Les Avadânas, contes et apologues indiens/6

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 37-40).


VI

LE RELIGIEUX, LA COLOMBE, LE CORBEAU, LE SERPENT VENIMEUX ET LE CERF.

(Il faut maitriser ses passions.)


Il y avait une fois un religieux nommé Viryabala. Il demeurait au milieu des montagnes, et restait en silence au pied d’un arbre pour obtenir l’intelligence. À la même époque, il y avait quatre animaux qui habitaient tout près de lui et le laissaient constamment en paix. C’étaient une colombe, un corbeau, un serpent venimeux et un cerf. Ces quatre animaux sortaient le jour pour chercher leur nourriture, et rentraient le soir au gîte. Pendant une certaine nuit, ils s’interrogèrent l’un l’autre et se demandèrent quelle était, dans ce monde, la plus grande cause de souffrance. « C’est la faim et la soif, dit le corbeau. Lorsqu’on est tourmenté par la faim et la soif, le corps maigrit, les yeux s’éteignent, l’esprit est agité, on se jette aveuglément dans les filets et l’on ne s’inquiète pas des armes les plus meurtrières. Notre mort prématurée n’a jamais d’autre cause. C’est pourquoi je dis que la faim et la soif sont la plus grande cause de souffrance.

— Je pense, dit la colombe, que l’amour est la plus grande cause de souffrance. Quand l’amour nous enflamme, aucune considération ne nous arrête ; les dangers que nous courons, la mort qui nous atteint n’ont jamais d’autre cause.

— Pour moi, dit le serpent venimeux, je trouve que la colère est la plus grande cause de souffrance. Dès qu’une pensée haineuse s’est élevée dans notre âme, nous immolons même nos parents, et souvent nous poussons la rage jusqu’à nous tuer nous-mêmes.

— C’est l’effroi, dit le cerf, qui est la plus grande cause de souffrance. Quand nous sommes au milieu des bois et des plaines, notre âme est constamment en proie à la crainte ; s’il nous semble entendre la voix des chasseurs ou les cris des loups, nous nous précipitons dans les fossés ou du haut des rochers ; la mère, palpitant d’effroi, abandonne ses petits. Voilà pourquoi je dis que la crainte est la plus grande cause de souffrance. »

Après avoir entendu ces discours, le religieux leur dit : « Vous raisonnez sur les causes accessoires, sans rechercher la cause première de la souffrance. Dans ce monde, le plus grand malheur des créatures est d’avoir un corps. Le corps est la plus grande source de souffrance ; c’est lui seul qui nous cause des craintes et des douleurs sans bornes. »

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-kiu-pi-yu-king, ou Livre des comparaisons tirées des livres sacrés.)