Les Aventures de Til Ulespiègle/XIII

CHAPITRE XIII.


Comment Ulespiègle fit aux fêtes de Pâques un jeu
au moyen duquel le prêtre et sa servante se
prirent aux cheveux avec les paysans.



Comme les fêtes de Pâques approchaient, le curé dit à Ulespiègle : « C’est l’usage ici que, la nuit de Pâques, les paysans font un jeu dans lequel ils représentent Notre-Seigneur sortant du tombeau ; tu leur aideras, car il convient que le sacristain dirige et gouverne cette affaire. » Ulespiègle pensa en lui-même : « Comment ces paysans pourront-ils conduire ce jeu ? » Puis il dit au curé : « Il n’y a aucun de ces paysans qui soit instruit ; il faut que vous me prêtiez votre servante, qui sait bien lire et écrire. – Oui, oui ! dit le curé. Prends qui tu voudras, hommes ou femmes ; d’ailleurs ma servante a déjà été de ce jeu. » La servante en fut contente, et demanda à représenter l’ange dans le tombeau, car elle savait par cœur les vers qu’il y avait à dire. Alors Ulespiègle prit deux paysans, qui, avec lui, devaient représenter les trois Maries, et il leur apprit leur rôle en latin ; le prêtre devait représenter Notre-Seigneur sortant du tombeau. Or, lorsque Ulespiègle arriva devant le tombeau avec ses deux paysans, qui avec lui représentaient les trois Maries, la servante, qui représentait l’ange dans le tombeau, dit son rôle en latin : « Quem queritis (qui cherchez-vous) ? » Alors le paysan qui représentait la première Marie répondit, comme Ulespiègle lui avait enseigné : « Nous cherchons une vieille concubine de curé qui est borgne. » Lorsque la servante entendit qu’on se moquait d’elle et de son œil manquant, elle entra dans une violente colère contre Ulespiègle, et sauta hors du tombeau, voulant lui tomber dessus à coups de poing dans la figure ; mais le coup tomba sur la tête d’un des paysans, qui en eut l’œil au beurre noir. L’autre paysan allongea à la servante un coup de poing sur la tête qui lui fit tomber ses ailes. Le prêtre, voyant cela, laissa tomber la bannière, courut au secours de sa servante et prit l’autre paysan aux cheveux. Les voyant se pelauder ainsi devant le tombeau, les autres paysans accoururent, et la mêlée devint générale. Le curé et sa servante, ainsi que les deux paysans représentant les Maries, étaient dessous ; enfin la bataille cessa. Quant à Ulespiègle, il avait suivi avec attention la marche de l’affaire ; il s’esquiva à temps, et sortit de l’église, puis du village, où il ne revint jamais, et l’on prit un autre sacristain.