Les Études d’archéologie classique depuis Winckelmann jusqu’à nos jours

LES
ÉTUDES D’ARCHÉOLOGIE CLASSIQUE
DEPUIS WINCKELMANN JUSQU’À NOS JOURS

Handbuch der Archœologie der Kunst. Systematik und Geschichte der Archœologie der Kunst, von Dr Karl Bernhard Stark ; Leipzig, 1880, 1 vol. in-8o.

Au mois d’octobre 1879, l’Allemagne perdait un de ses savans les plus éminens, un de ses professeurs les plus respectés et les plus aimés, Karl Bernhard Stark. J’étais en commerce de lettres avec lui depuis quelques années déjà quand je le rencontrai à Leyde en 1875 ; dans ces fêtes internationales où la Hollande célébrait avec tant d’éclat un glorieux anniversaire, il représentait, avec M. Kuno Fischer, l’université d’Heidelberg[1], où il avait pris, en 1855, la place laissée vide par la retraite de Kreuzer. Nous eûmes plaisir à causer des études qui nous étaient chères et de ces voyages d’Italie et d’Orient que nous avions faits l’un et l’autre ; il m’entretint du grand ouvrage dont il avait déjà formé le plan et qui devait être, dans sa pensée, le couronnement de sa vie et comme son testament scientifique. C’était un nouveau Manuel de l’archéologie de l’art ; le moment lui paraissait venu de recommencer l’œuvre qu’Ottfried Muller avait si brillamment accomplie vers 1830. Dans un cadre semblable à celui que le grand philologue de Goettingue avait tracé d’une main si ferme et si sûre, il fallait distribuer tous les faits qu’avaient révélés, depuis un demi-siècle, tant de voyages hardis et de fouilles heureuses ; il fallait résumer les idées que ces découvertes avaient suggérées aux plus instruits et aux plus intelligens des érudits contemporains. La science archéologique est aujourd’hui bien autrement riche et complexe qu’il y a cinquante ans ; c’était ce qui rendait une telle entreprise tout à la fois très désirable et bien difficile à conduire jusqu’au terme par les forces d’un seul homme, tout bien préparé que celui-ci fût à cette lourde lâche[2].

Depuis cette rencontre et cet échange d’idées, nos relations épistolaires devinrent plus fréquentes et plus affectueuses ; il me tenait au courant des progrès de son travail, et, parmi tous les encouragemens qu’il recevait des maîtres de la science allemande, il lui était doux de penser que quelqu’un à l’étranger s’intéressait aussi à ses efforts et se chargerait d’attirer sur l’ouvrage l’attention du public français. Lorsque parut, en 1878, la première livraison, nous ne manquâmes point à notre parole[3].

Malgré les rares mérites du livre, nous avions dû faire quelques réserves ; nous avions critiqué l’appareil trop philosophique et un peu pédantesque d’une nomenclature et de définitions abstraites qui risquent, dans l’introduction, d’effaroucher et de rebuter le lecteur. Nos objections n’avaient pas convaincu l’auteur ; il protestait contre ce qu’il appelait « l’empirisme pur ; » mais il avait été heureux de voir le manuel recommandé chaudement à l’érudition française, comme un guide utile, ou, pour mieux dire, indispensable à quiconque voudrait aborder désormais l’étude de l’antiquité figurée. Comme les plus illustres de ses compatriotes, il avait un vif désir de voir ses travaux estimés et goûtés de ce côté du Rhin. Le succès obtenu par ce premier cahier, en Allemagne et hors de l’Allemagne, l’excita donc à redoubler encore d’ardeur.

Sa santé avait toujours été délicate ; malgré la passion qu’il avait pour son enseignement, il avait dû l’interrompre à plusieurs reprises ; mais les voyages qu’il avait entrepris quand on lui défendait les fatigues de la chaire ou le travail du cabinet avaient plus contribué à compléter son instruction qu’à ménager ses forces. Il avait l’esprit trop actif et trop curieux pour savoir se reposer. Un hiver passé dans le midi de la France lui avait fourni l’occasion d’écrire un livre où il en décrit et où il en juge, en connaisseur, les monumens antiques ; c’est peut-être encore là que l’on trouvera réunis les renseignemens les plus abondans et les plus exacts sur les édifices qui couvrent le sol de l’ancienne Province romaine et sur les ouvrages de sculpture que renferment ses musées[4]. Il en avait été de même pour un voyage en Orient, projeté pendant bien des années, et qu’il avait pu faire enfin à l’automne de 1871. Cette course rapide d’un peu plus de trois mois l’avait conduit à Constantinople, en Troade, à Ephèse, à Athènes, et lui avait donné les joies les plus vives ; elle avait été racontée par lui dans un récit où il ne s’est pas contenté de nous faire part de ses impressions de touriste ; il y traite, à la suite de réflexions et de lectures approfondies, plusieurs questions importantes d’histoire et d’art qui s’étaient posées devant lui pendant le cours de son pèlerinage[5]. Il assistait volontiers à ces congrès de savans qui sont si fréquens en Allemagne ; il y apportait toujours quelque communication intéressante sur les antiquités de la ville où l’on se réunissait ou sur un monument de quelque collection bien connue de la plupart de ses auditeurs. La liste serait longue de tous les mémoires qu’il a ainsi semés dans les recueils allemands, depuis le jour où il avait pris rang dans la science par sa belle étude sur le mythe de Niobé et sur les monumens figurés qui nous en ont conservé le souvenir[6].

Depuis qu’il avait commencé de rédiger et de publier le grand ouvrage auquel il songeait depuis près de trente ans, il ne se serait plus permis de distractions qui dussent l’arracher longtemps à son travail ; il concentrait de plus en plus ses efforts sur une entreprise dont il ne mesurait pas sans effroi la longueur et les difficultés. Le seul repos qu’il s’accordât, c’était, chaque automne, un séjour de quelques semaines dans les montagnes de la Forêt-Noire ou du Tyrol ; il en revenait toujours, m’écrivait-il, rafraîchi et comme rajeuni de quelques années. L’an dernier, il m’avait amicalement sommé de tenir une promesse déjà bien ancienne, et il m’avait donné rendez-vous à Heidelberg pour la fin de septembre, à son retour des lacs bavarois : il se faisait un plaisir de me promener, par les limpides journées d’automne qui vont si bien à nos paysages tempérés, dans son aimable vallée du Neckar ; il tenait à me montrer les vases, les empreintes, les moulages qu’il avait su rassembler en vue de son enseignement. Dans toutes les universités allemandes, sauf trois ou quatre, le professeur d’archéologie dispose aujourd’hui d’une galerie de plâtres qui s’enrichit chaque année et qui se tient au courant[7]. Il a son cabinet comme le professeur de physique ou. d’histoire naturelle ; le soin de la collection est confié, moyennant une légère indemnité, à l’un des auditeurs du cours, qui fait ainsi fonction de préparateur[8]. Nous sommes loin d’être aussi favorisé à Paris, en pleine Sorbonne ; faute de place, on a dû s’y contenter jusqu’ici de quelques photographies serrées dans des armoires humides et d’un petit nombre de bustes entassés à la poussière sur le dessus de ces mêmes armoires. Pour comble de malheur, le musée de moulages, qui manque à la faculté des lettres, n’existe nulle part ailleurs dans la capitale ; celui de l’École des beaux-arts n’est qu’une réunion de modèles et n’offre même pas un essai de classification historique. N’est-il pas bien difficile, dans de pareilles conditions, de traiter une question d’art avec quelque précision, et de définir par des exemples qui parlent aux yeux le style d’un siècle ou d’une école ?

En visitant le local de ce que l’on appelle à Heidelberg l’Institut archéologique, nous aurions donc risqué de commettre plus d’une fois le péché d’envie ; mais au moment où nous nous préparions à partir pour nous rendre au rendez-vous, une lettre nous annonçait la maladie de notre ami ; quelques jours après, le 12 octobre, les journaux nous apportaient la nouvelle de sa mort. Dès le début, il s’était senti gravement atteint, et ce n’était pas sans un secret déchirement qu’il avait pris congé d’une œuvre qu’il croyait appelée à faire avancer la science. Avant de s’accorder quelque relâche, il avait presque terminé le manuscrit de la première partie ; il permit donc qu’on le publiât, en confiant à une main amie la révision dernière et la correction des épreuves ; mais il exprima le désir que l’on n’essayât pas de continuer et d’achever l’ouvrage sur le plan qu’il avait tracé, dans un programme développé que l’on ne peut relire aujourd’hui sans tristesse.

Ses volontés seront respectées, comme nous en avertit l’éditeur intelligent qui n’avait rien négligé pour donner au manuel toute l’élégance compatible avec la sévérité du sujet. La seconde livraison, qui sera la dernière, vient de paraître ; elle contient la fin du premier des cinq ou six livres que devait comprendre ce vaste ensemble :


Pendent opera interrupta, minæque
Murorum ingentes.


Quoiqu’il n’y ait pas là moins de quatre cents pages, ce n’est même pas tout le premier des trois volumes promis ; l’auteur n’a pas encore touché dans cette longue exposition aux parties essentielles de l’œuvre, ni à la critique des sources, ni à l’histoire de l’art dans ses différentes périodes, ni à l’étude des types humains ou divins que la plastique à représentés. À vrai dire, il n’avait encore écrit qu’une sorte d’introduction générale ; mais celle-ci, moins par les définitions qui remplissent les deux premiers chapitres que par les renseignemens si abondans que renferme le troisième, présente un vif intérêt et garde toute sa valeur.

Ce troisième chapitre est intitulé : Histoire des études archéologiques ; il prend cette histoire à l’aurore de la renaissance et il la conduit jusqu’à nos jours, jusqu’aux fouilles, aux découvertes, aux publications toutes récentes ; il témoigne d’une prodigieuse lecture, d’une grande sûreté de jugement et d’une haute impartialité.

Sans doute, à tant de noms et d’ouvrages exactement cités (il y en a des centaines dans chaque paragraphe), la critique pourrait peut-être en ajouter quelques autres ; de loin en loin, elle noterait maintes inadvertances et maintes confusions ; mais, vu la richesse de la matière et l’étendue de l’espace parcouru, s’il y a lieu de s’étonner, n’est-ce point plutôt de trouver là si peu d’erreurs et d’omissions ? Chacun de ceux qui ont apporté leur pierre à l’édifice paraît à son rang, jugé pour ses mérites réels et pour les services rendus ; Stark n’est pas dupe des ambitions bruyantes ni des programmes menteurs. Son patriotisme même, tout ardent qu’il soit, ne l’entraîne à aucun déni de justice, à aucun oubli fâcheux, et pourtant la tentation était grande. C’est un Allemand, Winckelmann, qui a vraiment créé la science dont il s’agit d’écrire l’histoire ; depuis un demi-siècle, c’est en Allemagne que ces études ont été cultivées avec le plus d’ensemble, de suite et de méthode ; c’était là seulement jusqu’à ces derniers temps que l’on avait su organiser ces ateliers de travail où, sous la direction d’un homme supérieur, aucune force ne se perd et où la médiocrité laborieuse fait elle-même sa partie dans le concert. Nous n’avons pas cessé d’avoir des archéologues éminens, mais nous n’avons jamais eu d’école d’archéologie qui pût rivaliser, par sa fécondité et par son aptitude à poursuivre de grandes œuvres collectives, avec celle qu’avait fondée Edouard Gerhard. Stark n’en est pas moins empressé à faire ressortir les qualités originales de la science française ; pour ne prendre ici qu’un exemple, personne, même en France, n’a parlé du comte de Caylus avec autant de sympathie, personne n’a aussi bien montré quelle influence heureuse il avait exercée et comme il était, à certains égards, en avance sur ses contemporains. L’éloge va même jusqu’à lui accorder certains dons qui manquaient à Winckelmann.

On peut donc consulter en toute confiance ce répertoire de noms, de biographies concises et pleines d’œuvres analysées en quelques pages ou souvent en quelques lignes, mais toujours appréciées par un critique qui les a lues lui-même et qui ne les condamne ou ne les loue pas sur la foi d’autrui. Nous y aurons sans cesse recours pour retracer à grands traits l’histoire des études archéologiques depuis Winckelmann. La connaissance de l’art antique et de ses chefs-d’œuvre n’a pas encore, croyons-nous, pris dans l’éducation des esprits cultivés la place qu’elle mérite d’y occuper ; dans les histoires générales, elle est tout à fait sacrifiée ; les intelligences curieuses qu’elle attire et qu’elle tente ne savent trop où la chercher et où la prendre. Il importe d’abord de signaler cette lacune ; nous voudrions ensuite, par un résumé rapide, donner quelque idée des progrès qu’a faits si vite, entre les mains de trois ou quatre générations d’érudits, une science qui ne remonte guère, comme la chimie, qu’à la fin du dernier siècle. Nous ne nous attacherons qu’aux grands noms et qu’aux grandes découvertes ; ceux qui désireraient avoir toute la suite et tout le détail de ces investigations patientes et des systèmes qu’elles suggèrent pourront recourir au livre inachevé, mais si précieux encore, dont nous leur avons signalé l’importance.


I

L’histoire de l’antiquité a été renouvelée, dans ces derniers temps, par le déchiffrement des vieilles écritures de l’Égypte, de la Chaldée et de la Perse. La science a pu mettre à profit des documens qui, pendant des milliers d’années, avaient été cachés dans les entrailles du sol ou qui, sur d’autres points, en Égypte par exemple et en Perse, ne semblaient s’offrir au regard que pour irriter la curiosité, pour la provoquer tout en refusant de la satisfaire, pour poser à l’esprit un problème insoluble. A l’aide de ces longues pages d’hiéroglyphes et de coins ou de clous[9], commentées par les bas-reliefs et les peintures qui les accompagnaient, on a pu contrôler les données si souvent inexactes que les historiens grecs nous avaient conservées sur ces peuples d’Afrique et d’Asie qui ont précédé de si loin la Grèce dans les voies de la civilisation ; jour après jour, à mesure que les monumens se multipliaient et que les méthodes de lecture devenaient plus certaines, on a beaucoup ajouté au peu que nous apprenaient les Hérodote et les Diodore sur ces empires du Nil et de l’Euphrate, qui déjà commençaient à vieillir au temps où les Grecs étaient encore dans l’enfance et travaillaient lentement à sortir de la barbarie primitive.

Pour la Grèce même et pour Rome, si les grandes lignes du cadre étaient tracées par les récits des historiens classiques, l’étude de documens jusqu’alors négligés a permis d’y faire entrer et d’y grouper bien des détails curieux et nouveaux. Partout recherchées avec passion, transcrites avec un religieux scrupule, interprétées avec une ingénieuse et patiente sagacité, les inscriptions ont révélé beaucoup de faits dont il n’y avait pas trace chez les Thucydide et les Xénophon, chez les Tite-Live et les Tacite ; elles ont permis d’enrichir de plus d’un trait le tableau de la vie publique et privée des ancien ? Pour y mettre plus de mouvement et de chaleur, on a même emprunté des couleurs à ce que l’on appelle la littérature, à l’éloquence de la tribune et du barreau, à la poésie, au théâtre. Dans cet effort pour embrasser tout entier l’homme d’autrefois et pour le montrer sous toutes ses faces, on a même parfois essayé de faire une place à l’art ; mais cette place a toujours été très restreinte, très insuffisante. C’est que l’étude des ouvrages de la plastique, à prendre ce mot dans son sens le plus général, exige des connaissances spéciales qui faisaient défaut à la plupart des historiens ; elle a sa méthode et sa langue qui lui sont propres ; elle oblige ceux qui veulent y acquérir quelque compétence à cultiver leur goût par des voyages, par une longue fréquentation des principaux musées de l’Europe, par un perpétuel recours à ces suites d’estampes et de photographies, à ces grands recueils de planches que leur format rend incommodes à manier et dont le prix interdit au savant tout espoir de jamais les poser sur les rayons de son cabinet. Or plus d’un érudit n’aura jamais eu l’occasion de visiter l’Italie et la Grèce ; le temps lui aura manqué pour parcourir ces galeries dont chacune ne contient qu’une faible part du trésor de l’antiquité figurée ; enfin il ne vivra pas toujours dans une capitale, à la porte d’une de ces bibliothèques publiques qui possèdent souvent ces précieux recueils et qui les communiquent quelquefois, quand ils ne sont pas à la reliure, ou bien en feuilles et dépareillés.

Très difficile par sa nature même, cette étude l’est donc rendue plus encore par toutes les peines qu’il faut prendre pour se procurer des instrumens de travail. On s’explique ainsi que les modernes historiens de l’antiquité soient presque tous restés étrangers à ces recherches. Pour ne parler que de la Grèce, plusieurs érudits contemporains ont essayé de nous en retracer l’histoire depuis les origines jusqu’à la chute de l’indépendance nationale. L’Angleterre, l’Allemagne et la France ont vu naître des livres qui, par des mérites différens, ont conquis et se sont partagé la faveur du public européen. Or, de tous ces écrivains, le seul qui ait étudié sur le vif l’histoire de l’art grec et qui puisse à l’occasion en parler avec goût et avec compétence, c’est Ernest Curtius[10]. Quant à Grote, il n’en a ni la connaissance théorique, ni le sentiment ; à peine quand il ne peut faire autrement, en dit-il quelques mots qui restent toujours vagues et secs. Or la Grèce, sans ses architectes, ses sculpteurs et ses peintres, sans son amour des belles formes, aussi ardent et aussi fécond que son amour du beau langage, la Grèce est-elle encore la Grèce ?

L’embarras est donc grand pour ceux qui, sans avoir le loisir d’entrer dans le détail, désirent pourtant se représenter le monde ancien dans toute la diversité de ses aspects et se faire une juste idée de l’ensemble. On leur raconte tout au long les révolutions, les guerres, les conquêtes, les successions des princes ; on leur explique le mécanisme des institutions politiques et civiles ; on leur expose même l’histoire littéraire, car la littérature, dit-on, « est l’expression de la société. » Rien de mieux ; mais on n’a pas l’air de soupçonner cette autre vérité que l’art n’est pas une expression moins fidèle et moins intéressante du propre génie d’une race, des sentimens, des idées et des goûts qui dominent chez un peuple à tel ou tel moment de sa vie. Quelques brèves mentions d’œuvres et de noms, quelques notions sommaires qui n’ont même pas le mérite de la précision, voilà tout ce que donnent sur cette matière les histoires générales, et ce que celles-ci refusent à la curiosité, où le trouver ? Des histoires de la littérature grecque et de la romaine, l’Europe savante en possède plusieurs qui se recommandent à différens titres ; ce sont des livres écrits avec chaleur et talent, comme l’ouvrage malheureusement inachevé d’Ottfried Muller ; ce sont des manuels excellens et riches de faits comme ceux de Bernhardy, de Baehr et de Teuffel ; mais existe-t-il en Angleterre, en France, même en Allemagne, un seul ouvrage qui retrace avec un détail suffisant toute l’histoire de l’art antique, qui le suive, dans ses progrès et ses transformations, depuis les origines jusqu’à la décadence finale, jusqu’au temps où le christianisme et l’invasion des barbares achèvent de dissoudre le monde ancien et préparent la naissance du monde moderne, d’une société nouvelle et d’un art nouveau ?

On répondra peut-être à cette question en nous citant le titre d’un livre qui jouit, chez nos voisins, d’une assez grande réputation ; nous voulons parler de l’Histoire des arts plastiques, de Karl Schnaase[11]. L’ouvrage a, pour le public français, un premier défaut ; il n’est point traduit, et les dimensions en sont trop considérables pour qu’il ait chance de l’être jamais. Trouvât-il, par aventure, un traducteur et un éditeur, nous n’oserions répondre que ceux-ci fussent payés de leur peine par le succès du livre. L’ouvrage a sans doute des qualités sérieuses. L’exposition est claire ; le style est simple et sans prétention ; enfin, pour parcourir sans fatigue une si longue carrière, pour ne rien oublier d’important sur ce long chemin qui conduit l’auteur depuis l’Égypte et l’Inde jusqu’à l’art contemporain, il a fallu beaucoup de patience et de science, une attention soutenue et une variété d’études qui ne sont pas vulgaires. C’est là d’ailleurs qu’était l’écueil ; il était difficile, pour ne pas dire impossible, qu’un seul homme parlât avec la même compétence de l’art oriental, de l’art grec et romain, de l’art du moyen âge et de l’art moderne. Comme on pouvait s’y attendre, toutes les parties de ce vaste ensemble sont loin d’avoir une valeur égale, et c’est l’antiquité qui est sacrifiée.

Sur les huit volumes qui composent l’ouvrage, il n’y en a que deux pour l’antiquité, et, de l’aveu général, ce ne sont pas les meilleurs. Ils ont été rédigés, dans la seconde édition, par des collaborateurs, Carl von Lutzow pour l’Orient et Carl Friedrichs pour la Grèce et Rome. Les chapitres consacrés à la Chaldée, à l’Assyrie, à la Perse, à la Phénicie et à l’Égypte sont vraiment insuffisans ; aucune question n’y est creusée à fond : pas de vues personnelles, mais des considérations banales qui ne résolvent aucun des problèmes dont se préoccupent aujourd’hui les archéologues. Les figures sont trop peu nombreuses pour rendre grand service au lecteur ; elles n’ont d’ailleurs jamais été dessinées d’après les monumens originaux ; on les a toutes calquées dans des ouvrages connus, et elles ne fournissent aucun élément nouveau d’appréciation et de discussion. Enfin l’ordre même qu’a suivi l’auteur ne s’explique pas bien ; il laisse de côté l’extrême Orient, la Chine et le Japon, et il en donne la raison : c’est que ces peuples forment comme une sorte d’humanité séparée de la nôtre, qu’ils ont eu une civilisation égoïste, si l’on peut ainsi parler, qui n’a exercé, pendant toute la période antique, aucune influence sur le développement des nations groupées autour du bassin de la Méditerranée. Rien de mieux ; mais alors pourquoi commencer par l’Inde et en décrire les monumens dans un long chapitre, qui ne manque d’ailleurs pas d’intérêt ? S’il est une vérité avérée, c’est que les monumens de l’Inde, ceux du moins qui ont laissé quelque trace sur le sol de la péninsule, sont de date assez récente ; ils ne remontent guère au-delà du temps des successeurs d’Alexandre. Ce sont peut-être les exemples de la Grèce qui ont provoqué la naissance de l’architecture et de la sculpture indiennes ; en tout cas, dans le domaine délia plastique, la Grèce ne doit rien à l’Inde, tandis que son génie a été éveillé et que ses premiers efforts ont été aidés par les modèles que lui ont fournis l’Égypte et l’Assyrie.

Le plan qui s’impose à tout historien vraiment digne de ce nom est donc celui-là même que lui indique la marche de la civilisation. C’est par l’Égypte qu’il doit commencer, par cette vénérable aïeule des nations policées ; des bords du Nil, il doit se transporter sur ceux de l’Euphrate et du Tigre pour étudier ensuite le rôle et l’action des peuples qui ont servi d’intermédiaires entre l’Égypte et l’Assyrie, d’une part, et de l’autre les ancêtres des Hellènes. Schnaase, on ne sait pourquoi, s’asservit à l’ordre géographique ; il brouille et renverse ainsi tous les rapports. Il met en scène les Phéniciens par exemple avant d’avoir dit mot de l’Égypte ; or l’art phénicien, tout le monde en convient aujourd’hui, n’est guère, qu’on nous passe l’expression, qu’une contrefaçon belge de l’art égyptien. Pendant plusieurs siècles, dans les ateliers de Tyr et de Sidon, de Byblos et d’Arados, on fabrique, pour l’exportation, du faux égyptien, auquel on mêle quelques élémens empruntés à l’Assyrie, et ces produits, d’un éclectisme tout industriel, trouvent un débit assuré sur toutes les côtes de la Méditerranée ; nous les rencontrons aujourd’hui dans les tombes de la Sardaigne comme dans celles de l’Étrurie et du Latium, dans les nécropoles de Cypre et de Rhodes, ainsi que dans les îles de la mer Egée ou dans l’Attique et la Béotie.

Enfin, toute cette partie de l’ouvrage date de plus de quinze ans ; elle est donc antérieure à l’achèvement de plusieurs relations scientifiques qui ont mis à la portée des savans les résultats d’explorations et de fouilles importantes ; ainsi l’auteur n’a pu mettre à profit ni les découvertes de MM. Place et Thomas en Assyrie, ni celles de M. Renan en Phénicie ; il n’a pu tirer parti de notre voyage en Asie-Mineure, ni, à plus forte raison, des trésors que la plaine de Troie et surtout l’acropole de Mycènes ont livrés à M. Schliemann. N’eût-il pas d’autres défauts, ce livre est donc déjà un livre vieilli et dépassé ; c’en est assez pour qu’il ne réponde pas aux désirs et à l’attente de ceux qui voudraient se faire une juste idée des origines, de la marche et des progrès de l’art antique[12].

Cette histoire de l’art que nous avons en vain cherchée partout, au-delà même de nos frontières, personne, croyons-nous, ne serait mieux en mesure de l’entreprendre qu’un savant français ; personne ne saurait mieux l’écrire telle que nous la concevons, à la fois agréable et solide ; nulle part on ne trouverait aussi des dessinateurs plus habiles et plus intelligens pour lui donner le luxe indispensable d’une illustration perpétuelle, où fût saisi et rendu le style des monumens originaux. Cent vingt ans environ nous séparent de Winckelmann ; il suffit de jeter un coup d’œil rapide sur l’histoire des recherches archéologiques pendant ce court espace de temps pour deviner quels seraient le sérieux attrait et l’importance capitale d’une œuvre qui mérite de tenter quelque jeune ambition ou d’être comme le testament d’une vie de méditation et d’étude. Voyageurs intrépides dont plusieurs sont morts sur le champ de bataille, fouilleurs obstinés qui ne se sont pas laissé décourager par les premières déceptions et qui ont eu leur jour d’inspiration heureuse et de soudain triomphe, érudits qu’une profonde connaissance de l’antiquité littéraire avait préparés à l’interprétation de l’antiquité figurée, travailleurs laborieux qui, par leurs descriptions minutieuses, ont permis d’établir des séries de monumens classés par écoles ou par ordre chronologique, tous ces ouvriers, de mérite très inégal, ont fait bravement leur devoir ; ceux-ci ont amassé des matériaux, ceux-là ont dressé des inventaires provisoires ou dégagé les idées générales que comportaient les faits jusqu’alors enregistrés et connus. Dès maintenant on possède, semble-t-il, tous les élémens nécessaires pour tracer et pour arrêter les grandes lignes de l’édifice à construire ; les découvertes futures ne feront, selon toute apparence, que permettre de mieux remplir les cadres ; tout au plus exigeront-elles, par endroits, quelques changemens de détail. Quand viendra « le téméraire, ou plutôt le vaillant, » comme dit Corneille, qui songera moins à la lourdeur de la tâche qu’au plaisir et à l’honneur de l’entreprendre, ne dût-il pas avoir la joie de l’accomplir et de l’embrasser tout entière ?


II

L’Histoire de l’art chez les anciens, de Winckelmann, publiée en 1764, est un de ces livres rares qui marquent une date dans les annales de l’esprit humain ; aujourd’hui même, après un siècle révolu, on ne saurait l’ouvrir sans une sorte d’émotion respectueuse. C’est là que l’on voit paraître pour la première fois cette idée, aujourd’hui familière à toutes les intelligences un peu cultivées, que l’art naît, grandit et s’abaisse avec la société où il fleurit, pour tout dire en un mot, qu’il y a une histoire de l’art[13]. Ce grand érudit, dont l’Allemagne fête tous les ans la mémoire comme celle du père de l’archéologie classique, ne se contenta pas de poser un principe ; il en tira lui-même les conséquences ; il traça les cadres de la science qu’il fondait ; il travailla à les remplir. Cependant, après un siècle révolu, cet ouvrage mémorable marque plutôt une date qu’il n’est capable de satisfaire la curiosité de nos contemporains. Winckelmann n’a connu l’art égyptien que par les pastiches de l’époque romaine, par les figures qui, de la villa d’Hadrien, avaient passé dans le musée du cardinal Albani ; la Chaldée et l’Assyrie, la Perse et la Phénicie n’existaient pas pour lui. La Grèce même, il ne la connaissait pas tout entière. Les vases peints dormaient encore dans l’ombre des nécropoles étrusques et campaniennes ; le peu d’entre eux qui s’en étaient échappés n’attiraient pas encore une attention sollicitée par des monumens qui tenaient plus de place et qui flattaient davantage le regard.

C’est surtout aux ouvrages de la statuaire que Winckelmann s’intéresse ; ce sont eux qui lui suggèrent ses jugemens ; or, même sur ce terrain, il est mal renseigné. C’est qu’il n’a jamais sous les yeux que ces figures, presque toutes de provenance inconnue, qui remplissent les collections italiennes, figures dont la plupart étaient de ces copies qui, pendant trois ou quatre siècles, sont sorties en foule des ateliers grecs pour aller embellir et peupler les temples, les basiliques et les thermes, les palais et les villas des maîtres du monde. Si, parmi toutes ces statues, quelques-unes, en bien petit nombre, étaient des originaux ou des répliques assez soignées pour pouvoir presque remplacer l’original, celui-ci lui-même ne remontait pas au-delà du IVe siècle, des écoles de Praxitèle, de Scopas et de Lysippe. Quant au style des maîtres du Ve siècle, les Phidias et les Alcamène, les Pœnios et les Polyclète, l’historien ne pouvait les définir que d’après les descriptions ou les allusions des écrivains anciens[14].

En pareil cas, les textes les plus formels et les plus clairs ne vaudront jamais le témoignage d’un fragment de marbre où la main de l’artiste aura laissé son empreinte ; mais qui donc alors soupçonnait l’importance que devaient prendre, pour la génération suivante, ces grands ensembles de sculpture décorative que permet de dater et presque de signer leur étroite relation avec l’architecture de tel ou tel temple célèbre ? Avait-on dégagé des décombres ou pris seulement la peine de regarder et de dessiner, là où elles existaient encore en place, les statues des frontons et les frises sculptées du Parthénon et du temple de Thésée, des temples d’Égine, de Phigalie et d’Olympie ? Si l’on ignorait ces monumens authentiques du siècle de la vraie perfection classique, à plus forte raison n’était-on pas en mesure de reconnaître et de définir le véritable archaïsme ; on ne savait pas distinguer les figures qui en portent la marque de celles qu’a vieillies de propos délibéré le goût raffiné des époques savantes. Il en était de même quand il s’agissait de l’art de bâtir ; c’était toujours ou presque toujours par les édifices de Rome et de l’Italie, par leur ordonnance et leur décoration que l’on prétendait expliquer et juger l’architecture grecque.

Le grand service rendu par Winckelmann, c’était d’avoir fondé la méthode ; elle fut aussitôt appliquée, par Zoëga et par Ennio Quirino Visconti, à la description des monumens que renfermaient les galeries publiques ou privées et de ceux que produisaient les fouilles. Ces érudits multiplièrent et classèrent les faits ; grâce à leur labeur incessant, les lignes de l’esquisse que le maître avait tracée furent reprises et corrigées en plus d’un point ; les divisions qu’il avait introduites dans ce tableau furent mieux marquées ; les groupes qu’il avait commencé de former devinrent plus cohérens et plus compacts ; ils se caractérisèrent par des traits plus accentués, par une physionomie plus distincte et plus expressive. Le progrès était constant ; mais ce fut surtout après les grandes guerres de la révolution et de l’empire que la marche en devint bien plus rapide, pendant cette longue période de paix qui vit naître partout une si riche moisson de talens, un si beau mouvement de curiosité passionnée et d’études historiques.

Ce qui brusquement élargit l’horizon, ce qui dissipa les nuages où se cachaient encore maintes régions du passé, maints sommets de l’histoire, ce fut une rapide succession de découvertes, dues les unes à de hardis voyages d’exploration et à des fouilles heureuses, les autres aux recherches des érudits, à une pénétration qui parfois alla jusqu’au génie. On eût dit qu’un rideau se tirait ; par derrière le riche et brillant décor de la civilisation gréco-romaine, on commençait d’apercevoir la véritable antiquité, l’Orient, père des religions et des inventions utiles, de l’alphabet et des arts plastiques. Le grand ouvrage rédigé par les savans associés à l’expédition du général Bonaparte commençait à faire connaître l’Égypte. Bientôt après c’était Champollion qui retrouvait la clé des hiéroglyphes et qui fournissait ainsi les moyens d’assigner aux monumens tout au moins une date relative, ce qui devait un jour ou l’autre conduire à comprendre que l’art de l’Égypte comme celui de tous les autres peuples avait eu, quoi que les Grecs en aient dit, son enfance et sa jeunesse, sa maturité et sa vieillesse, ses arrêts, ses décadences et ses renaissances.

Un peu plus tard, c’était Botta, c’était Layard qui exhumaient Ninive, enterrée sous les décombres de ses propres édifices, sous des amas de briques émiettées et réduites en poussière par le temps ; c’était l’Assyrie qui secouait son linceul d’argile et qui revoyait le jour. Hier encore, on ne savait rien d’elle que le nom de ses rois, et voici qu’elle reparaissait tout à coup avec ses monumens d’une conservation merveilleuse où toute son histoire était représentée par les mille et mille figures des bas-reliefs et racontée dans les longues inscriptions qui les accompagnent. Celles-ci n’attendaient pas longtemps leur Champollion, et là encore le déchiffrement, malgré ce qu’il peut avoir par endroits d’incomplet et d’incertain, permettait d’établir une série, de classer par ordre de date les ouvrages de l’architecture et de la sculpture.

Les renseignemens obtenus ainsi se complétaient par une exploration attentive des ruines, plus maltraitées par les hommes et par le temps, que renferme la Babylonie, la Basse-Chaldée et la Susiane. Les imposans débris des palais de Persépolis et de ses tombes royales étaient signalés depuis près de deux siècles, mais seulement par les relations insuffisantes et les mauvais dessins des anciens voyageurs ; Ker Porter, Texier, Flandin, en rapportaient d’exacts relevés et des descriptions précises. Grâce aux copies qu’ils avaient prises des textes gravés sur les parois de ces édifices, sur les rochers de la Perse et de la Médie, l’alphabet dont s’étaient servis les Darius et les Xerxès livrait tout entier son secret à la sagacité d’un Eugène Burnouf.

Dès lors, après que voyageurs, artistes et savans eurent ainsi travaillé de concert à reconnaître le terrain depuis les montagnes de l’Arménie jusqu’aux plages basses et marécageuses de la Susiane, quand les philologues eurent traduit les textes et que les musées eurent classé les monumens rapportés de si loin, on put définir par ses caractères essentiels et ses traits originaux la grande civilisation qui s’était développée dans l’Asie antérieure, dans le bassin du Golfe-Persique. Bien des détails échappaient encore ; mais, à travers des ombres qui s’éclairaient de jour en jour et que l’œil s’habituait à percer, on entrevoyait du moins les grandes masses et les lignes dominantes. Dans cette vaste étendue de pays et dans cette succession d’empires, on distinguait des diversités locales qui tenaient au siècle, à la race, au milieu ; mais, malgré ces différences, le choix et l’emploi des moyens d’expression présentaient, de Babylone à Ninive et de Ninive à Suse ou à Persépolis, des ressemblances trop frappantes pour que l’on ne se crût pas en droit d’affirmer que les peuples représentés par ces capitales fameuses ont puisé à une même source. Chez tous, les élémens de l’écriture et ceux de l’art sont les mêmes. Dans l’alphabet, malgré la variété des langues dont il fallut noter les sons, le principe, c’est toujours le clou, débris des signes complexes d’une ancienne écriture idéographique. Dans la plastique, si les plans des édifices changent avec les matériaux dont disposent les constructeurs, partout le statuaire a la même manière de sentir et d’accuser la forme vivante ; partout on retrouve, à quelques nuances près, les mêmes conventions et les mêmes partis-pris. Dans tous les ouvrages façonnés de main d’homme que l’on recueillait à l’intérieur des frontières que nous avons indiquées, on reconnaissait les traditions d’un même style, l’unité d’inspiration, la communauté d’origine.

Au terme de ces recherches et de ces découvertes, on distinguait donc deux foyers primitifs, l’un qui s’est allumé à la première aube des siècles historiques, dans la vallée du Nil, l’autre, dont la flamme naissante a commencé, selon toute apparence, par briller en Chaldée, dans des temps bien reculés, quoique déjà plus voisins de nous que ceux où Menés ouvre la série des souverains de l’Égypte. Ces deux foyers avaient de bonne heure, par l’intermédiaire des Phéniciens, croisé pour ainsi dire leurs feux ; à travers la Syrie, il s’était fait, entre ces deux régions, entre leurs centres religieux et industriels, un actif et fécond échange d’idées et de produits ; on en retrouvait partout la trace, en Assyrie comme en Égypte.

Ce qui restait plus obscur, ce qui n’a été déterminé que dans ces dernières années, par des voyages et des travaux tout récens, c’était la direction qu’avaient suivie et les milieux qu’avaient traversés les rayons de ces deux grands foyers pour arriver jusqu’aux rivages orientaux et septentrionaux de la Méditerranée, jusqu’aux tribus encore barbares, aïeules des Grecs et des Romains, pour faire naître dans leur esprit les besoins de la vie policée et pour les initier aux arts qu’elle comporte. Ce que l’on n’était pas encore en mesure d’évaluer, c’était la chaleur et la puissance de ce rayonnement, c’était la part qu’il convenait de faire à chacune de ces deux influences dans le lent éveil du génie grec. La Phénicie n’est bien connue que depuis vingt ans, depuis la mission de M. Renan. Plusieurs voyageurs, anglais et français, Hamilton, Fellows, Texier, d’autres encore, avaient déjà signalé, dans la première moitié du siècle, les curieux monumens de la Lydie, de la Phrygie, de la Cappadoce, de la pittoresque Lycie, dont les dépouilles ont enrichi le Musée britannique ; on devinait vaguement qu’il fallait chercher là les embranchemens et les stations d’une sorte de grande voie royale par où avaient cheminé et s’étaient propagées vers l’occident, d’étape en étape, des inventions et des formes, toute une civilisation dont la Chaldée était le lointain berceau. Ce fut pourtant seulement en 1861 qu’une exploration, dont les auteurs s’inspiraient du désir de résoudre ce problème, acheva de mettre en lumière le rôle qu’avaient joué dans cette transmission les peuples fixés sur le plateau de l’Asie-Mineure[15]. Quant à Cypre, c’est hier seulement qu’elle s’est révélée par les fouilles de MM. Lang et de Cesnola, avec son art mi-parti égyptien, mi-parti assyrien, avec son écriture où des signes empruntés aux alphabets cunéiformes ont servi à noter les sons d’un dialecte grec. On est averti maintenant ; il ne se passe pas d’année où des trouvailles heureuses comme celles de Salzmann à Rhodes, comme la découverte du trésor de Palestrine dans la banlieue de Rome, ne viennent permettre à l’archéologie de rétablir et de rattacher l’un des fils par où passèrent jadis les courans qui, de l’Égypte et de l’Assyrie, vinrent apporter aux Grecs et aux Latins le choc électrique et l’excitation salutaire, l’étincelle de vie.

Pendant que se déroulait ainsi, comme feuille à feuille, le livre des antiquités orientales, celui de l’antiquité classique ne livrait pas à la curiosité des secrets moins intéressans et des documens moins curieux.

C’étaient d’abord les marbres du Parthénon que lord Elgin cédait au Musée britannique en 1816. Devant les bas-reliefs de la frise et les statues des frontons, artistes et savans, après quelques hésitations, s’accordaient à reconnaître que rien de pareil n’était encore entré dans les galeries de l’Europe. Les artistes avouaient avoir acquis le sens d’une beauté nouvelle, supérieure à tout ce qu’ils avaient admiré et vanté jusqu’alors ; pour la première fois, ils contemplaient face à face la vraie beauté grecque telle qu’Athènes l’avait conçue et réalisée dans une de ces heures où, les dernières duretés de l’archaïsme une fois effacées et ses dernières raideurs assouplies, l’art atteint la perfection. Ces heures sont courtes et fugitives ; une génération a touché le but et souvent celle qui la suit le dépasse déjà et commence à glisser sur la pente de la décadence. Pendant une ou deux vies d’homme, on voit naître en foule des œuvres qui, malgré la différence des matériaux et des sujets, ont toutes un même caractère de noblesse aisée et franche, de libre sincérité, d’élégance sévère, de simplicité dans la grandeur ; puis, pour faire baisser le niveau, il suffit de la mort ou parfois même de la vieillesse d’un des maîtres qui ont donné ces beaux exemples. La noblesse tourne à l’emphase et à la recherche de l’effet ; sous prétexte d’être sincère, on copie servilement la nature ; on tombe dans la manière, dans ses mollesses et ses procédés expéditifs. En Grèce, l’art s’est maintenu plus longtemps sur les sommets qu’il ne l’a fait partout ailleurs ; on n’ose pas prononcer le mot de décadence à propos des ouvrages si admirables encore des maîtres du ive siècle ; cependant, on ne saurait le nier, tant que les modernes ne connaissaient pas les monumens authentiques du siècle de Périclès, il leur manquait, pour se faire une juste idée du génie plastique de la Grèce, ce que ce génie même avait produit de plus élevé, de plus puissant et de plus pur. Leur situation était celle où se trouverait l’historien des lettres grecques s’il lui fallait retracer les destinées du théâtre attique, sans avoir lu Sophocle, sans posséder l’Électre et l’Œdipe-roi.

Une fois l’attention tournée de ce côté, les découvertes et les conquêtes se succédaient rapidement. Les figures des frontons d’Égine, si bien restaurées par Thorwaldsen, venaient former le premier noyau du musée de Munich[16]. En les étudiant on se rendait compte des voies que la statuaire avait suivies pour aller des conventions et des gaucheries de l’archaïsme jusqu’à l’aisance et à l’ampleur de la perfection classique. Quant aux frises du. temple d’Apollon Épikourios, près de Phigalie, c’était encore le Musée britannique qui s’en assurait la possession[17]. Rapprochées ainsi de celles du Parthénon dont elles étaient presque contemporaines, elles fournissaient un renseignement curieux ; elles montraient ce que l’art des Phidias et des Alcamène devenait hors des capitales, dans ce que nous appellerions la province, ce qu’il gardait et ce qu’il perdait de ses qualités dans des édifices bâtis à moins de frais que ceux des grands centres ; partout dans la composition vous sentez l’habileté consommée et la verve du maître qui en a donné l’esquisse et le modèle ; mais l’exécution, qu’il avait bien fallu abandonner aux artistes du pays, a des inégalités et des faiblesses qui trahissent leur infériorité. Il en est tout autrement des figures dont le ciseau d’Alcamène et celui de Pœonios avaient orné les frontons et les métopes du temple de Jupiter à Olympie. C’est ce qu’indiquaient, au lendemain des fouilles d’Égine et de Phigalie, celles que l’expédition française de Morée avait entreprises sur les bords de l’Alphée et les nobles fragmens de sculpture qu’elle avait rapportés au Louvre ; c’est ce que viennent de démontrer jusqu’à l’évidence les nouvelles recherches que l’Allemagne a commencées en 1875 sur ce terrain, après une interruption d’un demi-siècle. Statues et bas-reliefs, toute la décoration du temple d’Olympie pouvait presque rivaliser avec celle des monumens de l’Acropole d’Athènes ; cependant elle s’en distinguait dans certaines parties par les hardiesses et les singularités d’un style tout personnel. A chaque nouvel ensemble monumental que l’on découvrait, on comprenait mieux, non sans quelque surprise, combien l’art grec des beaux temps avait toujours été libre et varié ; nulle part on n’y trouvait cette uniformité que chez d’autres peuples répandent parfois sur toutes les œuvres d’une même époque la prépotence d’un maître trop admiré ou la tyrannie d’une école et l’étroitesse de ses formules.

Ce que faisaient connaître ces fouilles mémorables et bien d’autres encore qu’il serait trop long d’énumérer, ce n’était pas seulement la période la plus féconde et la plus originale de la statuaire grecque, c’était encore l’art auquel la sculpture était si intimement associée dans ces beaux ensembles que reconstituaient pièce à pièce la sagacité du savant, le goût et la piété de l’artiste ; c’était l’architecture dans ce qu’elle avait produit de plus pur et de plus achevé. L’exemple si bien donné par Stuart et Revett, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, trouvait des imitateurs d’année en année plus nombreux à mesure que l’affranchissement de la Grèce et les lignes de bateaux à vapeur rendaient plus faciles les voyages d’étude[18]. C’était avec un scrupule de plus en plus religieux que l’on mesurait et que l’on dessinait les moindres restes des édifices antiques ; on en interprétait les dispositions, on en groupait les élémens, on en restituait l’ensemble, avec une intelligence des conditions de l’art qui ne cessait de gagner en sûreté et en pénétration. Les intéressantes restaurations d’Olympie et de Phigalie, publiées par Abel Blouet dans l’ouvrage de la mission française de Morée, excitèrent l’émulation de nos jeunes architectes de l’Académie de France à Rome et leur ouvrirent une nouvelle carrière[19]. Jusqu’alors ils s’étaient contentés d’étudier les monumens de Rome même et des environs du Latium et de la Campanie ; les plus aventureux avaient poussé jusqu’à Pœstum, mais ce fut seulement vers 1845 qu’ils s’enhardirent à passer la mer et à venir relever de leur ferme et magistral crayon les ruines d’Athènes et de la Grèce propre[20] ; ils devaient finir dans ces dernières années par aller chercher jusqu’en Asie-Mineure et en Syrie leurs sujets d’envoi[21].

Les pensionnaires de la villa Medici n’étaient d’ailleurs pas seuls occupés à poursuivre cette vaste enquête. Sans doute leurs travaux, dont la publication intégrale et rapide eût été d’un prix inestimable, forment le recueil le plus ample et le plus varié de documens authentiques dont puisse disposer celui qui entreprendrait l’histoire de l’architecture chez les anciens ; mais beaucoup d’autres architectes, français ou étrangers, ont prêté leur concours à cette œuvre de patientes recherches et de reconstruction du passé[22]. Étudiés de si près par une curiosité bien préparée et pourvue de tous les instrumens nécessaires, les monumens s’étaient laissé dérober des secrets que l’on était loin de soupçonner lorsqu’on avait jeté pour la première fois les yeux sur les restes de l’antiquité. C’est ainsi que l’Anglais Penrose surprenait et dénonçait l’artifice par lequel les architectes des Propylées et du Parthénon avaient donné une courbure légère à des lignes que l’œil prend pour des droites ; il montrait en quoi cette correction subtile et inaperçue ajoutait à la beauté de l’édifice et en augmentait l’effet[23]. Hittorf était de même conduit, par une minutieuse étude des ruines de la Sicile, à des résultats plus importans encore. Le premier, il signalait le rôle que la peinture avait joué dans la décoration des édifices grecs ; il affirmait que, dans bien des parties de l’édifice, la pierre ou le marbre avaient été recouverts d’un enduit coloré qui, par la différence des tons, distinguait l’un de l’autre les différens membres de l’architecture et qui donnait plus d’accent aux moulures, plus de valeur et de relief aux figures qui se détachaient sur ces fonds teintés[24]. Ces idées dérangeaient trop d’habitudes pour ne pas soulever de vives protestations ; d’ailleurs leurs partisans semblèrent parfois travailler à en compromettre eux-mêmes le succès par certaines assertions trop absolues et par certaines applications malheureuses de ce système d’ornementation ; cependant le principe même de la polychromie a été confirmé par trop de faits pour n’avoir pas fini par triompher de toutes les objections et de toutes les résistances.

Des trois branches principales de l’art antique, celle qui, pour les modernes, était le moins représentée par les monumens, celle dont l’histoire ne s’écrivit guère, pendant longtemps, que d’une manière toute conjecturale et à l’aide des témoignages anciens, c’était la peinture proprement dite, l’art des Polygnote, des Zeuxis et des Apelle. On avait bien les fresques des cités campaniennes ensevelies sous la cendre du Vésuve, et le nombre s’en était beaucoup accru par les fouilles pratiquées au commencement de ce siècle, à Pompéi, sous la domination française ; depuis lors, malgré l’indolence et la lenteur avec laquelle était conduite l’exhumation de la ville morte, il s’augmentait tous les ans ; on avait aussi retrouvé à Rome et dans d’autres endroits des fragmens de peintures murales du même genre. Cependant, quel que fût l’intérêt de tous ces morceaux, ce n’était toujours là que des ouvrages plutôt italiens que vraiment grecs, qui, pour la plupart, avaient décoré les maisons de petites villes de province. Les plus soignés même de ces tableaux, ceux que l’on admire le plus, appartiennent tous à une époque qui, si vous la comparez au Ve et au IVe siècle avant notre ère, peut être qualifiée d’époque de décadence ; tout au plus nous permettent-ils de remonter avec quelque vraisemblance à la facture et au goût de la société alexandrine[25]. Tout en ayant vu sortir de terre les premières fresques pompéiennes, Winckelmann et ses successeurs immédiats ne possédaient donc aucun moyen de définir, par des monumens conservés, le style des grandes écoles de peinture qui se sont succédé en Grèce entre les guerres médiques et les premiers temps de la période macédonienne. Cette entreprise alors impossible, on peut au contraire, dans une certaine mesure, la tenter aujourd’hui. C’est que, dans l’intervalle, on a fait sortir de terre, par centaines et par milliers, ces vases d’argile ornés de figures, que les gens du monde s’obstinent encore à nommer vases étrusques ; c’est qu’on les a classés, décrits, expliqués de manière à ne laisser sans solution presque aucun des problèmes qui s’y rattachent.

Gerhard avait ouvert la voie, en 1831, par son fameux Rapport sur les vases de Vulci[26] ; de nombreux érudits s’y sont engagés à sa suite, et chaque jour presque les séries qu’ils ont établies s’enrichissent de nouveaux monumens qui viennent s’y ranger chacun à sa place. Ces vases, on le sait aujourd’hui, ont été fabriqués un peu partout, à Athènes, à Corinthe, dans les villes grecques de l’Afrique, de la Sicile et de l’Italie ; ils ont été avidement recherchés par quelques-uns de ces peuples que les Grecs traitaient de barbares, par les Gréco-Scythes de la Crimée comme par les Sabelliens et les Étrusques de l’Italie ; ces derniers même les ont parfois imités plus ou moins gauchement ; mais, on est unanime à le reconnaître, ils sont le produit d’un art propre à la Grèce, d’un art qui est né avec le premier éveil de son génie plastique et qui s’est éteint, vers le IIe siècle avant notre ère, quand ce génie a cessé d’être vraiment fécond et créateur. D’après l’analogie de ce qui se passe partout ailleurs, on est fondé à croire que, dans chaque siècle, la peinture sur vases, qui rentre dans la catégorie de ce que nous appelons les arts industriels, a docilement suivi les exemples que lui donnaient les peintres d’histoire, comme nous disons aujourd’hui, qu’elle en a reproduit, dans la mesure des ressources dont elle disposait, le style et le goût. En étudiant chaque série de vases à la lumière des jugemens que les anciens ont portés sur les plus célèbres des peintres grecs, on peut donc, par une induction légitime, retrouver ici le style de Polygnote, là celui de Zeuxis, ailleurs celui d’Apelle ou de Protogène ; peut-être même quelques vases nous ont-ils conservé dans les scènes qui les décorent des imitations plus ou moins libres de tableaux de maîtres. Ces rapprochemens, ces conjectures demandent, il est vrai, beaucoup de finesse et de prudence, mais le principe n’en est pas contestable et le profit en est grand. S’il est, en effet, dans le naufrage de l’antiquité, une perte dont les gens de goût aient peine à se consoler, c’est bien l’anéantissement complet de l’œuvre de tous ces grands peintres, que les anciens ne mettaient pas au-dessous de leurs sculpteurs les plus fameux ; qui donc ne se réjouirait à la pensée de pouvoir ressaisir, dans des monumens contemporains de ces vieux maîtres, la trace de leur génie, le reflet affaibli et lointain, mais fidèle encore, de tout un art perdu ?

Les archéologues du siècle dernier n’avaient aucune idée de pareilles recherches et des résultats qu’elles peuvent donner ; la plupart d’entre eux ne soupçonnaient même pas l’intérêt que présentent, pour l’histoire de l’art et de la vie des anciens, tous ces menus ouvrages, vases, bijoux, verres, terres cuites, qui sont aujourd’hui recherchés avec tant de passion et qui commencent à former de si riches séries dans les galeries de l’Europe[27]. Ces objets, d’un usage quotidien, ont été fabriqués en quantité prodigieuse pendant des milliers d’années ; leur nombre même augmentait donc dans une proportion incalculable leurs chances de durée. La violence des hommes aurait beau s’acharner à les détruire et les lentes actions de la nature à les user, il y en aurait toujours quelques-uns qui, par un concours de circonstances favorables, trouveraient moyen d’échapper. De chacun de ces types tirés à tant d’épreuves, il resterait au moins quelque échantillon.

Ce qui devait aussi beaucoup aider à préserver ces objets, ce sont leurs dimensions mêmes, c’est le peu de place qu’ils tenaient. En temps de guerre et de révolution, les pauvres et les humbles se dérobent aisément aux catastrophes qui frappent les riches, les puissans, les personnages en vue ; ils ne donnent pas sur eux prise à l’ennemi. Il en a été de même pour tous ces petits monumens ; leur ténuité les a cachés et sauvés, dans les désastres où s’est abîmée la civilisation antique. Bien plus nombreux et bien moins exposés que les chefs-d’œuvre du grand art, quand ceux-ci périssaient, ils ont survécu. L’édifice que renversait la haine nationale ou le fanatisme, en s’écroulant, les ensevelissait sous ses décombres sans les détruire ; ils s’enfonçaient dans la poudre des ruines et s’y dissimulaient aux regards comme dans l’attente de temps meilleurs, quand, dans les villes livrées au pillage, l’incendie dévorait les tableaux des maîtres ou que des soldats grossiers les crevaient dans leurs jeux, quand les statues tombaient sous le marteau des chrétiens ou que, plus tard, pendant le moyen âge, tous les marbres étaient jetés pêle-mêle dans la flamme du four à chaux.

C’est ainsi que tant de légers et fragiles produits des industries de luxe ont pu traverser les siècles et parvenir jusqu’à nous pour nous faire connaître des formes de l’art antique, des modes de la vie et de la pensée des anciens que, sans eux, nous eussions toujours ignorés. Je ne prendrai que deux exemples. Les vases peints, sans parler des scènes de mœurs qu’ils nous retracent souvent, ne nous offrent-ils pas plus d’un mythe dont la trace ne nous avait été conservée ni par la poésie, ni par la statuaire ? Quant à ces terres cuites que les figurines de Tanagre ont mises à la mode, on peut juger, par les récens travaux de M. Heuzey, du parti qu’en tirent aujourd’hui les érudits qui ne peuvent, comme les riches amateurs, les payer presque au poids de l’or, mais qui les comparent entre elles et qui les étudient dans le dernier détail[28]. Classées, par ordre de provenance, dans les musées qui se les disputent aujourd’hui comme on faisait autrefois les statues, ces statuettes ont montré combien étaient étroites et insuffisantes les formules par lesquelles les premiers historiens de la plastique avaient prétendu définir le génie grec. Maintenant même, le critique le plus au courant et le mieux prévenu ne peut pas toujours se défendre de quelque surprise quand il examine une collection de terres cuites. Telle de ces figurines, haute comme la main, a quelque chose de la grandeur et de la fierté d’un marbre du Parthénon, tandis qu’ailleurs c’est une liberté gracieuse et piquante, un aimable abandon, un caprice et un imprévu qui déconcertent un peu, dans le premier moment, ceux mêmes qui en sont le plus charmés. Au bas de telle statuette, vous chercheriez volontiers la signature d’un artiste de la renaissance ou du XVIIIe siècle. Elle date du IVe ou du IIIe siècle avant notre ère, et cependant elle a, comme on dit, quelque chose de tout moderne ; mais, à la bien regarder, on y sent je ne sais quelle fleur et quelle pureté de goût qui empêchent les délicats de s’y tromper. C’est bien toujours la Grèce, mais une Grèce qui s’amuse et qui sourit, qui, des hauts sommets de l’idéal, de la représentation des dieux et des héros, descend aux familiarités de la vie domestique et des sujets de genre, avec cette aisance dont ses grands écrivains ont aussi le secret, quand ils passent sans effort de l’éloquence à la plaisanterie la plus enjouée ou du comique le plus bouffon à la poésie la plus noble. Voyez Platon, voyez Aristophane[29] !

Ce n’est d’ailleurs pas à ce titre seulement que ces petits monumens intéressent l’historien ; il leur demandera tantôt, comme à Tanagre, des indications précises sur le costume et sur les modes qui régnaient, à telle ou telle époque, dans la société grecque, tantôt, comme à Tégée, des renseignemens sur un culte célèbre dont la divinité et les rites ne nous sont que très imparfaitement connus par les textes anciens. Les terres cuites, comme les vases, comme tant d’autres objets fabriqués qui forment des groupes semblables mais moins importans, offrent donc à la curiosité tout un répertoire de faits prodigieusement varié ; elles fournissent des renseignemens que l’on ne pouvait trouver nulle part ailleurs, et ce n’est pas sans motif que la description et l’interprétation de ces monumens prend une place de plus en plus considérable dans les recueils consacrés à l’étude de l’antiquité figurée.

A mesure que la science étendait ainsi son domaine et que les découvertes se multipliaient, ceux qui s’intéressaient à l’histoire de l’art antique sentaient davantage le besoin de se grouper et de se concerter, de s’entendre sur la méthode, de se partager le travail pour le rendre plus rapide et plus fécond, de s’assurer un service d’informations exactes que contrôlerait une critique toujours en éveil. Ainsi naquirent, un peu partout, des associations qui se proposaient d’appliquer ce programme et d’obtenir ces résultats. Nous ne pouvons songer à les énumérer ici et à faire valoir leurs titres ; mais il convient tout au moins de rappeler l’œuvre accomplie, pendant un demi-siècle d’activité vaillante et laborieuse, par celle de ces sociétés qui a peut-être le plus fait pour les progrès de l’archéologie ; nous voulons parler de l’Institut de correspondance archéologique, fondé à Rome en 1829 par Bunsen, Gerhard et le duc de Luynes. Grâce à l’esprit large et ouvert de ses fondateurs, il eut, à son début et pendant de longues années, un caractère vraiment international, dans toute la force du terme ; il réunit, dans un effort commun, les savans les plus éminens de toute l’Europe et leurs meilleurs élèves ; il trouva partout des collaborateurs et des correspondans. Avec leur aide, il établit bien vite un Bulletin où venaient s’enregistrer mois par mois toutes les trouvailles de quelque intérêt faites sur un point quelconque du bassin de la Méditerranée ; quant aux découvertes vraiment importantes et aux problèmes qu’elles posaient, la discussion en était réservée pour un autre recueil, pour des volumes qui portaient le nom d’Annales ou de Mémoires et qui s’ouvraient à des travaux souvent fort développés, à des dissertations dont plusieurs ont fait époque dans la science. Ces essais étaient accompagnés de belles planches ; le grand format choisi pour l’atlas a permis aux Momumens inédits, comme on les appela, de reproduire les objets d’art à plus grande échelle et avec plus de fidélité qu’on ne l’avait tenté jusqu’alors[30]. Pendant que l’institut romain se dévouait ainsi tout entier à ces recherches et qu’il assurait à ceux qui les poursuivaient les avantages d’une publicité régulière, elles prenaient une place de plus en plus considérable dans les travaux des principaux corps savans de l’Europe. L’Académie des inscriptions et belles-lettres, la classe d’histoire et de philosophie, comme on dit en Allemagne, des académies de Berlin, de Munich et de Vienne, faisaient, dans leurs travaux intérieurs et dans les programmes de leurs concours, une part toujours plus large à ce genre d’études. Partout on comprenait que les textes des auteurs anciens, lus, commentés, retournés en tout sens, examinés sous toutes leurs faces depuis la renaissance, ne suffisaient plus, malgré toute l’ardeur et l’acharnement des philologues, à fournir beaucoup de résultats nouveaux. Pour pénétrer dans l’intimité du génie antique plus avant que ne l’avaient fait les grands humanistes des trois derniers siècles, il fallait s’engager dans des voies encore presque inexplorées ; il fallait compléter et contrôler le témoignage des écrivains anciens par celui des. inscriptions publiques et privées, gravées sur le bronze, le marbre et la pierre ; il fallait surtout chercher dans l’empreinte laissée sur la matière par la main des hommes d’autrefois l’expression de leurs besoins et de leurs idées, de leurs sentimens et de leurs conceptions religieuses. N’est-il pas, en effet, des peuples, comme les Étrusques, dont toute la littérature a péri et qui ne se révèlent à la postérité que par les monumens de leur art ? D’autres, comme les Grecs et les Latins, nous ont transmis d’admirables monumens littéraires : mais quelle faible part de leur œuvre écrite représentent les ouvrages ou les fragmens d’ouvrages que le temps n’a point détruits ! Des pensées qu’ils avaient confiées à leurs langues immortelles, combien se sont perdues en route avec les bandes légères de papyrus auxquelles en avait été remis le dépôt !

Avec cette ardeur de savoir et cette obstination héroïque qui est une des vertus de notre temps, la curiosité moderne refusait de se résigner à cette perte ; elle s’acharnait à retrouver de l’inédit, elle voulait reprendre à l’oubli tout ce qui n’avait pas péri sans retour, tout ce que l’âme antique avait mis et laissé d’elle-même dans des monumens sur lesquels l’attention ne s’était pas encore portée ou qui n’avaient été qu’imparfaitement compris. Avec les Boeckh et les Borghesi, l’épigraphie classait et faisait valoir ses trésors ; sa méthode s’affermissait et l’on devinait déjà tout ce que lui devrait l’histoire. Quant à l’archéologie figurée, sa tâche était plus complexe et plus lourde. Par elle-même, la langue des formes est moins claire que celle des mots, surtout quand, pour interpréter les idées traduites par des formes, on n’a pas le secours des mots qui ont servi à rendre ces mêmes idées, quand on possède l’art d’un peuple et que l’on a perdu sa littérature. Une autre difficulté, c’était l’abondance même et la variété des matériaux. L’esprit serait comme écrasé par la multitude toujours grossissante des faits accumulés ; il ne saurait plus où se prendre, par où commencer ni comment aboutir, Les arbres, comme on dit, empêcheraient de voir la forêt.

III

Vers 1830, au moment où se fondait l’Institut de correspondance archéologique, le temps semblait donc venu de dresser l’inventaire des faits acquis et de les répartir en groupes, de fixer les frontières de la science et d’en délimiter les provinces ; mais, en raison de l’étendue et de la diversité des recherches qu’il s’agissait de résumer, l’entreprise était déjà bien plus difficile qu’au temps de Winckelmann. Pour conduire à bien cette synthèse, il fallait un esprit de haute portée, servi par une vaste lecture et par une mémoire puissante, que la philosophie eût rendu capable de s’élever aux idées générales et à qui la philologie eût donné la passion du détail exact ; il fallait un savant chez qui le pénible labeur du cabinet n’eût pas étouffé le goût, un érudit doublé d’un artiste. Tout ne s’apprend pas dans les livres. Voulez-vous parler d’art avec quelque compétence, commencez par étudier de près les œuvres de la plastique, entretenez avec elles un commerce intime et familier, cultivez en vous-même le sentiment de la forme et l’amour du beau ! Sans cette éducation des yeux, fruit d’une longue pratique, comment saisir ces nuances légères qui distinguent les styles et les écoles ?

Dans la première moitié du siècle, un homme s’est rencontré qui semblait désigné pour cette tâche difficile par un rare ensemble de mérites, par des aptitudes et des dons qui ne se trouvent pas souvent réunis chez une même personne. Nous voulons parler de cet Ottfried Muller que l’on a appelé, sans rien exagérer, « un érudit de génie[31]. » Elève de Niebuhr et de Boeckh, nul, parmi ses contemporains, n’a fait un effort aussi puissant pour embrasser, dans ses vastes recherches, l’antiquité tout entière, pour se la représenter et la faire revivre sous ses aspects les plus variés. Philologue, il trouve un vif attrait aux analyses les plus minutieuses de la science qui pèse les mots et les syllabes, qui compare les leçons des manuscrits. Poète lui-même dans ses heures de loisir, il jouit avec délices du charme des lettres anciennes et modernes. Jeune homme, il étudie avec passion les antiques du musée de Dresde et la galerie de plâtres que possède l’université de Gœttingue ; dans la dernière année de sa vie, son voyage d’Italie et de Sicile le transporte ; il est comme enivré de cette Athènes qu’il ne fit qu’entrevoir, de cette Grèce dont la lumière le ravit et dont le soleil le foudroya[32].

Toutes ces connaissances acquises, toutes ces émotions éprouvées devaient, espérait-il, lui fournir les lignes et les couleurs du large tableau où il voulait faire entrer toute l’histoire de la Grèce ancienne, évoquer le monde grec et le mettre sous les yeux des modernes dans l’indivisible unité de sa vie sociale et politique, de ses créations artistiques et littéraires. En le frappant à quarante-deux ans, la mort a mis à néant ces beaux projets ; cette grande peinture, qui aurait été peut-être une des œuvres capitales de notre siècle, ne fut jamais exécutée ; mais tout au moins avons-nous les esquisses et les cartons du maître. Pendant qu’il recueillait les matériaux du livre qui, dans sa pensée, devait être l’honneur de son âge mûr et son principal titre de gloire, il ne s’était pas enfermé, comme auraient pu le faire des esprits moins féconds, dans de muettes et solitaires méditations. Sa facilité de rédaction était prodigieuse ; tout ce qu’il apprenait, tout ce qu’il croyait avoir trouvé de neuf, il se hâtait de le communiquer, par la parole aux auditeurs qui se pressaient à Goettingue autour de sa chaire, par la plume aux lecteurs de tous ces recueils périodiques dont il était un des plus actifs collaborateurs. Comme un homme qui voyage beaucoup et qui aime à raconter ce qu’il a vu, de chaque étude nouvelle où il s’engageait il rapportait quelque chose au public. Le plus souvent c’était un de ces articles, un de ces mémoires, toujours pleins de faits et d’idées, qu’il écrivait tantôt en allemand, tantôt en latin ; dans ces dernières années on a pu former cinq volumes rien qu’avec ceux de ces petits écrits qui traitent de l’archéologie et de l’histoire de l’art[33]. Parfois aussi c’était tout un livre ; c’étaient des éditions savantes, comme celles qu’il a données de Varron, de Festus, des Euménides d’Eschyle ; c’étaient, sous le titre de l’Histoire des tribus et des cités grecques, de grands récits, pierres d’attente de l’édifice qu’il se proposait d’élever plus tard ; on eut ainsi d’abord Orchomène et les Minyéns, puis le plus célèbre peut-être et le plus discuté de ses écrits, les Doriens, enfin les Étrusques, un essai dont l’idée lui avait été suggérée par un programme de l’Académie de Berlin. C’étaient les Prolégomènes à une mythologie scientifique, œuvre dont les erreurs mêmes ont été fécondes ; puis cette Histoire de la littérature grecque qui, tout inachevée qu’elle soit, n’a pas vieilli d’un jour. Après Ottfried Muller, plusieurs autres critiques ont essayé de fournir la même carrière ; mais aucun d’eux n’a su porter dans cette étude la même largeur de vues et d’exposition ; aucun n’a su si bien allier la science la plus exacte et la plus précise à un sentiment délicat de la beauté et de l’originalité des lettres grecques. De tous ces ouvrages qui se succédaient à si bref intervalle, celui pourtant qui a peut-être rendu le plus de services à la science de l’antiquité, c’est le Manuel de l’archéologie de l’art, qui parut à Breslau en 1830[34]. Traduit en français, en anglais et en italien, il devint tout d’abord le guide indispensable de tous ceux qui voulaient s’initier à la connaissance de l’art antique, leur compagnon, leur ami de toutes les heures. C’est lui qui, dans toutes les universités où l’archéologie a conquis son droit de bourgeoisie, fournit aux maîtres les cadres de leur enseignement et qui met les élèves en mesure de compléter par leur travail personnel des leçons qui ne peuvent guère porter que sur une partie plus ou moins restreinte de ce vaste domaine.

La forme qu’Ottfried Muller a donnée à son ouvrage est celle du manuel, forme que de nombreux précédens avaient rendue familière à l’Allemagne savante. On sait le plan suivi d’ordinaire dans ce genre d’ouvrages. Les idées générales qui dominent chaque science, comme prémisses ou comme conclusion, les lois qu’elle établit, les grandes séries de faits et les formules qui les résument, sont exposées dans des paragraphes dont chacun porte un numéro d’ordre et se complète par une suite de notes imprimées en caractères plus fins. Dans ces notes sont indiquées les idées d’une importance secondaire et les applications particulières de chaque loi ; les assertions sommaires sont justifiées par des renvois aux ouvrages spéciaux d’où elles ont été tirées ; parfois même les plus importans des textes que l’auteur a visés sont transcrits en entier. Le lecteur est-il pressé, n’a-t-il pas l’intention d’approfondir, pour le moment, telle ou telle partie de la science, ces citations le dispensent de recourir à des livres qu’il aurait souvent peine à se procurer. A-t-il au contraire l’ambition de pénétrer plus avant et de creuser telle ou telle matière, cette bibliographie lui fait gagner bien du temps ; elle lui permet d’aller tout droit, pour chaque sujet, aux sources les plus riches et les plus pures. Une des causes qui retardent encore en France le progrès des études, c’est que de pareils manuels nous manquent. Celui qui veut entreprendre des recherches sur un point donné perd bien des heures à chercher dans les bibliothèques ce qui a été écrit sur la matière ; il n’arrive pas à se rendre compte de l’état de la science pour la question même qui l’occupe, encore moins se met-il au courant des questions voisines, et il risque d’user ses forces à démontrer de nouveau ce qui a été déjà mis au-dessus du doute ; il s’expose, comme on dit familièrement, à enfoncer des portes ouvertes.

L’ordonnance du Manuel de l’archéologie de l’art est des plus simples. Il s’ouvre par une introduction où l’auteur définit l’art et particulièrement les arts plastiques, en établit la division et indique les principaux ouvrages à consulter, ceux auxquels il aura sans cesse à renvoyer dans le cours de son travail. Vient ensuite, coupée par périodes, l’histoire de l’art grec et romain, depuis les origines jusqu’au moyen âge ; certains paragraphes, ceux qui sont consacrés aux Étrusques, par exemple, et aux peuples de l’Orient, portent le titre d’épisodes ou d’appendices. À cette histoire sommaire succède ce que Muller appelle la partie systématique, il ne s’y place plus au point de vue du développement organique, mais il prend l’art antique dans son ensemble et il l’étudié en lui-même, dans les matériaux qu’il emploie, dans les procédés qu’il applique, dans les conditions qui s’imposent à lui, dans les caractères qu’il prête aux formes, dans les sujets qu’il traite, dans la répartition de ses monumens sur toute la surface du terrain occupé par la civilisation ancienne. La Grèce des beaux siècles s’est surtout attachée à représenter ces êtres supérieurs à l’humanité et pourtant revêtus de la forme humaine, ces enfans de son imagination dans lesquels elle personnifiait les lois éternelles, les forces de la nature et celles du monde moral ; c’est en cherchant à créer et à distinguer ces types, à leur prêter des traits qui fussent dignes de leur majesté, que l’art grec a produit ses œuvres les plus nobles et les plus idéales. Le manuel devait donc comprendre et comprend en effet toute une histoire des dieux et des héros par les monumens, toute une mythologie de l’art, comme on dit en Allemagne. C’est elle qui tient la plus grande place dans la seconde partie de l’ouvrage.

Ce plan a été l’objet de plusieurs critiques ; nous n’entendons ni les repousser ni même les discuter ici. Ce qu’il faut avant tout, dans un ouvrage de ce genre, c’est être clair et complet ; or le livre a au plus haut point ces deux mérites. Les recherches y sont faciles, et l’auteur, par un puissant effort de lecture et de réflexion, a su condenser et classer, en un seul volume d’un format commode, tout ce qu’il y avait d’intéressant dans les résultats auxquels avaient abouti les recherches de plusieurs générations d’archéologues. Ce n’est pas là pourtant un pur travail de compilation ; tous ces antiquaires étaient loin de s’accorder toujours sur la date et la signification des monumens qu’ils avaient décrits ; il fallait choisir entre leurs hypothèses, et parfois même les écarter toutes. En pareil cas, Ottfried Muller prend presque toujours le parti le plus judicieux, et souvent l’opinion à laquelle il s’arrête lui appartient en propre. Sans entrer dans de longues discussions, il la soutient en quelques lignes par d’assez bonnes raisons pour que, presque toujours, elle ait mérité de prévaloir. Toutes les œuvres importantes qui caractérisent un siècle et une époque, ce n’est pas sur la foi d’autrui qu’il les apprécie. Sans doute le cadre de son livre ne lui permet pas de se répandre, comme fait Winckelmann, en élans d’enthousiasme, ni de recommencer ces descriptions brillantes qui nous paraissent peut-être aujourd’hui un peu trop montées en couleur ; mais, jusque dans la brièveté de ses jugemens, on sent la sincérité d’une émotion toute personnelle ; on devine combien il a l’esprit indépendant, le goût vif, large et pur.

Nous ferons donc bon marché de toutes les critiques qui portent sur l’ordonnance même du livre ; son vrai, son seul défaut, c’est d’avoir été écrit trente ou quarante ans trop tôt. C’est en 1835 que Muller donnait, soigneusement révisée et très augmentée, la seconde édition de son manuel, la dernière qui ait paru de son vivant. Depuis ce moment, bien des monumens grecs, étrusques ou romains sont sortis de terre et sont entrés dans les musées. Si pourtant l’archéologie n’avait pas fait d’autres découvertes et d’autres conquêtes, il aurait suffi, pour tenir le manuel au courant, de quelques retouches et de quelques additions ; c’eût été un travail à recommencer tous les dix ou quinze ans. Avec un peu de soin, tout éditeur intelligent se serait acquitté de cette tâche à la satisfaction générale. Pour toute la période gréco-romaine, les monumens, à mesure qu’ils paraissaient au jour, seraient venus prendre, comme d’eux-mêmes, leur place dans les séries. Welcker a bien publié, en 1848, une troisième édition, corrigée et complétée en partie d’après des notes manuscrites laissées par l’auteur sur son exemplaire interfolié, en partie par des informations que l’éminent éditeur avait tirées du riche trésor de ses lectures et de sa science ; mais pourquoi Welcker, dans son avertissement au lecteur, déclare-t-il que, s’il n’eût été retenu par le respect qu’il devait à une œuvre déjà devenue classique, il aurait cru bon de la modifier bien plus profondément qu’il n’a osé le faire ? Pourquoi Stark, sollicité par un libraire d’entreprendre une nouvelle révision du Manuel, avait-il trouvé plus utile, et même, dans un certain sens, plus facile de composer un ouvrage original, un autre manuel, qui répondrait aux mêmes besoins, mais dont le plan et l’exécution lui appartiendraient en propre ?

La réponse est facile : l’Orient n’a été découvert qu’après la mort d’Ottfried Muller, Par ce terme nous désignons cette partie de l’Afrique et de l’Asie que baignent les flots de la Méditerranée ou qui est assez rapprochée de cette mer pour avoir été en relations constantes avec ses rivages ; nous pensons à l’Égypte, à la Phénicie syrienne et à sa grande colonie de la côte libyenne, à la Chaldée et à l’Assyrie, à l’Asie-Mineure, à ces îles de Cypre et de Rhodes qui ont été si longtemps dans une étroite dépendance des empires maîtres du continent voisin. Ce fut entre 1820 et 1830 que naquirent et que s’arrêtèrent dans l’esprit du jeune savant les idées qu’il a développées dans ses ouvrages ; c’est alors qu’il prit hautement parti dans la discussion qui s’était depuis longtemps engagée entre les érudits au sujet des origines de la Grèce. Dans la naissance et le développement de la religion, des arts, de la poésie et de la science grecque, quelle part convient-il de faire aux élémens étrangers, aux exemples de ceux qui avaient de si loin précédé la Grèce dans les voies de la vie policée ? Cette part, nul historien ne l’a faite plus faible et plus restreinte qu’Ottfried Muller ; nul n’a plus résolument insisté sur l’originalité du génie grec et n’a plus incliné à croire que la race hellénique avait tiré de son propre fonds tout ou presque tout ce qui a fait sa grandeur ou sa gloire.

Lorsque Ottfried Muller s’est mis à sonder ce problème, l’Égypte seule commençait à sortir de l’ombre qui enveloppait encore toute l’antique civilisation de l’Orient, et, pendant sa trop courte vie, il n’a pas vu se produire dans ce domaine une de ces découvertes qui n’auraient pu manquer de frapper un esprit aussi curieux et ouvert. C’est seulement trois ans après la mort d’Ottfried Muller que Botta commençait à exhumer les monumens de l’art assyrien ; on n’avait, sur les ruines de la Chaldée et de la Perse, que des renseignemens vagues et confus. Aujourd’hui nous suivons à travers la Méditerranée, des colonnes d’Hercule au Bosphore de Thrace, le sillage des navires phéniciens. Partout où ils ont abordé, les mains pleines des produits de leurs ateliers, les Phéniciens ont laissé tomber quelques-uns de ces objets que leurs cités laborieuses façonnaient pour l’exportation. Maintenant on ramasse ces débris ; on reconnaît la marque de fabrique des artisans de Sidon ou de Carthage, et l’on sait ainsi quels étaient les procédés industriels qui, « par les chemins humides de la mer, » comme dit le poète, arrivaient jusqu’aux Grecs, aux Italiotes et aux Étrusques ; d’après les traces que ce commerce a comme imprimées dans le sol sur tel ou tel point, on évalue la durée du séjour qu’ils ont fait dans chacune des contrées qu’ils visitaient et la mesure de l’influence qu’ils ont exercée sur chacun des peuples qui ont été leurs tributaires. Jadis c’était seulement d’après les historiens que l’on essayait de se former une idée du style et du goût phénicien ; cette idée était donc nécessairement bien inexacte et bien incomplète.

Il y a cinquante ans, on ne connaissait pas mieux les routes de terre, celles qui traversaient les défilés du Taurus et les hauts plateaux de l’Asie-Mineure pour apporter jusqu’aux Grecs de l’Ionie et de l’Éolie ces mêmes modèles, ces mêmes formes et ces mêmes idées ; on n’aurait pu, comme on le fait aujourd’hui, indiquer les détours de ces voies et en compter les étapes. Muller ne connut aucune des découvertes de Fellows, de Texier et d’Hamilton ; pendant qu’il allait mourir en Grèce, ceux-ci plus heureux parcouraient sans accident une région d’un accès plus difficile et plus dangereux ; quelques années après, ils appelaient l’attention des érudits sur ces monumens qui, taillés dans le roc vif, rappellent par leur style et par leurs symboles ceux qui sont sculptés au flanc des rochers de la Haute-Assyrie. Quant à l’art lycien, c’est aussi après la mort d’Ottfried Muller que l’une des salles du Musée britannique en recueillait les précieux débris.

Avec la justesse naturelle de son esprit, Ottfried Muller avait compris tout d’abord combien les monumens répugnent à l’hypothèse qui prétendait expliquer par des emprunts faits directement à l’Égypte la naissance et les premiers progrès de l’art grec, mais les élémens lui manquaient pour apprécier l’intensité et la durée de cette influence plusieurs fois séculaire qu’ont exercée sur les Grecs de l’âge héroïque, d’une part, les Phéniciens, intermédiaires privilégiés entre l’Égypte et l’Occident, d’autre part, les peuples de l’Asie-Mineure, Cappadociens, Phrygiens, Lydiens, vassaux et élèves des Assyriens, avec lesquels ils communiquaient par des routes de caravane. On s’explique ainsi les lacunes, les erreurs et les exagérations de la thèse que Muller a soutenue dans tous ses ouvrages.

Les fâcheux effets de cette méprise s’accusent tout d’abord dans les premières pages de l’exposé historique, dans les chapitres consacrés à la période archaïque. Entreprenez, sans autre guide, l’étude d’une de ces salles de musée où les monumens de l’art oriental sont tout voisins des plus anciens monumens de l’art grec et de l’art étrusque ; à chaque pas vous remarquerez, de l’une à l’autre série, des ressemblances de toute espèce, ressemblances dans l’aspect général des motifs ainsi que dans l’emploi de certains attributs et de certains symboles. Ces ressemblances vous frapperont, mais elles vous surprendront plus encore ; vous ne saurez que répondre à qui vous demanderait d’où viennent tant de traits communs, parmi des différences qui se marquent d’autant plus que l’on descend le cours des âges et que l’on se rapproche davantage des beaux siècles de l’art. Ottfried Muller ne s’est pas aperçu de cette difficulté ; il présente l’histoire de la Grèce, à bien peu de choses près, comme si la Grèce avait été seule au monde. Il ne remonte donc point, en commençant, au-delà de la Grèce telle que nous la font connaître les poèmes homériques ; il n’a pas recours à ces comparaisons que nous instituons sans cesse aujourd’hui ; c’est à peine si, de loin en loin, il lui échappe quelques mots qui semblent impliquer que la civilisation orientale ait pu, dans une certaine mesure, aider la Grèce naissante à sortir de ses langes, éveiller sa pensée et diriger sa main novice encore. Ces contacts et ces emprunts, il ne les nie pas d’une manière formelle, mais il n’en comprend pas toute l’importance, et nulle part il ne la fait ressortir avec cet accent d’autorité qu’il porte dans l’expression des idées qui lui sont chères et des vérités qu’il a clairement aperçues.

Cette tendance s’accuse, d’une manière sensible, dans le plan même de l’ouvrage. Puisqu’il croyait nécessaire de ne pas oublier les peuples de l’Orient dans un livre où devait entrer l’antiquité tout entière, pourquoi donc a-t-il relégué tout à la fin de son exposé historique les paragraphes qu’il a jugé bon de leur consacrer ? Il n’ignorait pas que ces peuples étaient de beaucoup les aînés des Grecs ; comment alors se fait-il qu’il attende, pour en parler, d’avoir retracé la décadence et la chute de l’art gréco-romain ? Le peu qu’il nous apprend à ce sujet n’aurait-il pas été bien mieux à sa place dans les premières pages du livre ?

Cette interversion de l’ordre chronologique rompt violemment la continuité des phénomènes et supprime les relations naturelles, les liens de dépendance et de filiation qui les rattachent les uns aux autres. Plus de suite ni d’enchaînement dans l’histoire ainsi renversée, ainsi morcelée, ainsi faussée ; vous y chercheriez en vain ce que doit se proposer de montrer l’historien, une marche ininterrompue et régulière, un mouvement constant qui, malgré de brusques oscillations et des temps d’arrêt apparens, propage la civilisation d’Orient en Occident et lui donne pour capitales et pour foyers principaux, après Memphis et Thèbes, après Babylone et Ninive, après Tyr et Carthage, Milet et les villes ioniennes, Corinthe et Athènes, Alexandrie, Antioche et Pergame, puis la grande cité italienne, Rome, l’élève et l’héritière de la Grèce. Cette étroite liaison de la Grèce et de Rome, Ottfried Muller l’a fort bien saisie, mais son erreur, c’est d’avoir isolé arbitrairement la Grèce, c’est de l’avoir détachée de l’antique civilisation orientale, de ce milieu où ses racines plongent en tous sens et d’où elles ont tiré les premiers sucs nourriciers, les premiers élémens de cette végétation puissante et variée qui s’est couverte, avec le temps, des plus belles fleurs de l’art et de la poésie.

IV

Depuis cinquante ans, des découvertes, dont nous avons énuméré les principales, sont venues combler les lacunes de notre science du passé ; elles ont révélé des relations, des échanges, des transmissions que l’on ne soupçonnait pas autrefois ; elles ont, si l’on peut ainsi parler, fait retrouver les anneaux séparés et dispersés de cette longue chaîne d’efforts et de pensées dont un bout se perd dans les ténèbres d’un passé sans histoire, tandis que l’autre rattache l’antiquité aux temps modernes. Grâce à ces découvertes et aux comparaisons qu’elles ont suggérées, l’histoire a pu rendre justice à des peuples dont jusqu’alors l’activité et le rôle n’avaient point été placés dans leur vrai jour ; mais la Grèce n’a rien perdu de sa gloire à ces scrupules d’équité et à cette exacte révision des comptes. Grâce à sa situation privilégiée aux confins de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique, grâce à la supériorité de son génie et aux merveilleuses qualités de sa langue, la Grèce a coordonné, classé et perfectionné les découvertes antérieures ; elle a pour toujours mis à l’abri de la destruction et de l’oubli ces instrumens du progrès, ces procédés de l’art, ces méthodes scientifiques naissantes, enfin tout ce fragile et complexe appareil de la civilisation dont l’avenir avait été souvent compromis et l’intégrité plus d’une fois entamée dans les grands chocs de peuples et dans les décadences sociales.

Ce n’est pas ici le lieu d’insister sur ce qui a été accompli par la Grèce dans le domaine de la pensée pure, dans la philosophie et dans les sciences, non plus, que de vanter sa littérature et de montrer quel parti l’imagination de ses poètes et l’éloquence de ses orateurs a su tirer des mots de son admirable idiome, du rythme de la poésie et de celui de la prose ; il s’agirait seulement, dans l’ouvrage que nous attendons et que nous réclamons, des idées et des sentimens que la Grèce aurait exprimés par des formes sensibles ; il s’agirait de faire mieux connaître la Grèce en la montrant sous une autre face à ceux qui ne l’ont encore cherchée et goûtée que dans les livres de ses grands écrivains ; ce serait donner à tous ceux qui ont l’âme vraiment délicate des raisons nouvelles et meilleures d’admirer la Grèce et surtout de l’aimer. Par suite d’un concours vraiment unique de circonstances favorables, les Grecs, au temps de Périclès et d’Alexandre, ont plus approché de la perfection, dans leurs œuvres d’art, que les hommes d’aucune autre race et d’aucun autre siècle ; jamais ailleurs la forme n’a traduit l’idée d’une manière aussi complète et aussi claire, jamais elle n’a aussi pleinement donné à l’esprit la sensation et l’émotion du beau. Il en résulte que les ouvrages de leurs artistes, tout mutilés, tout émiettés qu’ils nous soient parvenus, servent encore de modèles aux artistes modernes et joueront le même rôle ; dans l’enseignement du dessin, jusqu’à la fin des siècles. Ce sera toujours à leur école que l’on apprendra non point, comme on l’a. cru parfois, à se passer de la nature, l’indispensable, l’éternelle maîtresse, mais à l’étudier avec intelligence et avec amour, à s’en inspirer pour créer, comme les Grecs l’ont fait autrefois, de belles œuvres, qui soient l’expression sensible d’une haute pensée.

L’art grec serait donc le véritable sujet de cette histoire dont les matériaux n’ont cessé de s’accumuler et de s’ordonner, depuis Winckelmann jusqu’à nos jours ; mais, pour satisfaire les exigences de l’esprit moderne, il faudrait que cette grande œuvre fût précédée d’une histoire de l’art oriental, ou plutôt des arts de l’Orient ; sans cette introduction nécessaire, le livre ne se comprendrait pas, ce livre dont nous entrevoyons le plan et dont on peut dire, comme Juvénal du poète parfait qu’il conçoit et qu’il se représente à lui-même :

Hunc qualem nequeo monstrare, at sentio tantum !


L’Égypte fournirait le point de départ ; ce serait par elle que l’on commencerait, et l’on ferait passer sous les yeux du lecteur, dans l’ordre de leur succession historique, tous les arts qui, avant le développement de la Grèce, ont eu quelque originalité, tous les styles nationaux de la première et lointaine antiquité. Chacun d’eux intéresserait par lui-même, parce que dans tous on retrouverait l’homme engagé dans la même lutte contre la matière, dans le même effort pour la contraindre à traduire ses idées, à se pénétrer de ses sentimens, à s’en échauffer et comme à s’en attendrir ; mais ces différens arts prendraient d’ailleurs, pour l’historien, plus ou moins d’importance suivant qu’ils se rattacheraient à l’art grec par des liens plus ou moins étroits.

Comme sa préface, le livre aurait son épilogue ; Les peuples de l’Orient nous auraient laissé voir comment, par les procédés qu’ils ont inventés et les formes qu’ils ont créées, ils ont contribué à préparer l’avènement de l’art grec et son éblouissante floraison. ; aux peuples qui se sont mis plus tard à l’école de la Grèce, aux Italiotes, aux Étrusques et aux Romains, on demanderait comment ils ont compris les leçons qu’ils ont reçues et quel parti plus ou moins heureux ils en ont tiré pour rendre leurs propres pensées et pour satisfaire des goûts et des besoins différens.

On voit, par ces réflexions, comment l’historien de l’art serait tenu aujourd’hui d’embrasser un plus vaste champ et de fournir une plus longue carrière. que Winckelmann et même qu’Ottfried Muller. Notre siècle est le siècle de l’histoire ; ce qui l’intéresse surtout, c’est ce que les Allemands appellent le devenir, la suite des phénomènes dans leur évolution organique, dans ce développement régulier que Hegel expliquait par les lois mêmes de la pensée. On serait mal venu, de notre temps, à prendre tout d’abord l’art grec en pleine perfection, sans chercher et sans dire quels degrés il a lentement gravis pour arriver à son apogée, dans l’Athènes de Périclès. Qu’il s’agisse d’un individu ou d’un peuple, de religion ou de philosophie, de littérature ou d’art, nous tenons à remonter le cours du fleuve de la vie, jusqu’au point où il se dérobe à notre vue dans cette obscurité où se perdent tous les commencemens. Ici donc, dans cette histoire de l’art grec, pour atteindre les origines vraies, il faudra se reporter bien au-delà des origines apparentes ; pour bien comprendre, pour expliquer la Grèce naissante, il faudra pousser sa recherche bien plus loin et sortir de l’étroite enceinte de l’histoire grecque.

La Grèce, que nous appelons l’antiquité, est venue tard dans l’histoire, quand déjà la civilisation avait derrière elle un long passé, un passé de bien des siècles. En ce sens, il est vrai, le mot que Platon attribue aux prêtres de Saïs s’adressant à Solon : « Vous autres Grecs, vous n’êtes que des enfans ! » En comparaison de l’Égypte, de la Chaldée et de la Phénicie, la Grèce est presque moderne ; le siècle de Périclès est peut-être plus rapproché de nous, dans le champ de la durée, que des commencemens de la civilisation égyptienne.

Paraissant ainsi la dernière sur la scène, la race grecque n’aurait pu rester étrangère à tout ce qui s’était fait avant elle que si elle avait été jetée par le hasard de sa destinée à quelque extrémité du monde, dans un canton détourné et d’un accès difficile, dans une île inabordable. Tout au contraire, vers l’époque à laquelle remontent ses plus lointains souvenirs, nous la trouvons établie dans une péninsule qui, toute voisine de l’Asie, semble se détacher de l’Europe pour s’avancer au-devant de l’Afrique avec le cortège d’îles qui l’entourent et qui la précèdent. Entre la côte d’Asie et la péninsule, ici des détroits que traverse le bras d’un vaillant nageur, là de nombreuses îles, en vue l’une de l’autre, qui semblent inviter les moins hardis à se lancer sur cette route qu’elles jalonnent. On dirait ces cailloux que la main du paysan jette au milieu du ruisseau quanti le pied ne saurait le franchir d’un bond ; en sautant de l’un à l’autre, on a bientôt gagné la rive opposée.

La race grecque, par la situation de la contrée où elle apparaît, se trouve donc ainsi rapprochée des empires d’Égypte, d’Assyrie et de Médie, maîtres des côtes de la Méditerranée orientale ; en même temps, tout concourt à multiplier singulièrement pour elle les surfaces de contact. Pour la Grèce, ce n’est pas seulement sur une frontière que peut se faire, comme pour tout autre peuple, l’échange des idées et des procédés ; elle a des colonies attachées à tous les rivages, comme autant de navires à l’ancre ; étant presque partout île ou côte, elle est partout frontière, partout ouverte, partout sensible à l’influence de l’étranger. Elle est toute tournée vers le dehors ; chez elle, pas de ces épaisseurs de pays fermé qui peuvent rester longtemps closes au passage des marchandises et des idées. Que devait-il donc arriver le jour où les tribus dont elle était peuplée s’éveilleraient et voudraient sortir de la barbarie ? De l’Orient si voisin, elles recevraient des exemples et des modèles, des germes féconds, qu’elles absorberaient, si l’on peut ainsi parler, par tous les pores. L’homme va toujours au plus pressé ; dès qu’un plus instruit lui enseigne quelque moyen d’améliorer sa vie et de satisfaire ses besoins, il s’en empare aussitôt ; il l’applique d’abord tel qu’on le lui a transmis, puis il le perfectionne à l’épreuve, avec les années et l’expérience.

Ainsi, plus l’étude du passé fait de progrès, plus on arrive à reconnaître quel fond de vérité contiennent ces traditions et ces mythes qui nous montrent l’influence de l’Égypte, de la Syrie et de l’Asie-Mineure s’exerçant sur la Grèce. Ce qui frappe tout d’abord, c’est que les Grecs ont emprunté à ces prédécesseurs tous les élémens de cette industrie qui n’est pas encore l’art, mais sans laquelle l’art ne saurait naître, les procédés de la métallurgie, de la céramique, de l’orfèvrerie, de la verrerie, du tissage et de la broderie, de la taille et de l’appareillage de la pierre, en un mot tous ces secrets de métier qui paraissent si simples quand on les possède et qu’on les pratique de temps immémorial, mais dont la découverte représente les efforts accumulés de tant de génies inconnus. Ce n’est pas seulement l’outillage matériel de la civilisation que la Grèce doit à ses prédécesseurs ; elle a reçu d’eux, en même temps que l’alphabet qui représentait par un signe spécial chacun des sons principaux de la voix, ce que l’on a très bien nommé l’alphabet de l’art, certaines conventions nécessaires, certaines combinaisons de lignes, certains ornemens, certaines formes décoratives, tout un ensemble d’élémens plastiques qu’elle a appliqués à l’expression de ses idées et de ses sentimens propres. De là dans l’art grec, même arrivé à la perfection, tant de survivances, c’est-à-dire tant de motifs, comme le sphinx, le griffon, la palmette et bien d’autres encore, qui sont nés sur les bords du Nil ou du Tigre, et que les Grecs ont conservés jusqu’au bout, qu’ils ont même transmis aux ornemanistes modernes.

Plus vous remontez vers les origines de la Grèce, et plus vous êtes frappé de ces ressemblances qui ne sont pas de pures rencontres, surtout si vous comparez l’art grec archaïque à l’art assyrien, De part et d’autre, emploi de procédés analogues pour construire la charpente de la figure humaine, pour en faire ressortir les articulations, pour indiquer la nature de la draperie qui la recouvre. Dans l’ornementation, le goût grec n’a pas encore transformé, au point de les rendre souvent méconnaissables, les motifs dont l’emploi lui était suggéré par les objets d’art que le commerce lui apportait à travers les montagnes de l’Asie-Mineure ou les flots de la mer Égée. La marque d’origine est partout visible, et cependant, à certaines nuances que peut seul percevoir un œil exercé, vous devinez que la Grèce ne se contentera pas, comme l’a fait la Phénicie, de combiner en proportions variables les élémens que fournissent à ses artisans l’Égypte et la Chaldée ; vous sentez que les facilités et les profits de cet éclectisme ne suffiront pas aux ambitions d’une race qui possède déjà la poésie d’Homère et celle d’Hésiode.

Deux ou trois siècles s’écoulent, et l’art grec est devenu profondément original ; il est très supérieur à tout ce qui l’a précédé ; il a seul mérité d’être appelé un art classique, c’est-à-dire de fournir un ensemble de règles susceptibles d’être transmises par l’enseignement. En quoi consiste cette supériorité ? Comment cette originalité s’est-elle dégagée et par quelles causes s’explique-t-elle ? C’est ce dont notre historien aurait à rendre raison ; mais, pour arriver à faire sentir les différences, il devra commencer par étudier l’art de ces peuples qui ont été les premiers instituteurs de la Grèce. Pour saisir dans l’art grec ce qui est vraiment grec, il faudrait avoir d’abord défini les élémens étrangers que la Grèce a mis en œuvre. On ne pourrait le faire avec quelque précision qu’en remontant au milieu où ils se sont produits ; il serait donc nécessaire d’entrer dans l’esprit de ces civilisations, d’en atteindre l’âme même et le génie, de voir d’où elles sont parties et où elles se sont arrêtées ; il faudrait définir l’idée qu’elles se sont faite du beau, puis montrer, par des exemples bien choisis, dans quelle mesure et par quels moyens elles sont arrivées à réaliser cette conception.

Si nous nous imposons ce long détour, nous ou tous ceux que tenteront ces belles études, c’est pour arriver en Grèce plus instruits par tout ce que nous aurons appris en chemin, mieux préparés à tout comprendre et à tout juger ; ce sera la pensée et les yeux tournés vers la Grèce, comme vers le but lointain et désiré, que nous suivrons la route qui, des bords du Nil, nous conduira vers ceux de l’Euphrate et du Tigre, puis sur les plateaux de la Médie, de la Perse et de l’Asie-Mineure pour nous ramener ensuite vers les côtes de la Phénicie, vers les rivages de Cypre et de Rhodes. Par-delà les obélisques et les pyramides de l’Égypte, les tours à étages de la Chaldée et les coupoles des palais ninivites, les hautes colonnades de Persépolis, les forteresses et les tombes taillées dans les flancs des montagnes de la Phrygie et de la Lycie, par-delà les murailles énormes des cités syriennes et. les ravins où se creuse l’entrée béante de leurs grottes funéraires ; par-delà toute cette architecture, toute cette sculpture étrange et colossale, nous ne cesserons d’apercevoir à l’horizon le roc sacré de l’Acropole d’Athènes ; à mesure que nous avancerons dans cette revue du passé, nous le verrons grandir devant nous et monter dans l’azur, avec la blancheur exquise de ses marbres, la sévère élégance de ses portiques et la majesté de ses frontons, où vivent et respirent les dieux d’Homère et de Phidias.

Quand nous aurons franchi le seuil des Propylées et que nous serons allés du Parthénon au temple d’Erechthée et à celui de la Victoire sans ailes ; quand, de cet observatoire, nous aurons regardé s’élever dans la Grèce tout entière des monumens qui, sans égaler peut-être ceux d’Athènes par la pureté des lignes et la finesse de l’exécution, portent pourtant la marque du même style et du même goût ; quand nous aurons vu Praxitèle et Scopas succéder à Phidias et à Polyclète, ne nous en coûtera-t-il pas de nous arracher à l’étude et à l’admiration de tant de merveilles pour reprendre et pour achever ce voyage ? Si nous nous imposons cet effort, si de l’Athènes de Cimon, de Périclès et de Lycurgue, nous nous transportons dans les capitales pompeuses des successeurs d’Alexandre, puis si nous traversons la mer pour visiter Véies et Clusium, pour décrire les cimetières étrusques et la splendeur bizarre de leur décoration ; si nous arrivons enfin dans la Rome impériale, parmi ses édifices gigantesques, ses basiliques, ses thermes et ses amphithéâtres, bien des fois, au milieu de toutes ces somptuosités et de ce luxe grandiose, nous retournerons la tête en arrière, non sans un regret et sans un soupir. Sans doute nous suivrons avec curiosité les changemens que des peuples et des besoins nouveaux feront subir aux formes et aux types créés par la Grèce. La décadence même nous intéressera par les efforts qu’elle tente pour rester fidèle au passé et par les caractères encore voilés, par les indices qui, dans ses œuvres même les plus gauches et les plus barbares, permettent de deviner l’avènement d’un autre art, de l’art chrétien et moderne. Nous essaierons de tout comprendre et de tout juger avec cette largeur de goût qui est l’honneur de la critique contemporaine ; cependant, alors même, nous ne pourrons pas, je le crains, nous défendre toujours de songer avec quelque tristesse à cet idéal de pure et souveraine beauté que nous aurons contemplé jadis ; nous éprouverons par momens comme la nostalgie de la patrie perdue.


GEORGE PERROT.

  1. Voir, dans la Revue du 1er mars 1875, le Troisième Centenaire de l’université de Leyde.
  2. Dès 1852, il avait exposé ses idées à ce sujet dans un écrit intitulé Archœologische Studien zu einer Revision von Müller’s Handbuch der Archœologie (Wetzlar).
  3. Voir la Revue critique du 14 juin 1879.
  4. Staedteleben, Kunst und Alterthum in Frankreich ; Iéna, 1855. Ce voyage s’était terminé par une visite a Paris et à Anvers. On y remarquera ce qu’il dit du Louvre et de l’intérêt que prend à ses trésors et a ses acquisitions même le public sans culture spéciale, le public des dimanches.
  5. Nach dem Griechischen Orient, Reise-studien, avec une carte et une planche photographique, in-8o ; Heidelberg, 1874.
  6. Niobe und die Niobiden, in ihrer literarisclien, künstlerischen und mythologischen Bedeutung, avec vingt planches, gr. in-8o, 1863. On trouvera une liste à peu près complète des principaux travaux de Stark dans une intéressante notice que lui a consacrée le professeur Frommel sous ce titre : Karl Bernhard Stark, ein Ueberblick seines Lebens und Wirkens (dans le Jahresbericht de Bursian, 1880).
  7. Il n’y avait en 1873, de toutes les universités allemandes, qu’Erlangen, Giessen, Marbourg, Munster et Rostock qui fassent encore dépourvues d’une collection archéologique destinée au service de l’enseignement. Des universités de second ordre, comme Breslau et Wurzbourg, ont aujourd’hui des cabinets des plus importans. Nous ne parlerons ni de Bonn, dont le musée académique est célèbre, ni de Goettingue, ni de Munich ; mais nous signalerons ce fait qu’une simple école supérieure, comme Schulpforte, possède une galerie de plâtres, accompagnée d’un excellent catalogue dû à la plume d’un savant aussi compétent que M. Otto Benndorf. Pour plus de détails, on pourra consulter un travail publié en 1873 par B. Stark, sur l’Art et l’enseignement de l’art dans les universités allemandes.
  8. C’est ainsi que les choses sont réglées dans le Statut de l’Institut archéologique d’Heidelberg.
  9. On appelle ainsi le trait en creux destiné par un coup de ciseau sur la surface de l’argile encore molle ou de l’albâtre tendre, le trait qui forme l’élément premier des écritures de l’Asie antérieure ; de là le nom d’écriture cunéiforme qui est généralement employé aujourd’hui pour désigner ces systèmes de notation, moitié idéographiques, moitié syllabiques qui ont été employés pour écrire plusieurs langues très différentes.
  10. Ce beau livre, une des grandes œuvres historiques de notre temps, aurait dû être depuis longtemps traduit en français comme il l’était dans plusieurs autres langues de l’Europe ; M. Bouché-Leclercq vient de combler enfin cette lacune. Nous avons tout lieu d’espérer que les fascicules de la traduction qu’il a entreprise se suivront rapidement.
  11. Geschichte der bildenden Künste, 2e édition, corrigée et augmentée, avec des gravures sur bois dans le texte, 8 volumes in-8o, 1865-1873.
  12. Sous un même titre (Geschichte der Plastik), qui pourrait tromper au premier abord, Overbeck et Lubke n’ont écrit que l’histoire de la sculpture ; c’est là le sens restreint que le mot Plastik a pris dans la langue de la critique allemande. L’ouvrage d’Overbeck, très supérieur à celui de Lubke, mérite le succès qu’il a obtenu. On en annonce une troisième édition, qui comprendra l’étude des sculptures récemment découvertes à Olympie.
  13. Cet ouvrage (Geschichte der Kunst des Alterthums) a été traduit trois fois en français. La première version, publiée du vivant même de Winckelmann, a été désavouée par lui et fourmille d’erreurs et d’inexactitudes. La seconde a été donnée par Huber, à Leipzig (1781, 3 vol. in-4o) ; elle est déjà très supérieure. La troisième la meilleure, de Jansen, a paru à Paris (1798-1803, 3 vol. in-4o). A l’histoire de l’art se rattachent les Remarques sur l’histoire de l’art (1767, in-4o, en allemand). C’est une sorte de supplément au grand ouvrage dont Winckelmann voulait donner une nouvelle édition, que l’a empêché d’achever sa mort tragique et prématurée. On fera bien aussi de lire la préface des Monumenti inediti (Rome, 1867, 2 vol. in-f°, avec 208 planches). Nulle part Winckelmann n’a mieux exposé sa méthode.
  14. A qui veut se faire une idée des études de Winckelmann et de l’état où était alors la science, nous ne saurions trop recommander l’intéressant ouvrage de Karl Iusti, Winckelmann, sein Leben, seine Werke und seine Zeitgenossen (Winckelmann, sa vie, ses œuvres et ses contemporains).
  15. Exploration archéologique de la Galatie, de la Bithynie, d’une partie de la Mysie, de la Phrygie, de la Cappadoce et du Pont, par MM. Perrot, Guillaume et Delbet, 2 vol. in-f°. Sur les résultats ainsi obtenus, voir la remarquable étude de M. Soury, l’Asie-Mineure d’après les nouvelles découvertes archéologiques, dans le volume intitulé les Religions, les Arts, la Civilisation de l’Asie-Mineure et de la Grèce (1877).
  16. Elles avaient été trouvées en 1811 dans les ruines d’un temple à Égine par une société de fouilleurs à la tête de laquelle était l’architecte anglais Cockerell ; elles furent acquises en 1812 par le prince Louis de Bavière, et Thorwaldsen, à Rome, passa plusieurs années à en rapprocher les morceaux et à les restaurer. Ce fut en 1820 qu’elles furent exposées dans la Glyptothèque de Munich, telles qu’on les voit aujourd’hui.
  17. Ce fut cette même société qui fouilla en 1812 les décombres du temple de Bassæ et qui en tira toute une frise que le Musée de Londres acquit en 1815.
  18. The Antiquities of Athens, measured and delineated by J. Stuart and N. Revett ; Londres, 1761, in-f°.
  19. Expédition scientifique de Morée, ordonnée par le gouvernement français. Architecture, sculpture, inscriptions, mesurées, dessinées, recueillies et publiées par A. Blouet, A. Ravoisié, Alph. Poirot, F. Trézel et Fr. de Gournay, 1831-1837.
  20. C’est de 1845 que datent les restaurations du temple d’Athéné Poliade et du Parthénon, par Ballu et Paccard. Depuis lors, les pensionnaires de l’Académie ont dessiné et restauré sur le papier tous les monumens importans de la Grèce.
  21. En 1865, M. Joyau restaurait un des temples d’Héliopolis ou Balbek, en 1878, M. Bernier le Mausolée d’Halicarnasse, en 1879, M. Thomas le temple d’Athéné à Priène.
  22. En 1872, cette collection formait un ensemble de 61 restaurations, comprenant 691 dessins originaux sur papier grand aigle et formant la matière de 52 volumes reliés. C’est alors qu’a été décidée, grâce à M. Jules Simon, ministre de l’instruction publique, et à M. Charles Blanc, directeur des Beaux-Arts, la publication intégrale de cette suite de travaux, peut-être unique en son genre. Une commission, qui avait pour secrétaire Ernest Vinet, avait déterminé l’emploi du crédit de 20,000 francs, que la chambre, avec une libéralité qui l’honore, avait inscrit à cette fin au budget. Par malheur, cette commission décida de publier les restaurations non par ordre d’importance et de mérite, mais dans l’ordre où elles ont été composées. À ce compte, même en admettant que la publication marchât régulièrement, il faudrait attendre de bien longues années avant de voir paraître les travaux les plus intéressans, ceux qui ont pour objet les monumens de la Grèce propre. Quatre fascicules seulement ont paru, dont un seul, celui qui contient la Restauration des temples de Pœstum, par Labrouste, garde une véritable valeur ; on annonce déjà que la publication est suspendue, et il y a lieu de craindre qu’elle ne soit pas reprise.
  23. F. -C. Penrose, an Investigation of the principles of Athenian Architecture ; Londres, 1851, in-f°, avec planches.
  24. J.-J. Hittorf, Restitution du temple d’Empédocle à Sélinonte, ou l’Architecture polychrome chez les Grecs. Paris, 1851, in-4o, et atlas in-f°.
  25. Dans la Revue du 1er octobre 1879, M. Boissier a résumé les idées qu’a exposées à ce sujet l’homme qui connaît le mieux cette matière, M. Wolfgarg Helbig, auteur des recherches sur la peinture murale de la Campanie (Untersuchungen ueber die Campanische Wandmalerei ; Leipzig, 1873).
  26. Rapporto intorno i vasi Volconti (Annales de l’Institut de correspondance archéologique, t. III, p. 218).
  27. Un des premiers antiquaires qui aient soupçonné le profit que l’historien pouvait retirer de l’étude de tous ces menus objets, c’est le comte de Caylus. On consultera toujours avec profit l’ouvrage où il a rassemblé le fruit de toute une longue vie de voyages et d’intelligentes acquisitions qui le conduisaient à d’ingénieuses recherches sur les procédés techniques des anciens, poursuivies dans le cabinet et le laboratoire avec le concours d’hommes spéciaux (Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines, 6 vol. in-4o, 1752-1764. Supplément, 1 vol. in-4o, 1767).
  28. Recherches sur les figures de femmes voilées dans l’art grec ; Paris, 1873, in-4o. Recherches sur un groupe de Praxitèle d’après les figurines de terre cuite ; Paris, gr. in-8o, 1875. M. Heuzey prépare le catalogue des terres coites du Louvre et a commencé la publication d’un album où sont reproduits avec une intelligente fidélité les plus beaux de ces petits monumens.
  29. Nous signalerons particulièrement à la curiosité de ceux qui s’intéressent à cet art charmant les divers opuscules d’un jeune érudit qui connaît mieux que personne tout ce qui touche aux terres cuites grecques, M. Olivier Rayet, et particulièrement son étude intitulée, les Figurines de Tanagra au musée du Louvre, dans la Gazette des Beaux-Arts (avril, juin et juillet 1875). Un ancien pensionnaire de l’école d’Athènes, qui porte un nom bien connu des lecteurs de la Revue, M. Jules Martha, vient de donner un excellent Catalogue des figurines du musée de la Société archéologique d’Athènes (Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome).
  30. Pour l’histoire de l’Institut de correspondance archéologique, aujourd’hui l’Institut archéologique allemand, on consultera surtout la notice écrite à l’occasion de la fête où l’Institut a célébré, à Rome, en 1879, le cinquantième anniversaire de sa fondation. Elle est due à la plume de Michaelis, l’un des plus savans archéologues de l’Allemagne contemporaine, et elle porte le titre suivant : Storia dell’ instituto archeologico germano, 1829-1879, Strenna pubblicata nell’ occasione della festa del 21 aprile 1879, dalla direzione centrale dell’ Instituto archeologico ; Roma, 1879, in-8o. Elle a paru aussi en allemand.
  31. Léo Joubert, Essais de critique et d’histoire. Nous ne saurions trop regretter que la politique ait pris aux lettres et ne leur ait pas rendu ce critique si judicieux, très instruit des choses de l’étranger.
  32. Pour bien connaître Ottfried Muller et comprendre ce que l’on a perdu à sa mort, il faut lire l’étude si complote que lui a consacrée M. Karl Hillebrand, en tête de sa traduction de l’Histoire de la littérature grecque jusqu’à Alexandre le Grand. À la fin de cette notice, on trouvera une liste aussi complète que possible de tous les écrits d’Ottfried Muller.
  33. Kunstarchœologische Werke ; Berlin, Calvary, 1873.
  34. Handbuch der Archœologie der Kunst, 1 vol. in-8o. La traduction française, due à M. P. Nicard, forme trois volumes de la collection de manuels connue sous le nom d’Encyclopédie Roret. Elle a paru en 1841 ; le traducteur n’a donc pas profité des additions et corrections dont Welcker a enrichi l’édition qu’il a donnée en 1848. Ce qui rend pourtant cette version utile à consulter, ce sont les tables dont il l’a pourvue, tables qui manquent a l’édition allemande.