Les Caisses d’épargne en France et en Angleterre depuis la guerre

Les caisses d’épargne en France et en Angleterre
A. de Malarce


LES CAISSES D'EPARGNE
EN FRANCE ET EN ANGLETERRE

Quelques mois avant la guerre, il était déjà question d’introduire dans la loi organique de nos caisses d’épargne quelques modifications et certains perfectionnemens pour développer les services de cette précieuse institution et lui donner un organisme plus puissant, plus conforme aux excellentes caisses d’épargne anglaises. Pendant la guerre et la Commune, nos caisses d’épargne ont subi l’épreuve la plus grave qu’elles aient connue depuis leur fondation en 1818. Cette épreuve a donné lieu à des mesures accidentelles, qui se sont trouvées salutaires, et que l’on pourrait établir avec avantage dans le fonctionnement ordinaire de l’institution. Enfin un mouvement se produit à cette heure en Angleterre pour développer mieux encore les post-office savings-banks par des moyens nouveaux que l’expérience a indiqués, et qu’il nous conviendrait d’imiter aujourd’hui plus que jamais, car ces longs mois de faible production sous l’invasion étrangère et la guerre civile, ces deux années de disette, et les exportations ; d’argent pour les dépenses de guerre et pour les milliards de notre rançon, ont affaibli le capital général de la France. Par le chômage surtout, le stock des 720 millions d’épargnes populaires que comptaient nos caisses d’épargne au commencement de 1870 est réduit à 526 millions. Pour Paris, sur les 54 millions que nos ouvriers possédaient à la caisse d’épargne avant la crise, 18 millions ont été consommés pendant ce long chômage malgré les soldes de la garde nationale données aux hommes, aux femmes et aux enfans. Il importe donc de favoriser aujourd’hui de tous nos efforts la reconstitution de l’épargne, — et quel meilleur moyen pour cela que de faciliter l’action des caisses d’épargne, si utile pour la formation du capital national, en même temps si bonne pour les mœurs !

Un franc déposé chaque semaine à une caisse d’épargne se trouve à la fin de la trente-deuxième année produire une somme d’environ 3,000 francs. Ainsi un ouvrier qui à vingt ans aurait pris la résolution d’économiser chaque semaine sur sa paie et d’ajouter à son livret une pièce de 1 fr. se serait créé pour lui-même un capital de 3,000 fr. qu’il pourrait toucher à l’âge de cinquante-trois ans. Ce n’est pas tout : en maintenant sa résolution d’économiser 1 franc par semaine, cet homme s’est sauvé de bien des tentations de dépenses futiles ou malsaines. C’est pourquoi les Anglais ont deux fois raison d’appeler les caisses d’épargne savings-banks, banques de salut. Aussi les hommes d’état anglais, qui sont en même temps et les plus habiles financiers du monde et les plus sages meneurs de peuples, s’appliquent-ils à multiplier dans toutes les parties de la société britannique les caisses d’épargne comme les meilleurs instrumens de l’ordre, comme les auxiliaires les plus actifs de la prévoyance, qu’ils considèrent comme la première vertu de la civilisation.

Ces savings-banks ont un rôle et une action bien plus considérables que nos caisses d’épargne : l’ensemble de leurs dépôts, atteint aujourd’hui 1 milliard 400 millions de francs, alors que nos caisses d’épargne en 1870 n’avaient pas dépassé 720 millions. Les ouvriers anglais, au point de vue de l’économie, valent-ils donc mieux que les ouvriers français ? On peut dire d’abord qu’ils sont mieux servis par une organisation plus large et plus complète de leurs caisses d’épargne. Hâtons-nous de faire observer que la différence des stocks des caisses d’épargne d’Angleterre et de France ne tient que fort peu à la différence des lois politiques des deux pays. Sans doute l’ouvrier anglais ne peut guère placer ses économies en biens-fonds, tandis que nos paysans, et même certains ouvriers de nos villes, ainsi surtout les Limousins, les Auvergnats, les Savoisiens, ont le droit de satisfaire, et ils le font parfois jusqu’à l’excès, leur passion de la terre ; mais les Anglais ont pour leurs placemens de capital et même de petite épargne deux institutions puissantes que nous n’avons encore imitées en France que très faiblement : les friendly societies et les assurances humaines, les assurances humaines surtout, qui chez nos voisins sont entrées dans les mœurs de toutes les classes de la société, à ce point qu’un voyageur humoriste définissait le peuple anglais, — un peuple qui s’assure. Le capital énorme centralisé par ces deux institutions et utilisé dans le vaste commerce britannique équivaut bien pour les ouvriers anglais au capital que nos paysans placent en fonds de terre.

Les savings-banks n’ont jamais fait que progresser depuis l’origine de l’institution. En France, les caisses d’épargne ont éprouvé en 1848, par suite d’une mesure malheureuse du gouvernement, une liquidation à peu près complète : elles ont donc recommencé comme à nouveau à partir de cette époque, et il est même étonnant qu’ensuite les épargnes ouvrières accumulées en quelques années aient atteint si rapidement le chiffre de 720 millions. Ce chiffre est d’autant plus remarquable que depuis 1848, depuis la déplorable liquidation des caisses d’épargne, disons le mot, depuis la banqueroute de 1848, plusieurs de nos hommes politiques se sont montrés inquiets de la responsabilité du trésor au sujet des dépôts, que l’état centralise et fait valoir, et qu’il s’engage à rembourser à vue. De là des restrictions systématiques dans la loi des caisses d’épargne qui ont réduit l’action bienfaisante de l’institution en France.

N’y aurait-il pas moyen de sauvegarder la responsabilité de l’état, pour le mettre à même de rendre aujourd’hui les facilités anciennes offertes aux déposans, les facilités que la loi anglaise procure de plus en plus par ses perfectionnemens successifs aux ouvriers économes de l’Angleterre ? Telle est la question que nous avons été amené à étudier. Nous avons formulé ainsi, pour modifier et améliorer la loi organique des caisses d’épargne, un projet de dispositions additionnelles ou correctives qui a été bien accueilli parmi les hommes les plus anciennement dévoués à cette institution et les plus autorisés en matière d’économie financière, et cette réforme pourrait bien être portée prochainement à l’examen de l’assemblée nationale, si les questions politiques laissent le temps de penser un peu aux affaires.

Interrogeons l’expérience des Anglais, qui dans les caisses d’épargne ont été nos devanciers et peuvent encore nous servir de guides, sous la réserve de la différence des mœurs des deux nations. Avant 1861, toutes les caisses d’épargne anglaises étaient des établissemens privés : sauf quelques formalités faciles, la première association venue pouvait ouvrir une caisse de dépôts pour les épargnes du peuple. Cette excessive liberté amena des abus, et de tels abus que le parlement crut devoir ordonner une enquête. L’enquête parlementaire, publiée en un énorme volume de plus de mille pages, révéla une foule de faits regrettables, qui nous rappellent les scandales de certains établissemens financiers français fondés, il y a quelques années, pour mettre en œuvre aussi les épargnes du peuple, et la crise plus récente de quelques banques de dépôts dans les mois de juillet et août 1870. Le rapporteur de l’enquête anglaise conclut à la nécessité d’aviser par une réforme, et recommande de combattre les excès de la liberté par la centralisation.

Quand on étudie les lois faites en Angleterre et en France depuis une trentaine d’années, on est frappé d’une double tendance : en Angleterre, le parlement veut centraliser, corriger les excès de la diversion des forces économiques par la centralisation ; en France, nos hommes d’état au contraire cherchent à corriger les excès de la centralisation par une plus grande latitude accordée aux autorités locales et aux associations libres, Ainsi les deux nations, rectifiant leur marche, tendent à se rapprocher dans une voie moyenne, qui sera peut-être un jour leur voie commune, la bonne voie des grands peuples civilisés. Seulement, dans cette transformation, l’Angleterre et la France n’opèrent pas avec la même sagesse. En France, nous faisons trop souvent table rase : nous arrachons volontiers les arbres jusqu’aux racines pour en planter ensuite d’autres sur ce sol nu ; cette méthode nous vaut toujours une transition très pénible et qui détermine un déplorable bouleversement de nos mœurs, tout en nous exposant aux hasards du succès ou de l’insuccès de la chose nouvelle. En Angleterre, on fait plus sagement : on conserve les vieux troncs, on se contente de greffer quelques rameaux pour les rajeunir, et c’est ainsi que des racines primitives, qui plongent dans le tréfonds du sol national, on fait monter la sève dans des rameaux vaillans de la plus jeune vigueur.

Ce fut de cette manière que procéda le parlement en 1861 pour les savings-banks. Il respecta les caisses d’épargne privées ; mais à côté de ces établissemens il fonda une caisse d’épargne modèle, une caisse d’épargne officielle, dont l’administration fut confiée au directeur-général des postes, et le service aux agens des postes. On nomma ce service public post-office savings-banks. Qu’est-il arrivé depuis onze ans, depuis la création de la caisse d’épargne postale ? Dans les villes et les bourgs où les ouvriers ne trouvèrent pas à leur portée des caisses d’épargne privées, ils ont été provoqués à l’épargne par les facilités que leur offraient les bureaux de poste. Dans les localités où les caisses d’épargne privées n’inspiraient pas une grande confiance, les post-office savings-banks les ont remplacées. Ainsi, depuis 1861, 155 caisses privées ont cessé leurs opérations et transféré leurs fonds, 47 millions de francs, à la caisse postale. Enfin partout ailleurs, dans toute l’étendue du royaume, les bonnes caisses d’épargne privées ont rivalisé avec la caisse postale pour mériter la confiance, et cette émulation a profité à la moralité publique non moins qu’à la vertu d’économie des classes ouvrières. En définitive, de 1861 à 1870, pour les caisses privées, il en a été fermé 155, il en a été créé 13 ; il en reste 496, comptant 949 millions de francs de dépôts et 1,384,756 déposans. De 1861 à 1870, les caisses postales ont ouvert 4,047 bureaux, comptant en 1870 377,747,500 francs de dépôts et 1,183,153 déposans : l’ensemble des dépôts s’est considérablement accru ; il était de 1 milliard 31 millions de francs en 1860, il dépasse aujourd’hui, en 1872,1 milliard 400 millions, dont près de 1 milliard pour les caisses d’épargne privées et plus de 400 millions pour la caisse postale.

Le progrès appelle le progrès, et voici qu’un membre de la Society of arts, de cette académie pratique des sciences morales et économiques de la Grande-Bretagne, qui depuis plus d’un siècle est en Angleterre le foyer d’élaboration de la plupart des lois, des réformes et des progrès, une sorte de chambre d’initiative du parlement anglais, voici que M. George Bartley vient d’adresser, au nom de la Society of arts, au postmaster general du royaume-uni un projet pouvant servir de base à un nouveau bill qui aurait pour but de développer les services de la loi organique, des post-office savings-banks. M. Bartley propose d’ouvrir les caisses d’épargne postales le soir, les vendredis et samedis, jours ordinaires de la paie, pour saisir le bon vouloir des ouvriers économes à l’heure même où ils viennent de recevoir leurs salaires, — de faire descendre le minimum des dépôts au-dessous de 1 shilling (1 fr. 25 cent.), afin de permettre aux caisses postales de rendre les mêmes services que les penny-banks, où l’on reçoit les plus petites sommes, établissemens qui sont comme les radicelles de l’épargne, et qui, fondés il y a quinze ans à Derby, se sont bientôt multipliés dans un grand nombre d’autres localités, — de permettre au déposant de verser plus de 750 francs dans une année, et d’avoir à son livret plus de 3,750 fr., — enfin d’ouvrir des caisses d’épargne postales dans tous les bureaux de poste, même dans les villages, privés jusqu’ici de ce service. Ainsi en Angleterre l’opinion des hommes d’état les plus compétens est favorable à l’extension des dépôts par des facilités plus grandes données aux déposans, et cela en face d’un stock qui sera bientôt de 1 milliard 1/2, qui est aujourd’hui de plus de 400 millions pour la caisse postale, et qui pour cette seule caisse postale s’accroît chaque année de 40 à 50 millions de francs.

En France, nos caisses d’épargne, constituées par des sociétés privées ou par des communes, sont des établissemens d’utilité publique, soumis à une législation spéciale de faveur, mais autonomes, c’est-à-dire ayant leur existence propre. Elles s’administrent elles-mêmes : cependant l’état les surveille par ses inspecteurs des finances, et il centralise en compte-courant leurs fonds, qu’il bonifie d’un intérêt de 4 pour 100. En réalité, les administrations des caisses d’épargne françaises ne sont que des agences administratives, intermédiaires entre les déposans, qui leur versent ou leur retirent leurs épargnes, et l’état, qui encaisse et fait valoir les fonds déposés. On le voit, le dépositaire réel est ici l’état. Pourquoi donc alors un intermédiaire spécial entre l’ouvrier déposant et l’état dépositaire ? Ne vaudrait-il pas mieux avoir une caisse d’épargne absolument officielle, servie par les seuls agens du trésor ? En définitive, si nous mettons à part dans cette question la Banque de France, qui reste et doit demeurer dans son rôle spécial, il n’y a pas en France un établissement, autre que l’état, qui puisse inspirer et qui inspire au peuple une confiance suffisante. Si l’état est en France le dépositaire naturel et seul possible des épargnes du peuple, pourquoi ne serait-il pas le directeur-général de tous les bureaux d’épargne de France ?

Cette question a été posée et sérieusement examinée en 1869 par une commission officielle ayant pour président M. de Parieu et pour rapporteur M. le comte Ch. de Germiny, ancien gouverneur de la Banque de France, et on a été d’avis qu’il est prudent à l’état et profitable au crédit populaire des caisses d’épargne d’associer à la responsabilité de l’état les hommes honorables qui administrent gratuitement chaque caisse d’épargne. Ce sont des notables de la localité, connus et estimés des déposans ; leur concours désintéressé a le caractère d’un généreux patronage, et fortifie la confiance nécessaire à cette délicate institution, car il place entre l’état et les déposans un curateur qui a pu quelquefois protéger l’intérêt général des déposans en face de certains ministres mal conseillés ou mal inspirés. Puis on a considéré ceci : les caisses d’épargne, importées en France en 1818, se sont fondées par la libre initiative des simples particuliers, et cette libre initiative dans les œuvres d’intérêt public doit être encouragée en France plutôt que combattue.

L’état a donc sagement refusé d’absorber les caisses d’épargne privées, et même de leur créer une concurrence par une caisse officielle, qui aurait bientôt fini par engloutir toutes les autres suivant nos mœurs populaires, si faciles à la centralisation ; mais ce que peut bien faire l’état, ce que voulait un projet de loi préparé par la commission de 1869, c’est de faciliter les opérations des caisses d’épargne en mettant à leur service, pour la réception et le remboursement des dépôts, les perceptions des finances et les recettes des postes. Ainsi les caisses d’épargne auraient dans tous les cantons au moins de la France des succursales. Ce développement de l’institution amènerait un accroissement considérable du stock de dépôts confié à l’état. Ce stock, qui s’est élevé jusqu’à 720 millions, chiffre bien inférieur sans doute aux 1,400 millions des caisses d’épargne anglaises, mais considérable eu égard à la responsabilité du trésor dans un pays agité comme la France, ce stock depuis trente ans a inquiété plus d’un financier d’état. De là des mesures qui visaient à restreindre plutôt qu’à développer les services, pourtant bien utiles, des caisses d’épargne françaises. — Voyons, sur ce point, ce que peut nous enseigner l’histoire de nos caisses d’épargne pendant les deux dernières crises politiques, en 1848 et en 1870. Expérience vaut science, et rien ne guide et n’affermit le législateur comme l’étude des faits.

Dès que la révolution de février eut éclaté, les déposans aux caisses d’épargne affluèrent pour retirer leurs fonds. Le gouvernement provisoire pensa qu’il suffisait, pour modérer le mouvement de ces créanciers de l’état, d’élever de 1 pour 100 le taux de l’intérêt des dépôts : un décret du 7 mars 1848 fixa ce taux à 5 au lieu de 4 pour 100. On s’aperçut bientôt que le palliatif était sans effet ; la foule des réclamans grossissait chaque jour plus tumultueuse aux abords des caisses d’épargne, surtout à Paris. Le ministre des finances, désorienté (il faut le dire, c’était un parfait honnête homme, mais qui manqua de sang-froid), le ministre des finances imagina, le 9 mars 1848, un nouveau décret qui suspendait les remboursemens en espèces, ou du moins les limitait à 100 francs par chaque livret, et offrait le paiement du surplus moitié en boas du trésor à quatre et six mois, moitié en rentes 5 pour 100 au pair de 100 francs. Or les bons du trésor s’escomptaient à ce moment en perte de 30 à 40 pour 100, et les rentes 5 pour 100 valaient au plus 75 francs. Ainsi l’état se libérait de ses dépôts en livrant des valeurs dépréciées ; c’était réellement une banqueroute partielle. La moitié environ des déposans subirent ce concordat forcé. Quatre mois après, l’assemblée essaya de tirer les caisses d’épargne de cette fausse situation ; l’état n’ayant pas encore assez d’argent pour s’acquitter envers les déposans, on proposa de leur offrir la meilleure valeur dont le trésor pouvait disposer, des rentes, mais cette fois des rentes au cours. Le cours de la rente se trouvait bien au-dessous du pair, et c’eût été pour l’état un sacrifice ; par cela même c’eût été aussi un grand acte de loyauté qui devait profiter au crédit des caisses d’épargne et au crédit général de l’état. Malheureusement dans cette affaire il semblait écrit que tout irait gauchement. Un décret du 7 juillet 1848 régla sur le cours de 80 francs la rente à délivrer aux déposans. Or ce cours, tout à fait accidentel à ce moment, était trop élevé comme base d’une opération étendue ; le cours réel de la rente ne fit que décroître en effet jusqu’au mois de novembre, où il tombait à 64 fr. De plus, et pour achever la maladresse, on rendit générale et obligatoire pour tous les déposans cette conversion en rentes, si préjudiciable, ce qui amena la liquidation à peu près complète, et à perte, de nos caisses d’épargne, c’est-à-dire l’anéantissement en France de cette grande institution populaire, qui est devenue l’un des organes essentiels de toute nation civilisée.

L’assemblée nationale s’empressa de réparer autant que possible l’injustice et le malheur de ces mesures ; une loi du 21 novembre 1848, appuyée par M. Berryer, accordait à chaque déposant dont le compte avait été converti en rentes au cours de 80 fr. un livret spécial, dit de compensation, portant une somme de 8 fr. 40, égale à la différence entre le cours de 80 fr. et celui de 71 fr. 60, cours moyen des trois mois qui avaient précédé le malencontreux décret du 7 juillet. Cette loi faisait revivre l’institution des caisses d’épargne en rétablissant les livrets liquidés ; mais l’institution a gardé longtemps la blessure des décrets de 1848, dont nous pouvons mesurer par quelques chiffres les déplorables effets.

Le stock des caisses d’épargne de France, qui, depuis la fondation en 1818 et surtout depuis la loi organique de 1835, s’était rapidement élevé jusqu’à 455 millions de francs en 1845, se trouvait un peu réduit en 1848 par l’effet de la loi restrictive de 1845 et par suite de deux années de disette ; il était pourtant au chiffre considérable de 355 millions de francs au moment de la révolution de février. Par les décrets de 1848, il se trouva presque réduit à rien, et tout ce que put faire la loi réparatrice du 21 novembre, ce fut de reconstituer un solde de 74 millions. Pour la caisse d’épargne de Paris, considérée à part dans ce total, le solde dû aux déposans le 31 décembre 1847 était de 80 millions ; il se réduisit par la liquidation à perte à 2,649,741 fr., et ne se releva par les livrets de compensation qu’à 10,155,440 fr. Cependant la confiance populaire, ranimée par l’acte loyal de l’assemblée nationale, rétablit peu à peu le mouvement progressif des dépôts, et malgré la loi de 1851, qui abaissa jusqu’à 1,000 fr. le maximum des livrets, l’épargne de nouveau afflua aux caisses jusqu’à dépasser en 1854 le stock de 1845, jusqu’à atteindre en juin 1870 le chiffre de 720 millions, dont 54 pour la caisse d’épargne de Paris.

En juillet 1870, aussitôt après la déclaration de guerre, la caisse d’épargne de Paris, où le contre-coup des événemens politiques se fait toujours le plus sentir, vit les demandes de remboursement en espèces et d’achats de rente grossir du simple au double et au triple. La baisse des fonds publics engageait beaucoup de déposans à profiter de la loi de 1845, qui leur permet de se faire acheter sans frais des rentes avec leurs dépôts, placement qui leur était alors en effet très avantageux. Dans les cinq semaines du mois de juillet, les achats de rentes pour compte et sur demande des déposans sont de 45,816 fr., 44,334 fr., 68,255 fr., 114,022 fr. et 145,848 fr., les remboursemens en espèces de 316,576 fr., 368,669 fr., 439,753 fr., 805,483 fr. et 1,018,981 fr. Dans ce mois, les versemens hebdomadaires diminuent beaucoup : de 334,506 fr. Ils descendent à 224,238 fr. Dans le mois d’août, les achats de rentes sont moins demandés ; ils ne sont plus par semaine que de 102,431 fr., 56,302 fr., 33,676 fr., 28,944 francs ; mais les remboursemens en espèces grossissent jusqu’à s’élever dans la semaine du 20 août à près de 2,300,000 francs. Chacun se munissait d’argent par précaution ; c’était d’ailleurs le moment de l’emprunt d’état de 800 millions, et l’on sait que les déposans prennent volontiers leur bonne part aux emprunts de l’état, que leur concours, souvent considérable, aide beaucoup au classement rapide des titres dans les souscriptions nationales ; les retraits ne sont alors pour le trésor qu’un changement de main. Pendant ce mois d’août, par le fait de l’emprunt, et bientôt après par la nouvelle de nos premiers désastres militaires, les versemens diminuent rapidement, de 238,854 fr. à 63,084 fr.

Survient la révolution du 4 septembre : les remboursemens, qui étaient de 1,186,031 fr. dans la semaine précédente, s’élèvent à 1,413,751 fr., et les versemens diminuent toujours. Les déposans affluent aux guichets du remboursement ; au souvenir de la panique de 1848, on craint de revoir aux abords de la caisse d’épargne ces foules inquiètes, ces queues de réclamans, qui avaient alors si péniblement frappé les hommes d’ordre et de sage progrès. Le gouvernement de la défense nationale eut l’idée malheureuse de rééditer le décret du 9 mars 1848, et de le faire pire encore : il limita le remboursement en espèces, non plus même à 100 fr., mais à 50 fr. seulement, offrant d’ailleurs, comme en 1848, le reste en bons du trésor. Ce décret, renouvelé des gouvernans provisoires de 1848, porte la date du 17 septembre, avant-veille de l’investissement de Paris.

À ce moment, je revenais d’Angleterre, où pendant une mission relative à des questions d’économie industrielle et financière j’avais eu lieu de m’entretenir au sujet des caisses d’épargne avec quelques-uns des hommes d’état anglais qui ont le plus d’expérience et d’autorité dans les institutions de prévoyance. La question du remboursement des dépôts en temps de crise politique avait été agitée dans ces entretiens, — « question qui n’a pas grand intérêt en Angleterre, me disait-on avec un certain sentiment d’amour-propre national, car nous vivons dans un état régulier et stable ; mais dans votre France volcanique, où tous les quinze ou vingt ans vous avez votre tremblement de terre périodique, il y a des précautions à prendre, des mesures à combiner d’avance et de sang-froid, des dispositions légales à établir dans votre loi organique des caisses d’épargne, dans le contrat entre l’état et les déposans, en vue de toute éventualité. Ces précautions sont d’autant plus utiles à inscrire formellement dans vos lois, que vos révolutions élèvent souvent au pouvoir des ministres peu préparés aux affaires, faciles à toutes les violences par raison de salut public. Faites donc qu’ils trouvent dans vos lois et un lien qui les retienne et un moyen de salut qui leur ôte l’occasion ou le prétexte de mesures illégales. » Ces paroles m’étaient dites à Londres au mois de mai 1870.

Lorsqu’en septembre 1870 le trésor français se trouva, sans préparation, en face des demandes des déposans des caisses d’épargne, je soumis à quelques membres du gouvernement de la défense nationale la solution que voici. En temps de crise politique, deux motifs poussent les déposans à redemander leurs fonds aux caisses d’épargne : la peur et le besoin. Pour calmer la panique, l’état doit d’abord déclarer que le seul sacrifice qu’il demande à ses déposans ne sera qu’un délai un peu plus étendu pour le remboursement des dépôts, et, à l’appui de cette déclaration, il doit en même temps publier des résolutions dominées par ce principe, qu’en aucun cas l’état ne cherchera à se libérer en offrant des titres fiduciaires dont la réalisation immédiate causerait aux preneurs une perte. L’état fera connaître alors ses résolutions, inspirées par sa sollicitude pour les déposans qui viennent réclamer leurs fonds uniquement pour subvenir aux besoins courans de la famille. L’état ne saurait donc offrir à ses déposans ni bons du trésor, bientôt peut-être dépréciés, ni rentes au pair sur un cours amoindri ; il ne doit même livrer des rentes au cours que comme accessoire et avec prudence, car ces rentes, aussitôt vendues en masse par les déposans besoigneux, détermineraient un avilissement du crédit de l’état, très dangereux dans les crises politiques. Il faudrait formuler ainsi le décret exigé par la situation : pendant la durée de la guerre et les trois mois qui suivront la conclusion de la paix, les fonds qui seront redemandés aux caisses d’épargne seront remboursés par à-comptes, par quinzaine, et d’après les règles suivantes. Sur chaque livret réclamant, portant plus de 50 fr., il sera remboursé 50 francs (en espèces ou valeurs ayant cours légal) par quinzaine. Les déposans qui demanderaient le remboursement d’un livret portant moins de 50 fr. seront remboursés intégralement. Outre ce remboursement en espèces de 50 francs par quinzaine, le déposant réclamant pourra se faire délivrer sans frais par l’état quatre unités de rente 3 pour 100 au cours de la veille : l’état ne sera libéré que de la somme égale à la valeur ainsi calculée de ce titre. Ces quatre unités de rente 3 pour 100 au cours des temps critiques équivaudraient à la moyenne du montant des livrets de Paris. Par cette mesure, l’état substitue au remboursement intégral immédiat un règlement par à-comptes, et il dissipe la panique par ces tempéramens aménagés suivant ses possibilités de trésorerie et suivant aussi les besoins réels des réclamans.

Par bonheur, le ministre des finances était alors un homme d’esprit et de bon sens, qui n’avait qu’un tort, celui d’être trop peu initié aux précédens des questions financières : il se montra aussi disposé à réparer son erreur qu’il avait été facile à se la laisser dicter, et apprécia ces observations, appuyées d’ailleurs par les hommes considérables qui patronnent ou gèrent la caisse d’épargne de Paris, et maintiennent si bien les traditions d’honneur et de dévoûment des fondateurs de l’institution. Un décret du 17 octobre 1870 accorda aux déposans un second à-compte de 50 francs : ces à-comptes mensuels furent continués par des décrets promulgués chaque mois. Les déposans avaient d’ailleurs la faculté de se payer pour le surplus en bons du trésor à trois mois et à 5 pour 100, ou de demander, au titre de la loi de 1845, que le trésor leur achetât des rentes sans frais jusqu’à concurrence de leur solde entier. Par ce dernier moyen, ils auraient pu éluder les restrictions des décrets d’exception, et recouvrer tout leur avoir : il leur eût suffi de vendre à la Bourse les rentes qu’ils auraient fait acheter pour leur compte par le trésor. Le ministre des finances était averti sur ce point, et, s’il s’était aperçu qu’on usât trop de la faculté octroyée par la loi de 1845, il aurait immédiatement limité, à cet égard aussi, le droit des déposans ; mais les déposans ignorèrent peut-être ce détour, qu’on eut soin de ne pas trop leur signaler dans l’intérêt de la chose publique, et pendant toute la durée du siège les achats de rente demandés par les déposans restèrent à des chiffres assez faibles[1].

Le décret restrictif du 17 septembre n’eut guère son effet qu’à partir du 1er octobre, les caisses d’épargne ayant déjà été invitées, par une circulaire ministérielle du 19 août 1870 à employer dans toute la latitude le délai de quinze jours réservé par les statuts et les règlemens du 4 juin 1857.

Les remboursemens, qui s’élevaient à 888,000 fr. le 17 septembre et à 974,000 fr. le 24 septembre, ne sont plus que de 448,000 fr. le 1er octobre, de 96,000 fr. le 8 octobre, et le 15 octobre de 60,000 fr. ; cette dernière somme devient comme une moyenne pour les autres semaines du siège. La panique a disparu ; on ne réclame ses fonds que pour ses besoins, et cela est si vrai que chaque décret rendu est immédiatement suivi d’un accroissement momentané de demandes ; on voit que beaucoup de déposans attendent le décret mensuel comme une rentrée régulière destinée à subvenir à leurs besoins les plus impérieux. Cette confiance dans les à-comptes réguliers en espèces diminue la demande des bons du trésor ; on en prend 69,660 fr. le 8 octobre, ensuite de moins en moins : 67,000 fr., 42,000 fr., 41,000 fr., 22,000 fr., 19,000 francs, 9,000 fr., 5,000 fr., 4,000 fr., 6,000 fr., et en janvier : 6,000 fr., 7,000 fr., 3,000 fr., 5,000 fr. Il est à noter que, pendant les jours les plus difficiles du siège de Paris, les versemens n’ont pas cessé, quoique amoindris : ils ont été en moyenne de 20,000 à 25,000 francs par semaine, et, qui plus est, des livrets ont été ouverts à 413 déposans nouveaux, bien entendu que les sommes versées par les déposans depuis le 17 septembre 1870 étaient intégralement et à vue remboursables en espèces. On a lieu de penser que les versemens provenaient surtout des domestiques, dont les gages étaient toujours payés malgré la difficulté des temps, et des petits commerçans ou industriels occupés de l’alimentation, qui ont gagné beaucoup d’argent pendant ces quatre mois et demi d’investissement absolu.

La confiance existait donc encore, par le seul fait de ces remboursemens partiels ; peut-être eût-elle été plus marquée, si en octobre le ministre des finances eût consacré le système des à-comptes partiels pour toute la durée de la crise, et eût assuré ainsi les déposans des résolutions droites et bienveillantes du gouvernement. Malgré une application morcelée et incertaine, par décrets successifs, la solution proposée réussit. Le succès, il faut le dire, fut bien moins dû à ceux qui par l’étude et la pratique des institutions financières avaient éclairé la question qu’aux déposans eux-mêmes, qui par leur excellente attitude rendirent facile la mesure conseillée. Oui certes, pendant ces longs mois du siège de Paris, nos ouvriers déposans ont été remarquables par leur intelligence de la situation, leur sens calme, leur dévoûment patriotique, et considérez que ce sont généralement des hommes qui, parvenus, à force de Courage laborieux et de sobriété, à se suffire, ont la fierté de vivre sans lien demander à personne, qu’à la dernière extrémité. Là surtout se trouvent, en temps de crise, ceux qu’on nomme les pauvres honteux, parce qu’ils se résignent et souffrent très souvent ignorés.

L’affaire des caisses d’épargne pendant le siège de Paris est une des pages les plus curieuses et les plus édifiantes de l’histoire de notre temps ; c’est grâce aux ouvriers déposans de Paris que l’institution des caisses d’épargne peut se dire désormais en France à toute épreuve, car quelle épreuve peut-on redouter plus violente et de plus longue durée ? En bien ! à la mise à exécution du décret du 17 septembre 1870, la caisse d’épargne de Paris comptait 245,000 déposans : à 50 fr. en espèces par livret, c’était une somme de 10 à 12 millions de francs qui pouvait être réclamée. Or dans le premier mois, en octobre, les paiemens en espèces n’ont été que de 300,000 fr., et malgré les décrets et les décisions ministérielles qui ont continué les à-comptes mensuels de 50 fr. par livret, l’ensemble des paiemens en espèces jusqu’au 31 mars 1871, durant six mois, n’a été que de 1,750,000 francs ; les déboursés du trésor se réduisent même à 1 million, si l’on retranche des 1,750,000 francs remboursés 750,000 francs versés par les déposans dans les mêmes six mois. Quant aux bons du trésor, ils ont été livrés aux déposans réclamans pour 447,060 fr. C’est donc au total moins de 1 million 1/2 de francs que le trésor a déboursé d’octobre à mars pour répondre aux demandes sur un solde de 44 millions de francs. Il faut reconnaître que le trésor s’est tiré de la situation sans grands frais ni grand’peine, et à la satisfaction des intéressés. Quelle différence entre ces résultats et ceux de 1848 !

La commune, c’est-à-dire le second siège de Paris, du 18 mars au 28 mai, ne modifia que peu le mouvement des retraits. Les remboursemens continuèrent sur les bases des décrets mensuels ; ils furent, à partir du 1er avril, de : 41,000 francs, 46,000 fr., 67,000 fr., 39,000 fr., 58,000 fr., 40,000 fr., 36,000 fr. ; le 20 mai, veille de la lutte décisive, 74,000 fr. ; le 27 mai, pendant la lutte, 1,752 fr. seulement ; puis, recrudescence immédiate le 3 juin : 54,000 fr. Par une habile précaution, l’administration de la caisse d’épargne s’était ménagé à son compte-courant à la Banque de France un solde plus fort que d’habitude : elle puisa là pour ses opérations d’espèces ; mais le service des bons du trésor et les achats de rente durent cesser à partir du 2 avril. La caisse d’épargne resta imperturbablement ouverte, et ne cessa pas de recevoir des versemens. Ces versemens diminuèrent, il est vrai, très rapidement : voici les chiffres, en milliers de francs, à partir du 18 mars : 87,000 fr., 35,000 fr., 27,000 fr., 17,000 fr., 5,000 francs, 7,000 fr., 3,000 fr., 4,000 fr., 4,000 fr., 3,000 francs ; 3,461 francs le 27 mai, et 752 fr. le 3 juin ; dès le 10 juin, reprise des versemens pour 18,544 francs.

L’ordre rétabli, le gouvernement et l’assemblée nationale voulurent témoigner de leur estime et de leur bienveillance pour les déposans des caisses d’épargne en leur ménageant une faveur : la loi du 21 juin 1871 les autorisa à demander la conversion de leurs dépôts en titres libérés de rentes 5 pour 100 aux conditions de la souscription de l’emprunt du 23 juin. Quatre jours leur étaient accordés pour manifester leurs intentions. La caisse d’épargne de Paris reçut 4,509 demandes ; le capital converti a été de 2,096,747 fr. 90 cent. Peu de jours après, la loi du 12 juillet 1871 abrogeait toutes les restrictions imposées par suite du décret du 17 septembre 1870, et les caisses d’épargne reprenaient le 17 juillet 1871 leur action statutaire.

En définitive, le stock de la caisse d’épargne de Paris, compté pour 54 millions avant la guerre, est descendu à 44 millions le 17 septembre 1870, à 41 millions en juin 1871, et à 39 millions après l’emploi en rentes autorisé pour l’emprunt du 23 juin 1871 ; il s’est réduit enfin à 37 millions le 31 décembre 1871, par un effet de l’épuisement général des ressources et par la reprise du travail, quand les petits commerçans et industriels ont dû faire face à leurs billets prorogés, à leurs termes de loyers et aux achats de matières premières ou de marchandises. Cet épuisement des dernières épargnes, aggravé par les impôts, s’est continué pendant les premiers mois de l’année courante. Voilà pour Paris. Que s’est-il passé dans le reste de la France ?

En juillet 1870, avant la guerre, le solde de toutes les caisses d’épargne de France, Paris compris, était de 720 millions, représentés par 500 millions placés en rentes et 220 millions en compte courant au trésor. Les caisses d’épargne départementales, moins heureuses que celle de Paris ou moins bien défendues par défaut d’une commission supérieure des caisses d’épargne de France auprès du gouvernement, subirent dans toute sa rigueur le décret du 17 septembre 1870 ; les déposans n’eurent droit qu’à 50 fr. par livret, une fois donnés, et pour le reste à des bons du trésor. Ce régime d’exception se prolongea jusqu’au 17 juillet 1871. Elles n’eurent d’adoucissement que par la loi du 21 juin 1871, qui, pour servir l’emprunt du 23 juin, offrit aux déposans une conversion avantageuse en rentes 5 pour 100 : 6ft millions furent ainsi convertis dans toute la France, Paris compris.

Le stock des caisses d’épargne de France était, en mars 1872, réduit à 526 millions, en diminution de 194 millions sur le stock d’avant la guerre : c’est pour les départemens une réduction de près d’un quart ; la réduction pour Paris est à peine d’un tiers, bien qu’à Paris le trésor ait offert pendant dix mois des à-comptes mensuels de 50 fr., capables d’épuiser presque tous les livrets. Ainsi les déposans de Paris, plus satisfaits des procédés du gouvernement, se sont montrés relativement plus discrets que les déposans des provinces dans leurs demandes de remboursement. Le système des remboursemens fractionnés et périodiques, pratiqué à Paris pendant la crise, a donc été une solution aussi heureuse pour le trésor que pour les déposans, aussi bonne pour le crédit de l’état que pour la popularité des caisses d’épargne. Voilà un précédent qui résout l’une des questions capitales de l’institution des caisses d’épargne : le remboursement en temps de crise. Cependant il faut nous l’avouer, ces mesures imprévues, ces décrets de remboursemens partiels, en droit strict, constituaient une violation du contrat inscrit dans la loi organique des caisses d’épargne à l’égard du déposant.

Il convient donc, pour l’avenir, que la loi organique contienne une clause accessoire portant que, dans les cas de force majeure, constatée par un décret du pouvoir exécutif après avis d’une commission générale des caisses d’épargne de France, l’état aura la faculté de rembourser les réclamans par des sommes partielles de 50 francs en espèces, échelonnées par quinzaine, et de limiter à quatre unités de rente 3 pour 100 le droit des déposans de faire acheter par le trésor, sans frais, des rentes sur leurs fonds de dépôts. Cela posé, l’état n’aura plus tant à s’inquiéter de l’accroissement de l’épargne confiée à ses soins, et il pourra, à l’exemple de l’Angleterre, faciliter par tous les moyens possibles les versemens des ouvriers économes, c’est-à-dire favoriser puissamment en France la reconstitution du capital par l’épargne, et par cette épargne des ouvriers, qui n’enrichit pas seulement la nation, mais qui la moralise. L’état pourra ainsi mettre au service des caisses d’épargne, comme succursales, les perceptions des finances et les recettes des postes, sous des conditions de rémunération à déterminer. Les bureaux des caisses d’épargne, dans les grandes villes et les centres industriels, seront ouverts le samedi soir. La limitation des dépôts à 300 fr. par versement sera élevée à 1,000 fr. La limitation du livret, aujourd’hui fixée à 1,000 fr., sera portée à 2,000 fr., et même à 3,000 avec l’accumulation des intérêts, comme cela était établi par la première loi organique des caisses d’épargne, par la loi du 5 juin 1835. Une commission générale des caisses d’épargne de France, analogue à la commission supérieure des sociétés de secours mutuels, sera instituée auprès du ministère du commerce. Cette commission comprendra 5 députés, dont 3 au moins devront être conseillers-généraux de département hors Paris, 2 régens de la Banque de France, 1 membre de la chambre de commerce et 1 membre du tribunal de commerce de Paris, 1 membres du conseil des prud’hommes de Paris, 2 membres du conseil des directeurs de la caisse d’épargne de Paris, et 2 membres de l’Institut, ces quinze commissaires désignés chaque année par leurs corps respectifs, et quatre autres personnes nommées chaque année, deux par le ministre du commerce et deux par le ministre des finances.

Par ces mesures, prises de l’expérience de l’Angleterre et de notre propre expérience dans la dernière crise, nous obtiendrons que le nombre de nos déposans, 2,130,768 avant la guerre, et que le chiffre des sommes déposées, 720 millions de francs, se retrouvent bientôt, non-seulement pour réparer les pertes de ces deux terribles années, mais pour nous mettre en voie d’élever l’énergie d’épargne des ouvriers français au niveau de la puissance d’épargne des ouvriers économes anglais. Rappelons-nous bien que ces ouvriers économes anglais se comptent aujourd’hui, en 1872, par plus de 2 millions 1/2 de déposans, et qu’ils possèdent dans les savings-banks 56 millions de livres sterling, 1 milliard 400 millions de francs, par cela surtout qu’ils ont au service de leur vertu économique 4,523 bureaux d’épargne, dotés de facultés légales très étendues, tandis que nous ne possédons encore en France que 525 établissemens et 648 succursales, en tout, 1,373 bureaux d’épargne, et avec une loi organique des plus étroites.


A. DE MALARCE


  1. 23,940 fr., 22,638 fr., 6,227 fr., 11,515 fr., 14,397 fr., 12,896 fr., 20,856 fr., 17,804 fr., 17,072 fr., 11,844 fr., 18,190 fr., 16,647 fr., 14,478 fr., 17,827 fr. ; et en janvier 1871 ; 28,270 fr., 7,306 fr., 13,205 fr., 11,841 fr.