Les Aventures de Til Ulespiègle/LXXII

Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 176-177).

CHAPITRE LXXII.


Comment, à Brème, Ulespiègle arrosa le rôti avec son
derrière, et ses hôtes n’en voulurent pas manger.



Après le tour qu’on a raconté, Ulespiègle fut bien connu à Brême, et les habitants se trouvaient volontiers avec lui et voulaient l’avoir à tous leurs festins. Ulespiègle y resta longtemps. Il y avait dans cette ville une société de bourgeois, marchands et autres habitants, qui s’invitaient à dîner à tour de rôle. L’amphitryon servait un rôti, du pain et du fromage, et celui qui manquait de s’y trouver était mis à l’amende. Ulespiègle fut admis dans cette société. Quand vint son tour de donner à dîner, il invita ses compagnons à son auberge, puis il acheta un rôti et le mit cuire. L’heure du dîner étant arrivée, les invités se réunirent sur la place du marché, et se dirent les uns aux autres qu’ils allaient chez Ulespiègle pour lui faire honneur. Ils se demandaient l’un à l’autre si quelqu’un savait si Ulespiègle avait acheté quelque chose ou non, afin de ne pas aller chez lui pour rien. Ils décidèrent d’y aller tous ensemble, pensant qu’ils supporteraient mieux la plaisanterie réunis que s’ils y allaient l’un après l’autre. Quand ils arrivèrent devant l’auberge d’Ulespiègle, il prit un morceau de beurre, le plaça entre ses fesses, et, ayant tourné le dos au feu, il arrosait le rôti avec le beurre qui lui tombait des fesses. Quand ses invités arrivèrent, ils s’arrêtèrent devant la porte pour regarder s’il avait préparé quelque chose ; ils virent de quelle façon il arrosait le rôti, et dirent : « Que le diable soit son hôte ! je ne mangerai point de ce rôti ! » Ulespiègle leur réclama l’amende, qu’ils payèrent tous volontiers, afin d’être dispensés de manger du rôti.