Les Bases de la Croyance

Les Bases de la Croyance
Revue des Deux Mondes4e période, tome 137 (p. 877-898).
LES BASES
DE LA
CROYANCE[1]


I

Quand on disputerait au livre de M. A. -J. Balfour, sur les Bases de la Croyance, tous ses autres mérites, on aurait tort, assurément, mais il lui en resterait encore un, qui serait d’être ce que l’on appelle « un signe des temps ». Il en a d’autres, j’ai hâte de le dire ; et, par exemple, on ne saurait exposer des idées souvent plus abstraites ou plus déliées, non seulement avec plus de clarté, mais avec plus d’humour que M. Balfour. On n’est pas moins pédant, ou plus dégagé, comme nous dirions ; on n’a pas une manière plus familière et cependant plus sérieuse de traiter les questions que nos philosophes se plaisent à envelopper d’obscurité métaphysique ; on ne se met pas avec plus d’aisance ni d’agrément à la portée des esprits simplement cultivés, des « gens du monde », et des hommes politiques eux-mêmes, — puisque enfin, comme on le verra, c’est aux hommes politiques aussi que ce livre s’adresse. Je me permettrai donc ici de le recommander à M. Léon Bourgeois, qui fut président du conseil ; à M. Combes, le même que l’on vit naguère administrer si libéralement l’instruction publique ; et généralement à tout ce que nous avons, dans l’une et l’autre Chambre, d’adeptes convaincus de la franc-maçonnerie.

On ne saurait non plus les traiter, ces questions éternelles, — et en un certain sens un peu « banales », — d’une manière plus originale et plus personnelle que M. Balfour. Ses raisonnemens lui appartiennent et, même quand il semble qu’on les ait déjà rencontrés quelque part, ils frappent et ils surprennent pourtant par je ne sais quel air de nouveauté. La cause en est sans doute que si son livre n’a rien d’une « confession » ; — les Anglais ne se confessent guère, en public, je veux dire, et qu’ils ont donc raison ! — on n’y saurait méconnaître le résultat d’une sorte « d’examen de conscience ». M. Balfour ne nous fait point confidence de ses « hésitations » ou de ses « perplexités » ; mais il nous fait passer après lui par les chemins qu’il a suivis lui-même pour éprouver la solidité des fondemens de sa croyance. Persuadé, comme notre Montaigne, que « tout homme porte en soi la forme de l’humaine condition », il a voulu que son livre ne dût rien à l’école, mais tout à lui-même, à son expérience intime des questions qu’il y discute. Il a voulu aussi que le mouvement en imitât en son cours celui de ses propres méditations. Et, de là, peut-être, ce que quelques lecteurs, chez nous surtout, y trouveront à reprendre au point de vue de la disposition ou de la composition, qui n’a rien de didactique ou de français, — mais qui n’en est que plus « naturelle », du moins en anglais ; — et, sans jouer sur les mots, de là, cet accent que nous disions : de personnalité, de sincérité, de liberté. M. Balfour a écrit pour lui ; et quand son livre a été fait, il lui a paru que, n’étant pas le premier ni le seul à s’être interrogé sur les Bases de la Croyance, d’autres que lui pouvaient s’intéresser à la réponse qu’il avait trouvée. Car les grandes questions ne varient point quant à leur objet ; mais elles se réfractent en nous selon ce que l’on pourrait appeler notre équation personnelle, ou, si l’on le veut encore, selon la courbure de notre esprit ; et c’est ainsi que l’on en voit surgir dans l’histoire, l’un après l’autre, des aspects vraiment nouveaux.

J’en signalerai plus d’un dans le livre de M. Balfour. Et comme une pareille manière de traiter le sujet non seulement n’exclut pas la digression, mais l’exige, à vrai dire, — si l’on ne veut rien avancer que l’on ne prouve en quelque mesure, — je ne sais trop sur quelle matière on ne trouvera pas de vues neuves ou paradoxales dans ce livre, de remarques ingénieuses ou d’observations profondes. Il y en a sur la morale, et il y en a sur la politique ; il y en a sur la métaphysique et il y en a sur l’exégèse ; il y en a sur la peinture et il y en a sur la musique ; il y en a même sur la « mode » ; et le chapitre ou le paragraphe des chapeaux, qui n’est pas le moins amusant du livre de M. Balfour, n’en est pas non plus le moins solide. Que dirais-je de plus ? Mais, après tout cela, j’en reviens à mon premier mot : le livre de M. Balfour sur les Bases de la Croyance est un signe des temps. M. Balfour lui-même ne l’eût pas écrit, il n’eût pas pu l’écrire voilà seulement quinze ou vingt ans. Les mêmes questions ne se posaient pas alors de la même manière. Le terrain n’était pas préparé. L’auteur n’eût pas rencontré dans l’état général des esprits cette complicité si nécessaire au succès, pour ne pas dire à la valeur d’un livre de ce genre. Et c’est pourquoi, dans ces quelques pages, au lieu d’analyser ou de résumer un livre qu’aussi bien j’espère que tout le monde lira, qu’il faut qu’on lise, que je suis bien sûr qu’on lira jusqu’au bout si seulement on l’a commencé, il m’a paru plus intéressant d’essayer de définir cet état des esprits.


II

L’un des premiers traits en est cette « réaction contre la science », dont les vrais savans ne s’émeuvent pas plus qu’il ne convient ni surtout ne s’irritent, mais dont on voit en France, comme en Angleterre, et ailleurs, les hommes politiques ou les journalistes s’indigner, au nom de la liberté de penser, avec des propos d’inquisiteurs et des gestes d’énergumènes. Mais c’est le cas de le dire, des journalistes, ou même des députés, ne sont pas des raisons, et, en dépit d’eux et de leur contre-fanatisme, le mouvement est universel. Ce ne sont plus en effet aujourd’hui quelques « professionnels », théologiens ou moralistes, prédicateurs ou prélats, engagés par serment à la défense de l’orthodoxie, qui dénoncent les empiétemens de la science ! Au contraire ; et quelques-uns d’entre eux, — qui savent sans doute, ô mon Dieu ! ce qu’ils font, — sont avec elle en commerce de coquetterie réglée. « Voyons, lui disent-ils, nous ne sommes pas si intransigeans que nous en avons l’air ; accordez-nous seulement qu’il y ait quelques parties d’inspirées dans nos livres, le moins possible, celles qui regardent la morale, par exemple ; et vous serez étonnés comme nous nous entendrons ! » Mais ces diables de Brisson ou de Bcrthelot ne veulent ni s’entendre, ni rien entendre ! Et ce ne sont pas non plus quelques mystiques, — « néo-bouddhistes » ou « néo-chrétiens », — qui disputent à la science la légitimité du pouvoir quasi souverain qu’elle s’était arrogé ; ce ne sont pas quelques « occultistes » ! Non ! mais ce sont des philosophes qui ont enfin le courage de dire : « Ma science n’empêche point mon ignorance de la réalité d’être absolue… Langage symbolique, admirable système de signes, plus la science progresse, plus elle s’éloigne de la réalité pour s’enfoncer dans l’abstraction[2] » ; et moins donc a-t-elle de titres, ajouterons-nous pour notre part, à gouverner la croyance, qui ne se repaît point d’abstractions, mais de réalités, et qui tend à l’action. Un sociologue écrivait hier encore : « De quelque côté que nous nous tournions, l’attitude de la science en face des problèmes sociaux est aussi peu satisfaisante. Elle n’a pas de réponse à donner aux problèmes de notre temps[3]. » Faudrait-il après cela torturer, ou beaucoup presser, pour en faire sortir les mêmes conclusions, ces paroles du professeur Huxley : « Les meilleures des civilisations modernes me paraissent être la manifestation d’un état de l’humanité sans idéal digne de ce nom, et n’ayant pas même le mérite de la stabilité ? » M. Balfour, lui, qui est surtout un homme politique, mais d’une autre espèce que nos radicaux, se demande là-dessus ce qu’il adviendra de cet état, pour dépourvu d’idéal qu’il soit, quand le naturalisme aura réduit le peu de principes traditionnels qui nous soutiennent encore au rang de simples processus d’évolution. Qu’adviendra-t-il de la moralité, par exemple, et de la vertu, quand on n’y verra plus, avec ce « vieux petit employé de la préfecture de police, » qu’une forme de la concurrence ? Il n’y a pas jusqu’aux artistes qui ne commencent à s’inquiéter, pour l’avenir de leur art, des progrès de l’esprit scientifique[4]. Et moi-même, à qui j’espère que l’on pardonnera de me citer ici, — puisque enfin, si j’écris aujourd’hui ces lignes, ce n’est que pour avoir dit, en même temps que l’auteur des Bases de la Croyance, quelques-unes des choses qu’il a dites, — qu’ai-je voulu dire quand j’ai parlé des « faillites successives de la science ? » Ce que je puis du moins affirmer, c’est que, par hasard, si j’avais eu la prétention de parler en mon nom propre et d’être seul de mon avis, j’en aurais alors été promptement, et heureusement détrompé. Rien ne serait plus facile que de multiplier les témoignages. Ils établiraient tous que, depuis une quinzaine d’années, — qui font dans le siècle des chemins de fer et du télégraphe un assez long temps de l’histoire des idées, — il y a quelque chose de changé dans la nature d’estime qu’on faisait de la science. On l’admire toujours ; mais elle n’est plus l’exigeante et tyrannique idole à laquelle on nous demandait de tout sacrifier. Nous continuons d’user de ses services, et de lui en être reconnaissans ; mais nous ne mettons plus en elle toutes nos espérances. Elle est toujours une puissance et une force ; mais nous n’admettons plus qu’elle soit la seule, ni la plus efficace, quoique la plus envahissante. Nous nous avisons enfin qu’il y a des questions qui lui échappent ; et, comme nous sentons bien que ce sont justement les plus importantes, aux yeux de quiconque ne borne pas le rôle de l’homme à la propagation de son espèce et à la conservation de son individu, tout ce qui tend à nous rappeler ou même à renouveler, en raugmentant, l’importance de ces questions, va par-là même à diminuer le prestige, l’autorité, le pouvoir de la science. Nous en apercevons de toutes parts les limites, et sans avoir nul besoin pour cela du microscope, ou des rayons Rœntgen. La science est incapable de nous fournir une explication ou une interprétation acceptable de l’univers. Elle est incapable de fonder une morale. Et elle est incapable enfin de se substituer à la religion dans l’évolution sociale de l’humanité.

On dit ici, je le sais bien, — et même qui pourrait le savoir mieux que moi ? — on dit donc que ces questions qu’on lui reproche de n’avoir pas décidées, la science n’a jamais prétendu les résoudre. Mais il faudrait peut-être le prouver. Je reviendrai tout à l’heure sur la question religieuse et sur la question morale, qui n’en font qu’une. Mais de nier aujourd’hui que la science ait promis de nous « expliquer » l’univers, ou si l’on le veut, et plus modestement, de nous en donner une « interprétation » plausible ; la plus plausible ; et même la seule plausible de toutes, en vérité, c’est se moquer du monde après l’avoir dupé ! Rappellerai-je à ce propos, que, si le « naturalisme » ou le « positivisme », selon la vive expression de M. Balfour, « ont pris la livrée de la science, et comme une sorte de parens pauvres se sont arrogé le droit de la représenter et de parler en son nom », la science non seulement n’a pas protesté, mais encore elle a considéré leur victoire, et elle l’a vantée, prônée, célébrée comme la sienne ? Je l’ai peut-être assez souvent rappelé depuis dix-huit mois ; et comment voudrait-on qu’il en fût autrement, si c’est bien elle, la science, qui a tout fourni pour la lutte : armes, munitions et tactique ? Mais, sans revenir sur ce point, je demanderai ce que voulait dire l’illustre auteur de la Mécanique céleste et de l’Exposition du système du Monde quand, interrogé sur la place qu’il réservait à Dieu dans ses spéculations, il répondait « qu’il n’avait pas eu besoin de cette hypothèse ? » Est-ce que par hasard il ne s’entendait pas lui-même ? Je connais aujourd’hui des « savans » qui ne regarderaient pas à lui faire cette injure. Nous, cependant, qui croyons qu’il s’entendait, et qui l’entendons, nous affirmons qu’il voulait dire que le système du monde s’explique tout entier par le mécanisme des « causes actuelles ». Et plus près de nous encore, que voulait dire le non moins illustre auteur de la Chimie organique fondée sur la synthèse, quand il écrivait dans la préface d’un de ses recueils « qu’il n’y a plus de mystères ? » On pourrait le lui demander à lui-même ! Mais s’il ne voulait pas dire la même chose que Laplace ; et, du titre ou du droit que lui donnait son autorité de « savant », s’il ne voulait pas dire qu’il n’y a rien d’inexplicable à l’intelligence humaine, d’inaccessible à la méthode, d’irréductible à quelque loi connue ou de la forme de celles que nous connaissons, alors, c’est qu’il ne voulait rien dire ; et le moyen de le supposer ? Convenons-en donc franchement. Encore une fois laissons décote, pour le moment, la question religieuse et morale. Mais il n’est pas permis de nier que la science se soit donnée comme une interprétation de l’univers. Le titre seul du Cosmos de Humboldt suffirait pour en témoigner. Et aussi bien, si ce n’était là son objet final, que serait-ce donc que la science ? Une collection de faits, plus utile, peut-être, mais non pas plus intéressante ni plus instructive qu’une collection de timbres-poste, ou de coquillages ? Son plus cruel ennemi n’oserait lui souhaiter ce malheur !

C’est précisément cette interprétation de l’univers que M. Balfour, dans le second livre de ses Bases de la Croyance, a soumise à la critique la plus subtile, mais aussi la plus décisive et la plus neuve que je sache. Il ne s’est pas contenté d’en montrer la « relativité ». C’eût été là refaire la Critique de la raison pure ; et tel n’était pas son dessein. Qui ne sait aujourd’hui que la science, réduite à ses seules ressources, je veux dire ne s’éclairant que de ses propres principes, et n’opérant qu’avec ses méthodes, ne peut nous garantir ni la réalité de l’existence du monde extérieur, ni même seulement qu’il existe en dehors de nous quoi que ce soit qui réponde à nos sensations : aucun intelligible dont nous puissions affirmer qu’il est, je ne dis pas la cause ou la raison, mais la contre-partie du sensible ? En revanche, et supposé qu’il existe quelque chose, on nous affirme, et on nous « démontre » au besoin, que nous n’en saisissons que les rapports avec les formes de notre sensibilité, mais nullement le fond, ni d’ailleurs quoi que ce soit qui ressemble au contenu de nos sensations. Entre les « couleurs » ou les « formes » des objets, telles que nous les percevons, et les qualités constitutives de ces objets, on pourrait presque dire, avec l’auteur des Pensées, qu’il y a tout juste autant de ressemblance qu’entre « le Chien, constellation céleste, et le chien, animal aboyant ». Mais, comme il n’y a rien aussi de plus connu, ce n’est pas encore par ce biais que M. Balfour a voulu prendre, pour la critiquer, la conception scientifique actuelle de l’univers ; et ce qu’il s’est efforcé d’établir, ce n’est pas tant ce que la conception a d’illusoire, ou pour ainsi parler de fantasmagorique, l’éternelle « Maya » dont elle nous rend les jouets : c’est ce qu’elle a d’incohérent.

Il oppose pour cela les qualités primaires des corps à leurs qualités qu’on appelle secondaires : l’étendue, par exemple, et la solidité à la forme et à la couleur. Il observe là-dessus que la « relativité » des premières a forcément quelque chose de moins « relatif » que la « relativité » des secondes. Et en effet, quand on a démontré, je suppose, qu’une orange, en soi, n’avait rien de commun avec la sensation qui la définit ou qui la constitue pour nous, puisque l’on peut démontrer la même chose d’une pomme ou d’une pèche, il faut bien qu’on admette l’existence d’un substratum ignoré, lequel maintient dans ces trois groupes de sensations les différences qui font pour nous la pêche, la pomme et l’orange[5]. Cependant, primaires ou secondaires, toutes ces qualités entrent indistinctement dans la construction que la science nous donne pour une représentation du monde. Il se fait là nous ne savons quel mélange d’illusion et de réalité. Nos sensations, les mêmes sensations, de l’œil et du toucher, tantôt sont prises comme adéquates à leur objet, et tantôt comme n’en suscitant en nous qu’une idée mensongère. La raison n’intervient que pour compliquer le débat. Alors, le sens commun, ou, pour mieux dire, l’expérience vulgaire, dont on a commencé par rejeter les données, redevient le juge d’un débat qui n’est en quelque sorte issu que de son incompétence. Et finalement, de tout cela, que résulte-t-il ? Il résulte, comme le dit M. Balfour dans une page que je tiens à reproduire tout entière : « un monde qui, pour la plupart des gens, ne peut être conçu d’une façon un peu adéquate que dans les limites du sens visuel, mais qui, en réalité, ne possède aucune des qualités associées d’une façon caractéristique au sens visuel : la lumière et la couleur ; — un monde à demi pareil aux idées que nous en avons et à demi différent de ces idées, pareil, en tant que les qualités dites primaires sont en jeu, différent dès qu’il s’agit des qualités secondaires ; — un monde hybride, un monde d’inconséquences et d’anomalies étranges, un monde dont une moitié peut se recommander au philosophe empirique, et l’autre moitié à l’homme ordinaire, mais qui, dans sa totalité, ne peut se recommander ni à l’un ni à l’autre… — un monde en un mot qui ne semble pouvoir s’accorder ni avec les conclusions de l’empirisme critique ni avec le témoignage irrécusable des sens, qui observe toute la psychologie de l’un et qui est en contradiction directe avec les impressions de l’autre. »

Se peut-il rien de plus incohérent ? Où est le vrai de ces deux mondes ? Où est le bon ? Qu’est-ce qu’un monde vrai « jusqu’à un certain point » et un monde faux « dans une certaine mesure » ? Qui décidera de ce « certain point » ? Qui fixera cette « certaine mesure » ? et, si l’on répond que ce sera la « raison ; » qui ne voit que de deux choses l’une : ou cette raison elle-même sera le produit de l’expérience, auquel cas il semble difficile qu’elle en puisse être le juge ; ou elle n’en sera pas le produit, et alors nous voilà rejetés en pleine métaphysique ! Pour donner quelque consistance à sa conception de l’univers matériel ; pour y introduire un principe d’ordre et d’unité ; pour organiser le chaos de ses « conquêtes », disons le vrai mot, pour « éclairer sa lanterne » la science est obligée de recourir à l’intervention d’un autre pouvoir qu’elle-même, d’un pouvoir d’une autre nature, d’une autre origine. Le physicien s’inspire d’Aristote, le chimiste invoque Spinoza ! Et la question reparaît de savoir si nous croyons à l’existence des lois de la nature parce que l’expérience en a laborieusement découvert quelques-unes, ou si nous les avons découvertes parce que nous étions convaincus qu’il doit y en avoir. Et il semble que c’est ici le fort de la philosophie, la revanche de l’idéalisme, et la victoire des métaphysiciens.


III

Ainsi, du moins, l’eût-on pu croire, il n’y a pas très longtemps encore, mais depuis quelques années, nous avons fait un pas de plus. En effet, c’est le pouvoir de la raison elle-même que l’on commence à révoquer en doute ; et, là même, est un autre motif de l’inquiétude ou, pour ainsi parler, de l’agitation convulsive et désordonnée qui travaille la pensée contemporaine. On en trouvera la preuve encore dans le livre de M. Balfour. Non point du tout qu’il méconnaisse l’autorité de la raison et sa souveraineté dans sa sphère ! On ne dispute pas plus ses titres à la raison qu’on ne les conteste à la science. On ne reprend contre elle ni les argumens de Montaigne, ni ceux de Pascal, ni ceux même de Bayle, qui ne sont pas de tous les moins subtils ni les moins forts ; on ne retourne pas contre elle ses propres armes ; et, quoiqu’il n’y ait rien qui fût de meilleure guerre, on n’use pas contre elle de sa propre tactique. On se demande seulement quelle est l’exacte étendue de la sphère où on la reconnaît volontiers souveraine ; et quelles questions sont de sa compétence ou quelles questions n’en sont pas. Voilà tantôt deux cents ou deux cent cinquante ans, fait observer M. Balfour, que l’on se représente la raison « comme une sorte d’Ormuzd engagé dans une lutte perpétuelle contre l’Ahriman de la tradition et de l’autorité. » Pourquoi cela ? Si la raison a souvent tort contre l’expérience, et si la science même, sauf à faire ensuite alliance avec elle, le lui a plus d’une fois prouvé, pourquoi la raison aurait-elle toujours raison contre la tradition et contre l’autorité ? Quelle que soit la valeur de ses procédés ou de ses méthodes, pourquoi les appliquerait-on indistinctement à la « décision de toute controverse » et au « traitement de toute croyance » ? Les sophistes de l’antiquité, les scolastiques du moyen âge, dont elle se moque, ne sont morts, si l’on y veut bien regarder, que d’avoir mis, tout justement, ce genre de confiance en elle. C’est au nom de la raison que Gorgias ébranlait les principes du bon sens ! La grande erreur de la scolastique n’est que d’avoir indistinctement appliqué le syllogisme « au traitement de toute croyance et à la décision de toute controverse ». Et, en donnant au mot son sens le plus élevé, je veux dire quand on ferait de la raison la forme en quelque sorte la plus épurée de l’intelligence, la forme souveraine, ne sommes-nous donc qu’intelligence ?

On le voit, si cette manière de poser le problème n’est pas absolument nouvelle, elle est relativement récente ; et, en tout cas, elle est significative d’un état nouveau des esprits. L’intelligence et la raison, on le reconnaît, sont assurément nécessaires à tout, mais on commence à s’avouer qu’elles ne suffisent peut-être à rien. On se demande s’il n’y aurait pas d’autres sources de connaissances et, par conséquent, d’autres fondemens de la croyance ? Ou, en d’autres termes encore, il ne s’agit plus de l’impuissance idéale ou théorique de la raison, mais de son insuffisance actuelle ou pratique ; et j’ajoute que ce ne sont plus des « discours » ou des « raisonnemens » qui doivent désormais l’établir : ce sont des faits.

Considérons en effet l’histoire de l’humanité : nous voyons bien les ruines que la raison a faites, mais nous avons plus de peine à discerner ce qu’elle a édifié. Évidemment, ce n’est pas une opération de la raison que nous trouvons à l’origine de l’institution sociale, par exemple ; et il faut nous en féliciter, car, — si nous en jugeons par les utopies des faiseurs de systèmes, depuis Platon jusqu’à Fourier, pour ne rien dire de nos anarchistes, — une société vraiment « conforme à la raison » serait inhabitable. Est-ce d’ailleurs l’instinct que l’on trouve à l’origine des sociétés, quelque chose d’analogue à l’instinct de l’abeille ou de la fourmi ? est-ce autre chose, et je ne sais quelle force, encore cachée, et pour toujours peut-être, derrière ses effets ? Nous l’ignorons. Mais il n’importe, et il nous suffit pour le moment de pouvoir affirmer que ce n’est pas la raison. Nous ne devons à la raison aucun des principes sur lesquels les sociétés reposent et la preuve, c’est que, sociétés et principes, voulez-vous les ébranler jusque dans leurs fondemens ? on pourrait presque dire qu’il suffit d’essuyer de les « rationaliser ». Qu’y a-t-il de moins « rationnel » que le mariage ? que la propriété ? que l’État ? que la patrie ? Demandez-le plutôt à nos « rationalistes », j’entends les vrais, les bons, les purs, ceux qui n’écoutent que la raison, — et qui ne sont point, j’imagine, ces bourgeois de Thiers ou de Jules Simon, — mais l’auteur du Supplément au voyage de Bougainville, mais celui du Discours sur l’origine de l’inégalité, mais les Karl Marx et les Elisée Reclus, les Henry Georges et les Kropotkine !

Ce qu’il y a de moins rationnel ? Il y a la religion, nous répondra peut-être un de nos hommes politiques, de ceux qui se font un devoir de conscience de travailler à l’anéantissement des « superstitions », voltairiens attardés, qui ne se doutent pas eux-mêmes, dans un temps comme le nôtre, quel phénomène de « survivance » ils sont ! Et, en effet, il y a la religion. Ils ne se trompent pas. Si ce n’est pas une opération de la raison qu’on trouve à l’origine de l’institution sociale, ce n’est pas non plus à une opération de la raison que nous devons les religions ou la religion. Une religion « rationnelle » n’est pas une religion. Sur quoi, la question n’est pas de savoir ce que le contenu dogmatique d’une religion donnée, bouddhisme ou christianisme, offre en soi de conforme ou d’analogue à la raison, — puisque l’on convient que d’aucune religion le « rationnel » ne saurait être l’essence, — mais si les religions se montrent à nous dans l’histoire comme des forces incomparables,


Quæ mare, quæ terras, quæ cœlum turbine raptant ; et dont il semble que, comme la direction en échappe au gouvernement des hommes, ainsi la portée ait défié jusqu’ici tous leurs calculs et toutes leurs investigations. On peut se révolter contre ces forces, on n’en peut méconnaître la puissance. Et si l’histoire universelle en est, en quelque sorte, remplie, voilà donc encore une fois la raison convaincue de n’être rien dans tout un grand domaine de l’activité de l’espèce !

Il me serait aisé de prolonger l’énumération. Que trouvera-t-on de « rationnel » encore dans la morale et dans la politique ? dans l’art, où la « raison » s’oppose à l’ « inspiration » comme son contraire ? dans la science même, où l’on pourrait montrer que la découverte est, généralement, une victoire de l’expérience sur les présuppositions de la raison ? On nous rebat les oreilles de la « question de Galilée. » Mais ce ne sont pas des théologiens, ce sont des philosophes qui ont persécuté Galilée ; et ce sont des « raisons » qu’ils lui ont opposées, et même ce sont des raisons aristotéliciennes. Tout concourt donc à nous prouver qu’il y a dans l’humanité, — je ne dis pas dans le monde, je dis dans l’humanité, — dans le peu que nous savons d’elle et de son histoire, infiniment plus de choses que la raison n’en saurait expliquer. Et osons faire encore un pas de plus : il ne s’est peut-être accompli rien de grand ou de véritablement fécond dans l’histoire qui ne contienne à son origine, dans son principe ou dans son germe, quelque chose d’irrationnel. C’est ce que mettait en lumière, dans un livre récent, qui complète en quelque manière celui de M. Balfour, un autre Anglais, M. Benjamin Kidd, dont on peut également dire que son Evolution sociale, comme les Bases de la Croyance, est un signe des temps.

C’est un grand évolutionniste que M. Kidd, et il voit « l’élément distinctif de l’histoire de l’humanité dans le progrès social accompli par l’espèce à travers les âges. » Nous le lui accordons ! Il ajoute que « le trait caractéristique de ce progrès, ce sont les relations de l’individu avec la société » ; ou encore, dans un autre endroit, et en termes plus précis et plus clairs, « que les systèmes sociaux les plus solides sont ceux où la subordination la plus effective de l’individu aux intérêts de l’organisme social se combine avec le plus haut développement de sa personnalité. » Ce sont encore là des idées qu’Auguste Comte et Herbert Spencer nous ont rendues familières. Ceux mêmes qui, comme nous, ne croient pas que le progrès soit constant ni surtout continu ; ceux qui croient qu’il peut s’interrompre et que l’humanité, sans cesser pour cela de marcher, a peut-être aussi souvent « marqué le pas » ou même rétrogradé qu’avancé dans sa marche, accorderont sans peine à M. Kidd que, dans tous les cas où la rétrogradation n’a pas été purement accidentelle, elle a d’ailleurs pu mal choisir ses moyens, mais elle a eu pour objet, comme la marche en avant, de modifier les rapports de l’individu avec la société dont il faisait partie. De leur côté, nos « socialistes » ne demandent pas autre chose ; et c’est même pourquoi, si l’on voit très bien où tendent les collectivistes, c’est-à-dire à l’absorption de l’individu dans l’État, et où tendent les anarchistes, c’est-à-dire à la destruction de l’Etat par l’émancipation de l’individu, il est plus difficile aux socialistes de dire exactement ce qu’ils veulent. Le problème, en effet, est pour eux comme pour nous, de concilier « la subordination effective de l’individu à l’organisme social ». avec « le plus haut développement de la personnalité de l’individu » ; et en ce sens, pour eux comme pour nous, « la question sociale est une question morale. » C’est une des interprétations qu’on peut donner de l’aphorisme ; il y en a d’autres, car il est riche de sens ; mais c’en est une, et nous ne pensons pas que M. Kidd la repousse.

Comment cependant obtenir cette conciliation ? ou, en d’autres termes, comment obtenir de l’individu qu’il se « subordonne », et qu’en se subordonnant, il sacrifie quelque chose de lui-même à l’intérêt commun ? nous entendons ici non pas seulement à l’intérêt de ses compatriotes ou de ses contemporains ; de ceux qui vivent avec lui dans les frontières de la même cité ; ou dont l’éducation intellectuelle et morale s’est faite et se fait tous les jours dans la même atmosphère d’idées ; mais comment l’individu sacrifiera-t-il quelque chose de lui-même à l’intérêt futur, à l’intérêt de l’espèce, à l’intérêt d’une humanité qui n’est point éternelle ? Assurément, ce n’est point son intérêt, à lui, qui le lui persuadera. « En fait, écrivait récemment un auteur cité par M. Kidd, nous n’avons pas même souci de ce qui se passera dans trois cents ans. Est-ce que l’un de nous se priverait d’un seul seau de charbon pour que nos bassins houillers durent une génération de plus[6] ? » Essaiera-t-on d’invoquer la raison ? et, par exemple, se flattera-t-on de persuader à ceux qui souffrent qu’il est « rationnel » qu’ils souffrent pour « l’amour de l’humanité » ? Humanum paucis vivit genus ! Oui, c’est l’opinion de quelques « rationalistes » ; et c’est celle que Renan, chez nous, exprimait volontiers après boire. Il l’a aussi exprimée à jeun, et publiquement, dans je ne sais quel endroit de son Histoire d’Israël. Et, de fait, il n’y a rien de plus « rationnel ». Quelque avantage que je puisse obtenir dans la lutte pour la vie, ce que l’intérêt et la raison me conseillent, c’est d’essayer de l’obtenir. Ils ne me le déconseillent que si le risque est supérieur au gain ; et cela encore est « rationnel ». Qu’est-ce à dire, sinon que la raison est institutrice d’égoïsme ? « Il faut nous débarrasser l’esprit de cette idée très répandue, dit à ce propos M. Kidd, que les doctrines socialistes sont les produits d’imaginations en feu ou de cerveaux mal équilibrés. Elles sont, au contraire, le produit véridique et modéré de la saine raison. Il faut que nous allions plus loin encore. Il est évident que toute organisation sociale qui possède un système de récompenses pour les capacités naturelles, ne peut avoir de sanction suprême dans la raison pour tous tes individus. » C’est ce que je ne vois pas, quant à moi, que l’on puisse lui disputer.

La conséquence est évidente ; et M. Kidd la tire loyalement. « Il nous faut reconnaître que tous les systèmes et toutes les méthodes qui ont cherché, dans la nature des choses, une sanction rationnelle et universelle de la conduite individuelle dans les sociétés civilisées, ont également échoué. Leurs essais sont tous anti-scientifiques, puisqu’ils sont contraires aux conditions de la vie. Le positivisme, comme les autres systèmes, et même, à cause de son nom, plus que les autres systèmes, a manqué le but. » Voilà qui est clair, et voilà pour les « rationalistes » un beau thème à méditer ! La raison a si peu de rapports avec la vie, qu’aussitôt qu’elle entreprend de la régler, elle la trouble ! Ce qu’elle peut le moins obtenir de nous, c’est ce qu’en fait il nous faut considérer comme le plus nécessaire au maintien même et au progrès de l’institution sociale. Ses inspirations ne nous servent en quelque sorte qu’à nous « déshumaniser ». Et si nous ne le sommes pas plus à fond, si nous demeurons capables encore de quelque sacrifice ou de quelque dévouement, si nous persistons à croire à la possibilité du progrès social, nous ne le devons qu’à ce qui survit en nous d’irrationnel.

Je n’ai point à suivre plus avant M. Kidd, ou du moins ce n’est pas à son livre que je voudrais avoir l’air d’écrire une Préface. Mais, comment, si c’est un état d’esprit que j’essaie de définir, aurais-je pu ne pas signaler la confirmation que ces idées apportent à celles de M. Balfour ? Tandis qu’il y a quelques années seulement, la raison revendiquait un rôle souverain dans les affaires humaines ; et depuis tantôt quatre siècles, ou même davantage, si l’on voulait l’en croire, quelques progrès dont nous nous vantions, c’était elle qui avait tout fait, et tout le monde en tombait ou feignait d’en tomber d’accord, on n’hésite pas à nous dire aujourd’hui : « L’événement capital de l’histoire, celui dont ni la science ni la philosophie n’ont saisi complètement la portée, c’est la lutte que l’homme a soutenue… pour soumettre sa propre raison. » Et ce n’est pas là d’ailleurs ce qu’on appelle « une vue de l’esprit », une considération théorique, le résultat d’une opération de cette même raison qu’il s’agit de faire comme rentrer dans ses justes limites. C’est un fait. Si nous sommes amenés à cette conclusion : « que le rôle des croyances religieuses dans l’évolution humaine, c’est de fournir une sanction super-rationnelle à la conduite de l’homme en vue des conditions nécessaires au progrès, conditions pour lesquelles il n’existe pas de sanction rationnelle » ; cette conclusion, c’est l’histoire qui nous la dicte ; et nous la tirons de ce qu’en aucun temps, sous aucune latitude, on n’a vu jusqu’ici de société vraiment civilisée qui n’ait placé sous une sanction super-rationnelle, avec le maintien de sa stabilité le principe actif de son perfectionnement. Il y a là de quoi donner à réfléchir ! Quelque opinion que l’on ait sur « l’avenir des religions », — je veux dire sur la fortune personnelle du christianisme ou du bouddhisme, — on n’expulsera pas « l’irrationnel » du nombre des sources de la connaissance ; et qui se serait attendu que le suprême effort du « rationalisme » en dût aboutir là ? Telle est pourtant l’opinion de l’auteur de l’Évolution-sociale ; et, pour ne rien dire de la mienne, telle aussi l’opinion de l’auteur des Bases de la Croyance.


IV

Il a écrit en effet, dans la conclusion de la partie critique de son livre : « Si nous voulons trouver la qualité qui nous élève au-dessus de la brute, il n’est pas exagéré d’affirmer, quoique ceci puisse avoir une saveur paradoxale, qu’il nous faudra la chercher non pas tant dans notre faculté de convaincre et d’être convaincus par le raisonnement que dans notre capacité d’influencer et d’être influencé par l’autorité[7]. » C’est encore ce que l’on eût à peine osé prétendre il y a quinze ou vingt ans, et bien moins au temps de notre jeunesse, où, par une amusante contradiction, on nous enseignait avec autorité, — puisque c’étaient nos maîtres, — à nous défier de l’autorité.

Nullius addictus jurare in verba magistri.

Cela n’y faisait rien, d’ailleurs ! et, généralement, notre « raison » n’était pas plutôt émancipée que nous nous empressions de la soumettre aux Taine et aux Renan, aux Littré et aux Vacherot. Je m’en console aujourd’hui en songeant qu’ils avaient eux aussi commencé par soumettre la leur aux Comte et aux Hegel, aux Strauss et aux Schleiermacher ! Et j’entends bien qu’on dira qu’il y a du « rationnel » dans ce genre de soumission ; et je veux bien en convenir ; mais il y en a si peu dans la plupart des cas ! La « raison » n’a souvent que l’air d’examiner et, comme on dit, de peser les autorités qu’elle subit : en réalité, c’est le caractère du maître qui se trouve répondre à de certaines convenances cachées de notre intelligence ; et notre adhésion ne procède pas tant de notre « raison » que de notre bonne volonté. L’autorité agit par ses moyens à elle, très différens de ceux de la « raison, » et qui n’ont même que tout à fait par hasard quelque chose de commun avec ceux de la raison.

C’est également ce que l’on peut dire de la tradition, dont le pouvoir est presque aussi grand que celui de l’autorité. En tout temps, et par tous pays, les conventions sociales reposent sur la tradition ou sur la coutume, — nous pouvons confondre ici ces deux sources de croyance, — et la coutume ou la tradition ne sont pas nécessairement irrationnelles ; mais qui ne sait cependant que le jeu favori de la « raison », dans l’usage de la vie commune, est d’opposer ce que j’appellerais volontiers la « conformité » de ses enseignemens aux bizarreries de la coutume et aux préjugés de la tradition ? Veut-on que ce soit autre chose, et plus, et mieux qu’un jeu ? Nous le voulons donc aussi. Mais il n’en demeure pas moins qu’avec et avant la « raison », et au même titre qu’elle, coutume et tradition sont une source de croyances, puisqu’elles en sont une de connaissance. Et que dirons-nous après cela du sentiment ou de l’instinct ? Évidemment le sentiment, ou le « cœur », comme disait Pascal, ne saurait nous apprendre que César battit Pompée dans la journée de Pharsale, ni que la terre accomplit en trois cent soixante-cinq jours sa révolution autour du soleil ! Mais, que la question se pose de savoir comment l’honnête homme doit agir dans une circonstance difficile, ou encore s’il y a du divin dans le monde, je me fierais bien au cœur autant qu’à la raison ! Nous apprenons par la raison à être philosophes, géomètres, physiciens, chimistes : nous apprenons par le cœur à être hommes, je veux dire à ne pas nous préférer à tout, et c’est une « science » qui en vaut quelquefois une autre. Et ce n’est pas au hasard que je dis que « nous l’apprenons », mais c’est que nous ne le savons pas de nature[8] ; c’est que, comme on l’a vu plus haut, la « raison » nous enseigne précisément le contraire ; c’est qu’il y a une éducation (du cœur ; — et peut-être, parmi tous ces « progrès » dont nous sommes si vains, est-ce elle surtout qui nous manque.

Dirai-je aussi que l’on commence à s’en apercevoir ? Oui, si c’est de là que procède, d’après l’auteur des Bases de la Croyance, le peu de confiance que l’on accorde de nos jours aux spéculations de la métaphysique. On ne saurait effectivement restreindre ou contrôler les droits de la raison que l’on ne contrôle ou que l’on ne restreigne en même temps les droits de la métaphysique. M. Balfour l’a bien vu ; et, à ce propos, il est curieux de noter qu’aucune autre partie des Bases de la Croyance n’a soulevé plus de protestations que celle où il s’est expliqué sur ce point. Quoi donc ? Est-ce qu’il avait mal parlé du génie de Platon, « de l’art incomparable de son dialogue » et de « l’exquise beauté de son style » ? et n’avait-il pas déclaré, totidem verbis, qu’il nous serait « difficile ou peut-être impossible de reconnaître toute l’étendue de nos obligations envers Aristote » ? Ou bien encore, et pour en venir tout de suite à nos contemporains, voudrait-on qu’il n’eût pas vu que la métaphysique de Hartmann et de Schopenhauer, dont ils ont prétendu faire le support de leur pessimisme, ne fait seulement pas corps avec lui ? n’en est qu’un appendice inutile et l’organe atrophié ? Non, sans doute ! Mais il a écrit, pour s’excuser de ne parler ni de Descartes ni de Spinoza : « Mon but est strictement pratique, et je fais table rase des théories, pour admirables qu’elles puissent être, qui n’ont plus de titres réels à nous offrir un système raisonné de connaissance et sont incapables de prouver leur valeur en fournissant actuellement des bases de conviction ». Les métaphysiciens n’ont pas eu de peine à comprendre que c’était là les exclure « en bloc », — et comme tels, en tant que métaphysiciens, — du droit d’intervenir dans les controverses actuelles. Ne croient-ils pas cependant être les juges naturels du débat ? et moi-même n’en ai-je pas eu la preuve quand on m’a fait naguère observer qu’en opposant l’une à l’autre la science et la religion, c’était très bien, mais j’avais oublié la philosophie !

Eh bien ! il faut le dire, c’est encore un signe des temps, et M. Balfour a raison. Il n’y a pas de plus grands noms dans l’histoire de la pensée moderne que ceux des Spinoza, des Leibniz, des Kant ou des Hegel ; et, comme je crois que M. Balfour en conviendrait sans peine, il y en a peu d’aussi grands dans l’histoire de la poésie. Mais le temps est passé des systèmes, ou du moins, et si beaux que soient désormais une construction ou « un palais d’idées », la confiance de l’humanité ne les habitera plus. On les visitera comme un Louvre, je veux dire comme un édifice où ne vivent plus que des souvenirs ; et on admirera la beauté de l’ordonnance, l’ingéniosité de la distribution, le talent de l’architecte ; et un grand peuple s’en vantera peut-être encore, comme d’un témoignage éclatant de sa richesse intellectuelle ; mais on ne les habitera plus ! On ne laissera pas d’en construire d’autres, parce que les systèmes ont toujours une utilité. Un système est aussi une méthode et par conséquent un moyen d’avancer dans la recherche de la vérité. Que de vérités nouvelles Kant n’a-t-il pas aperçues à la lumière de la « relativité de la connaissance ? » Hegel en fondant sa métaphysique sur « l’identité des contradictoires » ? et qui ne sait de quels progrès de la « science sociale » ou même de la « science naturelle » la propagation des idées positivistes ou la diffusion des doctrines évolutionnistes ont donné le signal ? Un nouveau système, c’est un changement de point de vue sur l’ensemble des choses, et par conséquent c’est un changement d’aspect. On n’avait entr’aperçu telle vérité que de profil ou de trois quarts, et voici qu’elle se présente maintenant de face ; on en avait négligé telle autre, et voici tout d’un coup qu’on en découvre l’importance. M. Balfour dit encore : « Ceux mêmes qui se sentent inclinés à n’accorder qu’une valeur insignifiante aux hautes spéculations admettront sans doute que la métaphysique, comme l’art, nous fournit quelque chose dont nous pourrions difficilement nous passer. » Et à plus forte raison ceux-là l’ad-mettront-ils qui savent ou qui croient avoir vu dans l’histoire que l’aptitude métaphysique était une assez juste mesure du degré de souplesse, de largeur, et de pénétration des intelligences. Il faut avoir fait de la métaphysique.

Mais après cela, si les métaphysiciens, et j’ajoute maintenant les philosophes en général, s’étaient imaginé, comme je le crains, que dans la controverse actuelle, leur philosophie gagnerait tout ce que la religion et la science pourraient perdre de prestige ou d’autorité, quelle erreur a été la leur ! Entre la science et la religion, il n’y a point de place, comme « système de connaissance » pour la philosophie. Car, d’une part, on ne conçoit pas de généralisation de l’expérience qui ne participe du caractère de toute expérience, et même il n’y a de généralisation légitime que celle qu’on est en droit d’espérer de voir quelque jour confirmée par l’expérience. Mais on ne conçoit pas, d’autre part, qu’une faculté telle que l’on a vu qu’était la raison puisse atteindre l’absolu, si cet absolu ne lui est pas donné, n’est pas posé d’abord en dehors d’elle ; et encore moins peut-on admettre qu’elle sorte de soi pour engendrer l’irrationnel. Ce serait vraiment ici l’une de ces « contradictions » qui suffisent à la raison, quand elle les rencontre, pour en condamner d’erreur l’un au moins des deux termes, et quelquefois tous les deux. Et quant à la prétention de retenir de la religion tout ce qui en fait le prix pour l’homme, mais en la purgeant d’autre part de ce qu’elle contient d’irrationnel, il n’y en a pas de plus insoutenable. M. Balfour s’est contenté d’y toucher en passant, dans le chapitre qu’il a intitulé Orthodoxie rationaliste. Il ne m’en voudra pas, je l’espère, d’y appuyer un moment.

Aussi bien l’un de ses compatriotes, M. George Lewes, l’a-t-il fait avant moi et avant lui, dans un remarquable passage de son Histoire de la Philosophie. « Le point de départ de la philosophie, y dit-il, c’est le Raisonnement, et le point de départ de la religion, c’est la Foi. Il ne peut donc pas y avoir de philosophie religieuse : les termes sont contradictoires. La philosophie peut s’occuper des mêmes problèmes que la religion, mais son critérium et ses principes sont différens. La religion peut et doit appeler la philosophie à son aide, mais en le faisant, elle assigne à la philosophie un rôle subordonné, celui d’expliquer… et de concilier les dogmes. » On ne saurait mieux dire. Il y a déjà de la naïveté, comme Hugo, dans le poème, d’ailleurs médiocre, qu’il a intitulé Religions et Religion, ou comme Renan, dont cette idée fut peut-être la grande pensée, à prétendre extraire la « religion » des « religions » par un procédé qu’on trouvait ridicule, sous le nom d’éclectisme, quand c’était Victor Cousin et Jules Simon qui l’employaient à extraire la philosophie des débris des systèmes, mais qui devenait du « syncrétisme », — admirons le pouvoir d’un mot ! — quand c’était Hugo et Renan qui s’en servaient. Mais vouloir éliminer de la « religion » ou des « religions » le surnaturel ou l’irrationnel, c’est manifestement être dupe de la plus fallacieuse illusion.

Toute religion se définit par l’affirmation même du surnaturel ou de l’irrationnel. C’est cela même que ses fidèles lui demandent, et la morale ne vient qu’ensuite. Une religion n’est rien si ses « mystères » ne lui ont été révélés d’en haut ; si des « miracles » n’ont accompagné son établissement ou ne soutiennent son développement ; si ses « dogmes » enfin ne tirent leur autorité de leur incompréhensibilité. « L’incompréhensibilité de nos mystères, a écrit Malebranche, est une preuve de leur vérité. » Inversement, quelle qu’en soit la valeur morale, et quand on la supposerait très supérieure à celle d’une religion donnée, tout corps de doctrine qui se prétend accessible à la raison n’est et ne peut être qu’une philosophie. On parle encore quelquefois d’une religion « naturelle », et déjà, pour ma part, je ne sais ce que c’est que ce produit hybride du besoin qu’il semble qu’on éprouve d’avoir une doctrine morale, et de la peur qu’on témoigne d’accepter « l’irrationnel » qui en est le fondement nécessaire. Mais on verrait bien mieux encore la contradiction si l’on parlait d’une « religion rationnelle ». Et peut-être qu’enfin elle éclaterait à tous les yeux si nous l’osions nommer, du seul nom qui lui convienne, une « religion laïque ». Il est clair, en effet, qu’il ne saurait y avoir de « religion laïque » ; et l’illégitimité de l’expression deviendrait le signe ou la preuve de l’illégitimité de la conception qu’elle enveloppe.


V

Où nous mènent cependant ces considérations ? et à ce propos n’ai-je pas omis de noter que M. Balfour a voulu que son livre sur les Bases de la Croyance servît à ses lecteurs d’Introduction à la théologie ? Or, Théologie, en anglais, et surtout dans la pensée de M. Balfour, c’est Religion ; et Introduction, pour lui, c’est acheminement, Manuductio, comme disaient les anciens. Il a donc voulu conduire ses lecteurs jusqu’au seuil du temple. Mais ceux qui, comme nous, ne sauraient le suivre jusque-là, — et qui sans doute sont tenus de le déclarer loyalement, — s’ils ne tirent pas de son livre tout le profit qu’il aurait souhaité, ne l’auront pas lu cependant sans utilité, ni sans une utilité plus qu’intellectuelle, pour ainsi parler, et véritablement morale.

Car ils y auront vu, premièrement, que, si la position du « problème religieux » a changé de nos jours, c’est que le problème a lui-même changé dans son fond. En fait, il n’est plus question de savoir aujourd’hui comment ni si jamais on réconciliera la science et la religion, la raison et la foi, le surnaturel et la conception naturaliste du monde ! Que les théologiens se donnent donc infiniment de peine pour établir la conformité des « résultats de la science » avec le « récit de la Genèse », c’est leur affaire, et nous n’avons pas à les en détourner ; nous les lirons même avec intérêt. Pareillement, — ou inversement, — que les libres penseurs s’évertuent à contester les « miracles de l’Évangile » au nom de la stabilité des « lois de la nature », nous le voulons bien ; et nous lirons volontiers leurs petites drôleries. Mais c’est d’une autre manière que la question se pose. « Ni la contradiction, a dit Pascal, n’est marque infaillible d’erreur, ni l’incontradiction ne l’est de vérité. » Les métaphysiciens en ont longtemps douté ; quelques savans en doutent peut-être encore, qui ne connaissent de la science que la « spécialité » dans laquelle ils ont comme emprisonné leur liberté d’esprit ; mais la parole de Pascal n’en a pas moins toute sa valeur ; et, même l’autorité s’en est accrue de la vanité des efforts qu’on a faits depuis lors pour essayer de l’ébranler. C’est pourquoi, les contradictions qu’on s’attache à relever entre la science et la religion fussent-elles prouvées, et plus profondes et plus éclatantes encore qu’on ne le dit, il n’en résulterait pour nous qu’une conséquence, qui est que nous sommes capables de plus de connaissances que nous n’en pouvons unifier. Qu’y a-t-il de plus humain ? Nous avons une tendance invincible à l’unité et une insurmontable incapacité d’y atteindre ! Mais ce qu’il s’agit aujourd’hui de savoir, c’est : — physiquement, ou physiologiquement, pour ainsi parler, si le besoin de croire, comme le besoin de connaître, fait en quelque sorte partie de la définition de l’homme ; c’est, — historiquement, si l’évolution sociale est inconcevable sans une part d’irrationnel qui s’y mêle, qui la dirige peut-être ; et c’est encore, — moralement, de savoir s’il est possible de formuler une règle de la conduite humaine qui ne tire pas de l’absolu son origine et sa sanction. Et que signifie cette manière de poser la question ? Elle signifie qu’avant tout la « question religieuse » est une « question sociale ». C’est ce que ne comprenait pas Renan, quand il exprimait l’espérance que « les croyances religieuses disparaîtraient lentement, minées par l’instruction primaire et par la prédominance de la science sur la littérature dans l’éducation. » C’est ce que ne comprenait pas davantage le professeur Huxley, quand il écrivait : « Si la méthode scientifique opérant dans le domaine de l’histoire, de la philologie, de l’archéologie est devenue formidable pour le théologien dogmatique, que ne peut-on pas dire de la méthode scientifique opérant dans le domaine de la science physique ? » Si leur point de vue ne nous est pas devenu tout à fait indifférent, il nous est devenu secondaire. Et c’est ce que les lecteurs de M. Balfour apprendront d’abord dans son livre.

Si maintenant nous nous demandons comment s’est opérée la transformation, le livre de M. Balfour peut encore nous l’apprendre. Une psychologie superficielle avait érigé la certitude « scientifique » ou « rationnelle », — car c’est ici tout un, — en modèle ou en type absolu de la certitude ; et, ne voyant de source légitime de la connaissance que dans l’intelligence, elle n’avait pas précisément nié qu’il y en eût d’autres, mais elle les avait négligées. C’est ce que l’on se gardera désormais de faire, et le siècle s’achèvera peut-être, puisque aussi bien nous sommes en 1896, mais il ne s’écoulera pas longtemps avant qu’on ait rendu, parmi les fondemens de la croyance, leur place naturelle au sentiment et à la volonté. Que voulons-nous dire, en effet, quand nous disons que nous « croyons » une chose ? Que nous n’en avons pas une certitude entière ? Oui, peut-être, mais bien plutôt que nous ne pouvons pas la « démontrer ». Par exemple, nous savons que deux et deux font quatre, ou que la terre tourne autour du soleil ; nous croyons que la vie n’a pas son objet en elle-même, et qu’il ne saurait exister de morale sans obligation. En sommes-nous cependant moins sûrs ? Tout au contraire, pourrait-on dire ! et, à ce propos, qui donc a fait observer qu’autant de persécutions les hommes ont courageusement subies pour ce qu’ils croyaient, aussi peu en ont-ils supportées pour ce qu’ils savaient ? Aucun « martyr de la science » n’a aimé son supplice : combien de « martyrs de la religion » ont provoqué le leur ! Et, dans l’usage quotidien, dans l’usage même familier de la langue, regardons-y de près, que voulons-nous dire quand nous disons que nous croyons une chose ? « Il a l’air de bien se porter, mais je le crois malade ; » quel est le vrai sens de cette phrase ? ou encore de celle-ci : « Le baromètre monte, mais je crois qu’il va pleuvoir » ? sinon qu’aux apparences rationnelles, et aux pronostics même de la science, nous opposons une autre certitude, plus intérieure, dont nous ne pouvons pas déduire les raisons, mais à laquelle nous n’en accordons pas pour cela moins de confiance ? Le livre de M. Balfour n’aura pas contribué médiocrement à rétablir dans ses droits cette autre certitude. Et c’est là, non ailleurs, qu’il faut voir l’origine de ce que l’on appelle — d’un nom qui lui seul a déjà quelque chose de déloyal — « la réaction contre la science », là, dans le besoin que nous avons de cette autre certitude, et dans la conviction de jour en jour croissante que la connaissance intellectuelle n’est qu’une forme ou une « espèce » de la croyance, mais non pas la seule, ni la plus active, ni la plus féconde.

Et peut-être enfin ce livre encouragera-t-il quelques lecteurs dans cette opinion ou dans cette idée, très répandue, mais qui n’ose pas se manifester assez ouvertement, qu’il y a plusieurs chemins qui mènent à la croyance, et par conséquent à la religion. On peut croire, — comme ont cru jadis Bossuet, Bourdaloue, Pascal peut-être, — pour des raisons en quelque sorte purement intellectuelles. Mais sans chercher bien loin ni remonter bien haut, je nommerais tout de suite trois grands écrivains du commencement de ce siècle qui n’ont certainement pas cru pour les mêmes raisons, je veux dire pour des raisons du même ordre : l’auteur du Génie du Christianisme, l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg, et l’auteur de l’Essai sur l’indifférence en matière de religion. On peut croire, — comme le premier, — pour des raisons sentimentales, ou esthétiques, si peut-être on préférait ce mot, qui veut dire d’ailleurs exactement la même chose, mais qui le dit d’une manière que nos dilettantes eux-mêmes seraient embarrassés de railler, puisqu’ils font généralement de la « beauté » des choses la mesure de leur « vérité ». On peut croire, — comme le second, Joseph de Maistre, — pour des raisons politiques ; et ces raisons en valent d’autres, si l’on entend avec lui par-là que les sociétés politiques ne sauraient ni se constituer, ni se maintenir, ni durer par des moyens purement humains. Et on peut croire encore, — comme Lamennais, — pour des raisons sociales ; si l’on estime que toute société ne trouvant son fondement que dans « le don mutuel de l’homme à l’homme », aucune contrainte matérielle, aucun moyen politique, aucune prédication laïque ne saurait, à l’encontre de nos intérêts ou de notre égoïsme, nous inspirer cet esprit de sacrifice et de dévouement. Ai-je besoin d’ajouter que dans le temps où nous sommes, si la religion ou les religions ont reconquis des âmes, c’est par là ? que c’est par-là qu’elles ne sauraient manquer d’en reconquérir d’autres ? et qu’il n’y a rien de plus conforme à ce que nous enseigne l’histoire : qu’en aucun temps on n’a vu se constituer de religion positive qui n’ait pour origine un mouvement social ; — dont la propagation n’ait trouvé sa raison d’être ou sa cause prochaine dans des circonstances sociales ; — et dont la force intérieure, le principe d’action féconde et de renouvellement périodique ne soient essentiellement sociaux.


FERDINAND BKUNETIERE.

  1. Les pages qui suivent n’étaient d’abord de Préface au livre de M. A.-J. Balfour sur les Bases de la Croyance, — dont la traduction française doit paraître prochainement à la librairie Montgredien, — quand, en les relisant, il m’a paru qu’elles pourraient offrir quelque intérêt aux lecteurs de la Revue des Deux Mondes. Avec l’agrément de l’éditeur, je les leur soumets donc ; et j’espère d’ailleurs que, bien loin de la dispenser de lire le livre de M. Balfour, au contraire, elles les y engageront.
    La première édition du livre de M. Balfour est de 1895 ; et il a paru chez Longmans et Greens sous le titre de : The Foundations of belief, being notes introductory to the study of theology. Le retentissement en a été considérable ; et on en trouvera l’écho dans la Revue des Deux Mondes du 15 mai 1895.
  2. Jules Payot, de la Croyance ; Paris, 1896, F. Alcan.
  3. Benjamin Kidd, l’Évolution sociale, trad. de M. Le Monnier ; Paris, 1896, Guillaumin.
  4. Voyez dans la Revue du 15 août les conclusions de M. G. Dubufe, dans son article : Art et Métier.
  5. Voyez sur ce sujet de fortes et ingénieuses considérations de M. Denys Cochin dans son livre sur le Monde Extérieur, 1896.
  6. C’est M. W. Hurrell Mallock, l’auteur d’un livre sur le Prix de la vie, qui fit quelque bruit en son temps : et le seul qui se soit posé, de toutes les questions que nous agitons, la plus redoutable peut-être : « Qu’est-ce que la vérité ? et d’où vient le caractère sacré que nous lui attribuons ? »
  7. J’ai cru devoir, dans cette étude sur un livre anglais, n’appeler en témoignage que des écrivains anglais, mais il m’est impossible ici de ne pas noter l’analogie de quelques-unes de ces vues, et de celles qui suivent, avec les vues des de Maistre et des Bonald.
  8. C’est ce que je me suis efforcé de prouver « scientifiquement » en étudiant ici même les leçons de moralité qu’on pouvait tirer de la doctrine évolutive. (Voyez la Revue du 1er mai 1895.)