par exemple, outre Saint-Front, Saint-Étienne de Périgueux, Saint-Jean de Côle, les cathédrales de Cahors et d’Angoulême. Ce système, qui respecte les principes essentiels du roman et n’invite pas l’édifice à se développer en de vertigineuses hauteurs, qui du reste est contemporain des établissements des Croisés en Orient, évoque invinciblement le souvenir du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Il procure au bâtiment, avec une extrême solidité qui lui permet de se passer de charpente, un aspect grandiosement monumental et d’une opulente élégance. Il faillit s’imposer. Mais ses progrès furent tout à coup arrêtés par la découverte du procédé de la voûte d’ogives : c’est ainsi que des églises commencées pour être terminées en coupoles furent voûtées en ogives.

Ce qu’on peut retenir de ces deux tentatives, c’est que l’ogive n’est pas le développement logiquement inévitable du cintre. Il eût pu recevoir telle autre accommodation, et il est curieux d’observer que, dans de grandes constructions toutes modernes, on a préféré à l’ogive, considérée peut-être comme épuisée, un autre principe d’architecture, notamment la coupole.

Mais, comme la voûte romane dans sa nouveauté, il est certain que l’ogive correspondait pleinement à la pensée qui la cherchait. Légèreté et solidité, grandeur, facilité de construction, baies larges, largement ouvertes à la lumière désirée : le nouveau style réunissait, matériellement, tous les avantages. Moralement, il signifiait, comme un parfait symbole, toutes les aspirations nouvelles : majesté grandie de la société chrétienne, conceptions plus compliquées et plus individuelles des artistes, mouvement d’affranchissement qui soulevait les communes et, pour tout dire d’un mot, besoin général de changement.

Le génie mystique du moyen âge n’est pas détrôné. Peut-être y a-t-il, même, au fond des âmes, plus lasses que jamais du temps, mais impatientes aussi des limites dans l’étendue, un appel plus ardent que jamais à l’éternel, à l’immuable, qui s’exprime par l’espérance naïve de rejoindre, en s’élevant dans le ciel, le paradis ; les représentations que jusqu’alors l’église en avait proposées aux fidèles, ces

Paradis peints où sont harpes et lutz[16]


ne satisfont plus les imaginations. Des sentiments de cet ordre se heurtent dans les mêmes esprits à l’enthousiaste amour de la nature ; on a soif de lumière vraie, à laisser librement se jouer sur d’immenses plans d’architecture, sur de belles formes sculpturales fidèlement reproduites d’après le modèle vivant. — Ainsi le moyen âge, à la veille d’enfanter l’âme moderne, donnera de son génie naturaliste et de son génie mystique l’expression la plus lyrique. C’est l’accord de ces deux génies qui nous explique toute la beauté gothique et l’espèce de cette beauté.

L’Île-de-France est la patrie de cet art, si français que tous les peuples du moyen âge l’ont toujours désigné de ce mot : l’Art français.

« Un cercle, ayant pour centre Paris, et une cinquantaine de lieues de rayon, enferme les cathédrales les plus franches. L’architecture gothique étant considérée comme un système d’équilibre fondé sur la transmission des poussées, c’est dans ce cercle seulement que vous rencontrerez les monuments logiquement conçus. Le mouvement d’expansion part du centre et se propage à la circonférence. Si on la franchit, on trouve encore des constructions exceptionnellement marquées de l’influence de nos architectes, comme sur le Rhin, mais, le plus souvent, les architectures échappent à cette belle rigueur intellectuelle qui fait la gloire de l’Île-de-France, elles n’en retiennent que le goût ornemental[17]. » — (Il se peut toutefois que, dans l’invention technique du procédé de construction, la Normandie ait devancé l’Île-de-France.)

Le principe matériel de ce système est la croisée d’ogives, « armature d’arcs diagonaux qui s’entre-croisent à la clef ; elle a pour fonction de soutenir une voûte… Cette armature est à la fois saillante et indépendante. On la construit d’abord : puis, sur ses reins, comme sur des cintres permanents, on pose les voûtins, qui n’ont avec elle aucune liaison ; ils ne font qu’y reposer. La voûte gothique est donc éminemment élastique, ce qui est une garantie de solidité ; en cas de tassement, elle se déformera sans se rompre, tandis que la voûte romane est une concrétion dont l’homogénéité garantit seule la solidité[18]. »

Deux conséquences de ce principe déterminent des effets considérables au point de vue artistique.

C’est d’abord l’emploi, incomparablement plus fréquent qu’il n’avait été jusqu’alors, de la verticale, et c’est en second lieu l’évidement des constructions.

La direction ascensionnelle de tout l’édifice lui donne un caractère merveilleux de légèreté aérienne. Quel dut être l’émoi des foules devant la première grande église authentiquement gothique ! Cette masse énorme de pierres, plus solide que la massive cathédrale romane, semble à peine tenir à la terre et son audace étonne. Elle est dans le ciel dès la voûte, et ses clochers l’élèvent plus haut encore, beaucoup plus haut.

Mais, avant même de dépasser par sa stature la cathédrale romane, la cathédrale gothique semble aspirer l’air pour prendre son élan. Elle n’a pas besoin de murs, s’étant ménagé d’autres supports, la pile et l’arc-boutant, qui, eux-mêmes matières d’art et de beauté, dégagent le monument proprement dit et permettent aux voûtes de s’élancer au-dessus des hautes nefs.

On comprend que le prodige d’un tel résultat ait passionné le monde pendant trois siècles. Triomphe de l’architecte, ce système créait, par les seules ressources architecturales, un art si complet qu’on pouvait lui sacrifier tous les autres arts, sans regret, s’il l’exigeait. Les récits qu’on nous fait de l’enthousiaste concours de toutes les classes de la société à l’édification de Chartres ou d’Amiens, par exemple, ne nous étonnent pas. C’est son âme même que le XIIIe siècle projette en beauté dans cette gigantesque création, son âme, fervente toujours, effleurée déjà par l’inquiétude.

Les parts n’y sont pas égales, de l’inspiration mystique et de l’inspiration naturaliste. La première est plus apparente, la seconde est plus profonde.

La Cathédrale gothique est dans la nature et selon la nature par son amoureuse imitation des formes végétales, où elle trouve sa forme générale, par son antipathie pour les angles droits, pour les lignes violemment brisées, par cette sorte d’ivresse avec laquelle on sent qu’elle respire la lumière et l’ombre. La merveille, c’est précisément cette sorte de confusion passionnée du plus cérébral des arts avec la nature. Jalousement, il veut rester seul devant elle, seul à jouir d’elle : il n’y a guère de place, dans l’architecture gothique, que pour l’architecture elle-même.

Cet évidement des constructions, ce principe en vertu duquel les vides l’emportent sur les pleins, ce tissage de l’air, ces prodigieuses dimensions des fenêtres déconcertent les maîtres-verriers, et, nous l’avons dit, la défaillance des murs exclut à peu près la participation des peintres à la décoration de l’édifice. Si l’architecte sollicite encore le concours des sculpteurs, et si même leur collaboration prend, dans l’œuvre gothique, une importance extraordinaire, ce n’est, peut-on dire, qu’un accident sublime, dont nous devons le bénéfice au grand élan que les sculpteurs romans avaient donné à leur art. Mais la sculpture s’emploie désormais à la décoration surtout des parties extérieures de l’église. La force d’expansion, qui, dès l’Âge précédent, avait partagé les trésors de l’art entre l’intérieur de l’église et ses dehors, l’emporte ; elle n’est plus contre-balancée par l’esprit de recueillement, de concentration des artistes romans. Il n’y a plus d’intimité profonde dans cet édifice inondé de lumière, il est forain, les bruits extérieurs y retentissent. Et le vent, ce « vent violent qui souffle du sol », dit très bien M. Enlart, agite, retourne vers en haut les feuillages des crochets, des chapiteaux. Le bruit, le vent, la lumière, la couleur de l’air naturel : la Nature — de plus en plus fidèlement copiée à mesure qu’on avance dans le XIIIe siècle — dispute le sanctuaire à l’Évangile. Ce sont toujours, pourtant, les rites de la religion des larmes qu’on célèbre ici, les prêtres et les artistes accomplissent toujours et longtemps encore accompliront leurs fonctions dans une parfaite communion de pensées ; mais le théâtre du drame lui devient chaque jour plus étranger. Les fresques ne sont plus là pour rappeler aux fidèles le sens surnaturel du mystère, pour offrir à leur piété les formes hiératiques de la tradition. L’œuvre des sculpteurs, qui se détache peu à peu du mur ou de la colonne, est plus humaine que celle des sculpteurs du XIIe, plus humaine que celle des peintres, et suggère, au delà de l’objet précis de la représentation, en dépit des intentions les plus orthodoxes, l’irrésistible besoin de l’affranchissement. Dans cent ans, elle ne sera plus qu’une « œuvre d’art », désorientée de l’autel vers le parvis, de l’Église vers le siècle.

La période gothique, dans son premier âge tout au moins, est pourtant une période de foi ardente ; c’est le siècle de saint Louis. Mais la foi y prend un caractère qu’elle n’avait guère connu jusqu’alors et qui est en parfaite harmonie avec l’envolée des lignes gothiques. L’église romane et le XIIe siècle méditent et pleurent ; l’église gothique et le XIIIe siècle prient et espèrent. L’humanité chrétienne se détourne du Tombeau pour regarder le ciel même où trône le Ressuscité ; le diadème triomphal se substitue à la couronne d’épines ; c’est l’Ascension après la Crucifixion. Jusqu’alors on avait pensé surtout au châtiment ; maintenant on pense surtout à la récompense, l’image du paradis a chassé des esprits l’image de l’enfer. L’Adam nouveau a fini de psalmodier ses lamentations, l’Ève rachetée entonne le Magnificat.

Les églises gothiques appartiennent presque toutes à celle qui « changea le nom d’Ève », à la Vierge Marie. Même dans les églises qui ne lui sont pas dédiées elle a toujours sa place glorieuse. En est-il une seule où l’on ne retrouve, illustré de quelque chef-d’œuvre, ce motif du Couronnement auquel la période romane préférait la Vierge en majesté, moins tendre, plus sévère ? À cette heure du moyen âge on est, moins que cent ans auparavant, préoccupé de l’inaccessible grandeur de Dieu ; c’est le geste bienveillant de la Grâce qui réunit tous les regards. Marie n’est-elle pas l’incarnation de la Grâce ? Il est donc logique qu’on fasse une place privilégiée à celle qui fut élevée en puissance et en dignité au-dessus de toutes les créatures, inférieure seulement à Dieu, entre lui et les hommes l’intermédiaire et le recours. Celle qui fut le Temple avant tous les temples avait le droit d’unir encore dans le sanctuaire sa beauté à la majesté du Rédempteur.

Mais la mère de Dieu n’en est pas moins une femme. C’est un caractère féminin que son universelle glorification confère à toutes les églises gothiques.

Sveltes avec de douces plénitudes qui vont s’effilant vers le sommet des clochers, comme souriantes toutes, et plusieurs toutes blanches, elles sont elles-mêmes des femmes, intercédant, les bras levés au ciel, pour le monde qui prie à leurs pieds. Mais ce caractère féminin a autant de force et de grandeur que de douceur ; il exalte, parmi les sentiments chrétiens, celui qui les somme tous, l’amour. « Jamais, écrit M. Émile Mâle[19], l’art n’a mieux exprimé qu’au XIIIe siècle l’essence du christianisme. Aucun docteur n’a dit plus clairement que les sculpteurs de Chartres, de Paris, d’Amiens, de Bourges, de Reims, que le secret de l’Évangile et son dernier mot, c’était la charité, l’amour. » Les architectes le disent aussi clairement que les sculpteurs, avec le langage plus symbolique de leur art plus spirituel. Les Cathédrales d’Amiens, de Chartres, du Mans, entre autres, sont vraiment des hymnes d’amour triomphant, aux strophes frémissantes d’allégresse et de gloire. L’architecture romane exprimait surtout les sentiments les plus graves de la conscience chrétienne ; art de concentration. Art d’expansion, l’architecture gothique exprimera surtout la bonté, la suavité, la joie même, tant qu’il restera fidèle à son principe, à sa logique propre ; et il n’est rien alors qu’on lui puisse préférer dans l’art du monde entier, pas plus les merveilles du style qu’il remplaça que celles de l’antiquité classique ou primitive. Il conserve, dans les audaces les plus vertigineuses de son lyrisme, une mesure, un sens des convenances, un culte des proportions, de l’ordre, qui font de notre XIIIe siècle l’une des plus grandes époques de l’histoire de la beauté. C’est, en vérité, ce siècle que le génie français apporte dans le concert des siècles sublimes, car il s’y est figuré tout entier. Génie idéaliste, métaphysique, épris d’abstraction, mais aussi profondément soucieux de la réalité ; pratique et pourtant prompt aux initiatives audacieuses ; raisonnant sur l’universel, ne parlant jamais qu’au nom de l’humanité générale ; très sensible, par conséquent très plastique ; infiniment tendre, prosternant volontiers sa force devant la faiblesse gracieuse, le génie de la chevalerie et de la galanterie ; mais infiniment pudique aussi et jetant sur les excès de sa tendresse un voile d’ironie, le génie des fabliaux et des farces ; ennemi de la manière, de la recherche, de l’artifice et dédaignant de spécifier son chiffre par quelque singularité voulue ; insouciant et sérieux, logique surtout, clair, possédant également dans la vie morale et dans l’art le sentiment juste de la vraie proportion des intérêts, qui sacrifie les affaires aux sentiments et les plus charmants détails aux rigoureuses exigences de l’ensemble, du plan : que de qualités, en apparence contradictoires, et qu’il était difficile de maintenir entre elles l’équilibre !

C’est cet équilibre qui fait le miracle de l’art gothique en son beau temps. C’est la rupture de cet équilibre qui annoncera sa décadence. Elle se produira dans la douleur. Au XVe siècle, la religion chrétienne ne s’exprime plus que par les images de la souffrance et de la mort, et le sujet favori des artistes est la Passion : il semble que le moyen âge finissant se pleure, oubliant sa gloire, prévoyant qu’elle sera oubliée. Il enfante dans cette douleur la pensée et l’art modernes — que toutefois, hâtons-nous de le dire, il influencera longtemps encore, à travers la Renaissance et jusqu’au XVIIIe siècle.

Le sujet favori des artistes du XIIIe siècle est donc l’histoire de la Vierge. Cette histoire est écrite en détail à Chartres et remplit l’immense église des plus admirables œuvres de sculpture monumentale que l’art ait produites depuis la Grèce. Mais Amiens, avec sa porte de la Mère de Dieu, Reims avec sa Vierge de la Visitation, Paris avec les scènes inscrites au tympan de la porte de gauche de sa façade occidentale, toutes les grandes églises de France ajoutent une page à ce poème.

Incontestablement, la femme — sainte, mais la femme — règne sur cette époque. Beatrix et Dante sont les contemporains des Cathédrales d’Amiens, de Bourges, de Rouen, de Saint-Urbain de Troyes, de Poitiers, de Cahors, de vingt autres entre les plus belles, et aussi les plus dévotes à Marie. Une femme est l’éducatrice du roi du siècle, et la chevalerie est encore vivante dans ce royal élève de Blanche de Castille et dans les grands seigneurs qui le suivront en Terre-Sainte. Tous les arts vivent et prospèrent des vertus de la femme idéalisée. Ils périront de ses faiblesses en s’efféminant pour lui plaire. Littéralement, à la période dernière du gothique flamboyant, l’église est une femme folle de ses parures, de ses bijoux et de ses dentelles, et les poésies du même instant abondent en témoignages sur les goûts frivoles qui dépravent alors l’esprit féminin ; à la fin du XIIIe siècle déjà, la mode est à la pâleur, les élégantes raillent les joues pleines et roses des paysannes, la maigreur est une beauté et l’on voudrait passer pour diaphane.

L’idéal de la beauté virile elle-même subit l’influence de la suprématie féminine. On sent trop souvent qu’au regard des artistes l’homme le plus beau est celui que les femmes trouveront tel. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, cette observation se vérifie sans cesse. Pensez au fameux Beau Dieu d’Amiens, moins beau, du reste, qu’il n’est fameux ; pensez au saint Théodore, figure sublime, mais surtout adorable pour sa noblesse et sa finesse, du guerrier chrétien, du chevalier parfait, et à cent autres statues où manifestement la force, pour se faire excuser, invoque la grâce : non pas cette grâce qui est une conséquence de la force elle-même, cette grâce du héros qui accomplit, sans laisser voir l’effort, des exploits dont les autres hommes resteraient accablés, mais celle qui avoue le désir de charmer.

L’ange est l’expression suprême de cette conception particulière. Elle s’élève, en lui, au mérite d’une exceptionnelle convenance. Il y a un charme magique dans ces androgynes surnaturels, spirituellement voluptueux, les anges gothiques. Certainement la Renaissance s’est souvenue d’eux sous les signatures de Botticelli, du Vinci, de Luini. Voyez les anges de Reims. On a très bien dit que c’est la Cathédrale des Anges. Du moins, elle réunit plusieurs des plus merveilleuses réalisations de cette idée antique et moderne, de l’être rapide, glorieux, ubiquiste, le messager, le confident de la divinité, le Savant, qui garde l’homme et l’instruit. Les anges de Reims tiennent peut-être de la colombe du Paraclet leurs ailes ; mais leur geste, leur maintien, leur sourire, on pourrait parfois dire la mutinerie de leur physionomie, leur séduction, enfin, est toute féminine. Ce sont moins là les Trônes, les Vertus, les Dominations, qu’on ne sait quels éphèbes au sexe indécis, pages adorables du royaume divin. Figures délicieusement spécieuses et purs chefs-d’œuvre : les anges de l’abside et celui de l’Annonciation.

Devant toutes ces preuves du culte universel de la femme, on a quelque peine à se souvenir que ce même siècle de haute galanterie mystique fut aussi, pourtant, l’âge théologique par excellence. C’est le siècle de saint Thomas. Toutes ses qualités plastiques, et le goût passionné qu’il proclame pour les beautés de la nature, n’altèrent donc pas la fidélité de sa pensée, l’intégrité de son orthodoxie. Le prêtre continue à gouverner l’artiste, le dogme et la morale continuent à régner, et rien n’est plus catholiquement pur que ce grand art gothique, pas même le grand art roman. Mais le point de vue a changé. Le chrétien roman est dans une lutte perpétuelle contre le mal, sous ses deux aspects les plus détestables au regard du temps, l’hérésie et le vice ; pour lui, la vie est une agonie sans intermittences ; aussi les figures romanes, comme des guerriers sur un champ de bataille, comme des voyageurs qui traversent dans l’épouvante la « sylve oscure » dont parle Dante, ne font-elles que des gestes essentiels. Le chrétien gothique pense que la vie de l’homme, s’il parvient à conquérir toutes les vertus — et cette conquête ne lui semble pas impossible — s’écoule dans une paix déjà céleste ; c’est pourquoi les figures gothiques osent cette nouveauté, capitale dans l’iconographie chrétienne, le sourire.

Ce n’est pas à dire que les épisodes tragiques manquent, dans cette iconographie ; ils y abondent. Le plus grand et le plus tragique de tous prend même plus de place au XIIIe siècle qu’il n’en avait au XIIe ; c’est le Jugement Dernier. Dans l’ordre très médité du programme ornemental, c’est la conclusion de la doctrine et le dénoûment du drame, cette grande scène finale où tout aboutira pour qu’un ordre nouveau, définitif, en procède. Les fidèles la voient d’abord, en entrant à l’église, au-dessus du portail principal, et ce sera, quand ils auront franchi le seuil, comme si le drame de la vie universelle était, en effet, dénoué : ils sont au lendemain du dernier événement, il n’y a plus rien de futur ; l’église prend, de cette disposition, son sens précis de paradis ; mais, pour la même raison, les fidèles, en sortant, en considérant de nouveau cette scène terrible, doivent se dire que la lutte de la vie s’est interrompue, pour eux, un instant seulement dans le sein de Dieu, que le départ n’est pas encore fait entre les justes et les pécheurs.

Le Jugement Dernier a, dans la cathédrale gothique, toute l’importance que la cathédrale romane donnait à la vision apocalyptique de saint Jean. C’est comme l’accomplissement après la prophétie. On croit voir le drame se composer d’abord à Laon, à Chartres, pour se développer à Amiens, à Paris, à Reims, à Poitiers, à Bourges, à Rouen. Il s’anime toujours davantage, les draperies s’agitent, on cherche de plus près les caractères individuels des personnages, on multiplie les plans, on insiste sur les détails ; caractères qui, du reste, ne sont pas spéciaux à la représentation du Jugement : avec les années qui passent on sent venir la Renaissance. Elle est appelée comme le style gothique était appelé au temps de l’art roman, comme le style roman était appelé au temps de la basilique, comme le christianisme lui-même était appelé au temps du paganisme finissant. Elle naîtra de ce désir universel, de ce besoin, bien plutôt que de divers accidents historiques. C’est, à mieux dire, une dérivation logique du génie médiéval par l’exploitation d’une des sources de ce génie, la tradition antique à laquelle il avait toujours gardé une révérence, mêlant aux images de ses saints, sur les bas-reliefs, celles de certains grands hommes de l’antiquité, Aristote entre tous, particulièrement cher aux maîtres de la scolastique.

Il est juste de dire que l’art gothique conclut un grand cycle de la culture humaine. C’est l’aboutissement et la synthèse du moyen âge, avec sa théologie, sa philosophie et sa morale, ses sept arts libéraux, les classes bien tranchées de sa société, ses travaux des champs et de la ville selon les saisons, ses vices et ses vertus, tout ce qu’il sait de la nature, la terre et la mer telles qu’il se les représente, et tout ce qu’il sait de l’histoire, surtout avec son immense puissance de croire et d’aimer. Si les souvenirs de l’antiquité que nous évoquions à l’instant semblent protester que l’humanité n’a pas attendu le Christ pour vivre et pour penser, le Christ Enseignant de toutes les grandes Cathédrales — celui du transept méridional de Chartres, par exemple, en effet surhumainement beau — répond que la vie et la pensée, puisant en lui seul toute leur vérité, émanent réellement de lui comme c’est à lui qu’elles retournent. « La vie, dit Albert le Grand, n’est que l’ombre que projette la croix de Jésus-Christ ; hors de cette ombre, il n’y a que mort. »

Constamment, la pensée de Jésus occupe tous les esprits. Il est la raison de tout, et la raison, d’abord, du culte privilégié qu’on rend à Marie : les hommes du moyen âge ont « l’âme toute pleine de Jésus-Christ ». Il fait l’unité du temps et par là sa grandeur : « De la Passion infatigablement méditée sont nés ces chefs-d’œuvre : le Stabat Mater, les Méditations du Pseudo-Bonaventure, la liturgie de la Semaine Sainte, les poèmes du cycle du saint Graal, l’immense Christ du vitrail de Poitiers mourant sur une croix « rougie de la pourpre royale[20]. »

N’est-ce pas dans cette méditation aussi que la Cathédrale tout entière, l’immense chef-d’œuvre enrichi de millions de chefs-d’œuvre, a trouvé l’essor ? Oraison jaculatoire, action de grâces qui s’exhale dans la hauteur et y demeure ; du haut des tours l’homme espère qu’il verra Dieu de plus près.

Nous l’avons dit, mais c’est le lieu d’y insister : les architectes de toutes les églises gothiques sont laïcs. Point d’une extrême importance. C’est la grande sécularisation des arts. Celui qui est le principe de tous les autres se détache le premier, moralement, de l’Église ; les autres ont suivi et nous ne retrouvons pas dans la période gothique le concours des clercs et des laïcs à l’œuvre d’art universelle. — La musique tardera la dernière à quitter les chapelles des monastères. Il était fatal que la société civile bénéficiât bientôt de l’activité des artistes soustraits à l’influence immédiate du clergé ; quand celui-ci sollicitera leur concours, ils lui apporteront une pensée distraite de l’atmosphère mystique, des préoccupations et déjà des habitudes étrangères aux pures traditions de l’art religieux. Il est certain que cette séparation des clercs et des artistes est une des causes qui précipitèrent la décadence du style gothique.

De la fin du xiiie siècle aux premières années du xive l’union reste étroite encore entre les clercs et le maître d’œuvre. Mais, ainsi que les développements énormes et les complications innombrables des travaux l’exigeaient, celui-ci était le « Maître », en effet, obéi de tous, des seigneurs qui lui apportaient leur concours avec les villains, aux périodes d’enthousiasme, et des clercs comme des seigneurs.

L’histoire a retrouvé les noms d’un grand nombre de ces hommes de génie. Voici quelques-uns de ces noms, — qu’on voudrait inscrire partout, qui devraient être plus populaires parmi nous que des noms de grands ministres ou de grands capitaines : Pierre de Montereau, qui rebâtit Saint-Denis ; Jean d’Andeli, qui fit Rouen ; Jean Deschamps, qui fit Clermont ; Bernard de Castanet, qui fit Sainte-Cécile d’Albi ; Robert de Luzarches et les frères Thomas de Renaud de Cormont, qui firent Amiens ; Simon de Mortagne et Simon du Mans, qui firent Tours ; Jean d’Orbais, Jean Le Loup, Gaucher de Reims, Bernard de Soissons, Robert de Coucy, Golard, Gilles de Nicaise, qui collaborèrent à Reims ; Vilard de Honnecourt, qui construisit le chœur de la collégiale de Saint-Quentin ; Enguerrand le Riche, qui restaura Beauvais ; Hues Li Bergier, qui fit Saint-Nicaise de Reims ; Pierre Perret, qui fit Metz ; Béranger Iornet, qui fit Najac… Mais la plupart sont inconnus, et le peu que nous savons ne nous rend pas compte de la fabuleuse production architecturale du xiiie siècle.

Quand on y songe ! La reconstruction de Noyon commence entre 1140 et 1150, celle de Saint-Denis, en 1144 ; Laon est élevée de 1160 à 1200, Notre-Dame de Paris commence en 1163, Senlis en 1170 ; les grandes dates de Chartres sont 1198, 1210, 1260 ; la Sainte-Chapelle est de 1240, Amiens, de 1220 à 1288, Tours, de 1267 à 1293, Bourges, de 1275 à 1324, Lisieux, de 1226 à 1235, Coutances, de 1251 à 1274. Eu, de 1186 à 1230, Le Mans, de 1217 à 1254, Auxerre, de 1215 à 1234 ; les dates de Sens sont 1160, 1267, 1279, celles de la cathédrale de Rouen, 1202, 1220, 1280, 1300, 1320[21]

Nous pourrions décupler cette liste. S’imagine-t-on ce que fut alors notre pays ? Voit-on ces édifices partout à la fois commencés, ces chantiers, ces ateliers innombrables, ces légions de travailleurs, les voyageurs allant de ville en ville pour comparer entre eux ces ouvrages colossaux, disputant, par exemple, si Nevers, dont la reconstruction fut entreprise au cours de la même année 1211 où commencèrent les travaux de Reims, serait achevée avant ou après elle ? Quelle fièvre d’invention, d’émulation ! Et, le jour de la dédicace, quelle universelle joie !

Ce n’était pas le jour de l’achèvement.

« Aucune Cathédrale ne fut achevée comme elle avait été projetée[22]. » Chartres n’eut jamais ses neuf tours. À proprement dire, aucune Cathédrale ne fut jamais achevée.

Mais on n’attendait pas que la construction fût terminée pour la consacrer à Dieu et la livrer au culte. Et tous les fidèles, informés des desseins de l’architecte, — car l’érection de la Cathédrale était, bien sûrement, la grande affaire de la ville, — ne voyaient-ils pas l’édifice tel qu’il devait être un jour ?

Nous ne pouvons nous faire, à notre date, malgré tous les renseignements réunis par la science, que bien vaguement « une idée de ce qu’était la Cathédrale, au XIIIe siècle, un jour de grande cérémonie, lorsque les cloches de ses sept tours étaient en branle, lorsqu’un roi y était reçu par l’évêque et le chapitre, suivant l’usage, aussitôt son arrivée dans une ville…[23] ».

Vieilli avant d’avoir été pleinement réalisé, brutalisé au nom de la philosophie ou de la liberté, travesti sous couleur de restauration, le monument est là, devant l’histoire, comme le témoignage entre tous sublime et misérable du génie, à la fois, et de l’impuissance de l’homme. Des siècles l’ont voulu, médité, espéré, composé, ce monument qui signifiait tant de choses, et ses fondements étaient jetés dans les âmes bien avant que sa pierre angulaire fût taillée. Mais, à peine ce vœu des siècles a-t-il passé du rêve à l’acte, l’esprit humain se détourne de la grande entreprise, s’éprend d’un idéal qui ne lui permet pas de la poursuivre, s’oriente ailleurs et bientôt la reniera. — Le grand, l’unanime élan qui aboutit à l’art religieux du XIIIe siècle, se brise, tourne court, un autre mouvement ne tarde pas à se dessiner, un autre art commence à se formuler. Quel renversement de toutes les anciennes certitudes ! Quels démentis vont échanger le XIIIe et le XVIe siècle ! On ne se rend pas sans étonnement à l’évidence : oui, ce sont deux périodes de l’histoire d’un seul et même peuple. L’art gothique, c’est l’art français ; mais il y a une Renaissance française, et il y aura, aussi, une Révolution française…

La Cathédrale reste à jamais interrompue.


  1. Sur ce point les opinions varient ; d’autres voient à Chartres l’église entre toutes de la Vierge, et Notre-Dame de Paris leur parait spécialement désignée pour la méditation de la mort.
  2. Émile Mâle, L’Art religieux au XIIIe siècle en France, Conclusion, passim.
  3. Dictionnaire raisonné d’Architecture.
  4. Beugnot, Institutions de saint Louis.
  5. André Michel, Histoire de l’Art, tome I.
  6. André Michel, Histoire de l’Art, t. I, Les Commencements de l’Art chrétien en Occident, par M. Pératé.
  7. Pératé, loc. cit.
  8. « Il est certain qu’à la mort d’Antonin, vers l’an 160, la religion chrétienne est une religion complète ; elle a tous ses livres sacrés, toutes ses grandes légendes, le germe de tous ses dogmes, les parties essentielles de sa liturgie. » (Renan, Histoire des Origines du christianisme, Livre sixième.) — Or, l’édit de Milan, qui libère l’Église, est de 313.
  9. Histoire de l’Art. Conclusion au tome premier.
  10. André Michel, Histoire de l’Art, tome I, 2e partie, L’Architecture romaine, par M. Camille Enlart.
  11. Roman, gothique, on sait que ces deux termes ne sont pleinement justes ni l’un ni l’autre ; mais il y a pour les défendre un argument irréfutable, c’est qu’ils sont l’un et l’autre consacrés.
  12. André Michel, op. laud.
  13. Citons une fois de plus l’Histoire de l’Art, tomes I, II et III, de M. André Michel, à laquelle nous faisons dans ces pages de fréquents emprunts.
  14. Discours sur l’état des Beaux-Arts au XIVe siècle.
  15. André Michel, Histoire de l’Art, tome II, 1re partie, L’Architecture gothique, par M. Camille Enlart.
  16. Villon.
  17. Adrien Mithouard, L’Art gothique et l’Art impressionniste.
  18. Enlart, op. laud.
  19. L’Art religieux de la fin du moyen âge en France.
  20. Expression de Fortunat : crux ornata regis purpura (Émile Mâle, L’Art religieux au XIIIe siècle).
  21. Plusieurs de ces dates indiquent l’achèvement de telle partie de l’église, la reprise des travaux après une longue interruption, la dédicace, etc., aucune l’achèvement de l’édifice.
  22. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’Architecture française.
  23. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’Architecture française.