Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle/Texte entier


Il n’y eut rien de changé non plus aux infiltrations arabes du sud, au nord de la Mésopotamie, et tout le nord de cette province conserva le nom de « pays des Arabes » ou Beit ’Arbaïé, avec Nisibe pour métropole.

Imprimerie nationale (Cahiers de la Société asiatique : 1re série, t. 1p. 3-136).
LES ARABES CHRÉTIENS

DE MÉSOPOTAMIE ET DE SYRIE

DU VIE AU VIIE SIÈCLE.



ÉTUDE SUR LES ORIGINES DE L’ISLAM.

Séparateur


AVANT-PROPOS.


L’histoire des Arabes est basée d’ordinaire sur les écrits des musulmans. On oublie que, durant la vie active de Mahomet (621 à 632), les Arabes du Hidjaz n’avaient pas d’alphabet arabe et n’écrivaient pas en arabe. Leur unique souci, durant le viie siècle, semble avoir été la guerre et le pillage ; leurs écrivains sont venus plus tard. On oublie même que les poésies dites antéislamiques ont été mises par écrit à une époque très postislamique, surtout par un Perse, mort en 771 ou 774, qui « avait commencé par être un mauvais sujet et un voleur » et qu’on a accusé d’avoir mêlé ses imitations aux vers des anciens poètes. Sa vocation s’est éveillée lorsqu’il a trouvé des vers sur un homme qu’il dépouillait au milieu de la nuit[1]. On constate encore chez les Touaregs comment les poésies transmises oralement s’altèrent et se perdent vite[2].

Quant aux traditions musulmanes, dont l’étude critique est encore à ses débuts, « on se heurte partout au truquage »[3]. Il nous suffit ici de signaler combien elles sont tardives et, quand nous aurons ajouté que l’orgueil des musulmans leur faisait mépriser et omettre tout ce qui n’était pas à leur louange, on comprendra pourquoi l’histoire des Arabes chrétiens du vie au viie siècle a toujours été laissée dans l’ombre. Aujourd’hui encore, lorsque les écrivains syriens contemporains nous ont fourni tant de détails intéressants, tous ces détails ont été condensés en quelques lignes ou, tout au plus, en quelques pages et ne donnent qu’une idée bien affaiblie du nombre, de la force et des coutumes des Arabes chrétiens et du rôle capital joué par eux au début de l’islam.

On croit aussi, assez généralement, qu’à cette époque tous les Arabes étaient en Arabie et que tous les musulmans sortaient d’Arabie, lorsqu’en réalité les Arabes couvraient la Palestine, la Syrie, la Mésopotamie et une partie de la Perse, et encore ceux-ci étaient seuls à avoir des rois illustres, à avoir appris la grande guerre depuis plusieurs siècles, les uns contre les autres, dans les armées des Perses et des Grecs ; ils avaient pillé tour à tour la Palestine, la Syrie, l’Osrhoène, la Mésopotamie, la Perse, et l’islam ne devait leur être qu’un prétexte pour piller ces régions une fois de plus. Ils connaissaient le chemin de Byzance ; l’envoyé du roi de Hira s’était rendu aux audiences impériales avec une suite de quarante chefs arabes, et ceux de l’ouest n’oubliaient pas que les Ghassanides, sous les rois Ḥarith le Magnifique, Mondir et Noman, avaient réalisé l’ancien rêve des rois araméens de Palmyre ; car, au nom des monophysites, ils avaient traité d’égal à égal avec l’empereur romain, qui n’était plus que le roi des Chalcédoniens.

Avant Mahomet, des millions d’Arabes avaient été catéchisés au nom d’Allah, un seul Dieu (p. 26, n. 2), et avaient appris la prière, le jeûne et l’aumône à l’école des missionnaires et des moines, et nous verrons qu’ils avaient mis leur orgueil à pratiquer ces vertus mieux que les autres chrétiens[4]. Au début du viie siècle, tous les Arabes de Mésopotamie et de Syrie étaient chrétiens dans une certaine mesure, au moins par ambiance. Tous avaient vu des solitaires et des ascètes, avaient mangé aux portes des monastères, avaient assisté à des controverses entre monophysites et diphysites ; ils avaient pris parti, avec plus ou moins de discernement, pour ou contre la nature humaine de Jésus ; le Qoran a été fait pour eux et a été propagé par eux plutôt que par les bandes de pillards sans religion sorties du Hidjaz. Ils ont été les matériaux, triés et accumulés depuis longtemps, chez lesquels une simple étincelle fournie par Mahomet, qui les connaissait bien et qui a encore su donner satisfaction à leurs instincts, a allumé un formidable incendie[5]. Ce n’est pas sans motif que, dès l’an 35 de l’hégire (655), les califes ont abandonné l’Arabie pour se fixer au milieu des Arabes qui avaient été chrétiens ; ‘Ali à l’est, à Coufa (Hira), Moawia à l’ouest, à Damas, et, tandis que ceux-ci pratiquaient et propageaient l’islam, les Bédouins du Hidjaz ne sortaient pas de leur rôle traditionnel qui était de ne se préoccuper ni d’écriture[6] ni de religion, mais seulement de rançonner ou de piller les caravanes, pieuses ou non, qui rayonnaient vers La Mecque.

Les orientalistes connaissent bien cette opposition entre les pratiques des Bédouins du Hidjaz, premiers compagnons de Mahomet, et les fondements de l’islam, qui sont la croyance en un Dieu unique, la prière, le jeûne et l’aumône. Nous nous efforcerons d’en rendre compte en compilant ce que les auteurs syriens nous apprennent des Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie ; il sera facile ensuite de retrouver dans le Qoran leurs pratiques, leurs qualités et leurs défauts et on sera sans doute conduit à conclure, comme nous le disions plus haut, qu’il a été écrit pour eux[7].


CHAPITRE PREMIER.


L’ÉTAT DE L’ARABIE AU DÉBUT DU VIIe SIÈCLE.


1. L’Arabie et le désert de Syrie. — 2. Les infiltrations et invasions arabes. — 3. Division du présent travail.


1. — Tout événement dépend des circonstances de lieu et de temps, favorables ou défavorables, qui ont accompagné sa naissance et son développement. Nous devons donc nous demander d’abord ce qu’était l’Arabie avant le début du viie siècle.


La presqu’île arabique, à laquelle il faut joindre le désert de Syrie jusqu’à Damas et à l’Euphrate, équivaut à plus du tiers de l’Europe. Elle aurait donc droit, d’après sa surface, à plus de cent millions d’habitants, si le manque de rivières et de cours d’eau n’en faisait en majeure partie « une terre de sécheresse et de misère ». Les pluies produisent des torrents qui se perdent très vite dans les sables. Cependant, en de nombreux endroits, l’eau se trouve à une petite profondeur et permet de créer des oasis ; les bords de la mer sont aussi arrosés en général par des pluies assez régulières et se prêtent à la culture. Le commerce d’ailleurs a fait longtemps la richesse de l’Arabie, qui servait d’entrepôt ou de lieu de transit entre l’Inde d’une part, et la Syrie, l’Égypte et, par elles, l’Europe, de l’autre. Les anciens attribuaient à l’Arabie tous les produits de l’Inde qui la traversaient : parfums, encens, épices, tissus légers, or ; ils la tenaient donc pour un pays très riche et le roi-prophète croyait beaucoup dire en écrivant : « Devant lui les habitants du désert fléchiront le genou ; les rois des Arabes et de Saba (sud de l’Arabie) offriront des présents[8]. »

Pour nous faire une idée de la richesse relative de l’Arabie au début du viie siècle et de son déclin, aidons-nous d’abord d’une contrée beaucoup mieux connue, en rappelant, d’après M. de Morgan, comment s’est formée et perdue la prospérité de la Chaldée.


 À l’époque de sa splendeur, c’est-à-dire vers le quarantième siècle avant notre ère, la Chaldée jouissait d’une abondance prodigieuse ; coupée en tout sens de canaux, largement arrosée, couverte de villes et de villages, elle pouvait, à juste titre, passer pour le paradis terrestre.

 Tant que durèrent les dominations chaldéenne et assyrienne, la Mésopotamie fut d’une incroyable richesse ; mais peu à peu, depuis la domination des Perses achéménides jusqu’à celle des Perses sassanides, la fertilité diminua par suite du comblement des canaux. Enfin, arrivèrent les musulmans qui, avec leur imprévoyance habituelle, donnèrent le coup de grâce à ce grenier de l’Orient. La population disparut. Aussi aujourd’hui ne compte-t-on plus qu’environ quatre habitants par kilomètre carré, tandis que les plaines fertiles de la vallée du Nil en comptent plus de deux cents… L’Euphrate et le Tigre, tout comme le Nil, sortent, périodiquement chaque année, de leur lit, et leurs eaux couvrent le pays. Il serait donc aisé, en rétablissant les anciens canaux, de rendre la fertilité à ces vastes plaines ; mais il faudrait des bras pour de semblables travaux[9].


On peut en dire autant, proportion gardée, du Hidjaz et de l’Arabie. Bien des régions sont couvertes de ruines de notre ère et montrent qu’on avait pu y créer de nombreuses oasis, lorsqu’on avait le courage et la patience d’y creuser des puits. D’après le Père Lammens :


Au début de l’hégire, les Arabes, devenus riches et possesseurs de troupeaux d’esclaves, tenaient souvent à se donner la satisfaction de devenir propriétaires sur le théâtre même où jadis ils avaient gardé les chameaux et détroussé les caravanes — car ce sont là les deux pôles entre lesquels oscillait d’ordinaire l’activité des Arabes. — Les premiers califes ont établi en Arabie des haras, des parcs réservés, des domaines d’état, sans oublier leurs propres intérêts et ceux de leur nombreuse postérité… Ces domaines, lentement agrandis et améliorés, acquirent bientôt une valeur et des prix fantastiques. On parle de 900.000 dirhems, équivalant à un million de notre monnaie. Du vivant de ‘Ali, ses domaines du Hidjaz lui rapportaient déjà la somme rondelette de 100.000 dirhems… Les Zobaïrites possédaient une propriété couverte de 20.000 palmiers. Plus tard, les puits ont été abandonnés ou même comblés, les palmeraies brûlées, les guerres n’ont plus fourni des esclaves pour l’entretien des propriétés qui ont donc disparu et le désert a tout recouvert[10].


2. — Le rôle principal de l’Arabie, comme de tous les pays pauvres, a été de peupler les pays plus riches. Il n’est pas nécessaire de supposer que, depuis les temps historiques, il y a eu des modifications dans son régime d’eau, car les ruines qui couvrent bien des parties de l’Arabie ne diffèrent guère de celles qui couvrent la Syrie et le Hauran, et ici et là les changements tiennent surtout au régime politique et au manque de travail. En sus des infiltrations qui ont toujours lieu et en suite desquelles, comme l’a écrit M. Dussaud, le nomade installé en pays sédentaire perd en général sa langue et ses coutumes, il a pu y avoir de temps en temps des infiltrations plus massives. Un courant continu porte les nomades du centre de l’Arabie vers le nord et vers le désert de Syrie, pour pousser de là vers la Mésopotamie, le Liban et la mer. Cette poussée des pays pauvres vers les pays plus riches a eu lieu de tout temps avec plus ou moins d’intensité et de succès, et il nous a semblé[11] qu’on peut lui rapporter la formation des peuples et des langues sémitiques. De la Perse à la Méditerranée et à l’Égypte, les Arabes du viie siècle ont trouvé soit des frères, soit des descendants d’ancêtres communs, qui parlaient des langues apparentées et qu’il a donc été relativement facile de grouper sous un même étendard autour d’un même livre.

Pour expliquer les migrations des Arabes, on a supposé qu’il y avait eu un asséchement progressif de la péninsule ; mais cette hypothèse, serait-elle exacte, est inutile, puisque l’asséchement actuel ne vient pas de causes climatériques ou géologiques, mais tient seulement, comme nous l’avons dit, à l’état politique et à la paresse des habitants. L’Arabie pourrait nourrir beaucoup plus d’habitants qu’elle n’en a ; la guerre arabo-égyptienne a fait découvrir derrière les montagnes du Tihama un pays (l’Asyr) très peuplé et cultivé, que les cartes d’alors laissaient en blanc[12]. La carte d’Arabie, telle que Ptolémée la connaissait, montre aussi que c’était un pays suffisamment habité, lorsque les hommes travaillaient et commerçaient[13], conditions qui étaient encore vérifiées au début de l’islam.


Pour donner une idée des anciennes infiltrations massives des Arabes, jusque et y compris celle des Bédouins du Hidjaz qui a déclenché au viie siècle le mouvement islamique, nous allons citer l’infiltration massive beaucoup plus récente (xviie au xviiie siècle), qui a amené deux tribus de Bédouins, les Shammar et les Anaïzeh, du nord de l’Arabie jusqu’au delà du Tigre[14].


Lorsque Mahomet IV assiégeait Vienne (1680), une horde de Shammar, venus du Nedjed, s’empare de tout le Hamad, qui est cette vaste étendue de territoires qui va des confins de la Syrie au golfe Persique, le long de l’Euphrate, et s’enfonce à l’ouest jusqu’au Sinaï ; au sud, il est borné par les déserts de sable rouge, les Nefouds, qui entourent le Nedjed ; il renferme des oasis, des pâturages immenses, des terres jadis fertiles et habitées, que le pacage indéfini des nomades a rendues stériles… Les Shammar commencent par occuper Palmyre et par couvrir tout l’espace situé entre Damas et Bagdad, interceptant ainsi la route traditionnelle des caravanes de l’Inde. Ils soumettent les riverains de l’Euphrate et rançonnent les villes bâties sur ce fleuve. Comme les Sultans étaient occupés en Europe, ils ont le temps de s’installer dans leurs conquêtes qu’ils ont poussées jusqu’à Biredjik.

 La tribu des Anaïzeh, plus nombreuse que celle des Shammar, voulut alors prendre sa part du butin. Les Shammar furent vaincus et furent rejetés, à travers l’Euphrate, dans la grande plaine de la Mésopotamie où, trouvant un sol plus riche et plus fertile que celui dont ils venaient d’être expulsés, ils s’établirent aux dépens des Arabes de la tribu de Ṭaï qui succombèrent. De là, ils poussèrent leurs incursions jusqu’à Mossoul et en Perse au delà du Tigre. Bagdad fut menacé, les villes de la vallée du Tigre, Mossoul excepté, eurent le sort des villes de la vallée de l’Euphrate et la vie sédentaire disparut. À cause des défaites des musulmans en Autriche, la Mésopotamie fut laissée aux Shammar et aux Anaïzeh. Ils y ont introduit la misère bestiale et un état de guerre continuel, non un état de guerre actif, mais l’état de guerre des animaux, qui ont chaque matin leur nourriture à conquérir et un licol à éviter.


On lit encore au même endroit :


P. 866 : Les villes s’éteignirent avec la destruction du commerce et la fin des caravanes, l’agriculture et la vie sédentaire ne furent plus qu’un souvenir, dont il n’y eut bientôt plus de trace. P. 871 : La Mésopotamie qui a eu plus de vingt millions d’âmes n’en comptait plus (vers 1870) que quatre cent mille. P. 869 : Le nomade et la charrue ne vont pas ensemble. P. 854 : Mahomet aurait dit : « Partout où pénètre une charrue, la honte et la servitude entrent avec elle. »


Cela tient moins à la vie nomade (quoi qu’en dise Mme  Blunt) qu’à l’islam, où la guerre a remplacé le travail et qui n’a donc été qu’une école de paresse ; car, avant l’islam, sur les frontières du désert de Syrie, M. René Dussaud a constaté que des agriculteurs « avaient reculé les limites du désert » par l’utilisation de toutes les terres susceptibles de culture. De nombreux villages, aujourd’hui en ruine, abritaient une population mêlée de Syriens et d’Arabes qui commerçait activement, cultivait l’olivier, la vigne, les céréales et se livrait à l’industrie de la laine… « C’est un sujet constant d’étonnement pour le voyageur de rencontrer sur toute la frontière orientale de la Syrie, dans des contrées aujourd’hui désertes, des villages en ruine qui datent de l’époque romaine. » Cf. Les Arabes en Syrie avant l’islam, Paris, 1907, p. 5 et 7.

Les musulmans en faisant disparaître les chrétiens ont aussi « reculé les limites du désert », mais en sens inverse.


3. — Après cet exposé de l’état de l’Arabie au viie siècle et surtout du mécanisme des infiltrations et des invasions qui ont conduit des Arabes en Mésopotamie, en Syrie, en Palestine et jusqu’en Perse et en Égypte, nous allons résumer dans les chapitres suivants ce que les auteurs syriens nous apprennent : 1° des Arabes chrétiens de la Mésopotamie, 2° de ceux du désert de Syrie, soit de l’est (Lakhmides de Hira), soit de l’ouest (Ghassanides) qui dominaient en Transjordanie (Bostra).

Nous trouverons partout les Arabes chrétiens nombreux, puissants, respectés, avec des moines, des monastères, un clergé, des églises, des rois. Nous verrons comment les Perses et les Grecs ont détruit par jalousie les royaumes des Arabes nestoriens et des Arabes monophysites qui les avaient fait trembler, pour les remplacer par une anarchie de tribus sans cohésion dont ils croyaient n’avoir plus rien à craindre. Il a suffi à Mahomet de souder à nouveau ces tribus, pour que les Arabes de Syrie jadis chrétiens retrouvent aussitôt les succès auxquels les avaient accoutumés les rois Mundhir de Hira et les rois Ḥarith, Mondir et Noman de Damas et de Bostra[15].

Au point de vue chrétien, on pourrait faire encore le périple de l’Arabie et montrer que les chrétiens étaient partout et que le Hidjaz n’avait pas alors l’importance que des traditions tendancieuses lui ont attribuée ; mais nous entendons nous limiter cette fois aux régions précédentes.


CHAPITRE II.


LES ARABES DE MÉSOPOTAMIE.


1. Infiltration dans la région de Nisibe. — 2. Conversion des Arabes de Mésopotamie. — 3. Un monastère d’utilité publique. — 4. Écoles et liturgie. — 5. Le voile pour les femmes chrétiennes avant l’islam. — 6. Jeûnes, prières, prosternations. — 7. Retraites au désert. — 8. Décadence des ordres monastiques. Les Messaliens. — 9. Désordres chez certains moines nestoriens. — 10. Le passage à l’islam (Allah ; Rabb ; Qorrâ ; Ramadhan ; ablutions). — 11. Désordres chez certains laïques nestoriens. — 12. Une légende mésopotamienne : une pierre et une source miraculeuses.


1. — Par infiltration, conquête ou razzias, les Arabes nomades s’étaient installés en Mésopotamie et dévastaient aussi bien la région de Nisibe, au nord, que les plaines situées à l’est du Tigre jusqu’aux montagnes du Kurdistan. Les guerres incessantes entre les Grecs et les Perses donnaient de continuels prétextes aux Arabes, attachés à l’un ou à l’autre de ces deux pays, de se combattre, ou plutôt de piller à qui mieux mieux les sédentaires. Une lettre, écrite en l’année 484 par l’évêque de Nisibe Barsauma au patriarche nestorien Acace, nous dépeint très vivement cette situation.


Nous habitons un pays (Nisibe), qui est considéré comme digne d’envie par ceux qui ne l’ont pas expérimenté et où cependant les adversaires de sa tranquillité sont nombreux et les obstacles à sa prospérité sont multiples surtout dans le temps présent ; car voici deux années successives que nous sommes affligés d’une disette de pluie et d’un manque des choses nécessaires. La foule des tribus du sud s’y est rassemblée ; et, à cause de la multitude de ces gens et de leurs bêtes, ils ont détruit et dévasté les villages de la plaine et de la montagne ; ils ont osé piller et capturer bêtes et gens, même dans le territoire des Grecs.

Les Grecs assemblèrent une nombreuse armée sur la frontière, accompagnée de leurs Arabes, et ils demandèrent satisfaction pour ce qu’avaient fait dans leur pays les Arabes sujets des Perses. Le gouverneur perse de la ville de Nisibe les contint par sa sagesse. Il proposa de réunir les chefs des Arabes perses et de leur reprendre le butin et les captifs, dès que les Arabes grecs auraient ramené eux-mêmes le bétail et les captifs qu’ils avaient pris à diverses reprises dans les pays de Beit Garmaï, d’Adiabène et de Ninive, puis de délimiter les frontières par un traité, afin que ces malheurs et d’autres semblables n’arrivassent plus. — Durant les pourparlers, le général grec et ses principaux officiers étaient même allés rendre visite à Nisibe au gouverneur perse. Celui-ci les avait reçus avec grand honneur ; mais, tandis qu’ils étaient en train de manger ensemble, de boire et de se réjouir, on apprit que des Arabes perses, au nombre de quatre cents cavaliers, étaient tombés sur des villages éloignés appartenant aux Grecs et les avaient pillés.

Les Grecs accusèrent le gouverneur perse de leur avoir tendu un piége et longtemps après encore il n’y eut rien de changé. Cf. J.-B. Chabot, Synodicon orientale, Paris, 1902, p. 532-533.

2. — Un grand nombre de ces Arabes de Mésopotamie ont été convertis au christianisme par Aḥoudemmeh, métropolitain jacobite d’Orient en 559, mort en 575.

Il était du pays des Arabes et se proposa d’évangéliser les nombreux peuples qui vivaient sous des lentes entre l’Euphrate et le Tigre et qui étaient barbares et homicides. Il brisait les idoles, faisait des prodiges. Certains campements ne le laissaient pas approcher et lui lançaient des pierres, mais il guérit la fille du chef d’un campement et le bruit de ce prodige lui facilita son apostolat. Il s’appliquait avec grande patience à passer par tous les campements des Arabes, il les instruisait et les enseignait par de nombreux discours ; il ne cessait d’ailleurs pas son jeûne parfait, ses prières et ses veilles. Il réunit par son zèle et il fit venir des prêtres de beaucoup de pays, pour en arriver à établir dans chaque tribu un prêtre et un diacre. Il fonda des églises et leur donna les noms des chefs de leurs tribus, afin qu’ils les aidassent dans toute chose ou affaire dont elles auraient besoin… Il attacha ensuite les cœurs des Arabes à toutes les perfections de la piété et plus spécialement aux dons envers les indigents… Leurs aumônes se répandaient sur tous les hommes et en tout lieu, mais plus particulièrement sur les saints monastères qui sont encore soutenus par eux jusqu’à maintenant dans leurs nécessités temporelles : le monastère saint et divin de Mar Mattaï et de Kokts et de Beit Mar Sergius, et la communauté des moines qui est dans la montagne de Singar, avec tous les autres saints monastères qui sont dans les pays des Romains et des Perses ; ils faisaient de grands dons qui étaient vendus pour des prix élevés, et ils ne se bornaient pas à faire des dons aux églises, aux moines, aux pauvres et aux étrangers, mais ils aimaient le jeûne et la vie ascétique plus que tons les chrétiens, beaucoup de personnes chez eux ne mangeaient pas de pain durant tout le temps du jeûne, non seulement les hommes, mais encore beaucoup de femmes ; ils étaient zélés et ardents pour la foi orthodoxe, et chaque fois que la sainte Église était persécutée, ils donnaient leurs têtes pour l’Église du Christ, surtout les peuples choisis et nombreux des ‘Aqoulaïé, des Tanoukaïé et des Ṭou‘aïé. Quand ils furent parfaits dans toutes les coutumes du christianisme, il les quitta et alla bâtir la grande et belle maison des Pesilotâ, au milieu du Beit ‘Arbaïé, dans un lieu appelé Aïnqénaïé. Il y plaça un autel et des saints martyrs, et il appela cette maison du nom de saint Mar Sergius, l’illustre martyr, parce que ces peuples arabes aimaient beaucoup son nom et y avaient recours plus que tous les autres hommes. Le saint s’efforça, par cette maison qu’il avait bâtie au nom de Mar Sergius, de les détacher du temple de Mar Sergius de Beit Reçafa de l’autre côté de l’Euphrate, parce qu’il était loin d’eux (cf. p. 69, n. 1). Autant qu’il le put, il le fit, afin que ce temple par sa belle apparence les empêchât d’aller à celui-ci. Près de ce temple qu’il bâtit, il construisit encore le grand et célèbre monastère appelé Aïnqénaïé. Il le rendit remarquable tant par sa construction que par tout ce qu’il contenait. Il y réunit une nombreuse communauté et lui donna de belles règles qui purifiaient l’âme du tumulte du monde, avec l’office continuel de jour et de nuit, le jeûne continuel, les pures veilles, l’exercice de la charité et l’accueil des pauvres et des étrangers. Une table abondante et chargée de tous les biens y était dressée pour tous ceux qui arrivaient à sa porte ; c’était comme un jardin rempli de biens pour tout le pays où il était situé ; et tout ce dont les hommes de ce pays avaient besoin leur était fourni par lui.

Il dit encore aux frères : « Mes enfants, aimez-vous les uns les autres, soyez constants dans la prière, recevez les étrangers d’un bon cœur, puis il fit sur eux le signe vénéré de la croix et il alla visiter tous les peuples qu’il avait instruits. Après cela, il voulut construire encore un monastère dans un lieu éloigné, dans un pays difficile, desséché et sans eau, parce que ceux qui suivaient ce chemin et parcouraient ce pays souffraient beaucoup. Il bâtit de grandes et belles constructions, fit de grandes et belles portes, et creusa deux puits, l’un à l’intérieur du monastère, l’autre à l’extérieur. Il le consacra et y rassembla une communauté de près de quarante hommes. Dès lors, tous ceux qui passaient par là louaient Dieu et disaient : « Dans une terre difficile comme celle-ci a été bâti un Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/17 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/18 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/19 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/20 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/21 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/22 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/23 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/24 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/25 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/26 Page:Nau - 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CHAPITRE VII.

L’ÉCRITURE ARABE.

1. Langues ayant des alphabets. — 2. L’ancienne écriture arabe. — 3. Deux inscriptions arabes antérieures à l’hégire. — 4. Monnaies et papyrus.

1. — De nombreux dialectes n’étaient pas écrits ; c’est le cas du celte et, pendant longtemps, de tous nos patois. C’est aussi le cas de l’arabe du Hidjaz.

Les papyrus, parchemins ou inscriptions nous font connaître les dialectes écrits ; du ier au ive siècle de notre ère, on écrivait en grec et en araméen à Palmyre, en araméen dans le royaume d’Édesse, en grec en Syrie et dans le Hauran, en nabatéen dans la Transjordanie, au Sinaï et dans le nord de l’Arabie jusqu’à Médaïn-Saleh (Hégra), au nord de Médine. Le nabatéen est d’ailleurs aussi un dialecte araméen et a pu persister jusqu’à l’hégire.

Au sud de l’Arabie, on trouve des inscriptions dans quatre dialectes. Les principales sont les minéennes, depuis le viiie siècle avant notre ère, puis les sabéennes et himyarites, du début de notre ère jusqu’à l’hégire. Les lettres ne ressemblent pas au phénicien et proviennent peut-être d’un grec archaïque. Elles ont passé du sud de l’Arabie en Éthiopie, et les migrations des Arabes les ont portées vers le nord, où elles ont donné l’alphabet liḥyanique jusqu’au nord de la Mecque, et le safaïtique dans le désert de Syrie.

Pour les besoins du commerce, il devait y avoir des scribes experts dans les langues qui avaient un alphabet : grec, araméen, nabatéen, sud-arabique, éthiopien, perse. Les maîtres portaient leur sceau pendu au cou, dans un petit sac, et se bornaient à apposer ce sceau sur l’écrit. C’est là une ancienne pratique biblique, qui a encore lieu chez bien des musulmans. Ce sont les chrétiens surtout qui ont créé des alphabets pour les peuples qu’ils convertissaient et qui leur ont appris à lire et à écrire.


2. — L’arabe dit classique ne fait pas exception. Son alphabet est dû aux chrétiens ; car c’est chez les Arabes chrétiens de Syrie qu’on trouve les plus anciens spécimens de cette écriture. L’alphabet arabe ne comprenait d’abord que vingt-deux lettres, comme l’alphabet syriaque et dans le même ordre. On le voit en suivant les valeurs numériques des lettres. On a ensuite ajouté des lettres auxiliaires pour représenter des prononciations particulières. Beaucoup de lettres ne se distinguent que par un, deux ou trois points placés dessus ou dessous. C’est le cas de ba, ta, sa, noun, ya, et aussi de dal, zal, etc. Les anciennes inscriptions (comme les plus anciens Qorans) ne portent aucun de ces points. Ces textes seraient donc illisibles, si on ne connaissait par ailleurs les points qu’il faut suppléer pour obtenir la bonne lecture[16].


3. — La plus ancienne inscription arabe est peut-être la bilingue grecque-arabe de Harran dans le Hauran. Elle nous apprend qu’en l’année 568 de notre ère, Larahel, fils de Thalmou, phylarque des Arabes, a construit un martyrion (temple) en l’honneur de saint Jean. L’arabe reproduit le grec, qui sert à le lire.

Une autre inscription arabe du vie siècle est celle qui figure sur ce qu’on nomme la trilingue grecque-syriaque-arabe de Zébed, dans la région d’Alep.

Ce n’est pas une inscription trilingue à proprement parler ; car une trilingue (comme celle de Béhistoun) doit donner le même texte en trois langues ; or, à Zébed, il n’y a à se correspondre qu’une partie des textes grec et syriaque écrits en l’année 512 de notre ère. C’est une bilingue grecque-syriaque, sur laquelle on a ajouté plus tard (on ne sait quand) de nouveaux noms propres grecs et arabes.

L’inscription est maintenant au Musée du Cinquantenaire à Bruxelles. Voici la traduction des deux textes correspondants, grec et syriaque, donnée par M. Kugener dans le Journal asiatique, mai-juin 1907, p. 509, et dans la Rivista degli studi orientali = R.S.O., t. I, 577 :

Grec. — Le 24 septembre 512 furent posées les fondations du martyrion de saint Serge, sous le périodeute Jean. Anneos, fils de Borkaios, et Sergius, fils de Sergius, fils de Sergius, le fondèrent. Siméon, fils d’Amraas, fils d’Élias, et Léontios en furent les architectes. Amen.

Syriaque. — Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Le 24 septembre 512 ont été posées les fondations (du martyrion) et c’est Jean le périodeute — que sa mémoire soit bénie ! — qui en posa la première pierre et Mara qui écrivit (l’inscription syriaque) et Annas et Antiochus et Sergius (qui en furent) les fondateurs.

Les noms propres grecs et arabes qui ont été ajoutés plus tard constituent « plutôt un graffite qu’une inscription ». Il y a quatre noms grecs : Satorninos, Azizos, Azizos, fils de Sergius, et Azizos, fils de Marabarka, fils de Marabarka, et cinq noms arabes écrits sans points diacritiques, qu’on peut lire : Sergius, fils d’Amat Manaf, et Tobi, fils d’Imroulqaïs, et Sergius, fils de Sa‘d, et Sitr, et Sergius.

Ces derniers noms, mal écrits, sortes de graffites, semblent ceux de bienfaiteurs postérieurs ; on peut cependant les rapporter au vie siècle.

M. Enno Littmann a proposé des corrections pour rapprocher les noms du graffite arabe des noms de l’inscription grecque, cf. R.S.O., t. IV, p. 196 à 198 ; mais il ne s’ensuivrait pas encore nécessairement que le graffite arabe soit de l’an 512. Nous le laissons donc au vie siècle, sans préciser l’année.

Ces deux inscriptions suffisent, pour montrer que les Arabes chrétiens de Syrie avaient un alphabet avant l’hégire. Il ne semble cependant pas qu’on l’ait beaucoup employé, car il était en somme illisible.


4. — Les monnaies elles-mêmes ont été longtemps celles des Grecs et des Perses ; lorsque les musulmans ont adopté l’alphabet des chrétiens syriens, ils ont encore gardé sur leurs monnaies l’effigie de l’empereur grec avec les insignes du christianisme ; ils ajoutaient seulement le nom de la ville ou de la monnaie (Damas ou dirhem) en caractères arabes. C’est seulement sous ‘Othman (644 à 654) que son cousin Moawia, le futur calife, gouverneur de Syrie, a fait frapper des monnaies purement arabes ; une chronique nous apprend qu’on ne voulait pas accepter ses monnaies en Syrie, parce qu’elles ne portaient pas la croix. C’est peut-être pour les faire accepter que les monnaies arabes, depuis Moawia jusqu’à Merwan Ier (684), frappées en Palestine ou en Syrie, portent, en sus de l’inscription arabe et de l’effigie du calife, une sorte de modification de la croix ansée, figurée par la lettre grecque majuscule phi, mise au-dessus de plusieurs gradins. Les pièces purement musulmanes et datées, conservées à Paris ou au Caire, ne sont pas antérieures à 696.

L’un des plus anciens papyrus datés est peut-être celui du Caire reproduit par Mme Lewis, Studia sinaitica, no XII, pl. I. Il est de l’an 705 de notre ère et ne porte aucun point diacritique, comme les Qorans non datés qu’on attribue par conjecture à cette époque. M. Karabaček, dans son étude sur les papyrus arabes, n’a trouvé le point qui caractérise la lettre b que dans des documents datés de 81 à 96 de l’hégire (699 à 714) et le double point qui caractérise la lettre y qu’en 82 à 89 (700 à 707). Il est possible qu’al-Hajjaj, mort en 95 (713), soit le premier qui ait employé quelques points diacritiques ; cf. Lewis, ibid., p. xii.

Nous ne savons pas si les Arabes chrétiens de Hira-Coufa avaient un alphabet avant l’hégire (621) ; mais c’est chez eux qu’on a imaginé la plus belle écriture arabe, le coufique, écriture des anciens Qorans, et qu’on a imaginé les premiers points diacritiques, sous le calife ‘Abd el-Mélik (685-704).

Nous avons donc pu écrire au début que le premier livre arabe (Qoran) a sans doute été écrit par ‘Othman, avec l’aide de scribes syriens envoyés par Moawia[17]. Il était d’ailleurs pratiquement illisible pour qui ne le savait pas par cœur. Il a fait sa première apparition à Siffin (657), où les Arabes chrétiens, seuls à savoir alors ce que c’était qu’un livre, l’ont pris pour l’Évangile[18]. Trente ans plus tard, on a tâché, à Coufa, de le rendre lisible en lui ajoutant des points diacritiques.

CHAPITRE VIII.

LA CONVERSION À L’ISLAM DES ARABES SYRIENS.

1. Insuccès des musulmans avant la défection des Arabes chrétiens. — 2. Ceux-ci marchent bientôt avec les musulmans, les aident et les guident. — 3. Ils le faisaient en haine des Grecs, par amour du pillage et à cause de la tolérance des premiers califes. — 4. Persécutions contre les Arabes chrétiens d’‘Aqoula, de Ghassan, de Tanouk, de Taglib, etc. — 5. Les néo-musulmans. — 6. Conclusion.

1. — Si les Grecs avaient su maintenir la confédération des Arabes chrétiens, la Syrie aurait été facilement protégée contre toute incursion des Bédouins du Hidjaz, bien moins dangereux que les Arabes perses. On l’a encore vu en 629, lorsque tous les Arabes chrétiens n’avaient pas fait défection. Une expédition de trois mille musulmans, sous quatre chefs, arriva à Ma‘an, près de Pétra. Le pouvoir des Grecs, par leurs troupes ou par les Arabes feudataires, s’étendait encore sur le nord-ouest de l’Arabie. Un certain Farwah, fils d’‘Amrou, gouvernait Ma‘an et tout le pays qui en dépendait. Il donna l’exemple des trahisons qui devaient devenir générales chez les Arabes quelques années plus tard. Il livra Ma‘an aux musulmans sans résistance et, en punition, fut mis en croix par ordre d’Héraclius. L’arrêt des musulmans à Ma‘an donna aux Grecs et aux Arabes chrétiens le temps de se concentrer et, peu après, les musulmans étaient accablés à Mo‘ta ; trois de leurs chefs furent tués et le quatrième, Khaled — qui devait être plus tard « l’épée de Dieu », quand il a eu les Syriens à ses ordres — ne fut alors qu’un simple fuyard, heureux de sauver sa vie et de rentrer à Médine avec les débris de l’armée. Mo‘ta est encore un lieu de pèlerinage fréquenté. On y a élevé un mausolée sur le tombeau de Dja‘far, l’un des trois chefs tués, que la légende populaire a surnommé Tayyâr, « celui qui vole comme un oiseau », parce que le Prophète, quand on lui apprit que son cousin avait eu les deux mains coupées à coups de sabre, aurait affirmé que, dans le paradis, Dieu lui avait déjà donné deux ailes d’oiseau pour remplacer les membres qui lui manquaient.

En 630, Mahomet a préparé à grands frais une expédition contre les Grecs pour venger la défaite de Mo‘ta, mais beaucoup de Bédouins partaient à contre-cœur. Ils prétendaient qu’il faisait alors trop chaud et Mahomet leur répondait que le feu de l’enfer est autrement ardent que les grandes chaleurs. Cependant, après être resté une vingtaine de jours à Taboûk, il a jugé prudent de ne pas pousser plus loin.


2. — Mais il arriva ensuite aux Arabes chrétiens ce qui était déjà arrivé à Mondir après sa victoire sur les Perses (cf. supra, chap. v, 9). Les vainqueurs des musulmans réclamèrent leur modeste solde, réclamation très légitime, d’abord parce qu’elle leur était due, surtout après leur victoire, et ensuite parce que chacun aurait dû savoir que les habitants des déserts arides ont toujours gagné leur vie en louant leurs services aux marchands ou aux États. Théophane raconte que le trésorier était un eunuque du palais et que celui-ci, voyant devant lui une troupe d’Arabes demi-nus et misérables, dont il croyait ne plus avoir besoin puisqu’ils avaient écrasé les envahisseurs, leur répondit insolemment : « Retirez-vous. L’empereur ne trouve qu’avec peine de quoi payer ses soldats ; il n’a rien à donner à ses chiens. » Les Arabes chrétiens, dit Théophane, et nous l’en croyons sans peine, quittèrent donc le service des Grecs et se joignirent à leurs compatriotes. Nous pouvons même ajouter qu’ils furent les meilleurs des musulmans ; car ils croyaient en un seul Dieu qu’ils nommaient Allah et ils faisaient la prière, ce qui n’était pas souvent le cas des Bédouins du Hidjaz. Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/102 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/103 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/104 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/105 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/106 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/107 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/108 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/109 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/110 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/111 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/112 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/113 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/114 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/115 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/116 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/117 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/118 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/119 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/120 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/121 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/122 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/123 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/124 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/125 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/126 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/127 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/128 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/129 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/130 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/131 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/132 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/133 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/134 Page:Nau - Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie, du VIIe au VIIIe siècle.djvu/135

NOTE DU REVISEUR.


Le travail de François Nau sur Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie du viie au viiie siècle — qui se rattache à deux articles parus dans le Muséon : À propos d’un feuillet arabe, t. XLIII (1930), p. 85-116 et 221-262, et La Politique matrimoniale de Cyrus le Mocaucas, t. XLV (1932), p. 1-17 — reste inachevé. Car les paragraphes 7 et 8 annoncés dans le sommaire du chapitre x n’ont pas été développés par l’auteur dans le manuscrit remis pour l’impression. Du moins, par leurs titres mêmes, ils indiquent la conclusion de cette étude, à savoir que, pour M. K. Ahrens, Mahomet s’est rapproché du christianisme, sans y arriver, et que, pour F. Nau, Mahomet, au contraire, semble être parti du christianisme et s’en être éloigné. Notre tâche s’est donc bornée à corriger les épreuves d’imprimerie, en sorte que le premier numéro des Cahiers de la Société asiatique donne le dernier travail du regretté orientaliste dans l’état où la mort a mis un terme à son activité, qui a été vraiment prodigieuse, ainsi que le montreront sa notice nécrologique et sa bibliographie, qui paraîtront bientôt dans le Journal asiatique.

Maurice Brière.
  1. Cf. Cl. Huart, Littérature arabe, Paris, 1902, p. 58-59.
  2. Presque tous les Touaregs font des vers… « tous en savent par cœur… les vers anciens sont la plupart oubliés… il s’introduit de nombreuses variantes ; à moins de recevoir une pièce de vers de la bouche de son auteur, on la reçoit avec des mots changés, des vers ajoutés, omis ou déplacés. » André Basset, Poésies touarègues, recueillies par le Père de Foucauld, Paris, 1925, t. I, p. i à iii.
  3. Cf. H. Lammens, Fatima et les filles de Mahomet, Rome, 1912, p. 133. Le même auteur a encore écrit : « La tradition musulmane peut être considérée comme une des plus grandes supercheries historiques dont les annales littéraires aient gardé le souvenir » ; cf. Qoran et tradition, dans Recherches de science religieuse, t. I, 1910, p. 29.
  4. Nous avons déjà esquissé ce sujet dans La Religion du Qoran, paru dans le Muséon, t. XLIII, 1930, p. 221 à 252.
  5. Pour procéder, comme nous aimons à le faire, du plus connu au moins connu, on verra comment il a suffi d’une troupe infime de douze mille Maures, joints aux mécontents espagnols, pour chasser les rois goths. C’est après la victoire que les Berbères et les Arabes se sont abattus sur l’Espagne et l’ont islamisée en bonne partie.
  6. Les Arabes de Syrie seuls (sauf nouvelles découvertes) avaient un alphabet avant l’hégire. Moawia, fixé à Damas, avait cependant motif de s’intéresser beaucoup au Hidjaz, puisque ses propriétés dans cette région « lui rapportaient annuellement 150.000 charges de dattes et 100.000 sacs de céréales » (cf. H. Lammens, Le Berceau de l’islam, Rome, 1914, t. I, p. 167). Il a donc pu fournir à son parent ‘Othman des scribes syriens, lorsque le vieux calife a voulu mettre par écrit les répertoires des récitateurs du Qoran. Noter que Moawia a su utiliser ce livre à Siffin, où les Arabes de l’est et de l’ouest du désert syrien étaient aux prises une fois de plus. Il en a appelé au « Livre de Dieu », cri qui ne pouvait être compris que des chrétiens accoutumés à vénérer l’Évangile. Les Bédouins du Hidjaz, qui avaient massacré ‘Othman sur son « Livre de Dieu », ne se seraient pas arrêtés pour si peu ; cf. chap. vii, 4.
  7. Nous ne donnons pas une démonstration complète de ce dernier point ; car nous ne toucherons que très incidemment au Qoran, pour nous attacher seulement à nos Arabes chrétiens. Notre travail doit donc être complété par les articles publiés par M. K. Ahrens dans la Z.D.M.G., t. LXXXIV, 1930, Christliches in Qoran. Nous les résumerons au chapitre x.
  8. Ps. lxxi, 9-10.
  9. Notes sur la basse Mésopotamie, dans la Géographie, Bulletin de la Société de Géographie, Paris, 15 octobre 1900, p. 252, 259.
  10. Cf. Le Berceau de l’islam, Rome, 1914, p. 94 à 99, etc. Dans la vallée de Khaïbar, fief des Juifs de Médine au début de l’hégire, « on voit de nombreuses ruines de châteaux forts et de villages, il n’y a plus qu’une forteresse encore existante qui domine le pays » ; cf. Cl. Huart, Histoire des Arabes, Paris, 1912, t. I, p. 156. L’islam a dépeuplé aussi cette région.
  11. Cf. L’Araméen chrétien, dans la Revue de l’Histoire des Religions, t. XCIX, mai-juin 1929, p. 232-239.
  12. Cf. Jomard, Études sur l’Arabie, Paris, 1839.
  13. Cf. A. Sprenger, Die alte Geographie Arabiens, Berne, 1875.
  14. Résumé dans le Correspondant, t. LXXXVIII, juillet-septembre 1881, d’après les voyages de Mme Blunt, p. 865.
  15. Nous écrivons chez les Ghassanides : Mondir et Noman, comme l’a fait Payne Smith ; à Hira, nous avons écrit : Mundhir et Nu‘man (bien que ce soient les mêmes noms), pour aider à les distinguer ; car plusieurs historiens les ont confondus.
  16. Dans une histoire nestorienne, cf. P.O., t. XIII, p. 501, n. 1, on trouvera un nom de quatre lettres sans points-voyelles, qui peut donc être lu Biro, Bizo, Niro, Nizo, Tiro, Tizo, etc. — Il y avait autant d’incertitude pour le sens que pour les noms propres. Le seul changement d’une lettre finale permettait à Ibn Lahi‘a de remplacer la phrase : « Le Prophète se fit une cellule dans la mosquée » par cette autre bien différente : « Le Prophète s’appliqua des ventouses dans la mosquée » ; cf. Bokhari, Les Traditions islamiques, trad., t. IV, p. 550 ; et, par un changement de point diacritique, au lieu de : « Abou-Bekr était le meilleur des hommes », le texte de Qastallani donne : « Voici notre histoire », ibid., t. IV, p. 293.
  17. ‘Othman était d’ailleurs en relations de parenté avec les chrétiens de Syrie. Sa femme, Nâ’ila, qui a eu les doigts coupés en voulant le protéger, était de la tribu chrétienne de Kelb ; son père était chrétien. Cf. Ibn at-Tiktaka, Al-Fakhri, trad. d’Amar, Paris, 1910, p. 159.
  18. D’après Al-Fakhi, trad., p. 146, ‘Ali aurait dit à ses soldats : « C’est une perfidie, car personne chez eux (les Syriens) ne se conduit d’après ces Qurāns. » C’est aussi notre avis ; car les Syriens, en 657, ne connaissaient encore que l’Évangile et les quelques bandes de Bédouins, qui leur étaient mélangées, n’avaient souci d’aucun livre.