Les Beaux-Arts à l'Exposition universelle - les Ecoles étrangères et l'Ecole française contemporaines

LES BEAUX-ARTS
A
L'EXPOSITION UNIVERSELLE

LES ECOLES ETRANGERES ET L'ECOLE FRANCAISE CONTEMPORAINES.

En présence du concours énorme d’étrangers que l’exposition universelle devait amener à Paris, on était fondé à croire que la commission impériale, prenant à cœur les gloires de notre pays, donnerait à l’exhibition des œuvres de l’art français un éclat sérieux, ou tout au moins une apparence convenable. Malheureusement il n’en est rien, et il faut que notre école soit singulièrement plus forte que toutes les autres pour conserver encore sa supériorité dans les déplorables conditions où elle se trouve placée. Pendant que l’Angleterre, tirant un facile parti du local qui lui avait été accordé, créait à peu de frais une sorte de musée, tandis que la Suisse, la Belgique, la Hollande, la Bavière, se faisaient construire des annexes spécialement et intelligemment disposées pour recevoir des tableaux, la France, tenant, sans doute par esprit d’hospitalité, à se diminuer volontairement elle-même, exposait ses toiles et ses statues avec une négligence qui, sans détruire la valeur des œuvres d’art, les amoindrit, et pourrait les faire paraître douteuses à des yeux non exercés. Les vastes galeries qui les contiennent, noyées de lumière, visitées par un incessant courant d’air, ressemblent à des salles de gymnastique. Le temps n’a point manqué cependant, ni l’argent, ni l’espace ; les 458,000 mètres carrés du Champ de Mars pouvaient donner place à de simples hangars en planches, de hauteur moyenne, éclairés par un jour d’atelier, appropriés à la destination spéciale qu’ils devaient recevoir, et bien préférables sous tous les rapports à ces vastes granges où les murailles, couvertes de tableaux, ressemblent à des murs placardés d’affiches. Le sol est un béton que ne garantit nulle natte, qui s’effrite sous les pieds, répand une poussière permanente, et qu’on est obligé d’arroser comme un trottoir. Un calicot blanc et transparent forme plafond et laisse pénétrer un soleil criard qui détruit l’effet des tableaux, leur donne d’insupportables luisans, fait saillir en relief le grain de la toile, peut compromettre la solidité des œuvres exposées. Les tableaux de la Belgique, de la Hollande, de la Bavière, de l’Angleterre, de la Suisse, sont défendus par une légère barrière contre les gestes indiscrets des visiteurs ; chez nous, rien ne protège les toiles contre la maladresse des coups de coude. Quelques-uns de nos tableaux, de ceux que l’an dernier on avait jugés dignes d’être placés sur la cimaise, sont aujourd’hui juchés sous la frise, à une telle élévation qu’ils perdent tout intérêt. L’art français ne manque pas d’importance cependant, et nous aurions dû mettre quelque coquetterie à le montrer dans tout son lustre à nos concurrens et à nos rivaux. Quant au catalogue, je n’en parle pas ; il est plein de telles irrégularités qu’il paraît avoir été fait pour égarer et non pour renseigner le public.

Comment la commission impériale ne s’est-elle pas aperçue qu’il y a une certaine différence entre des œuvres d’art et des machines à vapeur, et que l’emplacement qui convient aux secondes n’est pas fait pour les premières ? Pourquoi n’a-t-on pas fait cette réflexion, si simple qu’elle en est enfantine, qu’un local doit être modifié selon l’objet auquel on le réserve ? Comment ! nous avons des musées où le jour est ménagé avec soin, où les tableaux sont traités, si je puis dire, selon leur tempérament particulier ; nous avons des bibliothèques silencieuses et recueillies où l’on peut étudier en paix ; nous avons des théâtres commodes, éclairés, capitonnés, disposés pour l’acoustique et pour la vue, et l’on s’imagine que l’on peut, sans péril pour les intérêts de l’art, accrocher des tableaux dans une salle qui n’a même pas de portes battantes, presque en plein vent, presque en plein soleil ? C’est à n’y pas croire. A qui donc l’idée viendrait-elle de faire une lecture dans un champ de foire ou d’exécuter une symphonie dans une usine en travail ? Les autres peuples ont montré à l’égard de leurs artistes un souci qui devrait être pour nous une leçon et un exemple. Sans sortir de France, nous avons une preuve décisive du soin que le ministère de la maison de l’empereur sait apporter à l’exhibition des objets dont il a la responsabilité directe. L’exposition combinée des manufactures de Sèvres et des Gobelins est un chef-d’œuvre de goût, d’ordonnance et d’harmonie. Fera-t-on moins pour des tableaux et des statues que pour des porcelaines, des faïences et des tapis ? Jamais cependant les œuvres envoyées par les artistes n’avaient été moins nombreuses, 1,043 en tout, y compris les lithographies et les gravures. Ce chiffre restreint rendait l’aménagement facile et les conditions d’agencement bien aisées à obtenir. On devait aux artistes, on devait au public, qui paie et qui est en droit d’être exigeant, de faire une exposition, je ne dis pas luxueuse, mais convenable, en rapport avec la situation que nous avons dans le monde et avec notre amour-propre national, qu’un pareil état de choses froisse singulièrement. Quant à la sculpture, on l’a remisée dans le jardin central, qui devait contenir, disait-on, des plantes exotiques, mais qui ne contient que des rosiers et des chaises. Que sous le soleil et la pluie on ait dressé des marbres et des bronzes, cela peut se concevoir ; mais qu’on ait exposé des modèles en plâtre, — le Joueur de luth, le Narcisse de M. Dubois par exemple, — c’est ce qu’il est difficile d’imaginer et qui n’est que strictement vrai ! De plus les salles réservées à nos beaux-arts ne sont même pas respectées ; le 30 avril, voulant aller voir la restauration de l’Acropole d’Athènes par M. Botte et les plans de Khorsabad de M. Thomas, j’ai trouvé les portes barrées par une corde, gardées par des sergens de ville et interdites au public. En effet, les membres du jury pour les instrumens de musique s’étaient établis dans un des salons consacrés à l’architecture, pour y essayer des trombones, des timbales et des ophicléides.

Que ceci serve donc de leçon aux artistes, et qu’ils comprennent enfin ce qu’on ne cesse de leur répéter depuis si longtemps. Ils perdent tout à n’être pas libres, à ne pas s’occuper eux-mêmes de leurs affaires, à ne pas préparer leur exposition selon leur goût, selon leur volonté, au besoin selon leur caprice. Qu’ils entrent dans les salles réservées à l’industrie, qu’ils regardent comment les Barbedienne, les Christophle, les Bapst, les Deck, les Touron, les Hachette ont arrangé leurs vitrines ; ils comprendront alors que le premier devoir du producteur est de veiller lui-même sur le sort de ses produits, et que c’est les compromettre que de les confier aveuglément aux soins d’une administration quelconque, cette administration eût-elle les mains pleines de récompenses honorifiques et de fructueuses commandes. Voilà cent quatre-vingt-quatorze ans que la première exposition des beaux-arts a eu lieu à Paris, et depuis ce temps, depuis 1673, on n’a pas pu construire un local spécialement destiné à ces grandes fêtes de l’esprit et des yeux. Nous avons vu les Salons partout : au Louvre, aux Tuileries, au Palais-Royal, aux Menus-Plaisirs, à l’avenue Montaigne, aux Champs-Elysées ; les voici au Champ de Mars, où ils n’ont jamais été plus mal. Les jeux de paume, les orangeries, le Tattersall, sont des espèces de palais, et le pays de Poussin, de Claude Le Lorrain, de Philippe de Champaigne, de Jean Goujon, de Puget, de Watteau, de David, de Gros, d’Ingres, de Pradier, n’a même pas une galerie consacrée à l’exposition annuelle de ses œuvres d’art ! Pourquoi les artistes ne se réunissent-ils pas pour en faire bâtir une à leurs frais et en avoir la libre disposition ? Ce n’est point difficile, et qui s’y oppose ? M. Courbet le fait bien pour lui-même, et M. Manet aussi, et M. Clesinger aussi. Si les artistes acceptent sans se plaindre la situation qui leur est faite, cela les regarde après tout, et nous ne voulons pas avoir le tort de nous montrer plus difficile pour eux qu’ils ne l’ont été eux-mêmes. Le jury du reste a trouvé immédiatement des compensations, car tous ses membres se sont mutuellement distribué des médailles d’honneur. On ne leur a pas permis, dit-on, de se mettre hors de concours, soit ; ils n’avaient alors qu’à s’engager entre eux à ne voter pour aucun juré. L’exemple eût été donné, compris et approuvé. Puisqu’ils ont été juges et parties en matière de récompense, je regrette qu’ils ne l’aient pas été aussi en matière d’aménagement.

Si nous nous sommes longuement étendu sur ce sujet, ce n’est point pour avoir le stérile plaisir de critiquer inutilement les actes de la commission impériale. Entre ses mains, l’exposition universelle paraît être avant tout une entreprise à laquelle on veut faire produire tout le profit possible. Avec une telle préoccupation dominante, il n’est point extraordinaire qu’on se soit assez médiocrement soucié des beaux-arts ; mais il était fort important de dire que si l’école française ne semble pas tenir au premier abord tout ce qu’elle promettait, la faute n’en remonte pas jusqu’à elle. On lui a infligé des conditions extérieures si déplorables que les apparences, mais les apparences seules, sont contre elle. Quoique la plupart de ses œuvres soient sacrifiées, mal disposées, mal éclairées, elle reste encore la moins incomplète de toutes les écoles qui sont en présence au palais du Champ de Mars.


I

Quatre grandes écoles de peinture dérivant de la renaissance ont laissé une trace ineffaçable dans l’histoire de l’art : ce sont les écoles italienne, flamande y hollandaise et espagnole. La Belgique seule aujourd’hui semble avoir conservé en peinture un souvenir très vif de ses propres origines ; tous les autres peuples se sont, avec un accord qui a l’air d’être concerté ; tant il est unanime, tournés vers l’imitation, souvent trop servile, des maîtres italiens. L’Angleterre cependant semble à l’abri de ce reproche ; elle n’a point de passé. Si pendant quelque temps elle a suivi la tradition de Yan Dyck, prolongée par Reynolds, Laurence et Gainsboroug, elle est revenue aujourd’hui, à son grand dommage, vers cette originalité native, ce besoin d'eccentric qui est une des conditions essentielles du peuple de la Grande-Bretagne. On pourrait croire que l’Espagne et l’Italie, fidèles aux grands exemples qui les ont illustrées jadis, se sont largement abreuvées aux sources mêmes de l’art pur ; il n’en est rien. Il ne conviendrait même pas de parler de l’Espagne, si M. Palmaroli et M. Rosales n’affirmaient par leurs tableaux que la patrie de Vélasquez et de Murillo peut encore produire quelques œuvres d’art recommandables ; mais le souvenir des maîtres qu’on admire au musée de Madrid ne s’y fait point sentir, et les deux artistes ne dénotent que des préoccupations italiennes. Le Sermon à la chapelle Sixtine, de M. Palmaroli, est une toile d’intérieur, où les colorations rouges sont d’un très bon effet, que compromettent cependant deux ou trois nuances blanches trop accusées. Quant au tableau de M. Rosales, Isabelle la Catholique dictant son testament, il offre des qualités sérieuses d’ordonnance et de composition ; mais la couleur en est assez froide, et le modelé, que dépare l’abus des touches plates, laisse singulièrement à désirer. C’est peu, et deux toiles qu’on trouve à citer ne donneront pas à l’Espagne un relief qui effacera les douloureuses misères de son gouvernement. Cependant, si restreinte qu’elle soit, cette exposition est supérieure à celle qu’elle nous avait montrée en 1855.

L’Italie, il faut le reconnaître, a eu tout autre chose à faire depuis longtemps qu’à cultiver les beaux-arts ; il n’est donc pas surprenant que sa peinture soit une image très affaiblie des chefs-d’œuvre que chacun aujourd’hui tient à honneur de connaître et d’étudier. Ses artistes les meilleurs sont presque nôtres, ils sont connus dans nos expositions, qu’ils suivent régulièrement, et où ils ont souvent obtenu des récompenses méritées ; ce sont eux jusqu’à présent qui jettent le plus vif éclat sur l’art moderne de l’Italie. M. Pazini, dont les progrès sont incessans depuis quelques années, continue cette exploration plastique de la Perse qu’il a commencée il y a déjà longtemps. Le Schah parcourant les provinces de son royaume est une de ses bonnes toiles, vivante de ton, pleine d’air, d’un paysage grandiose habilement composé, et où la longue caravane des personnages se meut dans une atmosphère à la fois limpide et chaude. Peut-être, dans la coloration de certaines parties, retrouverait-on une réminiscence des effets familiers à Decamps, mais il est bien difficile de toucher à l’Orient véritable sans se rapprocher par quelques points du maître qui l’a si bien approfondi et si exactement rendu. M. Joseph Palizzi n’a rien perdu, même dans les tons gris et les gammes sourdes, des qualités de coloriste qui ont commencé et fortifié sa réputation. Ses Bœufs en marche surpris par un ouragan dans les marais des Abruzzes citérieures ont cette grasse fermeté, qu’il possède à un degré supérieur. Comme tous ses compatriotes, il a le goût inné des couleurs voyantes et pourtant harmonieuses ; mais il n’eût été, je crois, qu’un peintre agréable de nuances habilement choisies, si l’exemple de Troyon ne l’avait poussé à l’étude très attentive de la nature. Il y a surpris une partie de la vérité, il s’est débarrassé du côté poncif et théâtral que l’école actuelle pousse en Italie aussi loin que possible, qui l’entraîne souvent hors du droit chemin, et impose au public peu éclairé des admirations parfois inexplicables. La preuve de ce que nous venons d’avancer se trouve dans le tableau de M. Ussi. C’est une grande machine comme tout bon écolier peut en faire après dix ans d’apprentissage, mais où l’on ne rencontre ni originalité, ni dispositions nouvelles, ni tendances particulières. Cela sent l’école, le modèle, la pose, l’académie ; cela ressemble à un bon tableau comme le discours latin d’un élève de rhétorique ressemble aux catilinaires de Cicéron, et cependant c’est à cette vaste et insignifiante toile qu’on a donné la médaille d’honneur. Pourquoi ? Sans doute parce que déjà elle a été exposée à Milan et à Londres. Les tableaux de MM. Pazini et Palizzi semblaient plus dignes d’une récompense exceptionnelle que cette composition pompeuse où l’art entre pour une part extrêmement restreinte.

C’est aussi à la vieille Italie que la Russie a demandé des maîtres qui, jusqu’à présent, n’ont que faiblement répondu à l’appel. Dans le pays où la peinture religieuse est hiératique, où les saint Jean et les saint Serge qui peuplent les iconostases sont faits, comme les anciennes figurations égyptiennes, selon une formule liturgique et invariable, l’art individuel et imaginatif n’a pas grandes chances de se développer de lui-même. Au lieu d’imiter simplement la nature, il cherche à la voir à travers des œuvres célèbres, et consacrées, et, ne trouvant pas autour de lui d’exemples dont il puisse s’inspirer, il va les chercher dans les pays où la tradition est restée vivante et respectée. En apercevant les tableaux de M. Reimers, il est facile de reconnaître que l’homme qui les a peints est un familier de l’Italie et qu’il a surtout été frappé par les maîtres coloristes. L’Enterrement, où l’artiste avait à lutter contre les difficultés d’avoisiner harmonieusement des blancs et des noirs, est une fort bonne toile, dont l’impression est d’abord donnée par le ton général, faculté plus rare qu’on ne pourrait le supposer et qui était éminente chez Eugène Delacroix. Le coloris, habilement fondu sans mollesse, le dessin, ferme sans être trop sec, prouvent que M. Reimers a des qualités sérieuses, mais elles ne prouvent rien pour l’école russe, car ce sont des qualités exclusivement surprises en Italie. J’en dirai autant de M. Alexandre Rizzoni, qui, dans ses tout petits tableaux représentant des synagogues, va de réminiscence en réminiscence sans parvenir à dégager une originalité sérieuse. Le véritable élément russe me semble représenté à l’exposition universelle par les aquarelles de M. Sokolof : très fraîches, très hardies, largement touchées par un pinceau qui n’a point hésité, elles ont une apparence robuste qui rappelle le Sir Biorn aux yeux étincelans de Cattermole.

La Suède ne déchoit pas, et l’impression excellente qu’elle avait produite en 1855 ne s’est pas affaiblie. On a pas oublié le Prêche dans une chapelle de la Laponie, par M. Höckert, et le très grand succès qu’il obtint ; aujourd’hui le même artiste expose l’Intérieur d’une tente lapone, qui déjà avait figuré en France au Salon de 1857, où il avait été remarqué. En dehors des qualités de peintre qui distinguent M. Höckert, de son coloris puissant, d’une touche ample et forte, de l’ordonnance généralement simple et sérieuse de ses toiles, il y a en lui une sorte de qualité morale particulière et qu’on pourrait appeler l’intimité. Ce dernier tableau excelle en ce point ; il est difficile de donner plus de sérénité, plus de recueillement, plus d’attention soutenue et naturelle à ses personnages. On sent qu’il a fallu vivre dans leur familiarité pour si bien les connaître et les avoir étudiés intus et in cute, pour les si bien rendre. C’est, je crois, dans les scènes de famille, dans les intérieurs moroses, obscurcis et résignés des hautes régions du nord, que M. Höckert doit concentrer les efforts de son talent. Lorsqu’il s’attaque à un sujet d’histoire, Charles XII pendant l’incendie du palais de Stockholm, il est moins à son aise, moins maître de lui ; des préoccupations le saisissent évidemment, on sent trop qu’il n’a pas vu et qu’il invente ; le souvenir des maîtres qu’il a admirés trouble son esprit, et lui ôte quelque chose de sa lucidité ordinaire. C’est toujours une main fort habile et rompue aux difficultés du métier, mais on dirait que les figures historiques la déroutent un peu et ne lui laissent plus ce charme profond qu’elle sait si bien donner à des épisodes moins grandioses et plus contenus. En Norvège, il faut citer M. Tidemand, qui lui non plus n’est pas un nouveau venu parmi nous, et qui prouve, par son Combat singulier de l’ancien temps, que l’expérience lui a profité, car il a perdu cette façon fâcheuse d’écarquiller outre mesure les yeux de ses personnages, mauvaise habitude qu’il avait jadis et qui dans ses Funérailles détruisait en partie l’effet de sa composition. Aujourd’hui il est plus sobre de geste et d’expression : aussi, malgré la violence du sujet qu’il a choisi, il reste dans des données excellentes et qui méritent d’être signalées.

J’aurais voulu parler de la Suisse, qui, par la façon très intelligente dont elle a organisé son exposition particulière, prouve qu’elle a le goût des œuvres d’art et qu’elle sait comment on doit les offrir aux regards du public. Malheureusement ses deux artistes les plus remarquables, les seuls qui pouvaient lui donner une importance réelle, MM. Gleyre et Van Muyden, n’ont pas jugé à propos d’exposer. Il ne nous appartient pas d’apprécier les motifs, très sérieux sans doute, qui ont déterminé leur abstention ; nous ne pouvons que la constater en regrettant qu’au jour du combat les capitaines n’aient point marché au feu les premiers. En Hollande, M. Bischoff s’impose à l’attention par des facultés de coloriste extrêmement remarquables. A voir certains tours de force d’exécution, qui sont beaucoup dans la peinture, mais qui sont loin d’être toute la peinture, il est à craindre qu’il ne sacrifie trop à la couleur, il y a en M. Bischoff l’étoffe d’un artiste de premier ordre ; arrivera-t-il à dégager de sa gangue la pierre précieuse qu’il possède ? Il faut l’espérer, mais il n’y parviendra qu’à la condition de veiller attentivement sur lui, de serrer sa manière et de chercher l’expression, sans laquelle nulle œuvre ne subsiste. Dans la Prière interrompue, tout le talent du peintre est consacré à faire ressortir un ton rouge sur un fond noir. On devine trop facilement que la jeune fille, — de grandeur presque naturelle, — n’est là que comme un prétexte. le but, le vrai but, le but poursuivi et atteint est un morceau d’étoffe d’une force de coloris extraordinairement harmonieuse ; mais on dirait que le visage a été peint par une autre main. Ce n’est plus la même facture : au lieu de la fermeté et de la vigueur qui distinguent les accessoires, on ne retrouve plus que de l’indécision, de la mollesse ; en un mot, c’est lâché. Souvent et pour bien des artistes, nous avons combattu la manie funeste qui les entraîne à augmenter sans motif les dimensions de leurs tableaux et à croire que les personnages agrandis constituaient la grande peinture ; l’exemple de M. Paul Delaroche aurait cependant dû apprendre aux moins clairvoyans combien cette habitude est dangereuse. J’ai peur que M. Bischoff n’y cède aussi ; il ne ferait qu’amoindrir des qualités éminentes et compromettre un avenir qui peut être glorieux. En art ; il faut savoir se concentrer et craindre d’éparpiller inutilement ses forces. Au Salon de 1867, M. Bischoff nous a prouvé qu’il excellait dans les toiles restreintes ; l’exposition universelle montre qu’il pourrait échouer en cherchant des compositions plus vastes, pour lesquelles son talent ne paraît pas encore mûr. A côté de M. Bischoff, on doit nommer M. Alma-Tadéma, autour duquel on a essayé depuis quelques années de faire un peu de bruit. Ses tableaux sont étranges, il faut en convenir, ils attirent les regards par un côté précieux et par une prétention archéologique poussée aux dernières limites. Je prise peu, je l’avoue, ce genre d’archaïsme puéril qui consiste à rendre minutieusement des détails d’une exactitude au moins douteuse, qui n’ajoutent rien au mérite intrinsèque de l’œuvre, ne prouvent qu’une recherche exagérée des choses secondaires, et sacrifient forcément le sujet principal à l’accessoire. Ce n’est pas la raideur systématique des personnages, l’exécution en trompe-l’œil d’une broderie ou d’un bijou qui constituent la vérité historique ; il est bon de tendre toujours vers la réalité des costumes et de l’architecture, mais à la condition expresse de ne point lui subordonner le type humain, qui doit dominer tout et qui seul donne le vrai caractère des scènes représentées. L’art est plus large ; il s’inquiète médiocrement d’une boucle d’oreille, d’une sandale ou d’une cassette, pourvu que les attitudes soient humaines, vraies, normales et plastiques. Comme l’on dit vulgairement, M. Alma-Tadéma ne cherche que la petite bête ; on peut reconnaître qu’il la trouve souvent, mais on aimerait que ses visées fussent plus hautes et que son talent se proposât un but plus élevé. L’Éducation des petits-fils de Clotilde est le seul de ses treize tableaux qui révèle des qualités recommandantes ; il est moins tourmenté, moins surchargé, moins voulu que les autres, et c’est ce qui en fait la supériorité.

Il est un peuple qui se trouve écrasé sous l’iniquité de trois lourdes dominations et qui proteste par toute sorte de moyens de son irrésistible vitalité. Par ses héroïques insurrections, par ses travaux littéraires, dont les lecteurs de la Revue ont pu souvent apprécier la haute saveur, par les cours professés dans nos écoles publiques, la Pologne affirme son existence, que rien encore n’a pu diminuer. En peinture, l’école polonaise a une force peu commune force de concentration, de coloris, de violence contenue. A l’exposition universelle, malgré des classemens arbitraires, elle est représentée par trois artistes d’un talent éprouvé, et qui semblent dire, comme leur vieille chanson nationale : « Tant que nous vivons, la Pologne n’est pas morte ! » M. Henri Rodakowcki est connu depuis longtemps parmi nous. Son Portrait du général Dembicki (1852) lui valut une première médaille d’or décernée par le suffrage de tous les artistes exposans. Depuis cette époque, une série d’excellens portraits, un tableau remarquable, ont confirmé la réputation que le jeune peintre avait acquise dès son début. Il reste aujourd’hui un des meilleures peintres de portraits que nous connaissions. Il est maître en cet art difficile ; la pureté de son dessin et la fermeté de son coloris en font un artiste souvent en dehors de toute comparaison. M. Léon Kaplincki a aussi des qualités sérieuses, qu’il emploie à rappeler plastiquement les douleurs de sa patrie. A sa façon, il chante le super flumina, et l’on sent que sa pensée se reporte invariablement vers le pays des grandes plaines où l’on entend retentir le pas cadencé des soldats de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie. Nous avons eu ici même[1] l’occasion de dire ce que nous pensions du talent de M. Kaplincki ; il ne s’est pas amoindri depuis cette époque, et il est aujourd’hui un des honneurs de la Pologne moderne. M. Matejko a débuté à Paris il y a deux ans ; son Skarga prêchant devant là diète de Cracovie en 1592 avait des qualités et des défauts qui ont été signalés. Skarga prédisant aux nobles polonais la ruine de leur patrie n’était que la préface du tableau que nous voyons aujourd’hui et qui est intitulé la Diète de Varsovie en 1773. En fait, c’est la scène lugubre qui vit s’accomplir l’acte de partage. Par la composition et par l’exécution, cette toile est importante, et il faut s’y arrêter. M. Matejko était libre de choisir son sujet et de jeter le vieil anathème à la face de ses compatriotes. L’acte de partage du 18 septembre est impardonnable, mais il a été accompli par des seigneurs féodaux qui ont traité de puissance à puissance avec les trois souverains spoliateurs et qui croyaient bien plutôt abandonner leurs domaines particuliers que livrer leur patrie. L’instant est peut-être mal choisi pour peindre un tel tableau. La terre est rouge encore du côté de la Lithuanie, la Sibérie seule peut savoir combien ses prisons et ses mines renferment de Polonais ; c’est hier que l’on combattait ; la nouvelle et glorieuse insurrection, si cruellement réprimée, aurait dû, il me semble, faire tomber la brosse des mains de M. Matejko. A côté de ce reproche tout moral, il en est un autre, matériel et visible, que mérité l’œuvre de M. Matejko ; Je n’ai point de goût pour la diffamation historique, aussi je me garderai de citer les noms des personnages représentés par l’artiste ; mais en voulant faire un tableau qui fût tout à la fois un tableau d’histoire et un tableau allégorique, il a tellement embrouillé son sujet, qu’il devient à peu près inintelligible. Je m’en rapporte simplement au livret, c’est la Diète de Varsovie en 1773. Soit, je l’admets, puisque je vois le généreux Rejtan couché devant la porte, empêchant les députés de sortir, protestant contre l’infamie accomplie et refusant de quitter la salle des séances, d’où bientôt il va être emporté, devenu subitement fou de douleur et destiné à mourir misérablement après avoir avalé du verre de vitre broyé ; mais alors pourquoi nous montrer l’ambassadeur russe Repnin, qui abandonna Varsovie en 1770 ? Pourquoi, à côté du maréchal de la diète, avoir placé ce jeune S. P., qui à cette époque n’avait guère que huit ou neuf ans ? Pourquoi son père, le terrible wojewode est-il là, puisqu’il était mort ? Si le grand hetman de la couronne prend part à cette scène, nous sommes donc à la diète de Grodno en 1793 ? Je le croirais, puisque voilà le vice-chancelier qui y joua un rôle. Tout est confusion et chaos dans cette composition, que le peintre n’a pas su généraliser jusqu’à en faire une allégorie, et qu’il a rendue extraordinairement obscure en voulant lui conserver le caractère d’un tableau historique. Il faut savoir choisir et ne pas mêler deux genres différens qui se contredisent l’un l’autre. De plus la confusion est encore augmentée par l’ordonnance générale, qui est tassée, ramassée, sans perspective explicable, sans air, sans espace. La salle où se meuvent les personnages est tellement resserrée qu’elle ne peut visiblement les contenir. Le dernier des perspecteurs aurait appris à M. Matejko à faire fuir les murailles, à reculer les fonds et à ne pas laisser croire qu’une diète convoquée pût tenir ses séances dans un local qui ressemble au cabinet particulier d’un restaurant ; sous ce rapport, l’effet, qui eût pu être considérable, est absolument manqué. La coloration générale est extrêmement vigoureuse, mais poussée vers les tons noirs avec un abus qui déjà avait été justement reproché au Skarga, Cela tient, je crois, aux couleurs particulières, aux laques allemandes que M. Matejko emploie, et qui presque toujours outre-passent le ton que l’artiste a voulu obtenir. La touche fouettée fait moutonner la peinture, lui ôte toute simplicité, et rend la facture beaucoup plus prétentieuse qu’il ne convient. La part des reproches une fois faite, nous devons dire que toute cette toile dénote un vif talent pour le portrait. Il y en a là quatre ou cinq qui sont remarquables ; les personnages gagneraient singulièrement à être isolés et mis en cadre, la plupart sont de véritables créations que nul peintre ne répudierait. Je citerai entre autres le maréchal de la diète dans son costume rouge, le jeune S, P. portant le cordon bleu, le wojewode, qu’on avait surnommé le roi de Ruthénie et qui s’éloigne en renversant un fauteuil, le primat de Pologne, qui regarde un médaillon impérial, le vieillard qui est assis près de lui et le faible Stanislas-Auguste. Le personnage le moins bien réussi est le plus intéressant, c’est Rejtan ; celui-là, on peut le nommer. Couché en travers de la porte, derrière laquelle on aperçoit les soldats russes immobiles, découvrant sa poitrine, il est dans une attitude indécise malgré ce qu’elle a de violent, et qui aurait dû être plus franchement déterminée. C’est à genoux qu’il fallait le mettre, s’accrochant à la porte, énergique, résumant en lui les protestations futures, et voulant à tout prix empêcher la diète de se dissoudre en la menaçant du bâton de maréchal qu’il avait enlevé, M. Matejko ne l’ignore pas. Il eût été mieux ainsi, plus dans son rôle historique, plus vivant dans la composition, qu’en étant renversé à demi sur le dos, comme un possédé ou comme un homme ivre. Ce que M. Matejko a parfaitement rendu, c’est l’état ambigu de l’aristocratie polonaise à cette époque, ce mélange de respect pour les coutumes nationales et d’imitation pour les coutumes de France, de Russie et d’Allemagne, qui se traduit par les habillemens divers. Ce tableau est une œuvre importante et n’a certainement pas été fait par un artiste médiocre ; mais, s’il dénote des qualités sérieuses, il révèle aussi des défauts graves dont l’auteur peut et doit se corriger. À voir les toiles de M. Matejko et surtout sa façon de comprendre l’histoire, il me semble que le peintre vit dans des horizons trop étroits, qu’il manque de points de comparaison, et qu’il ferait bien d’entreprendre quelque voyage d’exploration en France et en Italie. Le soleil lui manque et aussi la vue des foules actives. Il veut, dans sa peinture, dire trop de choses à la fois ; il arrive à manquer de cette clarté indispensable à toute œuvre d’art, et que bien vite il apprendrait chez nous. En Italie, l’aspect seul des atmosphères limpides lui enseignerait à mettre plus d’air dans ses compositions, la vue des Stanze et du plafond de la chapelle Sixtine lui montrerait l’art de grouper les personnages en les faisant tous concourir à l’action commune. À ses facultés natives, qui sont grandes, M. Matejko pourrait facilement ajouter celles que donnent l’étude et l’observation réfléchie ; il n’aurait alors plus rien à envier à personne et deviendrait réellement un artiste hors ligne. La voie est ouverte devant lui, il faut espérer qu’il aura le courage d’y marcher.


II

Les écoles dont nous venons de parler rapidement sont une suite ininterrompue de la tradition italienne du XVIe siècle, représentée aujourd’hui par l’enseignement français ; aussi presque tous les peintres que nous avons eu à nommer ont traversé les ateliers de Paris, et y ont acquis une bonne partie de leur valeur. Avec l’Angleterre, nous trouvons une race nationale dans l’étroite acception du mot, car, malgré les efforts souvent considérables qu’elle a faits pour s’assimiler la façon de l’ancienne Italie, la force de son tempérament l’a toujours emportée, et elle est restée imperturbablement anglaise. À ce point de vue, elle est singulièrement curieuse, et parfois même plus étrange qu’on ne voudrait. Elle a beau essayer de représenter des Turcs, des Grecs, des Romains, des Juifs, des Espagnols, la fille de Jephté, Déborah, Venus ou Briséis, Agamemnon, Frédéric le Grand ou Marie-Antoinette, elle ne peint jamais que des visages anglais. C’est une école petite, minutieuse, aigrelette, aiguë, où l’œil et la main ont tout fait, où le cerveau ne s’affirme guère. Elle n’a rien de général ; elle ne procède que par exceptions péniblement cherchées et qui ne sont pas toujours fort heureusement trouvées. La peinture d’histoire est réduite à la simple anecdote, ce sont des illustrations plutôt que des tableaux ; la peinture de genre, à force de vouloir être expressive, devient grimacière et frise parfois la caricature de bien près ; je citerai le Paiement du loyer, Tous deux embarrassés, par M. Erstine Nicol. On dirait que l’unique but poursuivi par l’école anglaise est de fournir des sujets à la gravure, car, — c’est là son caractère distinctif et au moins singulier, — ses œuvres, sauf de très rares exceptions, acquièrent sous le burin une valeur et une importance que le pinceau ne parvient jamais à leur donner. Pour être agréables aux yeux et captiver l’attention, il leur faut la marge blanche, la douceur des hachures, l’opposition des teintes sombres et des teintes claires, qui peuvent laisser croire à un coloris habile. Tandis que la gravure n’arrive presque jamais à traduire l’œuvre des véritables maîtres, elle excelle à embellir celle des peintres anglais et à lui donner ce charme qu’elle est loin de posséder dans l’original. L’école du royaume-uni ne peut parvenir à se dégager des préoccupations puériles ; elle ressemble à la vie de la société anglaise, tout y est prévu, réglé, mesuré d’avance ; elle n’ose s’écarter des très étroites limites qu’elle s’est imposée et où elle étouffe. Nul entrain, nulle hardiesse, nulle folie ; une platitude bourgeoise proprette et bien peignée, regardant la nature par le petit bout de la lorgnette et cherchant à la rendre par l’inconcevable fini du détail. Ces tableaux paraissent vus avec des verres de myope ; tout est rapetissé, diminué, étudié brin à brin et jamais dans l’ensemble.

L’école anglaise est manifestement inférieure en 1867 à ce qu’elle était en 1855 ; du moins elle nous paraît telle. Est-ce parce que nous sommes moins surpris par sa singularité ? est-ce parce qu’elle a envoyé des œuvres moins remarquables ? Je ne sais ; mais MM. Millais et Leslie ont aujourd’hui des tableaux qui sont loin de valoir ceux qu’ils nous ont montrés jadis. La tradition de Reynolds est tout à fait effacée, et n’est plus représentée que par deux toiles peu importantes de M. Grant. Au lieu des beaux animaux que sir Landseer avait exposés, il n’apporte qu’une composition prétentieuse qui ne se rachète même pas par une bonne exécution. La plupart des tableaux, poncés, fourbis, papillotans à force d’avoir voulu tout reproduire, ont l’air de grandes agates arborisées. Ce défaut est surtout remarquable chez les paysagistes. On dirait qu’ils se sont sérieusement proposé pour but de reproduire la nature telle qu’elle est, dans tous ses détails, et de faire le portrait de chaque tige d’herbe ; Le type en ce genre est la Pièce d’orge de M. Charles Lewis. C’est une œuvre de patience extraordinaire, semblable aux travaux que la reine Grognon imposait à la princesse Gracieuse ; c’est un tour de force, mais à coup sûr ce n’est pas un objet d’art. L’art est une synthèse et non point une analyse. Ce n’est pas rendre l’aspect d’un champ, ni l’impression qu’il produit, que de peindre chaque épi séparément et de dessiner une perdrix plume à plume. Dans la voie de l’imitation servile, la peinture échouera toujours, et la photographie lui est supérieure. Dans le Paysage en Angleterre de M. Robert Collinson, la même préoccupation amène les mêmes défauts. Au bord d’un ruisseau, chaque brin d’herbe, chaque feuille de myosotis, chaque tige de menthe est exécutée avec ses nervures et ses soulèvemens d’épiderme. C’est de l’aberration. La même manie, la même minutie dans les détails, la même importance donnée à des accessoires superflus détruit absolument l’effet de la Clarisse de M. Leslie, où cependant se retrouvent quelques-unes des agréables qualités de cet artiste. Quant au Satan semant l’ivraie et à la Veille de sainte Agnès de M. Millais, ils sont loin, bien loin de l’Ordre d’élargissement, qui avait été fort remarqué à Paris en 1855. du vieux proverbe dit : Qui veut trop prouver ne prouve rien ; c’est le fait de M. Millais. Il fatigue l’attention, il la disperse sur des objets inutiles, et, à force de vouloir être original, il tombe dans l’impossible, pour ne pas dire plus. La Veille de sainte Agnès représente une jeune fille qui se déshabille le soir sans lumière dans sa chambre, éclairée par la lune ; les croisillons de la fenêtre apparaissent en ombre portée sur son jupon blanc, et donnent à ce dernier l’air d’une cage à barreaux irréguliers et indécis. La coloration, teinte-neutre de toute la toile, est des plus désagréables et ne rachète guère la médiocrité de la composition. Le seul peintre remarquable qui, par la largeur de sa touche et l’ordonnance bien disposée de son tableau, s’éloigne des défauts que nous avons signalés chez ses compatriotes est M. Henri Wels ; ses Volontaires au tir sont dignes d’éloge en tout point. Chaque personnage est un portrait, cela est évident, et, sans les connaître, on peut, en voyant la diversité de leur attitude et de leur visage, affirmer qu’ils sont ressemblans. La scène est fort simple, car elle ne dépasse pas le titre qui la résume, La facture de cette toile est excellente, un peu plate dans le modelé, mais très suffisante néanmoins pour faire valoir les différens types qu’elle devait rendre. Il n’y a là ni petits moyens ni stérile besoin de causer de l’étonnement, c’est franc et sincère. Au milieu de l’exposition anglaise, ce tableau ressemble à un homme bien portant placé seul dans un groupe de malades. En revanche, les Anglais gardent d’une façon incontestable leur vieille supériorité dans l’aquarelle. Le Page impertinent de M. Catermole, le Portrait du prince Albert, le joueur de pibrock William Ross, de M. Kennet Mac-Leay, la Vallée de la désolation de M. David Mac-Kewan, sont des œuvres exceptionnelles ! On pourrait en dire autant de la Famille d’Arabes errans de M. Carl Haghe, si la nature avait été étudiée de plus près, et si la fantaisie ne l’emportait de beaucoup trop sur la réalité ; mais il faut reconnaître que toutes ces aquarelles sont traitées avec une solidité rare et une habileté extraordinaire. Pour leur donner plus de vigueur, les Anglais ne reculent pas devant l’emploi de la gouache, qui, je crois, devrait être sévèrement exclue de ce genre de peinture. Si la gouache permet de revenir sur les tons, de les modifier après qu’ils ont été obtenus une première fois et d’en tirer un grand parti pour la coloration, elle a l’inconvénient de les alourdir et d’enlever à l’aquarelle cette transparence, cette légèreté qu’il faut toujours rechercher dans ce genre de peinture. Malgré ce procédé douteux, sur lequel nous devions insister, car il nous paraît dangereux, les Anglais restent les maîtres de l’aquarelle ; en France, je ne vois guère que MM. Français, Baron et Harpignies qui pourraient approcher d’eux sous ce rapport.

Si l’école anglaise, affranchie de toute tradition, s’est enfermée volontairement dans de mesquines habitudes et semble avant tout tenir à honneur de ne reproduire que des types britanniques, nous trouverons dans l’école belge une école humaine, très intelligente, suivant avec respect la tradition que ses maîtres lui ont léguée, et qu’elle élargit tous les jours. Imperturbablement attachée aux glorieuses légendes de son histoire, elle aime à représenter les hauts faits qui ont affranchi la Belgique, la résistance des communes, les actes de dévouement de ces bourgeois, de ces gueux qui devaient ébranler et singulièrement amoindrir le prestige d’une grande monarchie. Ses peintres les meilleurs, j’entends ceux qui ne sacrifient pas à la mode et, ne recherchent pas des succès de boudoirs, sont restés fidèles à cette bonne coutume ; ils croient avec raison que l’art ne doit pas seulement se contenter de réjouir les yeux, mais qu’il doit, s’il veut être élevé et fécond, s’adresser, aux plus hautes facultés de l’esprit. En ce sens, les maîtres belges nous donnent un exemple dont nous ferions bien de profiter, car nous pourrions en retirer un sérieux profit. Le nombre des artistes émiriens qui appartiennent à la Belgique n’est pas considérable ; mais, si restreint qu’il soit, il donne à cette école une valeur exceptionnelle. Tous les tableaux exposés ne sont pas des chefs-d’œuvre, tant s’en faut ; mais ils ont été aménagés avec tant de soin, dans une galerie particulière si bien disposée, sous un jour si parfaitement distribué, qu’il est impossible de ne pas admirer ce simple et convenable arrangement, et de ne pas regretter avec amertume que la France n’ait point su profiter de la leçon que lui donnaient ses libres voisins de la Belgique. Aussi, dès qu’on pénètre dans ce petit musée, on est saisi de recueillement, et l’on comprend que, pour faire valoir les beaux-arts, il faut les aimer, ce qui n’est point donné à tout le monde sur les bords de la Seine.

M. Henri Leys est un maître dans la haute acception du terme, car, à une tradition qu’il vénère, il mêle une originalité dont il a seul le secret, et qui le fait, au premier coup d’œil, reconnaître entre tous. Il est déjà célèbre parmi nous, et la grande médaille d’honneur qu’il a obtenue à l’exposition universelle de 1855 lui a prouvé le cas que nous faisions de son talent. Ceux qui ont vu et admiré les Trentaines de Bertal de Haze n’ont point oublié cet excellent tableau. M. Leys est invinciblement attaché, au passé, il en connaît les faits, les types, les costumes mieux que personne. il y a toujours un peu d’archéologie dans ses compositions, mais il l’emploie sagement, de manière à donner à son œuvre plus de vérité, et il ne mérite en rien le reproche que nous adressions plus haut à M. Alma-Tadema ; cependant, et tout en comprenant les motifs qui ont engagé le compatriote de Quentin Metsys à se consacrer presque exclusivement aux origines de son pays, je regrette qu’il n’ait pas essayé de rendre quelque sujet moderne et qu’il ne soit pas sorti du cercle dans lequel il tourne. Il me semble que la vie actuelle avait de quoi tenter un talent aussi sûr, aussi profond que celui de M. Henri Leys. J’aurais voulu le voir quitter le harnais du moyen âge, ne fut-ce que pour un instant, et se prendre corps à corps avec les difficultés du temps présent. M. Meissonier l’a fait, et ne s’en est pas mal trouvé, il y a acquis plus de flexibilité ; M. Leys ne pourrait qu’y gagner.

Les onze tableaux qu’il expose aujourd’hui, et qui seuls sont de nature à donner une importance particulière à l’école de Belgique, ont tous, malgré une certaine similitude, des qualités supérieures. Nul ne sait grouper ses personnages comme M. Leys. Quoiqu’ils aient cet air de ressemblance vague qui est le signe distinctif des hommes de même race, ils ont des physionomies différentes, modelées par leurs passions particulières et animées d’expressions diverses correspondant aux mobiles qui les font agir. Cela n’est pas un mince mérité, et il est assez rare pour devoir être spécialement remarqué. Dans le Bourgmestre van Ursel haranguant la garde bourgeoise, cette qualité apparaît avec force. La même pensée agit évidemment sur tous les personnages, qui, par cela seul, se trouvent en communion directe les uns avec les autres ; néanmoins chaque tempérament se fait jour, imprime un caractère particulier à chaque individu, et suffit à rompre la monotonie de la composition. On connaît la facture de M. Leys ; elle est ample et nourrie ; son dessin n’a point de sécheresse, et sa touche, qui est extrêmement grasse, parvient sans efforts apparens à un modelé d’une extrême solidité. Cependant un de ses derniers tableaux, la Sortie de l’église, me semble un peu lâché ; je ne retrouve plus là cette facture serrée et forte que M. Leys semble avoir empruntée aux vieux maîtres de la Flandre, et qui est une des meilleures parts de son talent. Cette toile est loin de valoir la Promenade hors des murs (1855) : or M. Leys sait parfaitement que le fini est une de ses qualités dominantes, et qu’une œuvre d’art doit comporter toute la somme d’efforts dont un artiste est capable.

M. Ferdinand Pauwels marche sur les traces de M. Leys ; il ne l’atteint pas, mais il le continue sans cependant l’imiter. Sa façon est plus dégagée que celle du maître ; on dirait que M. Pauwels, tout Flamand qu’il est par ses conceptions plastiques, aimerait, par son exécution, à se rapprocher de la manière italienne. Ce n’est pas un reproche, loin de là. M. Leys peint les têtes dans leur brutale naïveté, il s’inquiète peu qu’elles soient belles, pourvu qu’elles soient dans la donnée probable, il cherche le portrait ; M. Pauwels a au contraire une tendance manifeste à les idéaliser. Le style un peu raide de M. Leys ne lui convient pas, il s’y trouve mal à l’aise, il l’assouplit, le façonne à sa guise et l’amollit souvent. Les figures de M. Leys ont la rigidité de l’histoire, celles de M. Pauwels ont la grâce d’une fantaisie élevée où l’afféterie disparaît sous la recherche d’une noblesse à la fois pleine de charme et de sérieux. La Veuve de van Arteveld est son meilleur tableau. L’artiste a su tirer un habile parti des oppositions de nuances ; la coloration, bien que très sobre, est d’une vigueur remarquable. La pose des personnages est excellente, surtout celle de la veuve et des enfans apportant les trésors de celui qui fut la victime de l’aveugle et violente absurdité du peuple qu’il sauvait. C’est la première fois, je crois, que M. Ferdinand Pauwels expose en France ; il faut espérer que le succès très légitime qui accueille son œuvre aujourd’hui l’engagera dorénavant à tenter la chance de nos salons annuels ; il serait intéressant de le comparer à M. Charles Comte, avec lequel il a plus d’un rapport.

Le Saint Luc peignant la Madone, de M. Albert de Vriendt, a d’agréables qualités de facture ; mais le peintre, par un très ingénieux détail de composition, a su donner un intérêt réel à son tableau. Saint Luc, à genoux devant son pupitre, fait le portrait de la Vierge, qui tient le petit Jésus devant elle ; des anges voltigeant écartent les rideaux de façon que le jour éclaire la mère de Dieu et le bambino. C’est là une excellente idée plastique, bien rendue et tout à fait en son lieu. Les peintres en sont généralement si avares qu’il est bon de les louer sans réserve lorsqu’ils sortent ainsi du banal et du rebattu. Cette introduction charmante de personnages imaginaires rappelle le Baptême du Christ que Giotto a peint à fresque dans la chapelle de l’Annunziata de Padoue, Pendant que Jésus est plongé à mi-corps dans le Jourdain, deux anges immobiles, placés sur la rive, attendent qu’il soit sorti de l’eau pour s’essuyer avec les draperies qu’ils tiennent respectueusement à la main. Les peintres, je le sais, dédaignent ces recherches intelligentes et ne font guère cas que du procédé matériel ; en cela, ils se trompent, prennent le métier pour l’art, et ne voient pas qu’une œuvre est tout près d’être bonne lorsque le but où elle tend cherche à s’élever au-dessus des conceptions vulgaires vers lesquelles chacun revient par paresse ou par stérilité.

L’absence d’imagination est en effet un défaut radical chez certains artistes et paralyse parfois une partie de leur talent. M. dorent Wîllems en est la preuve : vivante. A force de se persuader que l’habileté du pinceau était la seule qualité que devait poursuivre un peintre, il en est arrivé, ou peu s’en faut, à ne plus peindre que des étoffes. Il y est passé maître ; ceci n’est point douteux ; le satin n’a plus de mystères pour lui et le velours lui a révélé tous ses secrets. Cela est bien, mais ce n’est pas assez, et sous ces robes à plis traînans, sous ces pourpoints en si jolis draps, on aimerait à sentir un corps humain prêt à se mouvoir. Ce sont de charmantes marionnettes, rien de plus. J’en excepte l’Accouchée cependant, où la femme est très naturellement affaissée dans son lit, où le groupe de l’enfant et de la nourrice est aussi très habilement compris ; mais le défaut d’invention, qui est si manifeste chez M. Willems, se remarque surtout dans la Visite, trois personnes, trois profils, et dans l’Anneau des fiançailles, deux personnes, deux profils ; La variété des attitudes fait cependant partie de la composition des tableaux, et si M. Willems avait étudié les maîtres, même les maîtres secondaires avec lesquels il a le plus d’affinité, tels que Terburg, Metzu et Pierre de Hoog, il aurait remarqué avec quel soin ils veillaient à éviter la monotonie que l’uniformité des poses inflige forcément à l’ordonnance d’une œuvre plastique. Une scène d’intérieur, si insignifiante qu’elle soit, doit être composée aussi bien que ce que l’on nomme prétentieusement une page d’histoire. Il suffit d’avoir vu les portraits peints par M. Ingres pour reconnaître avec quel respect de son art et du modèle il les composait. Par cette négligence ou ce dédain, M. Willems compromet un talent fort agréable et diminue l’intérêt que ses toiles pourraient inspirer.

Les mêmes reproches s’adressent à M. Alfred Stevens ; chez lui, la stérilité d’invention dépasse toutes les bornes. Il peint des robes jaunes, des robes noires, des châles, des chapeaux ; par hasard il y a une femme dedans, mais elle sert à si peu de chose qu’on serait tenté de ne pas s’en apercevoir. Les accessoires sont toujours les mêmes, l’expression est bien souvent nulle, et ces tableaux ressemblent à de belles gravures de mode. Le talent de Mi Alfred Stevens est cependant recommandante, mais l’artiste ne se donne même pas la peine de chercher un sujet ; tout lui est prétexte à peinture ; une femme qui met ses gants, une femme qui ôte son bracelet, une femme qui regarde par la fenêtre, une femme qui lit une lettre ; c’est la même femme ou peu s’en faut. C’est puéril, et il est vraiment douloureux de voir tirer un si pauvre parti de facultés qui devraient conduire beaucoup plus loin et beaucoup plus haut, Ce n’est cependant pas par ces mièvres tableaux que M. Alfred Stevens avait débuté. On eût dit, à voir ses premières toiles, — entre autres Ce qu’on appelle le vagabondage, — qu’il allait devenir un peintre violent, cherchant principalement ses sujets dans les scènes populaires. Sa manière dure et incorrecte rappelait la brutalité intentionnelle de M. Courbet ; la conception de ses toiles faisait penser que M. Alfred Stevens était animé du souffle qui poussait M. Charles Hübner à vouloir fonder en Allemagne une école de peinture socialiste ; on s’était trompé. M. Alfred Stevens est promptement revenu de ses erreurs ; il est aujourd’hui un peintre à la mode, rien de plus ; pour lui, nous avions des ambitions meilleures, et nous persistons à croire qu’il ne tire pas de son talent tout le parti possible,

Autant l’école belge est restée intime et concentrée, autant l’école allemande a cherché avec prédilection les vastes compositions héroïques ; il est difficile de la juger d’après ce qu’elle nous a envoyé à Paris, car ses œuvres les plus considérables, celles qui lui donnent son caractère et son originalité, sont des peintures Murales qui décorent les grands palais de Munich et de Berlin. Ses deux principaux représentans sont morts ; Owerbeck et Cornélius, qui avaient exposé leurs cartons en 1855, ont rejoint dans la postérité les maîtres à l’imitation desquels ils s’étaient consacrés, le premier introduisit jusqu’à un certain point l’ascétisme dans la peinture ; ses modèles furent fra Angelico et fra Bartbolomeo, et à voir ses œuvres on eut pu croire que toute son esthétique consistait à réduire le corps à un minimum de densité afin qu’il ne nuisît pas à l’âme. L’autre, sorte de peintre apocalyptique, cherchant à dégager le symbolisme des mythes anciens, disciple des doctrines de Kreutzer, touchant à toutes les parties de l’histoire, jeta une clarté souvent bien confuse sur la Bible, Faust et les Niebelungen. Tous deux, ils grandirent sous l’inspiration de la Bavière et furent catholiques. Le seul grand maître qui reste aujourd’hui à l’Allemagne, c’est M. Kaulbach, et il est protestant ; c’est là sa force et sa puissance. Les peintres ont été longtemps, comme l’écrivain A. Guillaume Schlegel, catholiques par prédilection d’artiste ; » Munich se crut devenue l’Athènes de l’Allemagne. « S’il y manque des Alcibiades, a dit Henri Heine, les chiens du moins n’y manquent pas ! » Cette gloire est passée aujourd’hui ; l’avènement de Frédéric-Guillaume IV détermina à Berlin un vif mouvement vers les arts ; ce mouvement fut exclusivement protestant, et il est maintenant dirigé par M. Kaulbach. D’une façon secondaire, et surtout pour la peinture de genre, l’école de Dusseldorf lui donne la main.

La Bavière cependant, mue par un sentiment d’amour-propre national qu’il faut comprendre, a fait bande à part ; elle a réclamé son autonomie, s’est fait construire une galerie particulière et veut absolument ne pas être confondue avec les autres nations de langue allemande. C’est là une question délicate que nous n’avons pas à juger ; mais les grands travaux de M. Kaulbach ont été exécutés pour l’escalier et le vestibule du musée de Berlin, ils sont empreints d’un protestantisme manifeste : il nous est donc bien difficile de voir en lui le chef d’une école catholique à peu près disparue aujourd’hui, et, sans tenir compte des prétentions de telle ou telle capitale, nous diviserons simplement la peinture allemande en peinture de genre et en peinture d’histoire. Les hommes enthousiastes qui veulent l’unité de l’Allemagne, qui chantent la célèbre chanson d’Ernest Arndt : « Quelle est la patrie de l’Allemand ? c’est tout pays où retentit le langage germain, où les chants célèbrent Dieu dans son ciel, » n’en seront pas fâchés.

M. Knaus (Wiesbaden) est le maître de la peinture de genre ; s’il n’a pas su se débarrasser encore complètement de certains tons bleus qu’il tient de son éducation première, il n’en est pas moins arrivé à une science de composition rare, à une vérité remarquable dans les types et à une sorte d’ironie douce qui paraît être le caractère distinctif de son talent. C’est un familier de nos expositions, c’est en France que sa réputation a pris naissance et a grandi. L’Allemagne nous avait confié un élève, nous lui avons rendu un maître. On peut reprocher à M. Knaus de trop procéder par teintes plates et de pousser l’amour du détail jusqu’à l’excès ; le tableau intitulé Une petite Paysanne cueillant des fleurs dans une prairie est sous ce double rapport, curieux à étudier ; c’est, je crois, un des derniers qui soient sortis de l’atelier du peintre, et il contient jusqu’â l’excès ses deux défauts principaux. C’est là un côté anglais du talent de M. Knaus, et sur lequel il fera bien de veiller. Il n’a pas la minutie d’exécution des artistes britanniques, et je ne lui ferai pas l’injure de comparer sa facture à celle de MM. Sydney Cooper et Henry Wellis ; mais, comme eux, il ne peut se résigner à aucun sacrifice, il suffit qu’il ait vu une chose pour qu’il veuille la représenter, il ignore la loi d’élimination, dont l’application cependant est rigoureuse dans les arts, et alors il surcharge sa composition d’une quantité d’accessoires inutiles. Un de ses meilleurs tableaux, Saltimbanque, où tout est bien à point, où l’ordonnance est bonne, où l’expression va de pair avec l’exécution, est déparé et presque alourdi par l’excessif encombrement des détails qui, sollicitait l’attention aux quatre coins de la toile, ne lui laissent le loisir de se reposer nulle part. Tel qu’il est néanmoins, et malgré ces critiques, M. Knaus a dans les arts une importance qu’il serait injuste de ne pas reconnaître. Il est loin de posséder le talent de M. Meissonier et le style très élevé de M. Jules Breton, mais il est supérieur à la plus grande partie de nos peintres de genre, et comme tel il nous offre d’utiles enseignemens.

M. Liezenmayer (Bavière) n’a pas les hautes qualités qui distinguent M. Knaus, mais il a un coloris meilleur, plus franc, plus sincère ; où l’on voit l’effort vers la nature même ; il se tient dans des nuances blondes qui sont fort agréables, et donnent un aspect charmant à son tableau intitulé Marie-Thérèse nourrissant l’enfant d’une pauvre malade. Le sujet par lui-même était de nature à donner motif à un beau tableau, car en peinture, comme en toutes choses de l’esprit à sa part, le choix du sujet ne laisse pas que d’être grave et, sans être à cet égard aussi exclusif que Diderot, on peut affirmer que certains sujets portent plus que d’autres. Nos peintres français ignorent trop cette loi fort simple de la composition où l’antithèse obtient naturellement des oppositions fort heureuses dans l’expression et dans les costumes, c’est-à-dire dans les lignes et dans le coloris. L’impératrice, très richement vêtue, offrant son large : sein blanc à un enfant chétif qui y boit la vie avec ardeur, tandis qu’une pauvre femme couverte de sombres baillons regarde cette scène avec une jalouse admiration, c’était là un thème fort heureux que le peintre a très bien fait de choisir, et dont il a su se tirer à son honneur. Les étoffes sont peut-être trop chiffonnées de parti pris, mais c’est là une incorrection sans gravité et qui disparaît vite devant l’impression générale, qui est profonde et durable.

Une impression semblable est produite par un tableau d’un tout autre ordre, mais où cependant les colorations blondes et sans violence préméditée dominent malgré le sujet, qui conviait à toute sorte d’exagérations. La Route entre Solferino et Vallegio le 24 juin 1859 est l’un des bons tableaux de bataille qu’on puisse voir. L’auteur, M. Franz Adam (Bavière), n’a rien cherché d’épique ni de convenu ; il n’y a là ni lutte corps à corps, ni soldat mourant enveloppé du drapeau, ni général caracolant au milieu de la fumée, ni fantaisie, ni fantasia. Il y a mieux que cela : une action très simple, parfaitement vraie, observée sur nature et rendue avec sincérité. On peut reprocher à M. Franz Adam quelques faiblesses dans le modèle ; mais l’habileté de la composition, l’agencement des lignes, l’ordonnance très bien comprise des groupes, la fermeté de l’aspect général et la précision de l’ensemble font vite oublier les petites maladresses de l’exécution. Tout ce qui est du métier s’apprend et devient absolument secondaire en présence d’une façon ingénieuse de comprendre les principes de l’art et de les expliquer.

En Prusse, M. Menzel expose un grand tableau qui représente Frédéric II dans la nuit dit 14 octobre 1758, à ce dur combat de Hochkirchen, où il donna de sa personne avec une constante et inutile intrépidité. On sent dans cette toile du mouvement et du dessin ; mais elle est placée si haut, dans des conditions de lumière si défavorables, qu’il est presque impossible d’en saisir les détails ; tout ce que nous pouvons dire, c’est que la confusion d’un combat de nuit est bien rendue, que le peintre a usé avec adresse des ressources de coloration que lui fournissait l’opposition d’un incendie lointain enlevé sur un ciel obscur, et que les soldats ont le diable au corps comme il convient. Nous devinons une certaine puissance dans cette composition, et nous regrettons de n’avoir pu l’étudier d’une façon plus certaine. Le Banquet des généraux de Wallenstein à Pilsen en l634 est de M. Jules Schottz (Saxe), c’est un tableau de genre-histoire dans lequel l’artiste a cherché par la coloration un effet gai et luisant qu’il a obtenu. Les nuances sont un peu tapageuses, mais l’habile distribution des groupes donne de l’air et de la vie à la composition, qui n’était pas sans difficultés et sans périls. Les physionomies ont été étudiées avec patience, et tiennent une part sérieuse dans cette œuvre digne d’éloges. Dans le grand-duché de Bade, il faut citer de M. Raller la Mort de Philippe II, roi d’Espagne, qui est un très estimable tableau d’histoire, et de M. Saal une Forêt de Fontainebleau au clair de lune dont nous avons déjà parlé ici même en 1863.

Malgré les peintres que je viens de nommer et leurs œuvres, qui toutes se distinguent par des qualités spéciales, l’Allemagne artiste n’aurait qu’une importance secondaire à l’exposition universelle, si M. Kaulbach n’avait envoyé un de ses magnifiques cartons aux galeries de la Bavière. M. Kaulbach est un des grands maîtres de la peinture moderne, car, par sa façon absolument neuve de comprendre les compositions historiques, il a introduit dans l’art un élément nouveau. Il est le premier qui ait appliqué avec une autorité si grande le synchronisme dans la peinture d’histoire. Il ne mêle pas, comme M. Matejko, la vérité et l’allégorie ; il ne s’occupe des faits que pour en tirer une sorte de philosophie morale extrêmement élevée sur laquelle son œuvre s’appuie avec une largeur de conception sans égale. Il résume une époque entière et excelle à en dégager l’âme, à laquelle il donne plastiquement un corps net, distinct, palpable. — C’est là une qualité précieuse, très rare, évidemment obtenue par une culture intellectuelle très avancée, qu’on peut facilement acquérir par l’étude et dont je voudrais voir les artistes français se préoccuper très sérieusement. Nul parmi nous, il faut savoir le reconnaître avec sincérité, ne pourrait rien faire qui ressemblât au carton que M. Kaulbach nous montre aujourd’hui. Il est intitulé la Réformation, et l’on pourrait le surnommer l’École d’Athènes du protestantisme. Nous en parlerons avec quelques détails, car c’est le seul moyen de faire comprendre par quel procédé, à la fois simple et ingénieux, M. Kaulbach arrive à ordonner de si grandioses compositions.

La scène se passe dans une cathédrale allemande, cathédrale gothique, car le protestantisme fera pour le culte qu’il vient remplacer ce que ce dernier a fait jadis pour le paganisme : il prendra ses demeures, les purifiera et y installera la loi nouvelle. Deux colonnes la soutiennent, ce sont les colonnes de la foi ; devant chacune d’elles se tient un roi guerrier et une reine : Gustave- Adolphe et Elisabeth d’Angleterre. Au fond du chœur semi-circulaire sont assis les précurseurs, ceux qui, ébranlant peu à peu l’autorité spirituelle et temporelle de la papauté, ont enfin permis aux peuples de substituer le dogme du libre examen à celui de l’autorité infaillible : ce sont Wiclef, Geiler de Kaisersberg, qui fut un des plus ardens fustigateurs du clergé de son temps, Jean Wessel le théologien hollandais, Jean Huss, Pierre Walde, Arnaud de Brescia, Abailard, Savonarole et Taüler, un des plus rudes lutteurs du XIIIe siècle. Devant eux, debout, élevant la Bible allemande entre ses mains, Luther montre à l’humanité le grand précepte : « aime ton prochain comme toi-même ; » L’artiste l’a représenté jeune, vigoureux ; plein d’enthousiasme et de foi, tel qu’il devait être à Worms quand il brûla solennellement la bulle. A sa droite se tient Zwingle, à sa gauche Juste Jonas ; près de ce dernier, Bugenhagen, le réformateur poméranien, un calice à la main, se penche vers Jean de Saxe et Jean-Frédéric ; derrière ces deux personnages, on aperçoit Albert de Brandebourg et des conseillers des villes hanséatiques. A côté de Zwingle, Calvin, vieux, sec et anguleux, offre la communion à un groupe où l’on reconnaît des Suisses, des huguenots français, Coligny et Maurice de Saxe ; au-dessous d’eux se dressent Guillaume d’Orange et Barneveldt. — C’est là le côté religieux et politique de la composition, il est complété par les Anglais célèbres : Essex, Burleigh, Drake, Cranmer et Thomas Morus, qui suivent la reine Elisabeth. Au centre même du tableau, M. Kaulbach a placé les hommes qui représentent ce qu’on pourrait appeler l’alliance de la paix, âmes douces et indulgentes qui ont tout fait pour calmer les esprits, pour amener des concessions mutuelles, pour arriver enfin au compromis satisfaisant de la confession d’Augsbourg : ce sont Mélanchthon, Éberhardt de Tann, qui, conseiller de Saxe, mit à l’apaisement général une ardeur extraordinaire, puis Ulrich Zase, qui, comme diplomate, fut un des agens les plus actifs de la pacification. Au-dessous d’eux et symbolisant la démocratie intelligente, travailleuse, honnête et préoccupée de l’Allemagne, je vois Hans Sachs, le cordonnier poète, qui fut, comme chacun sait, un des hommes les plus étranges de son temps.

Ce n’est pas tout, car il y a eu à l’époque de la réformation d’autres hommes que des théologiens, des diplomates et des soldats. Il y a eu un mouvement pacifique qui a bouleversé le monde par des découvertes dans les lettres, les sciences et les arts. M. Kaulbach s’est bien gardé de l’oublier, et il l’a représenté avec une largeur de pensée extraordinaire. Le premier groupe placé à la droite du spectateur comprend les humanistes, les poètes, les orateurs, les historiens : Jacques Balde, le jésuite poète, Pétrarque, l’Espagnol Vivès, le philologue Ficin, Pic de la Mirandole, Campanella, Machiavel. A leur tête semblent marcher les deux hommes qu’on appelait de leur vivant les deux yeux de l’Allemagne, Érasme et Reuchlin ; puis viennent Shakspeare, Cervantes, le jurisconsulte français Dumoulin, le cardinal Krebs, qui changea son nom barbare en celui de Cusa, sa ville natale, le poète Celfes ; près d’eux, voici Ulrich de Hutten, un des ardens promoteurs du protestantisme, et le prédicateur Kuhhom, qui latinisa son nom et en fit Bucerus. Au-dessus d’eux, Gutenberg montre avec orgueil la première feuille sortie de sa presse ; à ses côtés se tient Laurent Koster, que la Hollande regarde comme l’indiscutable inventeur de l’imprimerie. Ensuite voici les artistes, le graveur Pierre Vischer, Léonard, Raphaël, Michel-Ange, et tout en haut, le dernier ou le premier, Albert Dürer, dont le broyeur de couleurs est M. Kaulbach lui-même. De l’autre côté, à la gauche du spectateur, l’artiste a placé ceux que, faute d’un mot français, je nommerai les découvreurs, ceux qui en fouillant la nature ont puissamment aidé l’humanité à se dégager des ténèbres du moyen âge, des fictions dangereuses et des superstitions de la magie. Le plus grand de tous, le plus sombre, car sa vie fut dure, apparaît Colomb, posant sa main enchaînée sur le globe terrestre, auquel il a ajouté un monde ; il est, pour ainsi dire, le centre vers, lequel se tournent le géographe Behaim, le grammairien Sébastien Munster, Bacon, Harvey, André Vésale, Franck, qui écrivit l’histoire du monde, Paracelse et le botaniste Léonard Fuchs ; au-dessus d’eux, Giordano Bruno, Cardan, Tychp-Brahé, Kepler, puis Galilée et enfin Copernic.

Tel est l’ensemble de cette immense composition qui, dans une description écrite, peut paraître confuse, mais où le peintre a répandu une lucidité extraordinaire. La division des groupes est si bien observée, le rayonnement des idées consécutives autour de l’idée-mère est si nettement formulé, l’action des personnages est si simple et en même temps si précise, que cet énorme dessin se lit et se comprend d’un coup d’œil ; il se passe de commentaire, on peut facilement saisir tout ce que l’auteur a voulu dire. Cette clarté dans l’allégorie positive de l’histoire est une des qualités les plus remarquables de M. Kaulbach ; elle suffirait à lui donner un rang enviable parmi les peintres, si son admirable talent de dessinateur n’en faisait le premier artiste de l’Allemagne. C’est beaucoup d’avoir de bonnes idées et de vouloir faire entrer la philosophie historique dans l’art : nous avons eu en France des hommes qui ont tenté cette haute aventure et qui ont échoué dans leur œuvre parce qu’ils n’avaient eu que la conception et qu’ils ne pouvaient, comme M. Kaulbach, exécuter, eux-mêmes et d’une façon irréprochable les compositions palingénésiques qu’ils avaient imaginées. C’est là la véritable originalité et la force réelle de M. Kaulbach, sa main va de pair avec son cerveau ; on peut lui appliquer la vieille définition de l’homme : c’est une intelligence servie par des organes. Pour lui, l’art est l’expression plastique d’une pensée toujours élevée ; il est loin, comme on le voit, des peintres qui s’imaginent qu’il suffit de rendre un morceau d’étoffe, de chiffonner, un pli de draperie. pour être un artiste. M. Kaulbach n’est pas seulement grandiose ; son très riche clavier est loin d’avoir une note unique, son Reineke Fuchs montre les côtés ironiques, railleurs de son talent multiple, et dans ses illustrations de l’œuvre de Goethe il est arrivé à une émotion profonde, à un sentiment exquis. Lolotte distribuant des tartines aux enfans, le Jardin de Lili, Gretchen à la fontaine, Goethe patinant, sont des chefs-d’œuvre. Claire appelant le peuple aux armes est égal dans son genre à la musique de Beethoven sur le même sujet. Quant à sa façon de peindre, elle est un peu sèche, ainsi qu’on peut le voir dans les galeries réservées à la Prusse, et où M. Kaulbach a mis plusieurs portraits ; mais elle est précise, franche d’allure et sans mièvreries : elle tient une sorte de juste milieu très raisonnable entre les empâtemens excessifs auxquels nous sacrifions trop souvent en France, et la dureté des peintres anglais. On voit qu’entre les mains de l’artiste la couleur est un moyen et non pas un but. Quand il a suffisamment rendu sa pensée, il passe outre et fait bien. Nous comprenons qu’en Allemagne M. Kaulbach soit un maître vénéré et que Berlin ait fait quelques sacrifices pour l’enlever à Munich ; les peuples intelligens sont ceux qui savent attirer et retenir les grands artistes.


III

L’école française est décapitée, et cependant elle offre encore un groupe d’hommes et un ensemble d’œuvres qui lui assurent la supériorité sur les écoles des autres pays. En 1855, à l’exposition universelle, nous nous étions montrés avec un éclat qu’on n’a point oublié et qui avait dû singulièrement frapper les autres nations, car c’est surtout de ce moment que les peintres étrangers sont venus étudier, dans nos ateliers et prendre leur part de nos enseignemens et de nos récompenses. Depuis ce temps, la mort a été cruelle pour nous, elle a frappé sans relâche, abattant les meilleurs, tuant les généraux les uns après les autres, creusant des vides qui n’ont point été comblés et laissant notre armée d’artistes sans, chefs, sans discipline. Tous ceux dont nous étions justement fiers, tous ceux qui, à des intervalles différens, avaient, franchi les degrés de la maîtrise, ceux qui donnaient à notre pays une gloire sans pareille en Europe et que nous montrions avec orgueil au monde entier pour lui prouver que la France ne dégénérait pas, sont tombés depuis douze ans et ont, je le crains bien, emporté leur secret avec eux. Ingres a été rejoindre Flandrin, son élève chéri ; Decamps a précédé Delacroix ; Horace Vernet est parti en faisant signe à Bellangé, qui l’a suivi, et ce n’est point M. Yvon qui les a fait oublier ; Ary Scheffer et Benouville ne sont plus ; le maître des larges paysages où marchaient les troupeaux pacifiques, Troyon, s’en est allé tout jeune encore ; Raffet est mort, et la sculpture, inopinément veuve de Pradier, a perdu encore Rude et David, C’est trop, et ces pertes-là ne sont point faciles à réparer. Il faut bien des années, bien des circonstances exceptionnellement favorables pour faire un grand artiste, et de nos jours elles ne se représentent guère. Ceux que l’art français n’a pas encore remplacés avaient reçu dans des temps plus heureux cette forte éducation morale qui découle naturellement, des libres institutions, lesquelles entretenaient parmi toutes les classes de la société, parmi tous les corps d’état, une émulation bienfaisante et féconde dont vainement nous cherchons la trace aujourd’hui. Le milieu a une influence prépondérante sur les arts, puisqu’ils ont le plus souvent pour mission d’en formuler l’expression figurée. Horace Vernet et Charlet sont les produits directs des passions politiques de la restauration, comme Eugène Delacroix et Ary Scheffer, tous deux avec leur emportement, leur incorrection, leur recherche constante et souvent égarée, sont sortis des luttes littéraires de leur époque. Lorsque les esprits sommeillent et que les consciences se taisent, l’art est bien près de ne plus être. En matière d’art comme en matière de mode, nous donnons le ton à l’Europe ; on nous imite sans nous égaler, et nous n’avons pas trop le droit d’être fiers des élèves que nous faisons aujourd’hui.

L’école française, supérieure dans son ensemble aux autres écoles, est inférieure à elle-même, et ne pourrait produire actuellement aucune des œuvres que le commencement du siècle a vues éclore. Qui peindrait aujourd’hui les Pestiférés de Jaffa, le Portrait de M. Bertin ou la symphonie en bleu majeur de l’Entrée des croisés à Constantinople ? Personne assurément. Est-ce bien l’école française qu’il faut dire ? Je ne le crois pas. Le mot école implique l’idée d’un ensemble de doctrines professées par des maîtres et acceptées par des élèves ; or ce qui manque spécialement à nos artistes, c’est la doctrine et la direction. Si le gouvernement français a une école des beaux-arts et s’il a assumé sur lui la responsabilité de former des artistes, on pourrait l’ignorer. Qu’est-ce qui dicte les choix ? les besoins de l’art ou les convenances administratives ? La récente domination du nouveau directeur de la villa Médicis peut nous répondre ; s’il a de l’influence sur les jeunes gens que la France envoie à Rome s’abreuver aux sources, parfois dangereuses des traditions frelatées, nous verrons une exposition remplie d’œuvres maladives où le sentiment cédera le pas à la sensiblerie. En art, comme en toute chose, nous estimons que la liberté est préférable à ces systèmes, qui le plus souvent ne servent qu’à donner quelques fonctionnaires de plus à l’état. Ce qui ressort de l’examen des salles réservées à la peinture française ; c’est que l’enseignement, j’entends un enseignement rationnel et sérieux, fait défaut. Il n’y a plus de maître assez fort pour s’imposer, faire admettre ses tendances et créer à côté de lui un atelier théorique où l’on pourrait apprendre les premières et indispensables notions de l’esthétique appliquée. Le dernier qui fit réellement école en France fut M. Ingres, et les trop rares élèves qui lui survivent sont les seuls qui savent voir la nature d’une certaine manière et l’approprier au grand art qu’ils cherchent toujours et trouvent quelquefois. En dehors d’eux, il n’y a plus que confusion ; chacun va au hasard de sa fantaisie et de son intérêt ; la petite école des pompéistes qui marchait, non passibus œquis, derrière M. Gérôme, s’est dispersée aussi ; et nous restons en présence d’individualités remarquables, mais qui s’isolent et n’attirent personne vers elles. Cette indépendance absolue, ce mépris de toute règle, cette ambition excessive qui jette chacun dans une voie particulière, peuvent avoir un bon côté et faire surgir tout à coup une personnalité considérable ; mais jusqu’à présent le résultat le plus clair a été d’affaiblir singulièrement la masse générale des artistes qui luttent, sans pouvoir la vaincre, contre une médiocrité désespérante. De ce chaos sortira peut-être la lumière, je le souhaite avec ardeur ; peut-être cependant serait-il imprudent d’y croire avec trop de confiance. Nous avons certainement des peintures remarquables à offrir aux regards des étrangers, elles eussent même acquis une valeur plus grande sans les déplorables conditions dont j’ai parlé en commençant ; mais à toutes ces toiles savantes, tapageuses ou régulières que j’aperçois, je préfère, comme disent les artistes, un bout de dessin fait par Flandrin, simple esquisse à peine crayonnée, et qui représente une Tête de Christ. C’est de l’art au plus haut degré, et nul aujourd’hui ne pourrait plus, hélas ! exécuter une pareille étude.

Si nous éprouvons quelque tristesse en comparant l’école française à ce qu’elle a été et à ce qu’elle devrait être, nous ne pouvons qu’être satisfait lorsque nous la voyons en regard des écoles étrangères : dans la peinture d’histoire et de genre, nous avons un groupe de dix ou douze artistes auxquels l’Europe ne peut opposer que deux ou trois individualités éparses en Allemagne et en Belgique. Ils sont tous différens les uns des autres, et si aucun n’est un maître complet, chacun d’eux a du moins des qualités de premier ordre. Nous ne nommerons que les meilleure, ceux dont le nom, déjà populaire, a franchi les frontières de la France et s’impose au respect des étrangers, M. Meissonier a envoyé plusieurs toiles qui toutes, à divers degrés, ont une importance considérable, Celle que nous préférons est le Renseignement, car à l’exactitude minutieuse qui lui est familière le peintre a su ajouter une élévation de style qu’on ne saurait trop louer ; de plus M. Meissonier sait mieux que personne faire circuler l’air dans les tableaux, grouper les figures avec habileté et les mettre en rapport fort judicieux avec le paysage. MM. Fromentin, Comte, Breton, nous montrent des tableaux connus, dont nous avons déjà parlé, et qui prouvent que la réputation de ces artistes n’a rien d’usurpé ; M. Gérôme a une exposition très complète, où je regrette de ne pas revoir Cléopâtre et où je n’aurais pas voulu retrouver la Phryné. M. Cabanel, qui me paraît un esprit troublé et chercheur, qui fait parfois de beaux portraits, qui malgré son talent à certains côtés maladifs qu’on dirait empruntés à M. Hébert, expose un Adam et Ève chassés du paradis qui a des qualités remarquables de modelé et de coloris. C’est parmi les peintres d’histoire qu’il convient de placer M. Bida, quoiqu’il n’ait jamais manié que le crayon. Celui-là, nous pouvons le montrer à l’Europe entière, elle ne nous offrira point son égal. Son Massacre des mamelucks, où toutes les victimes, tombées deux par deux comme les soldats de la légion thébaine, affirment en mourant l’affection qui unissait leur vie, est une œuvre hors ligne dont l’artiste a su se tirer avec un bonheur extraordinaire malgré les difficultés forcées de l’exactitude historique, qui imposait une composition en cascade. Si à ce dessin on ajoute ceux que M. Bida a faits pour son admirable commentaire des Évangiles, et dont quelques-uns ont été si remarquablement gravés par MM. Edmond Hédouin et Flameng, on conviendra que l’artiste capable d’un tel et si beau travail est un juste sujet d’orgueil pour son pays.

Les hommes dont nous venons de parler appartenaient déjà en quelque sorte au passé, en ce sens que tous sans exception étaient connus avant l’exposition universelle de 1855. Leur talent a pu s’accroître, mais il avait déjà fait ses preuves. Il est donc plus intéressant de voir quels sont les artistes qui, depuis douze ans, se sont imposés avec autorité et résument par conséquent l’avenir de la peinture française. Nous en reconnaissons trois qui, par leurs tendances, leurs efforts et leurs œuvres, pourront, tout en suivant les courans différens où les entraînent leurs affinités, continuer nos traditions en fait d’art. Ce sont MM. Paul Baudry, Gustave Moreau et Émile Lévy. Le premier est né coloriste ; il a été doué au berceau par la fée des jolies nuances. Il y a dans sa manière de choisir et d’associer les tons une distinction rare qui détermine son originalité. Malheureusement M. Paul Baudry a été gâté ; son premier tableau exposé, la Fortune et l’Enfant, qui était une réminiscence beaucoup trop directe de l’Amour sacré et l’Amour profane, de Titien, de la galerie Borghèse, lui a valu un tel succès de camaraderie que le jeune peintre s’est cru parvenu d’emblée au sommet de l’escalier, qu’on ne gravit que lentement et avec une imperturbable constance d’efforts. Il a pensé qu’il lui suffisait de peindre au hasard, sans choix et sans étude, le premier modèle trouvé, et alors nous nous avons vu des Lédas, des Madeleines qui ne tenaient aucune des promesses faites au début. Se fiant à ses qualités innées, à une grande facilité de main, à une adresse extraordinaire de coloris, M. Baudry a négligé la ligne pour laquelle il n’a visiblement qu’un goût très médiocre ; de plus, entraîné, par une stérilité d’imagination manifeste, il n’a donné aucun soin à ses compositions et s’est contenté d’un à peu près perpétuel. Je crois qu’avec beaucoup de travail M. Baudry aurait pu devenir un peintre d’histoire remarquable ; son ambition n’a pas été si loin, et il lui a paru satisfaisant d’être un agréable peintre décorateur, excellant aux dessus de porte et aux trumeaux, C’est une spécialité comme une autre, et elle n’est point à dédaigner ; l’art est assez large pour y trouver son compte et payer en réputation l’artiste qui sait représenter d’aimables Vénus, des amours badins, des nymphes, endormies, au milieu des fanfreluches, des dorures, à côté des glaces encadrées de rocailles, sous l’éclat des lustres de cristal. Et cependant quelque chose me dit que l’auteur du portrait de M. Beulé et du portrait de M. Jard Panvillier (1857-1859) pouvait tenter une fortune plus haute, et que s’il eût eu le courage d’écouter certains critiques maussades qui lui disaient de déplaisantes vérités, il aurait pu devenir un maître sérieux au lieu, de rester un coloriste élégant, mais incorrect et n’ayant pas encore atteint le grand art.

M. Gustave Moreau est absolument le contraire de M. Paul Baudry ; autant ce dernier a eu d’abandon et s’est fié à ses facultés natives, autant l’autre a dépensé d’énergie, de persistance, de ténacité pour se modifier, et s’agrandir par l’étude. Il est parvenu ainsi à se faire un tempérament artiste qui a donné déjà des résultats considérables. Œdipe et le Sphinx, que nous regrettons vivement de ne pas voir au Champ de Mars, restera un des meilleurs tableaux de notre époque sous le triple rapport de la composition de la ligne et du coloris. Aux efforts permanent que fait M. Gustave Moreau pour se perfectionner, on peut reconnaître à coup sûr que ses visées sont très hautes et qu’il n’est jamais content de lui-même. C’est là le signe d’un esprit supérieur. Par la solidité de sa facture, par les ingénieuses recherches de sa coloration, par le style souvent un peu trop voulu de ses figures, par ses conceptions originales et son ordonnance toujours très noble, M. Moreau montre qu’il est un artiste convaincu, entêté dans la voie du bien, et que rien ne lui coûtera pour saisir enfin son idéal corps à corps. Jusqu’à présent il est resté absolument insensible aux mauvaises suggestions de nos temps dépravés ; comme un ermite, il s’est enfermé face à face avec son dieu, il l’adore, l’interroge et l’écoute. C’est lui qui, parmi les nouveau-venus nous semble appelé aux plus grandes choses. Une telle volonté, mise au service d’un talent déjà maître de soi, ne peut qu’arriver à produire des œuvres, sérieuses. Nous espérons que son exemple, si excellent, si désintéressé, sera suivi par les artistes, et qu’ils comprendront enfin, que l’habileté de main n’est rien, absolument rien, si l’on n’y ajoute la culture intellectuelle.

On peut juger au Champ de Mars même des progrès que M. Emile Lévy a faits, des combats qu’il a dû se livrer à lui-même pour arriver à produire ce Vertige dont j’ai parlé tout récemment[2], en effet, toute son œuvre est exposée là, depuis son envoi de Rome, le Repas libre, jusqu’à la Mort d’Orphée de 1866. Rien certes n’est plus touchant à reconnaître, rien n’est plus doux à constater que les efforts d’un talent indécis, tourmenté, qui finit par se dégager de ses langes et s’affirmer avec autorité. Ces efforts, on peut les suivre sur chacun des tableaux de M. Emile Lévy. Le modelé du Repas libre est plat, l’artiste le comprend ; il se serre trop, et arrive à la sécheresse dans le Vercingétorix, cette sécheresse le choque, il l’adoucit singulièrement dans l’Orphée, où des premières tentatives de coloris apparaissent très nettement. Je ne saurais dire combien je suis ému, — car le fait est bien rare, — lorsque je vois un artiste, reconnaissant lui-même ses défauts, les corriger, modifier les influences de son éducation première, oublier les traditions dont on l’a nourri, s’ouvrir une voie nouvelle et y marcher sans reculer. C’est le cas de M. Emile Lévy. Si, continuant sur lui-même ce travail d’élimination et d’assimilation qu’il a honorablement commencé, il ne s’arrête pas en chemin et tient toutes les promesses qu’il a faites cette année, nous aurons un très bon peintre de plus, et un artiste dont l’influence pourra être utile à notre école.

Il est superflu de dire que notre peinture de paysage est sans rivale au monde ; c’est un fait de notoriété publique et qui depuis longtemps n’a plus besoin de démonstration ; c’est en France que s’est faite la révolution que John Sell Cotman avait tentée en Angleterre vers 1814. Gros avait dans la peinture d’histoire substitué la nature mouvementée à l’imitation de la statuaire antique préconisée par David ; dans le paysage, Decamps, Cabat, Marilhat, substituèrent la nature réelle à la nature de convention, que les paysagistes dits historiques conservaient avec un soin jaloux. L’impulsion donnée ne s’est pas arrêtée, et nous savons aujourd’hui à quels heureux résultats elle a conduit nos peintres. A ne citer que les maîtres, MM. Français, Lanoue, Corot, Théodore Rousseau, Cabat, on peut affirmer qu’ils font école, et que tous les artistes des autres nations tâchent de voir et de reproduire la nature comme ils la voient et la reproduisent. M. Courbet doit être regardé aussi comme un maître en fait de paysage Dans ce genre de peinture, il développe des qualités qui disparaissent aussitôt qu’il s’attaque à la figure ; mais sa Remise des chevreuils du Salon de 1866 est un des bons tableaux qui soient sortis de notre école de paysagistes. L’étude assidue de la nature dans son intimité n’exclut pas le style, M. Français l’a surabondamment prouvé dans son Orphée ; elle n’exclut pas non plus la rêverie et l’interprétation idéalisée, M. Corot, le maître nacré par excellence, le démontre tous les jours. Le public, dont l’éducation est lente en toutes choses et qui passe avec prédilection dans les chemins battus, n’a pas toujours été juste pour quelques-uns des artistes que je viens de nommer : M. Théodore Rousseau n’a pas encore été complètement adopté par lui, et nous en sommes surpris. Les œuvres de ce peintre seront recherchées plus tard, comme le sont aujourd’hui celles d’Hobbéma, un inconnu de son temps. On a exposé récemment au cercle de la rue de Choiseul une centaine de toiles, esquisses, études et tableaux de M. Théodore Rousseau ; il y avait là des chefs-d’œuvre non-seulement comme facture, mais aussi comme impression, comme vigueur de sensation, comme intimité, comme franchise et comme sincérité ; je regrette vivement que cette exposition n’ait point trouvé place au Champ de Mars, elle eût puissamment servi M. Théodore Rousseau et l’eût consacré maître au premier chef.

Ce que nous venons de dire pour le paysage, nous pourrons le répéter de la sculpture ; ce grand art, cet art difficile par excellence est en France au-dessus de toute comparaison : nous dominons les étrangers d’une façon très glorieuse. La statuaire évite un des grands périls qui menace sans cesse la peinture ; elle échappe forcément aux influences de la mode, elle reste impassible dans sa blancheur et sa rigidité. La nécessité du nu lui donne une solidité de principe que la peinture n’a pas. Elle doit rester noble ; si elle outrepasse la grâce, elle tombe dans l’afféterie, pour ne rien dire de plus, et devient révoltante. la liste est longue de ceux qu’on peut nommer et qui portent dignement l’héritage de nos maîtres morts ; MM. Cavelier, Thomas, Perrot, Carpeaux, Dubois, Maillet, Crauck, Ottin, Carrier-Belleuse, Guillaume, Barye, forment un groupe d’excellens artistes où chacun, selon ses aptitudes, combat pour l’honneur du drapeau. Le public paraît se préoccuper beaucoup de la sculpture italienne : il est attiré par un spectacle nouveau et s’y arrête avec complaisance. Il a tort ; il est dupe de ce qu’on appelle un trompe-l’œil. Ce qui le frappe dans les statues venues d’Italie, ce qui retient son attention, ce n’est point l’habile disposition des lignes, ni l’ordonnance générale, ni la beauté du type, ni même la grandeur du sujet, encore moins la grandeur de l’interprétation ; c’est l’exécution, l’exécution seule, c’est-à-dire, l’œuvre du praticien, le travail de l’ouvrier et non pas la conception de l’artiste. Dans le Dernier jour de Napoléon Ier de M. Vela, le jabot, la robe de chambre, la couverture, sont exécutés merveilleusement, mais c’est à peu près tout : travail de râpe et de ciseau. Ce que nous disons de l’un peut s’appliquer à tous : les colombes sont pratiquées plume à plume, les fleurs pétale à pétale, la paille des chaises (la leggitrice) brin à brin ; mais c’est l’outil qui a fait ces tours de force, la main y est pour peu de chose, et le cerveau pour rien. À ces œuvres prétentieuses et qui sentent trop la substitution du métier à l’art, je préfère la façon simple, un peu froide, mais très élevée dont nos sculpteurs comprennent la statuaire. En Italie, le principal mérite revient au praticien ; chez nous, il appartient à l’artiste.

Il est temps de conclure. L’exposition universelle des beaux-arts affirme et consacre la supériorité de notre pays. L’Allemagne et la Belgique nous opposent, il est vrai, M. Kaulbach et M. Leys. Il faut avouer que personne en France n’est capable d’ordonner une composition historique comme M. Kaulbach, et que M. Henry Leys a des qualités de facture et de vérité observée que nous n’avons pas ; mais par le nombre de nos artistes de talent, par la hauteur où s’est élevée notre école de paysagistes, par la force de nos sculpteurs, nous restons les maîtres. Il n’est peut-être pas modeste de le dire avec cette verdeur, mais le fait est tellement indiscutable qu’il serait puéril de chercher à l’atténuer. Néanmoins, si nous avons le droit d’être fiers en nous comparant aux autres, nous devons reconnaître que relativement à nous-mêmes, relativement au grand mouvement qui s’est fait depuis le commencement du siècle, nous sommes en décadence, et c’est à quoi il faudrait remédier au plus vite. Il ne suffit pas d’être les plus forts, il faut être fort sans comparaison, au point de vue absolu. Un artiste qui concevrait comme M. Kaulbach et qui exécuterait comme M. Leys serait bien près de l’être. Est-ce donc impossible ? Je ne le crois pas, et cette ambition a de quoi tenter une âme supérieure.

Que les artistes me permettent de le leur dire, au moment où je prends congé d’eux ; ils croient trop que l’art réside dans l’adresse de la main, et que l’étude des maîtres, c’est-à-dire l’étude de leur manière, peut les conduire à faire des œuvres importantes. C’est là une erreur. Le procédé n’est pas plus l’art que la calligraphie n’est la poésie. Michel-Ange, disait qu’il était l’élève du torse, cela est vrai ; mais il était avant tout et par-dessus tout l’élève des poètes, des philosophes et des historiens : il résumait en lui la science de son temps, et c’est pour cela qu’il fut un homme exceptionnel. Vivant dans des camaraderies complaisantes, dédaignant toute critique et amoureux de tout éloge, les artistes s’étiolent à l’école de l’admiration mutuelle. Quand ils ont trouvé ce qu’ils appellent « une petite lumière » ou « un ton corsé, » ils s’imaginent avoir créé une œuvre. Ils n’ont rien créé du tout. Rien n’est plus douloureux, plus irritant que de voir de belles et précieuses facultés rester stériles parce que nul élément élevé ne vient les féconder. J’hésite à dire le mot, car il est bien dur, mais ce qui paralyse la plupart des artistes, c’est l’ignorance ; leurs compositions le démontrent et le prouvent avec une inéluctable clarté : c’est à cela qu’il faut attribuer la stérilité de leur imagination, et je ne parle pas ici du choix du sujet, je parle seulement de l’ordonnance, qui est une des formes de l’art. La façon dont M. Maisiat a peint récemment un Bouquet de roses prouve qu’il a un esprit cultivé. La main a beau être habile, rapide, ingénieuse, lorsqu’elle n’a rien à reproduire, elle flotte dans le vide et s’atrophie à représenter toujours le même paysan, toujours le même Bédouin, toujours le même Bas-Breton. Si l’habileté d’exécution suffit à faire un artiste, M. Blaise Desgoffes est le plus grand artiste qui ait jamais existé. Non, cela ne suffit pas, il faut autre chose ; il faut que le cerveau commande à la main contrainte d’obéir, et le cerveau ne peut commander que lorsqu’il est incessamment développé. Que serait donc M. Kaulbach sans instruction ? La meilleure partie de son talent est faite de ses lectures. MM. Gustave Moreau et Bida prouvent par leurs œuvres qu’ils sont des lettrés, et c’est ce qui peut-être constitue leur valeur. L’adresse de la main fait les ouvriers habiles, la culture intellectuelle fait les artistes, surtout de nos jours, où la méthode expérimentale est appliquée à tout. J’insiste en terminant : le savoir et le caractère forment seuls les vrais artistes. Ces deux forces indispensables de l’esprit, il est facile.de les acquérir avec de la persistance et de la volonté.


MAXIME Du CAMP.

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1865.
  2. Voyez dans la Revue du 1er juin le Salon de 1867.