Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Fin des vers de Sincero à Charite : S'ensuivent ceux de Charite à Sincero

Fin des vers de Sincero à Charite : S’enſuivent ceux de Charite à Sincero.



Ie veux que Sincero ſoit gentil & accord,
Né d’honneſtes parens, ie veux que la Nobleſſe
Qui vient de la vertu orne ſa gentilleſſe,
Et qu’il ſoit temperant, iuſte, prudent, & fort.
Ie veux que Sincero m’ayme iuſqu’à la mort,
Me retenant du tout pour vnique maiſtreſſe,
Ie veux que la beauté auecques la richeſſe
Pour le fauoriser ſe trouuent d’vn accord,

Ie veux en Sincero vne douce eloquence,
Vn regard doux & fin, vne graue prudence,
Vn eſprit admirable, & vn diuin ſçauoir.
Vn pas qui ſoit gaillard, mais toutesfois modeſte,
Vn parler gracieux, vn agreable geſte,
Voila qu’en le voyant, ie deſire de voir.

Sincero mon deſir, & mon cœur & ma vie,
Excuſez moy de grace, & ne vous offencez,
Si pourſuiuant le cours de mes vers commencez,
I’accompaigne l’amour avec la ialouſie.
Sincero mon deſir ie n’eu iamais envie
D’aymer autre que vous : mais auſſi ne penſez
D’aymer autre que moy, & ne vous avancez
De chercher autre nœud que celuy qui nous lie.
Ne vous arreſtez point au propos enuieux
Qui veulent reformer la grace de voz yeux,
Leur fineſſe & douceur, ne ſont dignes de blaſme.
Leur fineſſe demonſtre vne ſincerité :
Leur douceur repreſente vne ſincerité :
Car les yeux, Sincero ſont feneſtres de l’ame.

Dittes moy Sincero, que c’eſt qu’il vous en ſemble,
Dittes ſi c’eſt mon œil qui vous a retenu
Ou mon cueur, ou ma bouche, ou ſ’il m’eſt advenu
Pource que i’ay uni leurs trois forces enſemble.
Mon œil dit que mon cueur eſtoit tout en vn trẽble,
Ma bouche ſans diſcours, & qu’il a ſouſtenu
Luy ſeul tous les effors de ce Dieu inconnu,

Qui d’vne ſaincte amour ſainctement nous aſſemble,
Mon cueur iure qu’il ſ’eſt pour le voſtre changé
Et que luy ſeul vous tient à noſtre amour rangé,
Ma bouche maintenant veut affermer pour elle.
Que ſi ce n’euſt eſté ſon gracieux accueil
Ny la force du cueur, ny la force de l’œil.
N’euſſent peu arreſter cette flamme nouvelle.

Puis que le ferme nœud d’une amitié tant ſaincte,
Vous doit vnir à moy, faictes voſtre devoir
D’egaller voz vertus à voſtre grand ſçavoir
Et que ce ne ſoit point une aparence feinte.
Si vous eſtes meſchant, las ie ſeray contrainte,
De vous abandonner : car ie craindroy d’auoir
Vn amy vitieux, & ie ne veux point voir
Mon honneſte amitié compaigne de la crainte.
La vertu ſeulement rend l’homme bien-heureux,
Soyez donc ſ’il vous plaiſt de vertu deſireux
Suivant de l’ypſilon la moins commune adreſſe.
Faictes que la raiſon commande à voz deſirs,
En eſperant de moy les honneſtes plaiſirs
Que l’on doit eſperer d’vne chaſte maiſtreſſe.

Amy ie ne ſçaurois rompre ce doux lien,
Ce doux lien d’amour, dont vous me tenez priſe,
Auſſi ne veux-ie point faire telle entrepriſe
Puis que tous mes efforts, n’y ſeruiroient de rien.
Ie vous ayme & honore, & voy aſſez combien
La troupe des neuf ſœurs ſur tout vous fauoriſe,

Mais ſi deſſus voz mœurs on faict quelque repriſe
Le blaſme n’en fera non plus voſtre que mien,
Pour vous retirer donc de l’ecole du vice,
Ie voudroy reſſembler une ſage Melice
Et vous pouuoir conduire en plus heureux sentier.
Pour les fautes d’vn ſerf on ſ’en prend à ſon maiſtre,
Et ſi vous eſtes mien, ou deſirez de l’eſtre,
Soyez donc, Sincero, en mœurs pur & entier.

Si ie veux m’acquiter on ne me doit reprendre
De ce dont eſt repris le prodigue donneur,
Qui depend follement & richeſſe & honneur
Sans eſperer le bien qu’il en pourroit attendre.
Recevant un amour, un amour ie veux rendre
A vous mon Sincero, & confeſſe mon heur
D’avoir ſçeu rencontrer vn ſi rare ſonneur
Pour noſtre affection dignement faire entendre.
Or ie doy vous aymer pour trois occaſions,
Pource que vous m’aymez, pour voz perfections,
Pource que ie vous ſuis liee de promeſſe :
Et vous payant ainſi ie ne vous donne rien,
Que pourrois-ie donner, vous eſtes tout mon bien,
Vous eſtes mon honneur, mon plaiſir, ma richeſſe.

Mais d’où vient, Sincero, qu’eſtant ſi loing d’ici,
Vous ne m’eſcrivez point, la douce ſouuenance
De noſtre chaſte amour, eſt elle en oubliance ?
N’avez vous plus de moy penſement ny ſouci ?
Vrayement ſi i’appercoy que vous ſoyez ainſi,

Volage & indiſcret, vous n’aurez la puiſſance
De me vaincre en oubly, car par voſtre inconſtance
Ie veux eſtre inconſtante, & le ſeray auſſi.
Doncques ſi vous m’aymez, penſez que ie vous ayme
Autant comme mon cœur, autant comme moy meſme :
Mais ſi vous ne m’aymez ie ne vous ayme point,
Si vous me haiſſez, ie hay plus que la rage,
Ie hay plus que l’enfer, voſtre mauuais courage,
Ainſi l’amour me bleçe, & la hayne me point.

Vous voyant expoſer aux dangers de la guerre,
Helas i’ay ſi grand pœur que voſtre amoureux nœud,
Soit trenché par le fer, que voſtre amoureux feu
Soit eſteint par le feu de ce double tonnerre !
I’importune les Dieux, du Ciel & de la terre,
De l’air & des enfers, ie fay maint piteux vœu,
Eſpérant vous ayder & delier vn peu
Les liens de la pœur qui tient mon cœur en ſerre.
Et ſ’il m’aduient bien toſt par la faueur des Dieux
De nous reuoir icy, doux plaiſir de mes yeux,
À l’heure vous pourrez me donner deliurance,
À l’heure vous pourrez m’affranchir de la pœur,
Qui va tyrannisant voſtre cœur, & mon cœur,
Puis que le voſtre en moy fait touſiours demeurance.

Si ie connois en vous quelque imperfection,
Si ie connois en vous quelque penſer volage,
Si ie connois en vous un ſuperbe courage,
Qui meſpriſe le cours de voſtre paſſion :

Si ie connois en vous une presſomption,
Grande peſte des cueurs que l’on met en ſeruage,
Si ie vous voy changer de mœurs & de langage,
Vous me voirrez bien toſt manquer d’affection.
Si vous m’eſtes conſtant, ie vous ſeray conſtante,
Si vous voulez changer, & bien i’en ſuis contente,
Cherchez vne autre amie & moy vn autre amy :
Cherchez vne maiſtreſſe honneſte, aymable, & belle,
Et moy vn ſeruiteur ſage, accort, & fidelle :
Car ie ne veux iamais que l’on m’ayme à demy.

Sincero mon doux feu, ſi i’ay peu attirer
De voz perfections, vne amitié non feinte,
Et ſi i’ay doucement eſcouté voſtre pleinte,
Craignant que voſtre mal peut croiſtre ou empirer.
Dittes moy ſ’il vous plaiſt, qui vous peut retirer
De mon affection inuiolable & ſaincte ?
Auez vous point ſenti quelque nouuelle atteinte,
Qui pour vn autre amour vous face ſouſpirer ?
Et que peut-ce eſtre donc qui de moy vous eſloigne ?
Mais ne ſeroit-ce point que le Roy de Pouloigne,
Vous eut faict oublier voſtre amoureuse foy ?
Ha mon Dieu que ie crain que cet excellent Prince,
Pour honorer de vous ſa nouuelle Province,
Vous derobe à la France, à l’amour, & à moy.

S’il eſt vray, Sincero, que la perſeuerance
Demeure dedans vous, ſi vous avez touſiours,
Dans la bouche mon nom, dans l’eſprit mes amours,

Dans les yeux mon pourtraict, au cueur mon aliance,
Faictes le moi connoiſtre avec plus d’aſſeurance
Sans me laiſſer conter les heures & les iours,
Et compoſer en moy mille faſcheux diſcours
Penſant & repenſant à voſtre longue abſence.
Le terme eſt ia paſſé que vous auez promis
De retourner icy viſiter voz amis,
Qui vous peut empeſcher de faire ce voyage
Sinon faute d’amour ? doncques ſ’il eſt ainſi,
Ie quitte voſtre bouche, & voſtre eſprit auſſi,
Voz yeux & voſtre cueur inconſtant & volage.

Iamais mon Sincero, ie ne prendray plaiſir
De vous aſſuiectir à des loix rigoureuſes.
Ha ! vrayement ie hay trop ces ames langoureuſes
Qui ſans cauſe d’eſpoir renforcent leur deſir.
Ie vous ſçauray bon gré ſ’il vous plaiſt de choiſir
Le temps le plus commode aux œuures ſerieuſes :
Mais ne me racontez voz plaintes amoureuſes
Sinon quand vous ſerez aux heures de loiſir.
La plus grand part du temps demeurez à l’eſtude,
Puis quand vous ſerez las de voſtre ſolitude,
De raiſonner en vous, & de penser en moy :
Allez voir le Palais, & la paume, & l’eſcrime,
Et les Dames d’honneur, de vertu, & d’eſtime,
Gardant touſiours l’amour, l’eſperance, & la foy.

Ouvrez moy Sincero, de voz penſers la porte,
Ie deſire de voir ſi l’amour de ſon traict,

Vous engraue auſſi bien dans le cueur mon pourtraict
Comme voſtre beau vers à mes yeux le raporte.
Ie ne veux pas pourtant, que hors de vous il ſorte,
Ny que par la faveur d’un gracieux attrait,
Voſtre cueur ſoit iamais d’avec le mien diſtrait,
Pour bruler d’vne flamme, ou plus douce, ou plus forte.
Ouurez dõc ſ’il vous plaiſt : ha mon Dieu ie me voy,
Ha mon Dieu que de bien, que d’honneur ie reçoy
Apres que vous m’auez par mille vers chantee,
Ie me voy dans voz yeux, & dedans voz eſcrits,
Et dedans voſtre cueur, & dedans voz eſprits,
Par la Muſe, & l’amour ſi bien repreſentee.