Les Amours de Tristan/Voyage fabuleux, fait à Fontainebleau

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 190-195).


VOYAGE FABVLEVX, FAIT À FONTAINEBLEAV.

ODE.



VN des beaux obiects de la France
A quité ce plaiſant ſejour,
Amenant auec ſoy l’Amour,
Les Graces & mon esperance :
Le Sort vient de nous en priuer ;
Vn Caroſſe vient d’enleuer
La Beauté de tous adorée :
Et fendant promptement les Airs,
A laißé la Cour esplorée
Dans la nuict & dans les Dezerts.


Les Cheuaux pouſſans vne haleine
Dont on voyait le feu ſortir,
Monſtroient ce preſſant deſpartir
Qu’ils eſtoient tous fiers de leur peine ;
Mais la Merueille qu’ils menoient,
Par tout où ſes yeux ſe tournoient
Lançoit vne flame ſi claire,
Qu’elle a fait douter en ces lieux
Qu’vn autre Cocher temeraire
Fuſt encore tombé des Cieux.

Maintenant vne autre contrée
Que Flore embelliſt en tout temps,
Fait montre de ſon doux Prin-temps
Aux yeux de l’adorable Aſtrée.
Les Dieux pour flater ſes deſirs
Font arriuer tous les plaiſirs
En cette agreable demeure :
Et laiſſans leurs charges aux Deſtins,
Ne s’occupent plus à cette heure
Qu’à luy preparer des feſtins.


La Ieuneſſe en dreſſe les Tables,
Tandis le beau Parent d’Hector
Prepare dans des Vaſes d’or
Les boiſſons les plus delectables.
Pomone & le Dieu qui la ſert
Diſpoſent déja le deſſert
Dans des plats de nacre & de glace :
Y rangeant mille nouueautez
Dont encore l’ordre & la grace
Diſputent auec les beautez.

Rien ne gouuerne plus le Monde,
Les Cieux ſe meuuent ſur leur foy,
Neptune ne fait plus la loy
Aux boüillantes fougues de l’Onde :
Les Antres ſont inhabitez,
Et toutes les Diuinitez
Qui font ſubſiſter la Nature
Iuſques au moindre demy-Dieu,
Suiuent tous les pas de Mercure
Pour honorer vn ſi beau lieu.


Celle qui n’eſt point appellée
En ces banquets delicieux
C’eſt celle qui broüilla les Dieux
Au mariage de Pelée :
Mais on a beau la negliger,
Elle ne ſçauroit s’en vanger
Ny ſur les Dieux, ny ſur les hommes.
Il n’eſt point de Diuinité
Qui vouluſt diſputer ces pommes
Auec cette rare Beauté.

Mais n’eſt-elle point retournée ?
C’est poßible vn pareil ſejour
À ces Clymats chez qui le iour
Dure la moitié de l’année.
Ô beau Soleil dont les clartez
Produiſent les fœlicitez
Par vne ſi douce influence ;
Noſtre Hemiſphere eſt-il reduit
À receuoir de voſtre abſence
L’ennuy d’vne ſi longue nuit ?


Quelles ſi charmantes delices,
Dignes de vous entretenir,
Vous peuuent bien tant retenir
En deſpit de nos ſacrifices ?
Reuenez bien toſt en ces lieux,
Rendez nous bien tost ces beaux yeux
Qui font honte aux plus belles choſes ;
Ces beaux yeux ſi doux & ſi chers,
Pour qui l’on void naiſtre des roſes
Sur le faiſte de ces Rochers.

Venez entendre nos fontaines
Dont le bruit confeſſe tout bas
Que vous auez bien plus d’appas
Qu’elles n’eurent iamais d’areines.
La fidelle glace de l’eau
Vous faiſant voir voſtre tableau
Par vn ſi naturel office,
Vous deffendra bien de douter
Que la Nature ou l’artifice
Y puiſſent plus rien adiouſter.


Mais euitez cette aduanture :
N’approchez point de leur criſtal,
Ce miroir vous ſeroit fatal
En vous offrant voſtre peinture :
L’eau ſoudain vous enflammeroit,
Vos beaux yeux qu’elle charmeroit
Luy feroient vn mortel hommage :
Narciſſe que l’Amour jaloux
Rendit eſpris de ſon image,
Ne fut iamais ſi beau que vous.


POVR LES YEUX DE *



VOVS qui m’auez l’Ame rauie,
Et par qui ie n’ay plus de vie
Que pour reſſentir mes douleurs :
Beaux Chef-d’œuures de la Nature,
Beaux yeux, liſez mon aduanture
Que ie vous eſcry de mes pleurs.