Les Catacombes de Rome et les Fouilles de M. de Rossi

Les Catacombes de Rome et les Fouilles de M. de Rossi
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 59 (p. 142-175).
LES
CATACOMBES DE ROME

Roma sotteranea christiana descritta ed illustrata dal Cav. G. B. de Rossi. Tome Ier, Rome 1864.

L’événement le plus grave de l’histoire est aussi l’un des plus mal connus. Les souvenirs qui nous restent des premiers temps du christianisme ne sont pas nombreux : il est probable qu’on n’écrirait guère dans l’église naissante, et les auteurs païens, ne devinant pas les destinées de cette secte obscure et méprisée, ne songeaient pas à s’occuper d’elle. C’est une raison pour nous d’accueillir avec empressement tout ce qui peut nous donner quelques lumières nouvelles sur cette époque si importante et si ignorée.

Jusqu’ici rien peut-être n’a mieux servi à la faire connaître que l’étude des catacombes de Rome[1] : c’est le seul monument que cette société primitive ait laissé d’elle ; aussi, depuis près de trois cents ans, ne se lasse-t-on pas de les fouiller. Des hommes pleins de patience, de sagacité, de dévouement, les Bosio, les Aringhi, les Boldetti, les Bottari, les Marchi, ont visité en tous sens la Rome souterraine. ils ont écrit sur elle des ouvrages importans que l’Europe savante a lus avec avidité, et qui ont alimenté longtemps les polémiques religieuses. On pouvait croire après eux la matière épuisée, et voici qu’elle vient de se renouveler de nos jours. M. de Rossi, que ses travaux épigraphiques avaient souvent conduit dans les cimetières chrétiens[2], s’est mis à les étudier de nouveau. Il a pensé que, si ses prédécesseurs avaient beaucoup fait, il n’en restait pas moins beaucoup à faire, et, après avoir vécu vingt ans dans les catacombes, il vient à son tour nous dire ce qu’il y a découvert.

Ce qui fait l’originalité du livre qu’il publie sur ce sujet, c’est qu’il ne s’est pas contenté de continuer l’œuvre des autres. Son entreprise est plus hardie : il tente une révolution dans ces études. Il ose dire que depuis deux cent cinquante ans on a quitté la bonne route, que tous ses devanciers, à l’exception d’un seul, se sont trompés, et qu’afin que ces recherches soient fécondes, il faut se remettre sur les traces de Bosio et reprendre le travail où il l’avait laissé. Cet illustre savant, qui fut le premier explorateur des catacombes, avait entrepris de les étudier toutes l’une après l’autre, de suivre régulièrement chacune d’elles dans le dédale de ses galeries, d’en tracer le plan, si c’était possible, et d’essayer, à l’aide des documens anciens, de retrouver son nom et de refaire son histoire. Un pareil travail demandait des lectures infinies, la connaissance profonde des auteurs ecclésiastiques et des efforts merveilleux de sagacité. Les successeurs de Bosio en furent épouvantés et l’abandonnèrent. Pour que la tâche devînt plus facile et le succès plus assuré, ils négligèrent de plus en plus de s’occuper des catacombes en elles-mêmes pour concentrer leur attention sur les monumens qu’on y découvrait. Dans les visites qu’ils y faisaient, ils copiaient avec soin les inscriptions et les peintures ; mais le plus souvent ils se bornaient là, et la mine d’où sortaient tant d’objets précieux était oubliée pour les richesses qu’on en tirait. Bientôt même on pensa que la moisson était assez abondante ; on ne prit plus la peine de continuer les fouilles pour l’accroître, et l’on se contenta de se servir des documens qu’on avait amassés pour discourir sans fin sur le culte et les rites du christianisme naissant.

Ce n’est pas ainsi que prétend procéder M. de Rossi. Il s’est dit avec raison que, pour tirer plus de profit des monumens, de l’antiquité chrétienne, il ne fallait pas les séparer de l’étude des lieux où on les a trouvés. Ces monumens sont quelquefois assez obscurs, ne le deviennent-ils pas davantage quand on les isole de ceux qui les entouraient ? On ne se sert avec sûreté d’une inscription que lorsqu’on peut en fixer la date ; pourquoi, en refusant de s’occuper des lieux où elle était placée, se prive-t-on volontairement d’un des moyens qui peuvent conduire à la savoir ? Enfin, si l’on croit que les monumens que contiennent les catacombes méritent d’être recueillis, ne convient-il pas à plus forte raison de bien connaître, les catacombes elles-mêmes, œuvre gigantesque de patience et de foi, témoignage éternel de l’énergie d’une société proscrite à qui rien ne peut faire oublier le soin pieux de ses morts ? Ces motifs ont déterminé M. de Rossi à revenir à la méthode de Bosio. Il se propose, comme lui, d’étudier les divers cimetières chrétiens, d’en dresser le plan, de rechercher l’étendue primitive de chacun d’eux et les accroissemens qu’il a reçus, de retrouver le nom qu’il portait et les personnes illustres qui y furent ensevelies, de relever ce que la tradition ou la légende raconte de lui, de le suivre depuis son origine jusqu’après Constantin à l’aide des documens manuscrits ou publiés, et plus encore par l’examen attentif des inscriptions et des peintures qu’il contient. Son ambition est d’arriver à refaire l’histoire et à dresser la topographie complète de la Rome souterraine. Cette ambition est grande, plusieurs savans l’ont même proclamée téméraire ; mais M. de Rossi apporte à son œuvre un dévouement sans bornes avec une érudition immense, et tout en fait espérer le succès. Cependant, quand il l’a commencée, il lui manquait un élément nécessaire pour y réussir. Il était érudit et archéologue, il n’était pas géomètre ; il ne savait pas lever un plan. C’était donc une nécessité pour lui de réclamer le secours d’un ingénieur de mérite qui consentît, pour le suivre, à négliger ses affaires et à oublier sa fortune, qui s’associât tout entier à une entreprise où l’on n’avait à attendre pour tout profit que les éloges de quelques antiquaires, qui fût, en un mot, aussi désintéressé qu’habile. Ce sont des qualités qui ne se rencontrent pas toujours ensemble. Heureusement la bonne fortune de M. de Rossi les lui a fait trouver réunies dans un même homme et sans sortir de chez lui. Son frère, M. Michel de Rossi, qui n’avait eu jusque-là que l’éducation d’un juriste, est devenu géomètre par dévouement. La nécessité a développé en lui une vocation qu’il ne se savait pas. Il s’est fait bientôt un nom dans cette science qui lui était nouvelle, et il a même inventé, pour abréger le travail de la levée des plans, une machine très ingénieuse qui a obtenu une médaille à l’exposition de Londres. Une fois qu’il a eu acquis ce talent, il s’est empressé de le mettre au service de son frère, et tous les deux, animés du même zèle, se complétant l’un l’autre par un concours fraternel, se sont mis à parcourir ensemble les catacombes, décidés à faire de cette exploration l’étude de toute leur vie et à ne s’arrêter, si c’est possible, que lorsqu’ils auront atteint les limites de l’immense nécropole.

Le premier volume de la Rome souterraine, qu’ils viennent de publié, contient à peine le commencement de leurs travaux. Je veux pourtant, avant d’attendre qu’ils les poursuivent, en entretenir le public. Il me semble bon de fournir sans retard à ceux qu’intéressent les questions religieuses quelques documens nouveaux qui feront mieux connaître les premiers temps de la société chrétienne. Le moment est favorable pour s’occuper des origines du christianisme. Bientôt sans doute l’attention générale sera ramenée avec éclat sur cette époque, comme elle le fut il y a deux ans sur la vie de Jésus-Christ. Les polémiques auxquelles nous avons assisté vont recommencer. Les discussions seront de nouveau remplacées par les dispute. Comme c’est l’usage, le bruit assemblera les badauds. La, science, qui ne reconnaîtra plus là son public ordinaire, et que d’ailleurs le tumulte effarouche, ne tardera pas à s’éloigner et laissera la passion discuter à sa place. Avant que ce moment arrive, hâtons-nous de toucher à cette question, quand elle n’est pas devenue trop populaire et qu’on peut encore s’en occuper sans trop amasser de curieux.


I

Avant d’arriver à ce qui est son œuvre particulière et originale, M. de Rossi commence par traiter rapidement quelques questions générales sur lesquelles, après bien des discussions, les savans semblent s’être mis d’accord de nos jours. Par exemple, ils n’ont plus de doutes au sujet de l’origine et de la destination primitive des catacombes. Je vais rapporter en quelques mots les conclusions auxquelles ils se sont arrêtés[3].

Les catacombes sont le lieu où les premiers chrétiens enterraient leurs morts. Il n’est plus possible de le nier aujourd’hui, quoi qu’aient prétendu quelques écrivains sceptiques du siècle dernier. La sépulture était regardée par les chrétiens comme une chose très importante. La croyance à la résurrection des corps faisait qu’ils attachaient beaucoup de prix à la dépouille mortelle, elle leur donna de bonne heure l’habitude d’en prendre soin. Ils auraient eu horreur d’imiter les païens et de précipiter, comme eux, les cadavres des pauvres gens dans ces fosses communes (puticuli), sortes, de puits où on les laissait pourrir. On voit qu’il était défendu chez eux de mettre deux corps l’un sur l’autre. Il fallait que chacun eût sa place particulière où il reposât seul en attendant le jour du réveil. Nous savons par Tertullien qu’un prêtre assistait aux funérailles ; la religion consacrait les tombeaux. Au temps de la persécution de Dèce, le clergé romain, écrivant à celui de Carthage, lui rappelait qu’il n’y avait pas de devoir plus important que de donner la sépulture aux martyrs et aux autres chrétiens. Le trésor de l’église était dépensé à faire vivre les pauvres et à les enterrer convenablement. Enfin saint Ambroise reconnaît que pour la sépulture des fidèles on a le droit de briser, de faire fondre et de vendre les vases sacrés. Ces textes expliquent la construction des catacombes. Quand on sait le respect que les premiers chrétiens témoignaient pour leurs morts, on s’étonne moins des gigantesques travaux qu’ils ont entrepris pour les ensevelir.

Mais est-il bien vrai que ces travaux leur appartiennent ? Les catacombes sont-elles véritablement un ouvrage chrétien ? La question est discutée et mérite de l’être. Au siècle dernier, il ne manquait pas d’incrédules qui niaient la réalité des découvertes de Bosio et de Boldetti. Quand on leur disait que les catacombes étaient les cimetières des premiers chrétiens, ils demandaient qui avait fourni à une société petite et pauvre les sommes nécessaires pour percer 900 kilomètres de galeries souterraines, de qu’on avait pu faire de la terre qu’on en avait tirée, et comment un culte proscrit avait eu l’audace de fouiller ainsi le sol aux portes de Rome et sous les yeux de ceux qui le persécutaient. Ces objections parurent sans réplique à la plupart des savans, elles troublèrent même les plus intrépides défenseurs des catacombes. Aussi crurent-ils bien faire de supposer, pour y répondre, qu’elles étaient d’anciennes carrières d’où les Romains avaient longtemps extrait la pouzzolane. Les chrétiens les avaient trouvées abandonnées, et, pour en faire leurs cimetières, ils n’avaient eu besoin que de creuser dans la muraille les niches horizontales qui devaient recevoir les morts. L’existence de ces carrières n’était pas une hypothèse ; elle est attestée par les écrivains anciens. Cicéron parle d’un homme qui y fut assassiné de son temps, et Suétone rapporte que, comme on voulait persuader à Néron de s’y réfugier, il déclara qu’il ne voulait pas s’enterrer vivant. Puisqu’elles étaient un lieu secret, où les gens qui se cachaient pouvaient trouver un asile, elles convenaient aux chrétiens pour y célébrer leurs mystères et y enfouir leurs morts. Bottari fait remarquer qu’il leur était facile de les connaître. Leur religion se propagea d’abord parmi les pauvres gens et les esclaves, c’est-à-dire parmi ceux qu’on employait à les creuser. C’étaient autant de guides qui pouvaient conduire leurs frères dans les détours des galeries abandonnées. Cette opinion paraissait donc parfaitement vraisemblable ; elle avait l’avantage de fermer la bouche aux incrédules ; aussi fut-elle religieusement acceptée de tout le monde pendant deux siècles, et jusqu’à nos jours elle a fait loi. Cependant elle ne tient pas devant l’examen attentif des catacombes, Le père Marchi avait commencé à l’ébranler, M. de Rossi l’achève. Il n’a pas de peine à démontrer que des chambres de 3 à 4 mètres carrés et des galeries de 1 mètre au plus de largeur, se coupant à angles droits, ne seraient guère commodes pour extraire la pouzzolane et la transporter. Il reste d’anciennes carrières romaines dont la destination n’est pas douteuse, et l’aspect en est bien différent de celui des catacombes : les couloirs y sont plus larges, les dégagemens plus multipliés ; tout y paraît mieux approprié aux nécessités d’une exploitation industrielle. D’ailleurs M. Michel de Rossi, en étudiant avec soin la nature du terrain dans lequel sont creusés la plupart des cimetières de Rome, a remarqué qu’ils évitent systématiquement les bancs de pouzzolane friable pour s’enfoncer de préférence dans ceux dont la pierre est plus spongieuse et plus dure, et il déclare nettement que jamais on n’en a pu tirer de matériaux propres à construire. Cette raison est décisive et lève les derniers doutes qu’on pouvait avoir. Ce n’est pas qu’on ne puisse admettre que les chrétiens n’aient quelquefois approprié à leur usage des carrières abandonnées, l’histoire le dit et l’étude des catacombes le prouve ; je dirai plus tard dans quelle occasion et par quels motifs ils furent amenés à le faire ; mais c’étaient des exceptions. M. de Rossi, dans tous les cimetières qu’il a jusqu’ici visités, n’a pu encore reconnaître que trois ou quatre de ces anciennes carrières, et il n’est pas probable qu’il y en ait davantage. Tout le reste a été fait de la main des chrétiens. On trouve plusieurs fois dans les catacombes l’image des fossoyeurs au travail. Ils sont représentés la pioche à la main et attaquant le roc qui surplombe. Cette attitude qu’on leur donne indique la façon dont ils ont procédé. On ne les aurait pas dépeints ainsi, s’ils n’avaient fait que profiter des excavations antérieures. Ils se sont donc hardiment avancés, se faisant une route avec leur pioche à travers ces couches de tuf granulaire dont le sol de la campagne romaine est rempli ; ils ont creusé le roc devant eux, soutenus par leur foi, « habitant les entrailles de la terre, comme le moine sa cellule, » et ces interminables galeries, qui contiennent, dit-on, six millions de tombes, sont entièrement leur ouvrage.

D’où vint aux premiers chrétiens ce mode de sépulture qui exigeait, d’eux ces travaux effrayans ? On a répondu depuis longtemps qu’ils le tenaient des Juifs. On aurait dû ajouter qu’en cela les Juifs ne faisaient que suivre la coutume de la plupart des peuples de l’Orient. On n’enterrait pas autrement en Syrie. Partout où les Tyriens ont pénétré, à Malte, en Sicile, en Sardaigne, on retrouve des sépultures semblables. M. Beulé a constaté l’existence de catacombes à Carthage, M. Renan en a vu dans la Phénicie ; l’AsieMineure, la Cyrénaïque et la Chersonèse en contiennent un grand nombre, il y en a même chez les Étrusques, auxquels on attribue une origine orientale. Enfin on en découvre tous les jours à Rome, et cela ne doit pas surprendre. A la fin de la république et dans les premiers temps de l’empire, Rome a été comme envahie par les peuples de l’Orient. « Voilà longtemps, disait Juvénal en colère, que l’Oronte coule dans le Tibre. » Ils apportaient dans cette grande ville tolérante et distraite leurs croyances et leurs habitudes. On les laissait prier leurs dieux à leur façon et enterrer leurs morts comme ils voulaient. Non-seulement ils étaient tolérés, mais ils pouvaient prêcher leurs doctrines et ne s’en faisaient pas faute. Je ne crois pas qu’aucune ville, même Alexandrie sous les Ptolémées, ait jamais offert au monde un spectacle plus curieux et plus animé que Rome au commencement de l’empire. Ce n’était pas seulement la capitale industrielle et politique de l’univers, c’était aussi le lieu où toutes les philosophies et toutes les religions de la terre se rencontraient. Au milieu de cette énorme activité d’affaires, il régnait une activité d’esprit plus remarquable encore. L’affaiblissement des anciennes croyances laissait le champ libre aux opinions nouvelles ; elles en profitaient pour s’agiter et se répandre et faisaient partout des prosélytes. Les religions de l’Orient surtout attiraient les âmes par l’étrangeté de leurs rites et le tour mystérieux de leurs doctrines. Quelques-uns se livraient tout à fait à elles ; le plus grand nombre sans se pénétrer entièrement de leur esprit, imitaient au moins leurs pratiques les plus apparentes. C’est ainsi que beaucoup de Romains se mirent à enterrer les morts à la façon des Orientaux. A partir des Antonins, l’habitude de brûler les corps devient de moins en moins fréquente ; à l’époque de Macrobe, elle n’existait presque plus. Les païens eurent donc aussi de bonne heure leurs hypogées, semblables à ceux des peuples de l’Orient. Au IIIe siècle, il n’y avait rien de plus répandu à Rome que cette manière d’ensevelir les morts. Je me figure que la campagne romaine était alors creusée en tous sens. Les Juifs, les Phéniciens, les adorateurs de Mithra et de Sabazius, les chrétiens surtout, qui commençaient à devenir si nombreux, quelquefois aussi les païens, fouillaient le sol pour leur sépulture. Il y avait dans ces divers cultes une sorte d’activité intérieure et souterraine qui répondait à l’activité du dehors. Ces fossoyeurs funèbres cherchaient à s’éviter[4] ; mais il n’y parvenaient pas toujours. On trouve au cœur des catacombes un caveau où reposent un prêtre de Sabazius et quelques-uns de ses disciples. Les ouvriers chrétiens l’avaient sans doute rencontré sur leur chemin sans le vouloir, et il communique aujourd’hui librement avec les tombes des martyrs. Le nombre des cryptes qui furent alors creusées est incalculable. On en découvre tous les jours de nouvelles ! Les hypogées païens commencent à n’être plus rares. On sait les noms de près de soixante cimetières chrétiens. On connaît deux catacombes juives, celle du Transtévère, qui est antérieure au christianisme, et celle de la voie Appienne. Il faut espérer qu’on en trouvera d’autres qui nous apprendront ce que nous souhaiterions tant connaître, la constitution et le gouvernement des synagogues à Rome ; peut-être aura-t-on la bonne fortune de rencontrer celles des sectes dissidentes du christianisme. Nous savons qu’elles en avaient aussi, et que, pour leur donner quelque autorité, elles allaient dérober dans les cimetières catholiques les corps des martyrs les plus respectés et les plaçaient chez elles. Que de lumières ne jetteront pas ces découvertes sur l’histoire religieuse de ce temps, si elles sont toujours dirigées par des hommes de bonne foi et de science comme M. de Rossi !

Parmi toutes ces sépultures qui se ressemblent, les cimetières chrétiens se reconnaissent à deux signes. D’abord ils sont beaucoup plus vastes que les autres. Nulle part on n’a retrouvé un tel développement de galeries, ni une telle agglomération de tombes. Jamais aucun culte ni aucun peuple n’a semblé éprouver autant que les chrétiens le besoin de se grouper et de se réunir dans la mort. Ensuite les niches où sont placés les corps sont ouvertes dans les cryptes juives et fermées dans les catacombes chrétiennes. Cette différence tient à l’habitude qu’avaient les chrétiens de visiter assidument le tombeau des martyrs et d’y venir prier. Chez les Juifs, où le sépulcre ne s’ouvrait que quand on voulait y ensevelir quelqu’un, on n’avait pas besoin de prendre de précautions pour protéger le cadavre contre l’indiscrète curiosité des visiteurs ; Il suffisait de rouler une grosse pierre à l’entrée du caveau. Il en était autrement chez les chrétiens, et comme leurs cimetières étaient ouverts aux fidèles, il fallait bien que les tombes fussent fermées. Pour tout le reste, leurs catacombes ressemblent tout à fait à celles des Juifs et des autres peuples de l’Orient et l’on voit bien au premier coup d’œil que c’est d’eux qu’ils avaient pris cette façon d’ensevelir les morts.

Il ne faudrait pas croire cependant qu’il existât dans l’église naissante de règle fixe ni d’usage constant pour la sépulture. La seule loi acceptée de tout le monde était de ne pas se servir pour soi ni pour les siens de tombes païennes, et de ne pas admettre de païens dans les cimetières où les chrétiens reposaient. « Laissez les morts ensevelir leurs morts, » disait durement saint Hilaire, et nous savons que l’oubli de cette loi amena la déposition d’un évêque au temps de Cyprien. Pour le reste, les fidèles étaient libres, et Ils usaient de leur liberté. Ainsi nous les voyons faire quelquefois usage de sépultures isolées. On a retrouvé l’épitaphe de deux époux qui disent qu’ils se sont fait construire un lieu de repos dans leur jardin (in hortulis nostris secessimus), et qui ne semblent pas s’en excuser. Une autre pierre tumulaire contient une formule égoïste, mélange bizarre d’habitudes païennes avec des termes chrétiens, par laquelle le possesseur du tombeau cite au jugement du Seigneur quiconque essaiera d’introduire un autre mort dans le monument qu’il occupe et les terres qui l’entourent ; il les veut toutes pour lui seul. En général cependant, d’autres sentimens préoccupaient les chrétiens. Comme je le disais tout à l’heure, ils éprouvaient le besoin de reposer ensemble. Ils voulaient être unis dans la mort, comme ils essayaient de l’être dans la vie. Dès les premiers jours, on se groupa instinctivement autour des évêques et des martyrs, et dans la chrétienté tout entière se formèrent bientôt ces réunions de tombes auxquelles on donna le nom de lieux de repos ou de sommeil (accubitorium, χοιμητήριον). Seulement ces cimetières, suivant les pays, étaient situés en plein air ou se cachaient sous la terre. A Rome, on préféra les sépultures souterraines. Est-ce parce qu’on était là davantage sous les yeux du pouvoir et qu’on redoutait sa surveillance ? Je ne le crois pas. C’était plutôt pour rester fidèle aux traditions de l’église naissante, qui, en sortant de la communauté juive, avait conservé d’elle cette habitude. C’était surtout pour imiter le tombeau du Christ, dont la vie et la mort étaient l’exemple des chrétiens. Il n’est pas douteux que le sépulcre de Joseph d’Arimathie, « qui n’avait pas servi et qu’il avait fait tailler dans le roc, » avec sa niche horizontale, surmontée, comme unique ornement, d’un arceau cintré[5], n’ait servi de modèle aux premières tombes chrétiennes.

Voilà quelle fut l’origine des catacombes. Quant à leur histoire, elle est plus difficile à retrouver, surtout si l’on prétend remonter jusqu’à l’époque primitive ; Les documens nous font défaut pour les deux premiers siècles ; on est réduit aux conjectures. Celles de M. de Rossi ont un degré de vraisemblance qu’on n’avait pas encore atteint. En l’absence de documens chrétiens, il s’est fort habilement servi, des habitudes et des usages de l’antiquité profane qu’il connaît à merveille, et l’on va voir à quels résultats cette méthode ingénieuse l’a conduit.


II

Quand on parle des catacombes, on se figure d’ordinaire des lieux souterrains dont l’accès n’est connu que de quelques initiés, et dans lesquels un culte proscrit se dérobe soigneusement à ses persécuteurs. C’est une idée qu’il faut perdre. M. de Rossi a victorieusement démontré que dans les deux premiers siècles les chrétiens n’ont pas cherché à dissimuler l’existence de leurs cimetières, qu’ils les possédaient légalement, que l’autorité les connaissait et qu’elle les a peut-être protégés. Cette opinion est trop nouvelle, elle heurte trop les idées reçues pour qu’il ne soit pas nécessaire de l’établir sur quelques preuves.

On ne respectait rien à Rome autant que les tombeaux ; ils étaient sous la protection de la loi, qui tenait pour sacré (religiosus) le lieu où il y avait quelqu’un d’enterré, et défendait qu’il pût jamais être vendu. Ce respect s’étendait à tous les cultes ; les cimetières des chrétiens en ont naturellement profité. On ne voit pas pourquoi ils n’auraient pas joui des privilèges qu’on accordait aux autres. Ils ne fournissaient aucun prétexte contre eux. Si leur façon d’ensevelir les morts n’était pas la plus habituelle, nous venons de voir qu’elle ne leur était pas non plus particulière, que les Juifs et les autres peuples de l’Orient la pratiquaient en liberté, et que les Romains commençaient aussi à l’imiter. Il n’y avait donc pas de motif de les priver du droit commun ; même quand l’autorité les persécuta, sous Néron et Domitien, on ne voit pas que la persécution se soit étendue jusqu’à leurs tombeaux. La loi romaine ne refusait pas la sépulture aux criminels qu’elle avait punis, et la tombe d’un supplicié était aussi inviolable que les autres.

Cette disposition de l’opinion publique et de la loi à respecter les tombeaux était déjà une garantie de sécurité pour les cimetières des chrétiens. Il est probable qu’ils en ont cherché d’autres. Quand on étudie l’histoire des premiers temps du christianisme, il ne faut pas oublier que ce n’était pas une de ces religions qui veulent amener des changemens politiques. Au contraire il prêchait l’obéissance aux pouvoirs établis, et tâchait autant que possible de vivre en paix avec l’autorité. On peut être sûr qu’en toutes choses, quand il a pu mettre de son côté la légalité, au moins en apparence, il l’a fait avec empressement. Il est donc naturel de croire qu’il a cherché d’abord s’il pouvait trouver quelque moyen légal de posséder sans crainte ses cimetières. Il y en avait un, et tout porté à croire qu’il s’en est servi. C’était l’usage à Rome que celui qui se faisait construire un tombeau désignait d’avance les gens qu’il voulait y admettre avec lui. Il le partageait ordinairement avec sa famille, s’il était généreux il y recevait ses cliens et ses affranchis. C’était sa propriété ; il en disposait librement, et personne n’avait le droit de contrarier sa volonté. M. de Rossi, se fondant sur cet usage, pense que les catacombes ont commencé par être des tombeaux particuliers possédés par de riches chrétiens, et où, au lieu de leurs affranchis ; ils ont admis leurs frères. Ce qui rend cette opinion très vraisemblable, c’est la façon dont elles sont désignées dans les plus anciens documens. On les appelle ordinairement d’un nom propre qui n’est pas celui des martyrs ou des confesseurs qui y sont ensevelis. C’est probablement le nom du premier propriétaire du tombeau, de celui qui a payé le terrain et fait construire la crypte. Dans ces conditions, on comprend que la construction des premières catacombes n’ait causé aucune surprise à la société païenne, et qu’elle n’ait point été contrariée par le pouvoir. De pieuses femmes, qui ont été dès le premier jour les adeptes les plus fervens du nouveau culte, Domitilla, Lucina, Commodilla, des gens riches et généreux, comme Calépodius, Prætextàt ou Thrason, se sont fait élever d’avance un somptueux tombeau. — Il n’y avait rien de plus naturel, tout le monde faisait comme eux. — Ils ne l’ont pas construit pour eux seuls, — c’était encore une habitude assez générale ; — ils ont voulu y reposer avec ceux qui partageaient leurs croyances, — ceci était plus rare, mais non pas sans exemple, et l’on voit quelquefois dans les inscriptions que les adorateurs du même Dieu tiennent à être enterrés ensemble. Ce tombeau où tant de gens étaient reçus n’en appartenait pas moins à Thrason ou à Commodilla. C’était toujours une propriété privée, qui, comme les autres, était garantie par la loi.

S’il en est ainsi, il est visible que les chrétiens n’avaient aucune raison de cacher au public leurs tombeaux, et nous avons en effet la preuve qu’ils ne les cachaient pas. Il y a quelques mois à peine, ces fouilles ont mis à découvert l’entrée d’un des plus anciens cimetières de Rome, celui de Domitilla[6]. Cette entrée dément tout à-fait l’idée qu’on se faisait autrefois des catacombes. C’est une porte d’une architecture simple et classique, qui dénote une bonne époque de l’art. Au-dessus du fronton, on voit la place d’une inscription qui a disparu. Par la porte, on pénètre dans un vestibule orné de peintures gracieuses qui offrent des scènes champêtres très habilement exécutées. « C’est comme un coin de Pompéi, » nous dit M. de, Rossi. Des deux côtés s’étendent des salles destinées sans doute aux repas funèbres ou à la garde du monument. Tout ce premier étage s’élevait au-dessus du sol ; il frappait les yeux de tout le monde ; il était impossible de ne pas le remarquer. C’est qu’en effet ce cimetière n’avait rien alors à cacher : c’était pour la loi le tombeau de Domitilla, et elle avait le droit d’y admettre qui elle voulait. Cette inscription, dont la place seule demeure aujourd’hui, n’avait pas besoin de mentir ; il lui était permis d’être vraie, et nous pouvons nous figurer ce qu’elle devait être. Domitilla pouvait dire pour qui elle élevait ce tombeau ; il ne lui était pas interdit d’y mentionner expressément sa croyance. Ne lisons-nous pas sur certaines tombes que le possesseur n’y veut admettre que ceux qui appartiennent au même culte que lui (qui ad religionem sint pertinentes meam) ! En, agissant ainsi, Domitilla ne faisait qu’user de ses droits de propriétaire. Il n’y avait rien là, je le répète, qui pût éveiller les susceptibilités de la loi et l’empêcher d’étendre à ce monument la protection qu’elle accordait à toutes les propriétés privées.

Voilà donc, selon M. de Rossi, quels furent les commencemens des cimetières de Rome. C’étaient d’abord des tombeaux particuliers que de riches chrétiens faisaient construire pour eux et pour leurs frères, et dont ils conservaient la propriété sous la sauvegarde de la loi ; mais avec le temps ces conditions changèrent. A la fin du IIe siècle, il est question, dans les écrivains ecclésiastiques, de cimetières qui n’appartiennent plus à des particuliers, mais qui sont ouvertement la propriété de l’église. Tel était celui dont le pape Zéphyrin confia l’administration à Calliste, et qui prit son nom. M. de Rossi suppose que ce fut le premier dont la communauté des fidèles s’attribua la possession ; mais ce ne fut pas le seul. Quelques années plus tard, sous le pape Fabien, il y en avait déjà plusieurs, et le nombre ne cesse point d’augmenter jusqu’à Constantin. Pour ceux-là, la question de savoir comment la corporation chrétienne les possédait en sûreté est bien plus délicate. La loi romaine n’accordait pas sans examen à des associations le droit d’acquérir et de posséder. On sait combien l’empire se défiait des sociétés secrètes, et avec quelle sévérité il les poursuivait. Celles dont il est le plus question dans les jurisconsultes, et que le pouvoir semble avoir le plus redoutées, c’étaient les associations qui se formaient dans les camps, parmi les soldats, et celles qui dans les villes prenaient la religion pour prétexte. Par là les chrétiens se trouvaient particulièrement condamnés. Ils formaient une de ces sociétés que la loi trouvait plus dangereuses que les autres, et contre lesquelles elle était plus disposée à sévir. Est-il à croire qu’on leur ait permis d’avoir des sépultures communes qui pouvaient servir aussi de lieu de réunion ? A quel titre les possédaient-ils, s’ils les ont possédés tranquillement, et par quel moyen ont-ils fait respecter leurs cimetières de l’autorité civile, dont ils violaient ouvertement les prescriptions ?

Ici encore il est probable que la société chrétienne se couvrit habilement de certains usages romains. Il y eut surtout une institution importante et mal connue qui, plus que tout le reste, protégea les catacombes. Il convient d’en dire quelques mots pour qu’on puisse se rendre compte des raisons qui éloignèrent si longtemps d’elles les sévérités du pouvoir.

L’empire avait, autant que possible, aboli le droit de réunion, qui lui faisait peur. Il existait cependant certaines sociétés dont il croyait avoir moins à craindre, que non-seulement il autorisait, mais qu’il semble avoir protégées. C’étaient celles qu’on appelait les sociétés des pauvres gens (collegia tenuiorum). Comme après tout il gouvernait au nom de la démocratie et qu’il tenait d’elle son pouvoir, il la flattait volontiers, et il aimait à se montrer empressé pour elle ; mais quel était le but précis de ces associations privilégiées ? M. Mommsen l’a fait voir le premier[7] : c’étaient des sociétés pour les funérailles (collegia funeraticia). Ces pauvres gens se réunissaient et contribuaient par égales portions, afin qu’on trouvât à leur mort de quoi les faire enterrer. Peut-être sera-t-on surpris aujourd’hui que des gens qui avaient à peine de quoi se nourrir aient tant songé à leur sépulture, et qu’ils se soient beaucoup plus préoccupés de leur mort que de leur vie. Les anciens ne pensaient pas là-dessus comme nous. Les idées religieuses augmentaient alors l’horreur instinctive qu’on éprouve à être privé des honneurs funèbres. Mécène avait dit dans un vers célèbre : « Je ne me mets pas en peine d’un tombeau ; la nature se charge d’enterrer ceux qu’on oublie, sepelit natura relictos, » mais Mécène était un esprit fort, et sur ce point les esprits forts étaient rares. Malgré les progrès de l’incrédulité, le souci de la sépulture continuait à préoccuper tout le monde. Les pauvres gens en étaient surtout tourmentés. Aussi, tandis que les riches se faisaient construire d’avance de somptueux tombeaux, les pauvres formaient des associations qui leur permettaient ou bien d’en avoir un pour eux seuls, ou tout au moins de trouver une petite place dans celui des autres. Les empereurs, qui voyaient que la politique était étrangère à ces associations, les avaient approuvées. Un sénatus-consulte, souvent cité dans les inscriptions, les autorisa toutes d’un coup, sous la réserve expresse « que les sociétaires ne se réuniraient qu’une fois par mois pour payer leur cotisation. » Ces associations portaient ordinairement le nom d’un dieu ; les confrères s’appelaient adorateurs d’Hercule ou de Jupiter (cultores Herculis, cultores Jovis), absolument comme nos sociétés charitables se donnent aujourd’hui le nom d’un saint. Au fond, le but de l’association n’était pas religieux. Le dieu n’était qu’une enseigne ou tout au plus qu’un patron dont la fête servait de prétexte à de bons repas. L’organisation de ces sociétés nous est parfaitement connue depuis qu’on a découvert dans l’ancienne Lanuvium les statuts des adorateurs de Diane et d’Antinoüs (cultores Dianœ et Antinoi) ; on y voit que chaque confrère payait 100 sesterces (20 francs) et une bouteille de bon vin à son entrée dans la société, et qu’ensuite il donnait 5 as (25 centimes) par mois. A sa mort, la société se chargeait de d’enterrement, ou, s’il avait désigné par son testament quelqu’un pour cet office, elle lui comptait 400 sesterces (80 francs). C’était ce qu’on appelait le prix des funérailles (funeraticium), la dépense d’un convoi de pauvre. Pour faire honneur au défunt, on envoyait à la cérémonie quelques-uns des confrères, auxquels on distribuait 1 sesterce (20 centimes) auprès du bûcher. Ce qu’il importe de remarquer, c’est que les esclaves pouvaient faire partie de l’association, et après leur mort, quand un maître injuste refusait de livrer leurs corps à la société, on leur faisait des funérailles par effigie. Ce n’était pas tout d’enterrer les morts, il fallait aussi les honorer. Or l’antiquité croyait qu’on ne pouvait pas mieux le faire qu’en célébrant des festins en mémoire d’eux. Les adorateurs de Diane et d’Antinoüs, fort zélés pour leurs morts, n’y manquaient pas. Seulement on voit par leurs statuts que ces repas, qui étaient peut-être sérieux et gravés à l’origine, comme il convient à des cérémonies funèbres, avaient fini par devenir très joyeux. Les confrères ne voulaient pas y entendre parler d’affaires. « Il est expressément ordonné, disent-ils, que, si quelqu’un a quelque plainte ou quelque proposition à faire ; il la fera seulement dans nos assemblées mensuelles, afin que nous puissions dîner libres et contens. » Il semble en effet que la gaîté ne manquait pas aux convives, puisqu’on fut obligé d’en prévenir les excès et d’instituer des amendes contre ceux qui se laisseraient emporter trop loin par leur bonne humeur. On payait 3 sesterces (60 centimes) si l’on quittait sa place pour faire du bruit, 12 sesterces (2 francs 40 centimes) si l’on avait dit des sottises à un confrère, et 20 sesterces (4 francs) si ce confrère était le président de la sociétés Tel est en résumé le règlement des adorateurs de Diane et d’Antinoüs.

D’autres fois les associés n’étaient pas seulement enterrés aux frais du trésor commun ; ils avaient aussi une sépulture commune. La plupart de ces monumens qu’on rencontré dans la campagne romaine, et auxquels leur forme a fait donner le nom de colombiers (columbaria), n’avaient pas une autre origine. Ils ont été construits par des sociétés d’ouvriers ou d’esclaves, qui souvent étaient fort nombreuses, puisqu’un de ces columbaria contient 600 urnes funèbres. Voici d’ordinaire comment procédait la société[8]. Après qu’elle avait obtenu l’autorisation de se former, et qu’elle s’était recrutée parmi les pauvres gens en quête d’une sépulture, obéissant à ces instincts d’ordre et de gouvernement qui étaient familiers à la race romaine, elle se constituait régulièrement, elle se divisait en décuries qui se choisissaient chacune un décurion. Ces décurions, on le comprend, n’étaient pas de grands personnages. On trouve parmi eux des maçons et des barbiers, En général, ce sont les affranchis qui font surtout bonne figure, dans ce petit monde ; ils sont plus riches que les autres, ils font des générosités à leurs confrères, que ceux-ci reconnaissent en complimens et en dignités. La caisse commune, formée par les cotisations des associés, est administrée par des questeurs, et au-dessus de ces dignitaires d’ordre différent on élit un ou plusieurs directeurs qu’on appelle magistri ou curatores. C’est, comme on voit, une hiérarchie complète. Le bâtiment qui devait contenir les sépultures était construit par les soins des directeurs, avec l’argent du trésor commun. Quand il avait été approuvé par les associés, on en faisait la dédicace, cérémonie qui, selon l’usage, était l’occasion de bruyans dîners. Ensuite les places étaient tirées au sort, et l’on écrivait provisoirement le nom du propriétaire sur celle qu’il devait occuper définitivement plus tard. Tout le monde ne contribuait pas également à la dépense ; nous dirions, dans la langue d’aujourd’hui, qu’on prenait, selon sa fortune, plus ou moins d’actions dans l’entreprise. Aussi avait-on droit à plus ou moins de places quand l’édifice était achevé. Ces places étaient la propriété de celui qui les avait achetées. Il pouvait à son gré les garder, les donner ou les vendre, en faire des spéculations ou des charités ; personne ne le gênait dans l’exercice de son droit. Sous les deux formes que je viens d’indiquer, les sociétés pour les funérailles prirent un grand développement à Rome pendant le règne des premiers césars. Septime Sévère étendit à l’Italie et aux provinces les privilèges dont elles jouissaient dans la capitale de l’empire. Elles furent plus particulièrement soutenues par Alexandre Sévère, qui protégea les anciennes et en forma de nouvelles, et l’on peut dire qu’en ce moment elles couvraient le monde entier.

Je n’ai pas besoin de faire remarquer les facilités que ces associations offraient aux chrétiens pour obtenir la possession tranquille de leurs cimetières, Elles étaient favorablement traitées par la loi ; les empereurs les protégeaient ; ils avaient fait rendre pour elles le sénatus-consulte dont j’ai parlé et qui leur permettait de se réunir une fois par mois. C’était une faveur très appréciée sous l’empire, parce qu’elle était rare. Pour les admettre à jouir du bienfait de ce sénatus-consulte, on leur demandait seulement de se faire autoriser par un décret spécial, et le grand nombre de ces associations nous prouve que ce décret était accordé sans peine. Rien n’indique que les chrétiens ne se soient pas soumis à cette formalité, qui n’engageait en rien leur foi : c’était une mesure d’ordre public qu’avec leurs maximes ils devaient respecter. Obéissans au pouvoir comme ils faisaient profession de l’être, pourquoi se seraient-ils volontairement soustraits à ses prescriptions quand leur conscience ne le commandait pas ? Il n’est donc pas impossible que, pour obtenir le droit de posséder légalement leurs cimetières, les chrétiens n’aient formé une de ces associations que les empereurs autorisaient. Ce qui est certain, c’est qu’ils avaient comme elles un trésor commun que chacun des frères contribuait à remplir par des cotisations mensuelles (stips menstrua). On a aussi remarqué qu’ils sont désignés dans une ancienne inscription par le titre d’adorateurs du Verbe (cullores Verbi), qui rappelle tout à fait celui qu’on donnait aux membres des sociétés de funérailles ; ne serait-ce pas le nom sous lequel les chrétiens se sont fait autoriser par le pouvoir à posséder des sépultures communes ? Quoi qu’il en soit, s’ils n’ont pas cru devoir demander cette autorisation, si par un motif que nous ne savons pas ils sont restés en dehors de ces sociétés légalement établies, il est certain qu’ils n’en ont pas moins tiré beaucoup de profit de leur existence. Le grand nombre de ces associations légales rendait indulgent pour les autres. En les voyant si facilement autorisées ; on ne songeait pas à faire un crime à celles qui se passaient de l’être. Elles habituaient le public à regarder sans étonnement ces tombeaux qui étaient la propriété de toute une corporation, et le respect que la loi témoignait pour quelques-uns d’entre eux était utile à tous.

Une autre raison qui rendit plus facile aux chrétiens la possession de leurs cimetières, c’est qu’en somme ils étaient moins différens des tombeaux païens qu’on n’est d’abord tenté de le croire. Quelles que soient les idées nouvelles qu’une religion apporte dans le monde, elle n’échappe pas à son temps. En se séparant de lui, elle est forcée de le subir. Quoiqu’elle affiche la prétention de tout renouveler, elle reste, sans le savoir, l’esclave de certaines habitudes dont elle ne peut se défaire, et le passé se fait largement sa place chez elle, au moment même où elle annonce qu’elle va le détruire. En général, entre deux religions qui se combattent, les contemporains aperçoivent surtout les différences ; les ressemblances frappent davantage la postérité. Le grand reproche qu’on faisait aux chrétiens à l’époque des persécutions, c’était de se séparer du reste du monde. Aussi Tacite les déclare-t-il convaincus de haïr tout le genre humain. Aujourd’hui nous sommes surtout surpris de voir combien ils sont restés fidèles aux habitudes de leur temps. Il est certain qu’au moins en ce qui concerne la sépulture, ils se conformaient volontiers aux usages ordinaires. Leurs tombeaux ne différaient guère des autres. Si un païen eût visité les catacombes à l’époque où l’accès en était ouvert à tout le monde, je me figure qu’il ne se serait pas senti trop dépaysé. Par exemple, il aurait retrouvé dans le cimetière de Domitilla, et probablement dans les autres aussi, l’entrée habituelle du tombeau des grandes familles de Rome. Nous savons que d’ordinaire les chrétiens élevaient au-dessus de leurs catacombes de petits édifices en l’honneur de ceux qui y étaient ensevelis. Ces chapelles, qu’on appelait cellœ ou memoriœ marlyrum, ont eu depuis une glorieuse fortune. Agrandies après la victoire du christianisme, elles sont devenues les belles basiliques de l’époque de Constantin ; mais du début, quand elles étaient encore modestes, elles devaient ressembler beaucoup à ces salles que les païens construisaient à côté de leurs tombeaux et où ils célébraient leurs festins funèbres. Ces festins eux-mêmes n’étaient pas inconnus des premiers chrétiens. « Ils croyaient, eux aussi, nous dit Prudence, que les morts prenaient leur part du vin qu’on buvait près de leurs sépulcres, » et le repas du neuvième jour (cœna novemdialis), recommandé par les rituels païens, s’était conservé dans les agapes. A la vérité les chrétiens faisaient de leurs agapes un prétexte ingénieux de charité : les riches y conviaient les pauvres, et saint Augustin dit qu’on venait au secours des vivans tout en honorant les morts ; mais ce pieux usage était pratiqué aussi par les païens. Ce n’étaient pas ces pauvres corporations dont les associés payaient cinq as par mois qui pouvaient, sur leurs revenus, fournir aux dépenses d’un festin, si frugal qu’on le suppose. Les inscriptions nous prouvent qu’elles avaient toutes de riches protecteurs qui faisaient les frais du repas. A l’origine, je n’ai pas de peine à le croire, les agapes chrétiennes étaient célébrées avec plus de décence que les repas des adorateurs de Diane, et d’Antinoüs, et on n’avait pas besoin d’établir des amendes, pour empêcher les convives de s’injurier ; cependant elles finirent aussi par être l’occasion de beaucoup d’excès. Les pères de l’église se plaignent amèrement qu’on y boive sans retenue, et, comme leurs reproches ne corrigeaient pas les chrétiens de leur intempérance, les conciles furent obligés de les supprimer.

Si, dans la partie extérieure de leurs catacombes, dans les salles et les vestibules placés sous l’œil du public, les chrétiens se conformaient aux usages de tout le monde, il semble qu’ils étaient plus libres et qu’ils devaient être plus hardis dans leurs galeries souterraines. Comme ils s’y sentaient plus à l’aise, ils pouvaient échapper davantage à l’imitation et être plus souvent eux-mêmes. Il n’en est rien pourtant. Quand on regarde les meilleures peintures qui tapissent les chambres des catacombes, il est un souvenir qui revient aussitôt à l’esprit et auquel on ne peut plus échapper, celui des maisons de Pompéi. Ce sont les mêmes bordures gracieuses, les mêmes oiseaux, les mêmes fleurs, les mêmes scènes champêtres, avec ces petits génies ailés qui portent le raisin et font la vendange. L’illusion serait complète si l’on n’apercevait de temps en temps ces images de femmes si décemment voilées qu’on appelle les orantes, et dont l’attitude grave et l’air sérieux conviennent si bien à des sépultures chrétiennes. On peut dire que le christianisme naissant n’a pas cherché dans les arts une expression et une forme nouvelles pour ses croyances. L’originalité des signes ne répond pas chez lui à la nouveauté des idées. Il s’est contenté de reproduire les peintures anciennes qui, par interprétation, pouvaient le mieux s’appliquer à ses doctrines. Il copie, par exemple, la fable d’Orphée en la rapportant à la prédication du Christ, ou celle d’Ulysse et des sirènes, qu’il explique par la nécessité de résister aux tentations. Les infidèles qui voyaient ces peintures, peut-être aussi les peintres qui les ont dessinées, ne se doutaient pas du sens mystérieux qu’y attachait la religion nouvelle ; elles n’étonnaient et ne scandalisaient personne. L’image même du bon pasteur, si fréquente dans les catacombes et qui semble alors la représentation ordinaire et autorisée du Sauveur[9], n’est pas non plus tout à fait chrétienne. Elle se retrouve, à peu de chose près, dans le tombeau des Nasons et dans d’autres sépultures païennes, et l’on est à peu près d’accord aujourd’hui à la regarder comme une reproduction du célèbre Mercure criophore de Calamis. La sculpture est plus païenne encore dans les cimetières chrétiens que la peinture. M. de Rossi en donne une raison ingénieuse : il fait remarquer que les peintures étaient exécutées dans l’intérieur même de ces cimetières, tandis qu’on était bien forcé de sculpter en dehors et sous les yeux des infidèles, ce qui donnait à l’artiste moins de liberté. Ainsi, il faut le reconnaître, dans les deux premiers siècles l’art chrétien n’est pas né encore, il vit de l’imitation de l’art antique, il n’a pas inventé sa forme distincte et originale. L’épigraphie chrétienne non plus n’a pas encore trouvé ses formules. Il n’y a en général rien de plus pauvre que les inscriptions les plus anciennes des catacombes. Les meilleures ne contiennent qu’un nom propre et une date ; celles qui ajoutent quelque chose imitent d’ordinaire les inscriptions profanes et d’une façon qui nous surprend. C’est ainsi qu’on y retrouve assez souvent l’invocation païenne aux dieux mânes (diis manibus) ; même quand elle cherche à s’éloigner des traditions du paganisme, l’épigraphie chrétienne n’invente pas, elle imite. Les formules qu’elle emploie le plus fréquemment, lorsqu’elle commence à employer quelques formules, sont, avec celle-ci : « vivez en paix, » qui est d’origine juive, cette autre qui paraît au premier abord plus originale : « que Dieu vous donne le rafraîchissement ! » Or Tertullien nous apprend que c’est la prière que les dévots d’Osiris faisaient graver, sur leurs tombeaux. Il serait facile de pousser plus loin ces rapprochemens, et l’on serait surpris de voir jusqu’à quel point les cimetières chrétiens, même dans les plus petits détails, reproduisent les tombes païennes. A la vérité, je n’insiste ici que sur les ressemblances, et je suppose un observateur un peu superficiel et qui regarde vite. Je sais bien qu’on pourrait montrer que ces rapprochemens apparens étaient souvent trompeurs, qu’en réalité les sépultures, chrétiennes, à certains signes plus cachés, se distinguaient des autres, puisqu’il est possible de les reconnaître aujourd’hui. Il me semble surtout que cette absence de titres officiels dans les épitaphes, la rareté de ces mots d’esclave et d’affranchi pouvait donner beaucoup à penser à un esprit attentif. Il n’en est pas moins vrai qu’à première vue les ressemblances l’emportaient, et l’on comprend bien que ces ressemblances aient protégé les catacombes. Des gens qui retrouvaient dans ces tombeaux presque toutes leurs habitudes et leurs usages se sentaient naturellement portés à les respecter.

Je crois qu’il devient facile maintenant de répondre aux objections de ceux qui ne voulaient pas admettre que les chrétiens eussent creusé les catacombes. S’ils demandent comment une société pauvre et proscrite a pu accomplir un si grand ouvrage, on peut leur dire qu’ils ne savent pas la puissance de l’esprit d’association mis au service d’une doctrine nouvelle, et qu’il est probable d’ailleurs que le christianisme a compté des personnes riches parmi ses premiers adeptes. S’ils veulent connaître ce qu’on a fait de la terre qu’on en a tirée, on peut leur répondre qu’on n’en sait rien, mais que les chrétiens pouvaient la mettre où la portaient déjà les Juifs, les adorateurs de Sabazius et de Mithra, et tous ceux qui fouillaient le sol romain pour leurs sépultures, sans qu’on songeât à les en empêcher. Ce qu’on voyait faire tous les jours par les uns ne pouvait pas surprendre chez les autres, et il n’y avait guère moyen d’interdire ici ce qu’on permettait ailleurs. Si l’on s’étonne enfin qu’ils aient pu si longtemps cacher leurs cimetières aux yeux vigilans de l’autorité, on affirmera qu’au moins à l’origine, et pendant près de deux siècles ils ne les ont cachés à personne, qu’il y a des raisons de croire qu’ils les possédaient légalement, qu’en tous cas, venus à une époque où les sépultures communes étaient fort répandues, ils ont joui, sinon de la protection, au moins de la tolérance de la loi. C’est ainsi que ce problème, qui semblait presque insoluble au siècle dernier, est devenu parfaitement clair pour nous.


III

Il y a plusieurs époques dans l’histoire des catacombes, et je n’ai encore parlé que de la première : elle embrasse deux siècles, et s’étend jusqu’au règne de Dèce. Pendant ce temps, les chrétiens ont joui presque toujours d’une certaine liberté. Il n’est pas douteux qu’à l’origine leur doctrine n’ait été prêchée sans contrainte. Les persécutions de Néron et de Domitien ne furent que des tempêtes passagères. Dans l’intervalle, sous Vespasien et sous Titus, on les laissa tout à fait libres. M. de Rossi rapporte à ce moment la construction de la magnifique catacombe de Domitilla, ce qui prouve que personne ne songeait alors à entraver les manifestations publiques de leur culte. Les empereurs qui suivirent jusqu’à Septime Sévère prirent surtout contre eux des mesures administratives qui furent quelquefois sévèrement exécutées, mais auxquelles il était facile de se soustraire, et qui n’arrêtèrent pas les progrès de la religion nouvelle. Je ne puis croire qu’ils aient été des persécuteurs bien violens quand je vois que l’évêque Méliton disait à Marc-Aurèle, en parlant du christianisme : « Cette philosophie que vos ancêtres ont respectée comme toutes les autres religions. » Sous Caracalla, sous Alexandre Sévère, sous les deux Philippe, les chrétiens furent non-seulement soufferts, mais protégés. Aussi est-ce à ce moment que leurs cimetières, qui d’abord avaient peu d’étendue, prirent ces immenses accroissemens que nous admirons aujourd’hui.

M. Michel de Rossi a établi d’une façon très ingénieuse quelles étaient les limites primitives de chacun de ces cimetières, et comment ils s’étaient successivement agrandis. Son explication est très vraisemblable, elle a de plus l’avantage de mettre encore mieux en lumière les principes qui dirigent alors la conduite des chrétiens, l’imitation constante des usages de leur temps et le désir de se mettre toujours sous la protection de la loi. Pour qu’ils fussent certains de posséder leurs cimetières sans contestation, pour éviter les procès et les chicanes, il fallait que la superficie du sol où ils les creusaient leur appartînt, et qu’elle leur appartînt pour toujours. La possession inaliénable du terrain supérieur était la seule garantie de l’inviolabilité des tombes souterraines. Pour obtenir cette garantie, l’usage et la loi leur fournissaient un moyen. J’ai parlé plus haut de cette loi qui déclarait sacré le lieu où un homme était enseveli. Elle ne protégeait pas seulement le tombeau, elle s’étendait aussi à ses dépendances ; on les regardait comme inséparables du tombeau lui-même, et elles profitaient de ses privilèges. Sous le nom de terrain atténant au sépulcre (area cedens sepulchro), elles devenaient inaliénables comme lui. Or ces dépendances étaient souvent très considérables. La somptuosité des tombeaux était le premier luxe des gens riches. Ils aimaient à entourer le monument où ils devaient reposer d’abord d’un espace assez grand où ils faisaient construire divers édifices et qu’ils bordaient quelquefois de grands arbres. Derrière ces arbres s’étendaient des vergers, des vignes, des jardins, et souvent, derrière ces jardins, des champs cultivés. Ils avaient grand soin de marquer sur leurs épitaphes la contenance exacte du terrain, qui parfois n’allait pas à moins de trois jugères (soixante-quatorze ares), ils disaient qu’ils se le réservaient pour eux seuls, qu’ils l’exceptaient formellement de leur héritage, qu’ils ne voulaient pas qu’il fût morcelé ou vendu. Si par hasard ils y avaient fait construire un caveau, ils n’oubliaient pas cette circonstance, et nous voyons un certain nombre d’inscriptions funèbres mentionner expressément ; parmi les choses dont le mort se réserve la possession indéfinie, le monument et son hypogée, monumentum cum hypogœo.

Ces usages offraient aux chrétiens l’occasion d’acquérir le terrain nécessaire à leurs sépultures, si étendu qu’il pût être, sans causer de surprise à personne, et l’espoir de le posséder toujours sans craindre qu’il tombât entre des mains profanes. Il n’est guère douteux qu’ils n’en aient profité. On peut donc presque affirmer qu’ils se sont assuré la possession du sol supérieur ayant de construire leurs cryptes, qu’ils en ont fait, suivant l’expression consacrée, un terrain attenant au sépulcre, et que, par quelque inscription qu’on retrouvera peut-être, ils ont mis le monument et son hypogée sous la garde de la loi. M. de Rossi, en dressant le plan des divers cimetières, a fait une observation importante : il remarque que, si on les réduit à leurs élémens primitifs en faisant abstraction des travaux qui sont évidemment postérieurs, il reste seulement quelques groupes de galeries isolés entre eux, et dont chacun forme une figure géométrique régulière et de peu d’étendue. Ces limites qu’on respecte, cette gêne qu’on s’impose de creuser dans un espace étroit au lieu de s’étendre en liberté, cette régularité de formes à laquelle on s’astreint, ne s’expliquent tout à fait que si, dans ce travail souterrain, on n’a pas voulu sortir des bornes d’un champ qu’on possédait sur la terre. Chacun de ces groupes isolés est donc la reproduction exacte de ce champ. Ils représentent ces petits hypogées primitifs donnés à l’église naissante par de riches protecteurs ou qu’elle avait achetés de ses deniers. En les transportant par la pensée sur le sol, en y replaçant les arbres qu’on y avait plantés et les monumens funèbres qu’on y avait construits, en les enfermant de cippes ou de murailles, nous avons quelque idée de ces sortes d’îlots que les cimetières chrétiens devaient former au second siècle dans la campagne romaine entre des tombes des différens cultes.

Les catacombes primitives avaient donc fort peu d’étendue. Voici comment elles se sont peu à peu développées. Dans les galeries qu’on construisit les premières, les niches où l’on plaçait les morts étaient larges, éloignées les unes des autres ; il y avait beaucoup de place perdue. La religion nouvelle ne semblait pas se préoccuper encore de l’avenir ; peut-être ne comptait-elle pas sur un succès aussi rapide. Le progrès dépassa les espérances. Le nombre des fidèles augmentant toujours, il fallut bientôt serrer les tombes et en construire dans les endroits vides. Ce moyen ne suffit pas longtemps, et l’on dut se décider à agrandir les catacombes ; mais, pour respecter la loi, l’on se garda bien de sortir des limites du champ qu’on possédait : on creusa à des niveaux différens, il y eut quelquefois jusqu’à cinq étages de galeries superposées dans la même crypte. Le premier était à 7 ou 8 mètres du sol ; le dernier atteignait à la profondeur de 25 mètres. Ces agrandissemens durent donner beaucoup de place. D’après les calculs de M. de Rossi, un terrain qui n’aurait eu que 125 pieds romains de côté pouvait fournir, avec trois étages seulement, près de 700 mètres de galeries. La communauté des chrétiens a dû s’en contenter longtemps, Cependant, comme le nombre des fidèles s’accroissait toujours, il fallut bien sortir de l’enceinte primitive, qui ne contenait plus les morts. Ces petits hypogées étaient souvent voisins, ils poussèrent l’un vers l’autre des ramifications nombreuses, et plusieurs d’entre eux, en se joignant, formèrent un cimetière. Les cimetières ne sont donc que la réunion de quelques-unes de ces cryptes primitivement isolées, et s’ils ont encore aujourd’hui un si grand nombre d’entrées, c’est que chaque crypte avait la sienne et la conserva. Faut-il aller plus loin, et croire avec beaucoup de savans que plus tard tous ces cimetières se sont réunis entre eux pour ne former qu’une seule chrétienté souterraine ? On aimerait à le supposer. L’imagination serait flattée de l’idée que les fidèles qui aspiraient avec tant d’ardeur pendant leur vie à ne former qu’un seul bercail y sont au moins arrivés après leur mort ; mais il n’est pas possible de le croire : la nature du sol mettait trop d’obstacles à cette réunion. Les cimetières sont souvent séparés les uns des autres par des vallées profondes et marécageuses où l’eau séjourne après les orages. Les galeries creusées au-dessous de ces marais n’auraient jamais été praticables. Les chrétiens le savaient bien ; aussi n’ont-ils construit leurs cimetières que sur le penchant des collines, et quelque désir qu’on leur suppose de se réunir tous après la mort, il n’est pas possible d’admettre qu’ils aient jamais essayé de traverser les vallées. Après tout, les cimetières chrétiens, quelque isolés qu’ils soient, offrent encore un ensemble de travaux assez grandiose pour satisfaire l’imagination la plus difficile.

En l’absence d’autres documens, ces travaux seuls suffiraient à prouver que, lorsqu’ils furent entrepris, l’autorité laissait aux chrétiens la libre possession de leurs tombeaux. On sait en effet que jusqu’à l’empereur Dèce, même quand la communauté chrétienne fut inquiétée, on respecta ses cimetières. Ni l’histoire ni la légende ne disent qu’à cette époque on ait jamais tenté de les en dépouiller. lui n’est question de mesures de ce genre ni dans les vies des saints, ni dans les actes des martyrs, ni dans la fameuse lettre de Pline, ni dans la réponse de Trajan. La persécution contre les morts commence seulement au temps de Dèce. C’est en Afrique qu’on trouve la première mention de ces violences. Ce pays était un de ceux où les chrétiens n’avaient pas adopté l’usage des catacombes. Leurs tombes, plus apparentes, appelaient davantage sur elles la colère de leurs ennemis. « Pendant qu’Hilarianus était gouverneur, dit Tertullien, le peuple se mit à crier : Qu’ils n’aient plus de cimetière ! Et dans la fureur de leurs bacchanales ils osèrent arracher les cadavres des chrétiens au repos de la sépulture et à l’asile de la mort. » L’exemple fut contagieux. En 257, l’empereur Valérien interdit aux fidèles de Rome l’entrée de leurs catacombes. Il est probable qu’ils n’obéirent pas à ses ordres, puisque nous voyons que le pape Sixte II fut surpris et décollé, avec ses diacres et ses prêtres, dans celle de Prætextat. L’empereur Galien révoqua les édits de son père ; mais l’exemple était donné : les cimetières chrétiens ne retrouvèrent plus la sécurité dont ils avaient joui jusque-là. A partir de ce moment, la légende ne parle plus que de martyrs immolés dans les catacombes. Aussi est-ce à cette époque qu’il faut rapporter les précautions prises pour en dissimuler l’entrée. On renonce aux escaliers magnifiques qui s’ouvrent librement sur la campagne ; ils attirent l’attention du pouvoir, ils exposât à trop de dangers. On va se cacher dans les anciennes carrières, qui ne sont connues que des misérables et des vagabonds ; de là on creuse timidement des galeries étroites, des escaliers tortueux qui conduisent aux anciens cimetières. On n’ose plus porter au dehors la terre qui provient des fouilles nouvelles ; on la laisse entassée dans les chambres qui ne servent plus, et où on la voit encore de nos jours. On obstrue les cryptes, on mure les passages, on dérobe si soigneusement à tous les yeux les corps des martyrs que plusieurs dans la suite ne purent plus être retrouvés. C’est alors que les catacombes sont véritablement un lieu d’asile et de refuge ; c’est alors qu’un culte proscrit s’y cache à ses persécuteurs. Toutes ces idées de précaution, d’ombre et de secret, que ce nom rappelle, si elles sont fausses quand on les applique aux premiers siècles, conviennent parfaitement à l’époque qui s’étend de Dèce jusqu’à Constantin.

La victoire de l’église sous Constantin ne servit point aux catacombes autant qu’on aurait pu le penser. Sans doute le christianisme triomphant honora l’asile de ses mauvais jours ; on répara les anciennes cryptes qui avaient souffert, on élargit et on embellit celles où reposaient les principaux martyrs, on construisit des entrées nouvelles et plus magnifiques, des escaliers plus commodes pour y descendre ; on creusa des puits (lucernaria) pour leur donner du jour ; enfin, à la place des pauvres chapelles où les premiers chrétiens honoraient timidement leurs morts au-dessus des cryptes qui renfermaient leurs restes, on éleva de somptueuses basiliques. Tous ces travaux néanmoins nuisirent souvent plus qu’ils ne profitèrent aux vieilles catacombes. En voulant les faire plus belles, on leur enleva leur caractère et leurs souvenirs. Les anciens murs de pierre, avec leurs fresques noircies, parlaient plus au cœur que les marbres dont on les couvrit. Les nouveaux escaliers modifièrent l’économie et la régularité de l’ensemble. Pour jeter les fondemens des basiliques, on n’hésita pas à détruire des tombes et à combler des galeries. C’est donc le jour où le christianisme est victorieux que l’on commence à dégrader les catacombes. On les respectait bien davantage quand il était humble et proscrit. En même temps elles avaient beaucoup à souffrir des excès d’une dévotion mal réglée. Tout le monde voulait être enterré le plus près possible des martyrs. Quand la place était prise, on s’en faisait une aux dépens du premier occupant ; les vieilles inscriptions étaient détruites sans scrupule ; on creusait des niches dans des murs couverts de fresques admirables. Le mal devint si grand que le pape Damase se crut obligé d’arrêter ce zèle indiscret. « Les saints ne sont pas flattés, disait-il aux fidèles, qu’on s’attache ainsi à leurs tombeaux. Au contraire ils en sont importunés. Ce qui rapproche véritablement d’eux, c’est de les imiter. Il faut être près d’eux par l’âme et non par le corps. » Et, joignant l’exemple au précepte, il refusa d’être enseveli près des saints tombeaux, quoiqu’il eût plus de titres qu’un autre à cet honneur. Ce qui est encore un signe du temps, c’est qu’alors les tombes ne sont plus creusées que par des gens qui en font un métier et une industrie. Les premiers fossoyeurs accomplissaient leur œuvre par dévouement ; après Constantin, ils trafiquent de leur travail : ce sont des mercenaires qui spéculent sur la main-d’œuvre et le prix du terrain. Ils percent des galeries, ils creusent des chambres, ils construisent des tombeaux qu’ils livrent au plus offrant, et les traces de ces contrats de vente se lisent encore sur les murailles des catacombes. C’est la preuve que la foi des premiers jours s’attiédissait dans le triomphe. Avec elle, le respect qu’inspiraient les cimetières souterrains, témoins des luttes du passé, diminuait ; les inhumations y deviennent plus rares dès l’époque de Constance. Les fossoyeurs faisaient-ils payer le terrain trop cher ? Les veines du tuf granulaire dans lequel ils sont creusés étaient-elles près de s’épuiser ? Les belles basiliques de Constantin séduisaient-elles davantage les fidèles ? On ne saurait le dire ; ce qui est certain, c’est qu’après quelques hésitations l’habitude d’enterrer les morts dans les églises l’emporta. Les catacombes furent abandonnées ; on les quitta même assez brusquement, puisqu’on a trouvé des chambres et des galeries préparées par les fossoyeurs, et qui n’ont pas été occupées. Il y avait juste cinq siècles qu’on y ensevelissait les morts.

Cependant on continua longtemps à les visiter : elles gardaient les souvenirs des persécutions, elles contenaient le corps des martyrs. Saint Jérôme raconte « qu’étant enfant il y descendait le jour du Seigneur avec ses camarades et pénétrait jusque dans les cryptes, dont les parois montrent de tous côtés des cadavres ensevelis. » On y venait de tous les pays de la chrétienté. Nous avons conservé de curieuses notices de ce temps qui sont comme des guides du voyageur aux tombeaux des martyrs ; Il nous reste aussi quelques itinéraires de pèlerins qui les ont visitées dans les dernières années de l’empire, Ils sont l’œuvre d’hommes simples et crédules fort disposés à croire qu’on n’a jamais enterré que des saints dans les catacombes, qui donnent facilement le nom d’évêques ou même de papes à de simples prêtres et celui de martyrs et de confesseurs à des gens qui n’eurent jamais rien à souffrir pour leur foi. Ces exagérations mêmes montrent quel enthousiasme inspiraient alors les catacombes. Tous ceux qui venaient les voir voulaient emporter quelque pieux souvenir de leur voyage. D’ordinaire ils versaient à profusion des parfums précieux sur la pierre brisée du tombeau et recueillaient les moindres gouttes qui s’échappaient par les fentes inférieures, après avoir touché le corps du saint. Il y eut même une reine de Lombardie qui envoya tout exprès un prêtre pour recueillir et rapporter l’huile des lampes qui brûlaient auprès des tombes des martyrs. Les invasions des barbares interrompirent ce culte. Alaric, Vitigès, Ataulf, dévastèrent successivement la campagne romaine. Pour mettre les saintes reliques à l’abri de ces ravages, on se résigna à les enlever à leurs tombeaux et à les apporter à Rome, où elles furent distribuées entre les différentes églises. Dès lors on n’eut plus de raisons de visiter les catacombes ; on en perdit presque la trace et le souvenir. Personne ne s’occupa plus d’elles jusqu’à la fin du XVIe siècle ; c’est seulement alors, en pleine renaissance, au moment où l’antiquité païenne reparaissait au jour et attirait tous les esprits, qu’un hasard fit découvrir ces vénérables monumens des premiers temps du christianisme.


IV

Cette étude générale des catacombes, dans laquelle tant d’idées nouvelles sont exposées, n’est pourtant que le prélude de ce que M. de Rossi regarde comme son œuvre particulière et originale. Cette œuvre, il l’aborde seulement dans la seconde moitié de son livre. J’ai dit plus haut ce qu’il veut faire : il se propose d’étudier à part chacun des cimetières chrétiens. Voici la méthode qu’il suit pour être sûr de les retrouver. Il a recueilli avec plus de soin qu’on ne l’avait fait encore toutes les notices écrites à la fin de l’empire sur les saints tombeaux et les itinéraires des pèlerins qui les ont alors visités. Il les prend pour guides, il fait le voyage avec eux. Quand ils sont d’accord pour nous apprendre qu’en un certain endroit d’une voie publique ils ont vu un cimetière dont ils nous disent le nom, M. de Rossi essaie de le retrouver à l’endroit qu’ils désignent. Lorsqu’il croit y être arrivé et qu’il n’a plus de doutes pour lui-même, il veut convaincre les autres par des preuves matérielles. Ce sont les actes des martyrs et les anciennes histoires de l’église qui les lui fournissent. Il les étudie pour savoir quels sont les personnages importans qui étaient enterrés dans le cimetière dont il s’occupe, et il cherche à découvrir leurs tombeaux. Cette découverte, s’il parvient à la faire, est à la fois le fruit de sa méthode et un moyen infaillible de la vérifier.

Elle ne peut plus être discutée aujourd’hui, et des succès éclatans en ont certifié l’exactitude. Du temps où l’on fouillait les catacombes au hasard, on avait très rarement la bonne fortune de trouver des tombeaux portant des noms connus dans l’histoire. M. de Rossi fait le calcul qu’on n’en a guère découvert jusqu’ici qu’un ou deux par siècle. On en trouve maintenant à peu près un par année, et il est permis d’espérer que ce nombre sera dépassé dans l’avenir. A mesure que M. de Rossi avance dans ses travaux, de nouvelles observations qu’il fait rendent sa marche plus facile et plus sûre. Ainsi il s’est vite aperçu qu’on pouvait reconnaître à des signes certains qu’on approchait des cryptes où reposent des morts illustres. Celles-là ont été plus visitées que les autres. A l’époque du triomphe de l’église, on a construit des escaliers particuliers pour en rendre l’accès plus facile aux pèlerins. L’existence de ces escaliers est un premier indice. Ensuite viennent les restes des travaux considérables entrepris du temps de Constantin pour honorer les martyrs, ces revêtemens de marbre dont on a couvert les murs, ces longs puits qui donnent de l’air et du jour à la crypte, ces voûtes de brique destinées à prévenir les éboulemens[10]. Tous ces travaux indiquent qu’on se trouve dans quelque crypte célèbre : on ne s’est donné tant de mal que pour les morts qui en valaient la peine. Un des signes les plus sûrs et les plus curieux de la visite des pèlerins et par conséquent du voisinage d’une tombe plus révérée que les autres, ce sont les inscriptions qu’ils ont laissées sur les murs. Personne ne les avait encore recueillies et étudiées avec autant de soin que M. de Rossi. Tracés rapidement à la pointe le long des escaliers ou des galeries, ces graffiti, comme on les appelle en Italie, sont le témoignage spontané d’un mouvement d’enthousiasme et de dévotion à la vue des saints tombeaux. Il n’y entre rien d’officiel et de convenu, comme dans les grandes inscriptions qui ont été gravées sur le marbre ; les graffiti sont moins pompeux et moins magnifiques, mais on y sent bien mieux l’élan du cœur. Aussi nous touchent-ils davantage, quelque insignifians qu’ils paraissent au premier abord. Tantôt le pèlerin écrit simplement son nom en demandant avec humilité quelques prières pour lui et en faisant des souhaits pieux pour les autres : Eustathius humilis peccator ; tu qui legis, ora pro me, et habeas Dominum proiectorem, tantôt il implore les saints pour lui ou pour les personnes qu’il aime : « Saints martyrs, souvenez-vous de Dionysius. — Demandez que Verecundus et les siens aient une heureuse navigation. — Obtenez le repos pour mon père et pour mes frères. » Le plus souvent il se contente d’employer cette courte formule : « Vivez ou qu’il vive en Dieu ! » A l’entrée de la crypte de Lucine, au pied de l’escalier, on trouve ces mots plusieurs fois répétés : « Sofronie, vis en Dieu ! Sofronia, vivas ! » Sans doute après avoir écrit ces paroles, le voyageur a pénétré dans la crypte, il s’est agenouillé, il a prié au pied du tombeau des martyrs, et il est probable qu’avec la prière la confiance est entrée dans son cœur. C’est ce que prouve l’inscription suivante, tracée par la même main du côté de la sortie : « Sofronie, ma chère Sofronie, tu vivras toujours, oui, tu vivras dans le Seigneur ; Sofronia dulcis, semper vives Déo, Sofronia, vives ! »

Retrouver un cimetière, lui rendre son nom, s’assurer de son identité en y constatant la présence des tombeaux que les pèlerins du VIe siècle y avaient visités, ce n’est pas tout. Il faut essayer de reconnaître encore l’âge de ce cimetière et de fixer une date aux monumens qu’il renferme. Cette entreprise n’est pas facile. Les tombes historiques, c’est-à-dire celles qui contenaient des personnages qui ont un nom dans l’histoire, sont rares dans les catacombes. Encore n’est-on pas toujours certain que le monument remonte à la mort de celui qui y est enterré ; il peut avoir été refait plus tard. La plus grande partie des galeries souterraines ne contient que des morts obscurs. Les inscriptions tracées sur les plaques de marbre ou de brique qui fermaient les tombeaux pourraient donner des indications précieuses ; malheureusement elles sont presque toujours d’un laconisme désespérant. L’épigraphie chrétienne des premiers temps n’avait pas plus de goût pour le bavardage des inscriptions grecques que pour la majestueuse solennité des inscriptions romaines. Elle se contente d’écrire le nom du mort et de marquer le jour où il a été déposé dans le sépulcre, pour qu’on puisse en célébrer l’anniversaire. C’est à peine si elle distingue les prêtres ou les évêques du reste des fidèles. On ne retrouve que la mention de trois prêtres dans la crypte de Lucine, et ce qui est curieux, c’est que l’un d’eux est à la fois prêtre et médecin. La désignation du martyre est très rare aussi, et elle a été presque toujours associée plus tard à l’épitaphe. Les distinctions sociales sont absentes. Aucune marque n’indique la tombe où sont ensevelis les sénateurs ou les personnages importans. Il y en avait cependant parmi les chrétiens. Tertullien nous parle des hommes et des femmes de famille sénatoriale que l’empereur Sévère ne persécuta pas, quoiqu’il les sût attachés à la religion nouvelle. Leurs restes sont aujourd’hui perdus parmi ceux des pauvres gens, sans que rien les puisse faire reconnaître. « Il n’y a chez nous, disait Lactance, aucune différence entre le pauvre et le riche, l’esclave et l’homme libre. Nous nous donnons le nom de frères, parce que nous croyons être tous égaux. » Quoi qu’on fasse, l’égalité souffre toujours un peu pendant la vie ; les frères voulaient au moins la retrouver dans la mort. Cette humilité héroïque a quelques inconvéniens pour nous. Le silence auquel ces personnages se condamnent dans leurs épitaphes nous enlève, le moyen de savoir exactement l’âge de leurs tombeaux. Nous sommes réduits à le conjecturer tantôt d’après la forme des lettres et la qualité du travail, tantôt d’après les noms mêmes, car il y a une mode pour les noms comme pour le reste, ils changent suivant les temps, et l’on voit par exemple que ceux des empereurs sont en vogue tant qu’ils règnent ; mais ce qui fournit encore le plus de lumières, c’est le caractère et le mérite des fresques qui couvrent certaines chambres des cimetières chrétiens. Les peintures portent leur âge avec elles, les bonnes plus que les mauvaises, car il peut y avoir des barbouilleurs dans les meilleures époques de l’art ; pendant la triste décadence où se perd l’empire romain, il ne restait plus de bons peintres. C’est surtout au moyen des peintures qu’on peut espérer d’établir d’une manière probable la date des principaux monumens des catacombes.

Voilà, en quelques mots, la méthode que M. de Rossi se propose de suivre dans son travail. Pour la juger, il faut la voir à l’œuvre. Aussi dois-je montrer en finissant de quelle façon il l’applique et à quels résultats elle le conduit.

Le cimetière que M. de Rossi étudie le premier est celui de Calliste : c’est aborder de front la difficulté la plus grave que présente la topographie des catacombes. Il n’y en a aucun sur la position duquel on ait autant discuté. Depuis trois siècles, on le place toujours où il n’était pas. On ne cesse pas de le confondre avec les cimetières de Prætextat et de saint Sébastien, qui l’avoisinent. Les anciens documens mêmes sont sur ce point embarrassés et confus. La seule chose qu’ils affirment tous avec persistance, c’est que, depuis Zéphyrin jusqu’à Miltiade, tous les papes y ont été enterrés. Après beaucoup d’études, M. de Rossi s’est décidé à le placer où personne ne l’avait encore cherché ; mais plus son opinion était nouvelle, plus il lui était nécessaire de la démontrer : il fallait qu’il la justifiât par quelque découverte incontestable. Il y est parvenu, et les fouilles qu’il a dirigées de ce côté lui ont donné raison. Après bien des recherches, les ouvriers ont pénétré dans une chambre plus vaste, plus ornée que les autres, et dont le sol était couvert de marbres brisés. En réunissant quelques-uns de ces débris qui portaient des caractères grecs, M. de Rossi a pu lire les noms de quatre papes : Anteros, Fabianus, Lutius et Eutychianus. Il n’y avait plus de doute possible, on se trouvait dans la crypte papale du IIIe siècle ; les plus opiniâtres et les plus prévenus étaient bien forcés de reconnaître qu’on avait retrouvé le cimetière de Calliste. Ce cimetière est le plus vaste de tous, celui qui avait poussé dans tous les sens le plus de ramifications hardies, celui qui contenait le plus de tombeaux illustres. Dans une inscription qu’on lit encore sur la muraille, un pieux visiteur, ému du spectacle qu’il a sous les yeux, l’appelle la Jérusalem des martyrs. Aussi M. de Rossi ne l’embrasse-t-il pas d’un seul coup. Il veut en étudier une à une les diverses parties, pour les étudier mieux. Il commence par une des cryptes qui, tout unie qu’elle est au vaste cimetière, formait à elle seule un petit ensemble qui avait son nom et son histoire, la crypte de Lucine.

C’est ici que toutes les idées émises par M. de Rossi dans son introduction, et qui viennent d’être analysées, reçoivent une confirmation manifeste. La crypte de Lucine est évidemment un de ces hypogées qui remontent aux premiers temps, du christianisme. Elle occupe un espace de cent pieds de long sur cent quatre-vingts de large : c’étaient les limites du champ acheté, par Lucina, et dans lequel elle a fait construire un tombeau pour elle et pour ses frères. Nous reconnaissons l’étendue ordinaire de ces terrains attenans au sépulcre dont la possession a permis aux chrétiens de fouiller le sol sans danger. Sur ce terrain, on retrouve les restes d’un monument antique qui devait avoir grande apparence, à en juger par les fondations, qui ont seules survécu ; c’était sans doute un de ces édifices funèbres, un de ces memoriœ martyrum, qui s’élevaient sur le sol extérieur, au-dessus des tombeaux. Tout nous prouve donc que nous sommes en présence d’une de ces anciennes catacombes, régulières et limitées dans leur étendue, qui ont été le principe des grands cimetières chrétiens. Si nous voulons des preuves plus décisives pour établir avec sûreté l’antiquité de la crypte, l’examen attentif des galeries nous les fournira. Elles forment deux étages ; au fond de l’étage inférieur, dans une sorte d’enfoncement qui a été plus tard orné de peintures byzantines et très visité des pèlerins, M. de Rossi a eu la bonne fortune de découvrir le tombeau, du pape saint Corneille. Ce tombeau lui donnait une date certaine. Saint Corneille a été martyrisé en 252 ; le second étage de la crypte est donc antérieur à cette année. Quant au premier, diverses raisons firent penser tout d’abord à M. de Rossi qu’il avait été construit bien avant l’autre. En parcourant les galeries, il fut très étonné d’y rencontrer réunies presque au même endroit les tombes d’une Annia Faustina, d’une Licinia Faustina, d’une Acilia Vera, d’un Annius Catus. Ces noms appartiennent tous à la famille des Antonins. Faudrait-il supposer que les descendans de Marc-Aurèle ont fini par embrasser une doctrine qu’il avait lui-même mal connue et défavorablement jugée ? Ailleurs M. de Rossi ne fut pas moins surpris de lire sur des pierres brisées les noms les plus illustres de l’aristocratie romaine : il y a là des Æmilius, des Cornélius, et, par un rapprochement assez étrange, des Cæcilius, des Pomponius, des Atticus. Ce sont précisément les trois noms que portait l’ami de Cicéron. Devons-nous croire que ses petits-fils ou ses pareils, s’écartant de la réserve prudente dont il avait fait la règle de sa vie, sont devenus chrétiens ? Tacite, parlant d’une personne de sa famille, Pomponia Græcina, qu’il appelle une noble femme, nous dit que, sous le règne de Claude, « elle fut accusée de s’être livrée à une superstition étrangère. » Cette superstition ne pouvait être que la religion des Juifs ou le christianisme, et j’avoue que quand je vois la tristesse sévère dans laquelle Pomponia passa quarante ans de sa vie (per quadraginta annos non cultu nisi lugubri, non animo nisi mœsto egit), je ne puis m’empêcher de croire qu’elle était chrétienne. Faut-il voir dans ces Pomponius dont on vient de retrouver les tombeaux des gens de sa famille qui se seraient faits chrétiens comme elle ? Les épitaphes sont si brèves qu’elles ne permettent pas de rien affirmer. Heureusement M. de Rossi a fait tout près de là une découverte plus importante pour fixer l’âge de la crypte. Dans l’étage le plus élevé, qui a été creusé le premier, il reste deux chambres à peu près intactes que la dévastation a respectées. Les murs ont encore presque tous leurs revêtemens de stuc ; les peintures qui les couvrent n’ont souffert que des injures du temps, qui est beaucoup moins impitoyable que les hommes. Ces peintures sont très remarquables. Par la grâce des détails et la perfection du dessin, elles rappellent ces arabesques charmantes des thermes de Titus que Raphaël a reproduites dans les stanze du Vatican ; elles doivent être à peu près de la même époque. Le savant M. Welcker, si habile dans la connaissance de l’antiquité figurée, a déclaré qu’on ne pouvait pas les reculer beaucoup plus que la fin du Ier siècle.

Toutes ces remarques faites par M. de Rossi à propos de la crypte de Lucine ont une importance qui ne peut échapper à personne. A vrai dire, son œuvre est à peine commencée : il n’a parlé encore que d’une seule partie de l’un des cimetières de Rome, et il se propose de les étudier tous en détail ; cependant on aperçoit déjà les conclusions auxquelles l’ouvrage entier doit aboutir. Ces conclusions sont nouvelles et imprévues, et, quoiqu’elles ne soient pas encore appuyées de toutes les preuves que M. de Rossi y ajoutera dans la suite, à mesure qu’il complétera son travail, je crois bon de les signaler. Vingt ans de fouilles et d’études dans les catacombes ont modifié pour lui les idées qu’on se fait d’ordinaire sur la propagation du christianisme à Rome. M. de Rossi croit que la religion nouvelle a pénétré plus tôt qu’on ne le pense dans les hautes classes de la société, et que le « grand monde » est venu à elle presque aussi vite que les « pauvres gens. » Ce n’est donc pas, comme on le répète, une doctrine qui pendant longtemps a fait son chemin sans bruit dans les ergastules d’esclaves ou les échoppes d’ouvriers. Elle est entrée dès l’origine dans les palais du Quirinal ou les riches maisons du Forum, elle n’a pas tardé même à s’insinuer jusque sur le Palatin. Pomponia Græcina, si elle était chrétienne, ce qui est probable, devait nécessairement être une des premières conquêtes des apôtres. Domitilla et Flavius Clemens, ces proches parens de Vespasien, par lesquels le christianisme pénétra pour la première fois chez les césars, avaient entendu les successeurs de Pierre et les disciples de Paul. La plupart des grands personnages dont on retrouve les tombeaux dans la crypte de Lucine n’ont pas vécu plus tard que les Antonins[11]. Il y avait donc dans la société chrétienne des premiers temps, à côté des pauvres et des humbles, pour lesquels la nouvelle doctrine devait avoir des attraits merveilleux, des gens riches et nobles. Les esclaves et les maîtres, les cliens et leurs patrons, les plébéiens et les sénateurs s’y sont rencontrés ensemble dès les premiers jours. Si ces grands seigneurs n’ont pas laissé plus de traces dans l’histoire de l’église naissante, c’est que le sentiment de l’égalité fraternelle recommandée par le maître y était resté vivace, c’est qu’elle pratiquait encore à la lettre le beau mot de Lactance : « Il n’y a d’illustres chez nous que ceux qui accomplissent largement les œuvres de miséricorde. » Il n’en est pas moins probable que ces gens riches, que ces personnages importans, dont on parle si peu, ont dû venir souvent au secours de la communauté en péril, l’aider de leur fortune ou de leur crédit, et quand on n’est pas disposé à ne voir qu’une série de miracles dans l’établissement du christianisme, on est en droit de soupçonner que leur argent ou leur influence ne fut pas inutile à ses succès. J’avoue que ce n’est pas l’idée qu’on se fait d’ordinaire des premiers temps de l’église ; on ne se la figure que misérable et proscrite. Le tableau d’une religion qui se propage sans bruit parmi les classes pauvres et déshéritées, qui se plaît à vivre dans les misères, qui grandit par les persécutions, flatte nos imaginations démocratiques, et je connais des gens qui sauront mauvais gré à M. de Rossi de l’introduire si vite dans le palais des grands. Mais l’imagination n’a que faire ici ; le rôle de notre époque est de rompre en toutes choses avec le roman pour revenir à la réalité.

Ce qu’il n’est pas possible de nier, c’est que les opinions qu’on avait sur les catacombes ne soient entièrement changées depuis les travaux de M. de Rossi. On disait, avec Bottari, qu’elles étaient d’anciennes carrières abandonnées, asile des vagabonds, refuge des assassins, où les premiers chrétiens avaient été conduits par des esclaves ; on croyait qu’ils ne s’y étaient cachés que pour y trouver la liberté de prier leur Dieu à leur façon, qu’ils étaient allés chercher jusque dans le sein de la terre le droit de n’imiter personne et de rompre tout à fait avec une société qu’ils avaient en horreur. Il se trouve au contraire que les plus anciens tombeaux chrétiens dont on découvre les restes s’étalaient hardiment sur le sol, ce qui suppose qu’on avait la liberté de les construire, qu’ils sont couverts de peintures remarquables, ce qui indique la fortune de ceux qui les ont fait décorer, qu’ils portent quelquefois des noms illustres, ce qui laisse penser que les premiers fidèles, au lieu d’y être furtivement conduits par des esclaves, y ont été ouvertement et légalement admis par de riches protecteurs qui les avaient fait creuser pour eux et pour leurs frères. Enfin, loin d’attester, comme on le croyait, une antipathie complète, incurable, absolue des chrétiens pour les usages et les rites du paganisme, les catacombes donnent plutôt la preuve qu’au moins pour les choses extérieures ces deux sociétés ennemies avaient entre elles des rapports qui surprennent, qu’elles paraissent par momens essayer de s’accommoder et de vivre ensemble, que le christianisme naissant n’a pas rejeté d’un seul coup et sans choisir toute la civilisation antique, qu’il a voulu profiter de tout ce qui pouvait lui être utile sans trop l’engager et le compromettre, qu’il acceptait sans répugnance une foule d’usages, de symboles, de pratiques, et, ce qui est plus surprenant pour un culte qui sortait à peine du sein de la synagogue, qu’il a fait libéralement appel aux beaux-arts, et qu’il n’a pas redouté de s’en servir pour exprimer ses croyances. Et remarquons bien que l’église n’était pas alors à l’une de ces époques où l’ardeur des premiers jours est éteinte, où l’attiédissement de la foi dispose à des compromis fâcheux. C’était le temps au contraire de la plus vive foi, de la plus pure doctrine. On était presque au lendemain de la mort des apôtres : la tradition vivait dans ceux qui les avaient connus, les fidèles entendaient encore résonner à leur oreille la parole des premiers disciples du maître.

L’église a traversé, à son origine, trois phases distinctes : elle a successivement été juive, grecque et romaine, personne ne le nie. On discute seulement sur la durée de chacune de ces périodes. Il n’est pas probable qu’à Rome la phase juive ait été bien longue. Aucun monument, aucun souvenir ne nous fait remonter jusqu’à elle ; nous savons seulement que les Juifs de Rome étaient tout imprégnés de l’esprit hellénique : ils ne se servaient plus de leur langue sacrée, si bien que sur toutes les tombes juives qu’on a découvertes jusqu’ici dans la campagne romaine on n’a retrouvé encore qu’un seul mot d’hébreu. De juif qu’il était, le christianisme est donc devenu grec sans peine. La période grecque a duré chez lui plus longtemps ; le grec était encore la langue officielle de l’église au commencement du IIIe siècle, et c’est en cette langue que sont écrites les épitaphes des papes jusqu’à saint Corneille. Ainsi le christianisme s’est communiqué d’abord des Juifs aux Grecs, on n’en peut pas douter ; mais les Romains y sont venus de bonne heure, les riches et les grands seigneurs aussi bien que les esclaves et les pauvres : c’est ce que veut établir M, de Rossi, et les conséquences de son opinion sont faciles à déduire. En embrassant le christianisme, les Romains apportaient naturellement avec eux les qualités ordinaires de leur race, l’amour de l’ordre et de la régularité, la haine des discussions stériles, le goût des choses positives et pratiques substitué aux théories aventureuses. A peine introduits dans la foi nouvelle, ils ont dû avoir l’idée de discipliner les croyances, d’établir une autorité, d’imposer la soumission, de régler la hiérarchie, de fonder enfui le gouvernement des âmes sur les mêmes bases que celui des corps. Selon M. de Rossi, ces choses sont plus anciennes qu’on ne le croyait ; si l’on adopte ses opinions, il faut bien se résigner à réduire de plus en plus la durée de ce christianisme primitif et modèle, époque de liberté absolue dans la conduite et d’entière indépendance dans la doctrine, que l’on s’est plu si souvent à imaginer quand l’autorité ecclésiastique semblait trop lourde.

Attendons, pour nous décider, la fin de l’ouvrage de M. de Rossi, et souhaitons qu’il ne nous la fasse pas longtemps attendre. Il n’y a pas, dans ce temps-ci, de plus graves questions que celles dont il s’occupe ; tout le monde doit le remercier de consacrer sa vie à les résoudre, doit lui savoir gré surtout de les discuter scientifiquement, avec l’énergie d’une conscience convaincue, mais sans ce renfort d’insultes et d’outrages qui semble aujourd’hui l’accompagnement ordinaire de ces sortes de controverses. A quelque opinion religieuse qu’on appartienne, il faut donc faire des vœux pour que son grand ouvrage s’achève ; il faut tendre fraternellement la main à l’auteur, comme il le demande à la fin de son introduction ; il faut se joindre à lui, lorsqu’avec une émotion qu’il communique à ses lecteurs, il prie celui qui donne la vie et la santé « de lui permettre de conduire à son terme le pénible labeur de la Rome souterraine, et de le rendre fécond en fruits de paix et de vérité. »


GASTON BOISSIER.

  1. C’est pour me conformer à l’usage que je donne à tous ces monumens le nom de catacombes. En réalité, ce nom, dont l’origine est discutée, ne s’applique qu’à celles de Saint-Sébastien. Les documens anciens les appellent toutes cryptes ou cimetières.
  2. Voyez sur les travaux épigraphiques de M. de Rossi la Revue du 1er mai 1864.
  3. Ces conclusions ne sont pas nouvelles pour les lecteurs de la Revue. Un des esprits les plus curieux et les plus éveillés de notre temps, que les années laissent toujours jeune, et qui, au lieu de se contenter de relire, comme tant d’autres, conserve le goût le plus vif pour les choses nouvelles, et se charge volontiers de nous les faire connaître, M. de Rémusat, a déjà rendu compte dans ce recueil des découvertes de M. de Rossi (voyez la Revue du 15 juin 1863). Je n’ai garde d’essayer de refaire ce qui a été une fois bien fait. Aussi serai-je court sur les points que M. de Rémusat a traités. J’insisterai au contraire sur ceux qu’il a volontairement laissés dans l’ombre.
  4. M. de Rossi fait voir que plus d’une fois les galeries chrétiennes se sont brusquement détournées pour ne pas toucher à quelque hypogée d’un autre culte.
  5. Ces niches creusées dans le mur s’appellent loculi. Les arceaux cintrés qui les surmontent ont reçu le nom d’arcosolia. Ces arceaux ne se retrouvent, pas sur toutes les tombes, mais seulement sur celles des personnages les plus importans. On trouvera de plus amples détails sur ces mots dans le Dictionnaire des Antiquités chrétiennes de l’abbé Martigny. Je profite de cette occasion pour recommander cet excellent livre, indispensable à tous ceux qui veulent étudier les principes de l’archéologie chrétienne, utile aux gens du monde pour l’intelligence de bien des mots qu’on lit et qu’on répète sans les comprendre qu’à moitié. Ils sauront beaucoup de gré, quand ils s’en serviront, à l’homme modeste et distingué qui a su réunir tant de connaissances solides sous une forme agréable et commode.
  6. M. de Rossi a rendu compte de ces fouilles dans le Bulletin d’Archéologie chrétienne du mois de mai et de juin.
  7. Voyez son savant mémoire intitulé De collegiis et sodaliciis Romanorum. Il serait bien à souhaiter que la question fût examinée plus en détail, et qu’on eût enfin, avec l’aide des lois et des inscriptions, une histoire complète du droit d’association à Rome. Ce travail jetterait beaucoup de lumières sur les origines du christianisme.
  8. Les détails qui suivent sont tirés d’un mémoire très intéressant de M. Heuzen sur un columbarium découvert récemment à Rome. Voyez les Annales de l’inst. de corresp. arch. de Rome, 1856, p. 8.
  9. Tout le monde sait que l’image de la croix apparaît rarement dans les catacombes. C’est beaucoup plus tard qu’elle devint le signe distinctif du christianisme.
  10. Il ne faut pas oublier non plus les inscriptions que le pape Damase avait fait graver auprès des tombeaux des plus illustres martyrs, n’avait réparé les catacombes au IVe siècle, composé des vers en l’honneur des saints qui y sont enterrés, et imaginé, pour écrire ces vers, des lettres d’une forme particulière qu’un calligraphe habile de ce temps avait inventées. La présence des lettres damasiennes dans une crypte prouve qu’elle a contenu le corps de quelque personnage important.
  11. On a trouvé dans la crypte de Lucine une pierre qui contient les noms d’un certain Iallius Bassus et de tous les siens. M. de Rossi avait pensé qu’il s’agissait d’une famille importante de Rome. Une découverte récente a prouvé qu’il ne se trompait pas. Dans une des dernières séances de l’Académie des Inscriptions (18 août 1865), M. Léon Renier a rendu compte d’une inscription de Troësmis qui prouve que ce Iallius Bassus était en 161, la première année du règne de Marc-Aurèle, gouverneur de la Mœsio inférieure.