Traduction par Ernest Charrière.
Librairie de L. Hachette et Cie (1p. tdm).


TABLE DES MATIÈRES
DES DIX PREMIERS CHANTS.

Considérations sur Nicolas Gogol et la littérature russe. 
 i
LE CHEF-LIEU DE GOUVERNEMENT.
Tchitchikof. — Son entrée dans la ville. — Portrait de Tchitchikof. — Un garçon d’auberge. — Chambres d’hôtellerie en Russie. — Séliphane, le cocher du voyageur. — Installation du laquais Pétrouchka dansun réduit voisin de l’appartement de son maître. — Le voyageur descend dans la salle commune. — Le repas qu’il y prend. — Il adresse au garçon une foule de questions sur les principaux fonctionnaires du lieu. — Il demande s’il n’y a pas eu quelques cas d’épidémie dans le pays. — Sa bruyante manière d’éternuer lui concilie le respect des assistants. — Il remonte chez lui pour faire la sieste. — Il lui est demandé, selon le règlement de police, une note, sur sa personne. — Il inscrit : Le Conseiller de collège Paul Ivanovitch Tchitchikof, propriétaire terrier, voyageant pour ses affaires personnelles. — Description de la ville. — Une affiche de spectacle. — Paul, fils de Jean, prend le thé chez lui ; au thé succède un léger souper et un doux sommeil. — Le lendemain, visite à S. Exc. Mgr le gouverneur, visite au vice-gouverneur, au procureur fiscal, au président de cour, au maître de police, au fermier des eaux-de-vie, au directeur général des usines de la couronne, et à quelques autres puissances. — Ayant dit quelque chose de flatteur à chacun de ces messieurs et baissé modestement les yeux, d’un air fort ému, devant leurs dames, il en a pour huit jours à ne pouvoir suffire aux invitations. — Grande soirée chez le gouverneur. — Matinées. — Dîners. — Thés. — Bostons. — Il fait la connaissance de MM. Mantlof, Nozdref et Sabakévitch, propriétaires des environs. — Tchitchikof est content de la ville, et la ville encore plus contente de lui. 
 1

LA FAMILLE MANÎLOF.
Tchitchikof fait atteler pour aller voir Manîlof, qui lui a dit demeurer à quinze kilomètres de la ville. — Pétrouchka reste préposé à la garde des effets. — Portrait de Pétrouchka ; l’auteur s’excuse de présenter au public dédaigneux de Russie le laquais et le cocher d’un héros qui lui-même n’est ni prince, ni comte, ni baron, ni même général. — Tchitchikof franchit la barrière de la ville et une distance de quinze verstes, puis une seizième verste. — Là un paysan est interrogé sur le village nommé Manîlovka. — Après une demi-douzaine de verstes encore, Tchitchikof arrive enfin. — Description des localités. — Joie de Manîlof voyant venir une visite quelconque, puis reconnaissant Tchitchikof. — Insignifiance impatientante de certains personnages. — Portrait de Manîlof, en qui on voudrait voir une passion, une manie, un vice, afin de savoir de lui quelque chose. — Mme Manîlof est bien la femme de son mari, et tous deux sont bien les père et mère des petits Manîlof. — Manières cérémonieuses du couple sentimental. — Trio de louanges données sans restriction à toutes les notabilités de la ville. — Recrudescence de compliments mutuels. — La salle à manger, les enfants, leur gouverneur. — Manîlof fait briller à table l’instruction de ses héritiers. — Thémistoclus mord Alcide à l’oreille. — Manîlof, après le dîner, emmène son convive dans sa petite tabagie, qu’il nomme son cabinet — Tchitchikof, qui ne fume pas, se prête aux propos bucoliques et sentimentalistes de son amphitryon et en fait une transition pour savoir s’il est mort beaucoup de monde dans le village depuis le dernier cens. — L’intendant en apporte la liste. — Caractère et position de cet homme. — Tchitchikof veut avoir ces âmes mortes ; Manîlof craint un moment que son convive ne soit fou, puis il se rassure, revient aux propos idylliques, il promet d’aller à la ville, au premier jour, passer l’acte de vente de ses morts, et reçoit les tendres adieux de son ami. — Mme Manîlof et les deux jeunes savants au moment du départ. — Il est promis des joujoux. — Derniers efforts faits pour retenir l’aimable visiteur. Tchitchikof part. — Il y a de l’orage dans l’air. — Manîlof, toujours rêveur, rêve ce soir-là plus rêveusement que jamais ; une seule question l’interloque : « À quoi bon acquérir des âmes mortes ? » 
 20

MADAME KOROBOTCHKINE.
Heureuse disposition d’esprit du héros en s’éloignant de la maison de Manîlof. — Séliphane non moins satisfait ; ses longs discours adressés aux chevaux. — Le héros finit par s’apercevoir que son automédon est ivre. — Un ouragan. — Séliphane se jette dans les premiers chemins venus. — Pluie battante. — Fondrières. — L’équipage verse. — Reproches et menaces. — Soumission modeste du délinquant. — Un chien aboie, bon présage. — L’équipage relevé est lancé au petit bonheur, à fond de train, et arrive à une maison habitée — Notre héros est reçu et installé pour la nuit chez une vieille dame campagnarde qui le prend pour un riche colporteur pratiquant une foule d’industries. — Le lendemain, en s’éveillant, le héros reconnaît à divers signes que la dame jouit d’une grande aisance. — Il lui propose d’acheter ses âmes mortes. Il y réussit à force d’éloquence. — Espérances dont se berce la vieille dame. — Le héros part à la recherche de la grande route, guidé par une petite fille du village. — Il la renvoie contente dès qu’il a aperçu les toits d’une auberge. 
 52

NOZDREF.
Notre héros gagne l’auberge de la route. — Description du lieu. — Ce que c’est qu’un estomac russe dans la province. — Le héros se fait servir un déjeuner plus qu’abondant, comme s’il eût été à la diète depuis deux jours. — Il cause avec la servante. — Nozdref et un beau-frère blond. — Ce que c’est que Nozdref, ses équipées foraines. — Il s’acharne à entraîner le héros chez lui, — Il entraîne aussi l’honnête beau-frère, mari de sa sœur, ennemi des popinations. — Désordre dans la maison comme dans la tête de Nozdref. — Celui-ci montre en détail son domaine. — Ses hâbleries de tout genre. — Le beau-frère blond est un personnage incommode aux hâbleurs ; notre héros est plus facile. — Après un dîner long et surabondamment arrosé, le beau-frère parvient à fuir ; Tchitchikof est forcé de jouer ; mais d’abord il pressant son hôte sur les âmes mortes de son domaine. — Nozdref a un langage et des manières terribles, outre cela il triche au jeu. — Grande querelle qui’se renouvelle le lendemain matin avec violence, chacun estimant bien que l’autre mérite au moins la potence. — Heureuse fuite du héros, providentiellement favorisée par l’incident de l’arrivée d’un magistrat. 
 89

SABAKÉVITCH.
Notre héros et Séliphane et le troïge fuient en toute hâte, tous également mécontents, par des motifs divers, de la redoutable hospitalité de Nozdref. — Rencontre d’un fougueux attelage de six chevaux, tirant une élégante calèche. — Choc terrible des neuf bêtes. — Plusieurs paysans accourent ; en une demi-heure de travail l’ordre est rétabli. — La calèche croise la britchka et Tchitchikof reprend sa route, entièrement distrait de ses récentes terreurs. — Il fait des réflexions du genre le plus positif sur la ravissante jeune demoiselle qu’emportait la calèche et qu’il avait contemplée avec extase. — La raison chez lui l’emporte toutefois de beaucoup sur la poésie de ces angéliques et fortuites apparitions. — Il s’aperçoit qu’il est sur les terres de Sabakévitch. — Il arrive à la maison du maître. — Il est reçu par Sabakévitch et présenté à madame, comparse qui trône en reine, et, le plus souvent, se tait en esclave. — Tchitchiykof, pour entretenir inoffensivement la conversation, tente de louer ses illustres connaissances de la ville. — Autant sont nommées, autant sont mises en quartiers par l’homme dont la langue n’est pas moins terrible que les pieds. — On se met à table ; Sabakévitch, à propos des mets qu’il sert, fait un tableau très-fâcheux de la cuisine des autres. — Chez lui, il est vrai, tout est de première qualité et en surabondance. — Il vend à notre héros toutes ses âmes mortes de serfs mâles à deux francs soixante centimes, après en avoir demandé cent francs, puis cinquante, puis trente, et il propose les âmes mortes femelles, et, sur le refus de Tchitchikof, il dit : « C’est juste ; l’un aime le pope, l’autre aime la popesse. » — Les terres de Sabakévitch, le bourru accommodant, sont contiguës à celles d’un homme très-riche, nommé Pluchkine, chez qui Tchitchikof va se rendre, attiré par tout le mal qu’on dit du richard. — Éloge de l’idiome russe. 
 134

PLUCHKINE.
Tchitchikof entre sur les terres de Pluchkine. — Aspect général de misère, de ruine, de désolation. — Beauté sui generis de ce spectacle. — On reconnaît partout en lugubre la trace de l’opulence des anciens seigneurs de la localité. — Bâtiments de l’habitation seigneuriale. — Deux églises, l’une en bois, l’autre en pierre, également détériorées et mornes, semblent être là pour marquer, le centre de cette espèce de gigantesque nécropole. — Une télègue chargée et recouverte de nattes pénètre dans la cour domaniale. — Une figure équivoque vient faire querelle au charton. — Pluchkine. — Notre héros est introduit dans la maison. — Longue et dramatique conversation. — Mœurs et caractère de Pluchkine. — Tchitchikof achète environ deux cents âmes, tant en morts qu’en fugitifs, et il se hâte, joyeux, de regagner la ville. — Retour à l’auberge. — Pétrouchka prétend avoir aéré la chambre ; on ne s’en aperçoit point. — Tchitchikof jouit au reste d’un sommeil parfait : deux journées de grands et signalés travaux lui avaient bien mérité cela. 
 169

LES TRIBUNAUX ET LA POLICE.
Profession de foi littéraire du poète. — Talent de son héros pour la rédaction des papiers d’affaires ; ses réflexions sur ses acquêts et sur ses vendeurs. — Il se rend aux tribunaux ; il rencontre, chemin faisant, le bon Mantlof qui s’y rendait de son côté. — Aspect des greffes. — Manèges des greffiers. — Introduction dans la salle d’audience. — Sabakévitch. — Le président. — Baisers échangés, conversations et félicitations. — On envoie quérir des témoins. — Transes passagères de Tchitchikof. — L’affaire marche comme sur des roulettes. — On va arroser le marché, d’après le conseil du président, chez le maître de police. — Un whist. — Les apéritifs de la prégustation. — Grand déjeuner dînatoire où tous les caractères se dessinent à l’insu des personnes. — Étourdissantes ovations faites à Tchitchikof. — Il rentre enfin très-gai à son auberge. — Touchante affection mutuelle de Séliphane et de Pétrouchka ; comment ils se réjouissent du contentement évident de leur maître. 
 206

LE BAL DU GOUVERNEUR.
Tchitchikof est l’unique objet de toutes les conversations ; il rêve bonnes fortunes. — Invitations. — Bal chez le gouverneur. — Nombreux amis dévoués. — Les dames font cercle autour de lui. — Il a reçu le matin un billet parfumé ; comment en deviner l’auteur ? — Apparition de la charmante jeune blonde qu’il avait vue lorsqu’il fuyait de chez Nozdref et gagnait le manoir de Sabakévitch. — C’est la fille du gouverneur. — Il se trouble. — Les dames le plaisantent. — Distrait, amoureux, sans espoir, il manque en un point léger aux convenances. — Tout le beau sexe se tourne contre lui. — On lui attribue des vers satiriques qui courent dans le bal. — Nozdref paraît ; il raille cruellement Tchitchikof sur ses achats d’âmes mortes. — On s’étonne même de ce mot ; bientôt la position n’est plus tenable, et il se retire avant la fin du souper. — Il veille plein de dépit dans sa chambre d’auberge. — Une autre ennemie vient d’arriver dans la ville. — Mme Korobotchka (Korobotchkine) ; scrupules qu’elle a sur l’honnêteté de la vente qu’elle a faite au soi-disant marchand Tchitchikof. 
 238

LES ÉMOTIONS D’UNE PETITE VILLE. — LA POPULATION
ENTIÈRE EST SUR LES DENTS.
Les mille et une petitesses des petites villes. — Caquets, conjectures à perte de vue. — Préoccupation principale des femmes ; Tchitchikof veut sûrement enlever la fille du gouverneur. — Préoccupation des hommes : Qu’est-ce, au fond, que ces âmes mortes ? et qu’est-ce que Tchitchikof lui-même ? — Des circonstances multiples viennent s’accumuler comme pour mettre les esprits à la torture. — Il est beaucoup parlé de la nomination et de la prochaine arrivée d’un nouveau gouverneur civil. — Sur ce seul bruit pas un employé, pas un magistrat qui ne fasse son examen de conscience et ne s’efforce de mettre ordre aux affaires. — Mais toujours faudrait-il bien savoir ce que c’est que ce Tchitchikof, objet des propos passionnés et contradictoires de la ville et des champs ; est-ce un homme qu’il faudrait arrêter ? ou n’est-ce pas un homme à carte blanche, bleue ou verte, et qui lui-même pourrait faire arrêter tout le monde ? — Et la dame Korobotchka avec ses récits fantastiques. — Incertitude, malaise, stupeur générale. 
 274

LE DÉNOÛMENT PAR LA FUGUE DU HÉROS.
Les employés se réunissent chez le maître de police. — Ils se livrent à de nouvelles conjectures sur Tchitchikof. — Des ordres sont arrivés de rechercher des faux-monnayeurs et des brigands. — Tchitchikof ne serait-il pas le capitaine Kopeïkine ? — Naïveté de cette supposition, Kopeïkine n’ayant qu’un bras et qu’une jambe. — Mais ne serait-il pas Napoléon échappé de Sainte-Hélène ? — Ou ne serait-ce pas bien plutôt l’antechrist, objet de graves préoccupations populaires à une époque où le mysticisme était de mode jusque dans les plus hautes régions de la société ? — On ne croit jamais un mot de ce que dit Nozdref. N’importe, il est encore en ville, on l’envoie inviter, on le questionne ; il déblatère, et le cénacle tremble. — Nozdref, en sortant de là, court à l’auberge de Tchitchikof, dont il espère soutirer une bonne somme d’argent, en mettant sur le compte des habitants tous les propos qu’il vient de tenir lui-même, enchérissant sur les plus absurdes et les plus horripilants. — Tchitchikof, alarmé, prend le parti de quitter la ville le lendemain de cette fâcheuse visite ; il veut que sa britchka soit prête dès l’aurore ; il donne ses ordres en conséquence et se met au lit. — Pendant qu’il repose innocemment, les propos de Nozdref font leur chemin et les dames, plus éveillées que jamais, colportent de maison en maison leur découverte que notre héros est faux-monnayeur, chef d’une troupe de brigands redoutables, espion de police, polygame ; qu’il vient, avec l’aide de Nozdref, qui n’en disconvient pas, d’enlever la fille du gouverneur, et que le prêtre de tel village les a mariés dans les formes pour soixante-quinze roubles. — Séliphane paraît fort contrarié de l’ordre d’être prêt au départ pour l’aube du jour. 
 303

fin de la table du premier volume.


TABLE DES MATIÈRES
DES DIX DERNIERS CHANTS.

Considérations sur Nicolas Gogol et la littérature russe. 
 i
DÉPART POUR DE NOUVELLES EXPÉDITIONS.
Épreuves et surprises inséparables de tout départ précipité. — Départ de Tchitchikof. — Rencontre d’un convoi funèbre au détour d’une rue. — Notre héros y voit un présage favorable. — Grandes méditations au bercement de la britchka. — Images diverses du pays. — Réflexions personnelles qui donnent au poète l’occasion d’exposer tout le passé de son héros presque endormi : Naissance. — Première enfance. — Premiers traits de caractère. — Éducation à l’école ; éducation à la maison. — Admission au service de la couronne. — Comment, dans la plus humble position, il se concilie la bienveillance d’un supérieur peu enclin à ce sentiment. — Par quels moyens les justiciables et administrés doivent prévenir les temps d’arrêt si fréquents dans les affaires. — Autrefois et aujourd’hui. — Tchitchikof monte un joli petit ménage de célibataire. — Ses délicatesses. — Il passe au service des douanes ; il s’y distingue, comme simple douanier, par son zèle et sa probité. — Plus tard, promu en grade, il se distingue autrement, mais toujours avec zèle ; aussi devient-il riche, et les juifs de la frontière, qu’il avait appauvris, ne se plaignent plus que par habitude. — Fâcheuse querelle avec un camarade de service. — Scandale. — Confiscation de tout ce qu’il possédait, sauf le peu qu’il avait mis à l’ombre. — Tchitchikof intendant d’un beau domaine hypothéqué et ruiné à fond. — Idée lumineuse qu’il doit à un employé bel esprit d’un bureau d’enregistrement. — Il quitte sa place d’intendant et se décide à aller acheter des âmes mortes de préférence dans les lieux où l’épidémie a exercé le plus de ravages. — Discussion de l’auteur avec lui-même sur son sujet, ses personnages et le genre de ses tableaux. — Tchitchikof, qui s’était endormi dans sa britchka, se réveille, et aussitôt il gronde Séliphane de ne pas lancer son troïge à toute vitesse. — Tout Russe aime la vitesse, et la Russie elle-même tout entière se précipite volontiers à fond de train dans l’espace, chaque fois qu’elle se réveille et se sent en bon équipage de course. 
 1


TÉNTËTNIKOF OU CHAGRINS D’AMOUR.
Tchitchikof entre dans un pays admirable ; il avance vers le point où se découvre un très-gros village dominé par la coupole dorée de l’église et par les toits à belvédère et les attiques de l’habitation seigneuriale. — Portrait du propriétaire d’après les divers témoignages de ses voisins. — C’est un être humain, qui fume afin de bouder sans remords. — Son entourage immédiat. — Son nom : André Téntëtnikof. — Exposé, à propos de M. André, de toutes les idées de l’auteur sur le meilleur système d’éducation, puis son opinion sur le service public, et sur les salons de la grandesse russe, et sur ce que doit avoir en vue un gentilhomme qui, dégoûté du monde, se retire dans son domaine. — Scènes de l’installation d’un seigneur dans ses terres. M. André amoureux. — La vie est comme suspendue dans tout le domaine par suite de l’état où le jette une brouillerie avec le père de son amie. — Tchitchikof veut reconnaître la noble hospitalité qu’il reçoit de l’excellent M. André en allant, presque malgré son hôte, faire diplomatiquement quelques visites au général Bétrichef et, partant, à la belle Julienne, sa fille. — M. Téntëtnikof met une voiture à la disposition de notre héros pour qu’il suive sa fantaisie, à la condition que ce qu’il dira et fera n’ait point l’air d’une soumission à un homme qui, du seul droit de sa graine d’épinard, se permet, à ses heures, de tutoyer sans façon les voisins et gens de connaissance.
49


UN VIEUX DÉBRIS DE 1812.

Avenue et aspect extérieur de î’habitation des Bétrichef.— Portrait du général. — Tchitchikof est introduit. — Il se sent d’abord assez intimidé et balbutie quelque temps en y mettant peut-être aussi un peu d’intention ; puis il compose assez bien sa personne et ses discours pour être souffert et même pour se faire écouter. Bientôt il amène habilement l’occasion de nommer M. Téntëtnikof, qu’il dit très-occupé… De quoi ? De la gloire de son pays. Mais encore ? Il écrit… l’histoire des généraux de 1812. — Mlle Julienne apparaît dans le cabinet où ils étaient. — Elle plaide la cause de M. André contre les préventions de son père, préventions qu’elle sait être nourries par un tiers qu’elle juge abject et perfide. — Tchitchikof fait de l’esprit ; il égaye la conversation ; la gaieté gagne, et, peu à peu, envahit le général. — Notre héros pousse à l’anecdote, et il en sait de bonnes. — Un accès de gros rire s’empare du général et ne le quitte plus, sauf un instant où la noble Julienne déclare les faits racontés déplorables, et non risibles. — Tchitchikof est retenu pour le dîner. — Il assiste à la toilette du général. — Il profite du moment de favorable disposition et de longues ablutions à très-grande eau de Bétrichef pour le prier de lui vendre ses âmes mortes, en lui improvisant une histoire d’oncle riche et fantasque, qui le fera son héritier dans le cas où, d’abord, il saura s’enrichir vite lui-même. — Bétrichef est si heureux de s’égayer sur l’ânerie de cet oncle imaginaire, qu’il donne pour rien toutes ses âmes mortes, mâles et femelles. — On passe à la salle à manger. 97


LACUNE ET HYPOTHÈSE.

Ce chant manque en entier dans les manuscrits connus de l’auteur, quoiqu’on puisse inférer de quelques indications écrites au crayon en rapide sommaire que Gogol se proposait de raconter ici comme quoi Ténëtnikof le boudeur, à la pressante sollicitation du héros de cette odyssée stépienne, vient faire une grande visite de cérémonie au général Bétrichef ; comme quoi, dans l’une des visites qui s’ensuivirent, il s’enhardit à demander au général la main de Mlle Oulinnka. Le général, suivant quelques notes, se réserve un mois de réflexion ; mais il ne tarde, pas à se montrer tout à fait favorable à cette alliance. Bétrichef, ayant enfin donné de très-bonne grâce son consentement, envoie Tchitchikof annoncer de sa part cette résolution à quelques membres de sa famille, et entre autres au colonel Kochkarëf, personnage frappé d’une idée fixe persistante qui le fait passer pour fou.
Nous procédons encore par induction dans la version que nous substituons ici pour remplir cette regrettable lacune. Ces légères variantes, qu’on peut d’ailleurs comparer avec la version qui vient d’être indiquée, sont motivées toujours par les actions déjà connues des personnages et ont pour but de mettre d’accord les détails qui précèdent avec ceux qui vont suivre. 114


DEUX ORIGINAUX, CHACUN DANS SON GENRE.

Notre héros en superbe équipage est égaré par la faute de ses gens. — Scènes de pêche. — Un gentilhomme qui fiotte en balise sans danger de sombrer. — Riche coup de filet qu’il semblait lui-même convoyer à fleur d’eau. — Le hobereau-balise se trouve être un fieffé viveur. — L’intérieur et les fils de ce gentilhomme ; leur perspective d’avenir. Un convive survient. Joie de l’amphitryon. Dîner pantagruélique. — Contraste : Péetoukhof qui vit trop, Platônof qui vit trop peu. — Notre héros est frappé de la disposition spleenique de ce dernier et y prend assez d’intérêt pour lui faire une gracieuse proposition. Il est convenu qu’ils vont partir ensemble et voyager de conserve. — Leur hôte les retient de force pour vingt-quatre heures encore. — Manière dont il emploie son reste de soirée dès que ses convives se sont retirés. — Emploi du jour suivant : promenade sur l’eau, chants. — Les pêcheurs à la fin de leur journée. — Départ de Platônof en compagnie de Tchitchikof, qui consent à passer chez la sœur et le beau-frère de son compagnon. — Mme Constanjoglo est d’abord seule à la maison. Le mari rentre peu après, suivi d’un groupe de campagnards qu’il congédie. — Tchitchikof est touché de l’harmonie qui règne dans cette maison, dans ce ménage, dans ce beau domaine. — Il désire s’instruire des moyens par lesquels on aménage un bien de manière à lui faire produire le double et le triple de ce que donnent les terres voisines. Mais un devoir impérieux l’oblige à faire une excursion chez le colonel Kochkaref. 118


LE FOU ET LE SAGE DANS LES STEPPES.

Tchitchikof va faire sa visite au colonel Kochkarëf et vérifier par lui-même la justesse de l’opinion publique sur ce seigneur ; là, tout était donné à la forme et à la vaine apparence. Le colonel touche au moment de sa ruine la plus radicale ; et, plus fanatiquement que jamais, il joue aux formes administratives et gouvernementales en y employant un savoir et une patience dignes d’une meilleure application. — Notre héros se sauve de là en quelque sorte par la fuite, et, de retour chez Constànjoglo, il voit avec extase et finit par comprendre, d’après les chaudes explications de son hôte, ce que c’est pratiquement que la vraie bonne économie rurale. — Platônof n’avait pas le sens de ces choses-là ; notre héros, tout au contraire : car, retiré plus tard dans la chambre qui lui fut assignée, il ne rêva plus jusque vers minuit qu’engrais, emblavures, aménagements de bois, ordre des travaux, ménage, conserves, ratafias, bonne et jolie jeune femme et gracieux enfants… tout un paradis… et des revenus superbes ! 119


KHLOBOUËF. — LUXE ET INDIGENCE. — TCHITCHIKOF EN VEINE D’ACQUISITIONS TERRITORIALES.

Constànjoglo prête sans intérêt une forte somme à Tchitohikof. — Il lui fait les honneurs de ses belles exploitations. — Il l’accompagne avec Plàtônof chez Khlobouëf. — Promenade des quatre personnages dans un domaine en complet désarroi. — Khlobouëf, sain d’esprit et de cœur, extravagant dans sa conduite. — Constânjoglo excite Tchitchikof à se rendre vite acquéreur de cette terre. — Khlobouëf attire chez lui Plàtônof et Tchitchikof. — Tchitchikof fait prix pour le domaine de son hôte et devient propriétaire. — Khlobouëf parle d’une vieille tante millionnaire qu’il a à la ville et qu’il néglige. — Tchitchikof est scandalisé de ce mépris des millions. — Énigme indéchiffrable de l’existence dispendieuse de certaines gens sans pain. — Plàtônof part avec Tchitchikof, qu’il présente bientôt à son frère Basile. — Difficulté qu’éprouve Tchitchikof à gagner la confiance de ce dernier. — Un voisin, nommé Lénitsyne, a usurpé sur les frères Plàtônof un terrain auquel ils tiennent beaucoup. — Tchitchikof se charge d’aller amadouer et mettre à la raison ce fier voisin.— Tchitchikof chez Lénitsyne. — Son heureux succès dans cette maison dû à l’effet qu’il sait y produire, et surtout à une circonstance grotesque. — Tchitchikof gagne l’affection dévouée des deux Plàtônof. — Il part pour la ville. — Il est présenté chez la vieille dame aux millions. — M. de Lénitsyne, nommé gouverneur civil, est bientôt légataire universel de la vieille. — Mauvais bruits de ville. — Tchitchikof un moment compromis. — Menaces et apaisement du gouverneur général militaire. — Khlobouëf au convoi funèbre de la tante qui l’a déshérité. — Tchitchikof a engagé presque toutes ses âmes mortes, et on croit qu’il a revendu sous main sa propriété. — Il a beaucoup, beaucoup d’argent. 180


DEUX TESTAMENTS. — UNE FOIRE. — UN AVOCAT. — UN SAINT HOMME.

Tchitchikof devrait partir. — Il est retenu par l’attrait de la grande foire locale. — Il fait des emplettes chez un juif à mine de contrebandier. — M. de Lénitsyne entre et prend notre héros à part. — Il est très-alarmé de la découverte d’un testament précédent. — Tchitchikof le rassure. — Peu rassuré lui même, Tchitchikof va consulter un avocat fameux. — Celui-ci écoute, puis il se fait donner de l’argent. — Devinant la position très-critique du client, il promet d’agir, de rendre les faits compliqués, monstrueux, inextricables ; et il lui recommande, quoi qu’il dise ou fasse, quoi qu’il lui arrive, le calme le plus absolu. — Tranquillisé par cet expert en chicane, il se pavane dans sa calèche. — Il va choisir du drap pour un habit complet. — Le drapier le décide pour une teinte flamme et fumée de Navarin. — Khlobouëf entre dans le magasin. — Tchitchikof se détourne. — Khlobouëf lui en fait la remarque. — En ce moment entra le riche fermier Mourâzof, homme de probité connue et de haute pieté, qui n’était venu là que pour donner rendez-vous chez lui à Khlobouëf. — Propos des chalands du drapier sur la grande fortune de Mourâzof. — Khlobouëf sort et rattrape Mourâzof à sa porte. — Mourâzof sonde ce pauvre gentilhomme et trouve en lui un fonds excellent. — Il lui propose une mission qui tend à le relever comme chrétien en l’humiliant comme gentilhomme. — Ce point réglé, ils parlent confidentiellement de Tchitchikof et du récent testament de la millionnaire défunte. — Tous les deux tiennent Tchitchikof au moins pour très-suspect de menées et d’intrigues ; mais ni l’un ni l’autre n’a de haine contre lui. — Mourâzof a même plutôt de la pitié pour ses erreurs que de l’antipathie pour sa personne. 224


ARRESTATION ET DÉLIVRANCE.

Le dernier testament de feu Mme Khanassarof est argué de faux. — Les dénonciations affluent de tous les côtés contre Tchitchikof. — Il reçoit du jurisconsulte Holdecrock un billet rassurant. — Le tailleur lui apporte un habit qui lui sied à ravir. — Tchitchikof se dispose à s’aller montrer chez quelques personnes ; mais tout à coup le général gouverneur le fait jeter sans forme de procès dans un affreux cachot. — Humilité sans bornes de notre héros. — Visite de Mourâzof au prisonnier. — Mourâzof s’engage à parler en sa faveur. — Resté seul, il se livre à de sages réflexions. — Sa rêverie est interrompue par la visite d’un employé nommé Samosvistof, qui lui apporte d’excellentes nouvelles. Moyennant une somme de 30000 roubles ; il peut recevoir : 1° sa cassette et tous ses effets dans moins d’une heure ; 2° son acquittement et, par suite, sa liberté complète quelques heures après. — Il accepte avec empressement ce marché. — Une demi-heure après ses effets lui sont livrés. — A cette vue, il se fait servir dans son cachot un dîner fin et copieux. — Mourâzof survient, le trouve à table, calme, joyeux, couvert de bons vêtements chauds, et il devine que des gens de sac et de corde ont passé par là. — Il annonce à notre héros qu’il est libre, à la seule condition de partir au plus tard dans les vingt-quatre heures et de ne plus jamais reparaître dans la ville. — Tchitchikof, en sortant de prison, retrouve ses domestiques, à qui il donne divers ordres relatifs au départ. — La route d’hiver est bonne. — Il a fait mettre sa calèche sur patins. — Il part sans avoir pour le moment d’autre but que de s’éloigner d’un lieu si peu sûr. — Mercuriale que S. Exc. M. le général gouverneur adresse à une réunion générale de tous les fonctionnaires et employés. Elle amène la demande de démission spontanée des plus grands fauteurs de désordres et en même temps de l’honorable M. de Lénitsyne, à qui il reste plusieurs millions de fortune pour fiche de consolation. — La fortune du bon Khlobouëf est rétablie aux frais de Lénistyne sur un meilleur pied qu’elle ne l’avait jamais été. 248


MISÈRES ET GRANDEURS DE TCHITCHIKOF. — SES OPINIONS AU SEIN DE LA FORTUNE.

Tchitchikof à son réveil va enlever trois caisses en dépôt chez un certain Dobriakof. — Arrivé à un repos de chasse princier il en sort enrichi d’une somme considérable. — Il est sur le point d’épouser une belle châtelaine millionnaire. — Un ennemi du général Bétrichef. — Il donne son dernier bal. — Assassinat aux baisers. — Un hobereau maquignon. — Assassinat aux chevaux fougueux. — Vertiges auxquels les gentillâtres des deux sexes sont sujets dans les pays des steppes. — Fuite sur fuite. — Le prince anglomane. — Un partage de succession. — Tchitchikof est arrêté dans une auberge. — Un gorodnitchii ou maire qui a des procédés. — Il sauve son prisonnier ; il sauvegarde la fortune de Tchitchikof et lui donne sa fille. — Celle-ci devient le type de la dame provinciale russe. — Tchitchikof père de famille. — Il lui nait un enfant par an. — Velléités de voyages après dix ans d’un bonheur et d’une prospérité monotones. — Un voyage interrompu. — Nouveaux rêves d’excursions — Les élections des magistrats. — Intrigues des candidats. — Tchitchikof se croit un moment nommé maréchal de la noblesse de son district. — Il est maintenu second candidat sur les listes pour les élections triennales suivantes. — Vieillesse honorée de Tchitchikof. — Ses habitudes, ses principes, ses sentiments, ses opinions sur la question brûlante de l’abolition du servage. — « Et si omnes pro, ego contra » est sa devise. — Tchitchikof n’est peut-être pas mort. — En tout cas, Tchitchikof est immortel. 196


FIN DE LA TABLE DU SECOND VOLUME.



Paris. — Imprimerie de Ch. Lahure et Cie, rue de Fleurus, 9.