Le tour du Saguenay, historique, légendaire et descriptif/07



IV

UN PAYS TOURMENTÉ.




La « contrée » des tremblements de terre — La Baie Saint-Paul — Légendes et Traditions — Les Éboulements — Saint-Irénée — Les Anglais dans Charlevoix en 1759.




NOUS arrivons à la Baie Saint-Paul après avoir contourné le cap Saint-Joseph vis-à-vis le bas de l’Île-aux-Coudres. La ville est bâtie tout au fond de la Baie et la gare s’élève tout près. Le quai, construit aux pieds de crans abruptes, est éloigné du village de plus de deux milles. Dans la baie se décharge la Rivière-du-Gouffre. Ce maëlstroom était autrefois l’effroi de tous les navigateurs. C’est là où, par les marées baissantes, les divers courants des îles situées plus haut, se rencontrent et viennent frapper la plage de l’Île-aux-Coudres, vers la Pointe-au-Pic, puis rebondissent sur le côté opposé de la Baie en nombreux tourniquets. Aujourd’hui, le gouffre s’emplit peu à peu de sable et il n’est plus méchant.

M. l’abbé Chs Trudelle, un des premiers curés de la Baie Saint-Paul, a fait de magnifiques descriptions de cette place dont il dit qu’il n’est pas dans le pays une seule paroisse qui offre « autant d’intérêt au touriste, au poète et au naturaliste que la Baie Saint-Paul ».

La Baie Saint-Paul fut fort malmenée par les tremblements de terre de 1663. L’histoire de la Baie Saint-Paul remonte jusqu’aux premières années de la colonie française. Un vieux mémoire dit : « La Baie Saint-Paul est la première terre habitée que l’on rencontre du costé nord en venant de France ; elle est enfoncée une lieue dans les terres, distante de Québec de 15 lieues et 7 du Cap Tourmente. Les chemins sont très difficiles et dangereux. Il y a 3 familles et 31 âmes ; on y dit la messe dans une chapelle domestique. »

Les trois premières familles de la Baie Saint-Paul étaient celles de Noël Simard, de Pierre Tremblay et de Pierre Dupré. Aujourd’hui, les Simard et les Tremblay forment près d’un tiers de la population de la Baie Saint-Paul. Ils sont si nombreux que pour les distinguer entre eux, aujourd’hui, on doit faire suivre le nom de chacun d’eux des noms du père, du grand-père et même souvent de l’arrière-grand-père. Ainsi, l’on dira, en parlant d’un jeune Joseph Simard, qui a déjà cinq ou six homonymes dans la paroisse : Joseph à François (le père), à Benjamin (le grand-père), à Gaspard (l’arrière-grand-père).

En 1685, un prêtre, M. l’abbé Pierre-Paul Gagnon, s’étant fixé à la Baie Saint-Paul, cette dernière place devint le chef-lieu de toutes les paroisses embryonnaires des alentours : Saint-Urbain, en arrière de la Baie Saint-Paul, Sainte-Agnès, en arrière de la Malbaie, l’Île-aux-Coudres, les Éboulements, la Malbaie et la Petite-Rivière.

Lors de la prise du pays par les Anglais, en 1759, la Baie Saint-Paul eut sa grande part des malheurs de la guerre. Le capitaine Gornham, à la tête d’un détachement, le 4 août 1759, se rendit à la Baie Saint-Paul où il eut beaucoup de peine à débarquer, à cause de 200 hommes qui se montrèrent très actifs dans le feu qu’ils dirigèrent sur les barques anglaises. Ces hommes durent finalement reculer dans les bois et abandonner le village qui fut brûlé. Gornham, dans la même expédition, avait détruit le village de la Malbaie, une partie de la paroisse de l’Île-aux-Coudres et, sur la rive sud, les villages de Saint-Roch et de Sainte-Anne. Ce général, dans son rapport, dit qu’il n’eût qu’un homme de tué à Baie Saint-Paul, mais la tradition de la paroisse veut qu’il y en eût au moins une dizaine. Les Anglais tuèrent deux Canadiens et en emmenèrent deux autres, un nommé Tremblay et le fameux Jean-Baptiste Grenon, qui a laissé une réputation de force incroyable. Les Anglais firent peur à Tremblay de la façon suivante, une fois sur leurs barques : « Ils le firent asseoir et le lièrent sur une planche pour l’élever en haut des vergues et le lancer ensuite à l’eau. Il avait été condamné à souffrir trois fois ce jeu cruel, mais il expira au troisième coup. »

M. l’abbé Chs Trudelle, qui raconte cette tradition dans ses Trois Souvenirs, ajoute au sujet de Grenon :

« On voulut ensuite en faire autant à Grenon, mais cet homme était d’une force herculéenne et prodigieuse, de sorte qu’on ne put jamais lui faire courber le jarret pour l’asseoir sur la planche fatale. Le capitaine Gornham, voulant sans doute conserver la vie à un homme aussi extraordinaire, lui fit lier les mains derrière le dos et voulait l’amener au Sault Montmorency. Mais pendant qu’il était à bord, un matelot fort et robuste prenait plaisir à donner, de temps en temps, des petits soufflets sur le nez de Gagnon que cette insulte faisait pleurer de rage. Enfin, ne pouvant plus y tenir, il conjura le capitaine de lui délier les mains et de lui donner sa chance contre cet insolent matelot, ce qui lui fut accordé. Nonobstant cela, le matelot voulut continuer son amusement, mais bien mal lui en prit car, du revers de la main seulement, Grenon l’étendit sur le plancher où il expira quelques minutes après. Gornham, plein d’admiration et comme stupéfait, le fit conduire à terre sans lui faire aucun mal. Grenon regagna en toute hâte la Baie Saint-Paul par les Caps. On cite de Grenon bien d’autres faits aussi extraordinaires et presque incroyables. Sa réputation était telle qu’aujourd’hui on dit encore en proverbe, dans tout le pays de Charlevoix : « fort comme Grenon ».

Ajoutons qu’une de ses filles, Marie, avait hérité de cette force et l’on raconte d’elle aussi des tours de force merveilleux.

Quittons maintenant la Baie Saint-Paul, au souvenir rapidement évoqué de Marie Grenon, et arrivons aux Éboulements.

Bien haute sur la crête des Laurentides, ou aperçoit d’abord une jolie église : c’est l’église paroissiale. À un mille à l’ouest, entouré de jardins, de petits parcs et de massifs, s’élève l’historique manoir de Sales, dont le respecté seigneur, autrefois, « dans son carrosse antique, orné des armoiries de famille, traîné par une blanche haquenée, rappelle les temps d’autrefois, le siècle de Louis XIV », nous dit l’abbé Casgrain. La paroisse des Éboulements fut érigée en 1832 sous le patronage de l’Assomption de Notre-Dame. En arrière du village, les montagnes s’étagent jusqu’à atteindre 2,500 pieds de hauteur. C’est aux Éboulements que se trouvaient autrefois les fameuses Réserves du Clergé ».

Ce fut entre les Éboulements et Tadoussac que se firent sentir avec le plus de violence les tremblements de terre qui, en 1663, semèrent la terreur dans toute la partie du Canada qui est aujourd’hui la province de Québec. Les secousses commencèrent le 5 février et on les éprouva souvent deux ou trois fois par jour, jusqu’au 30 août. Bien des changements s’opérèrent dans la configuration du sol ; des coteaux s’affaissèrent, de nouveaux lacs apparurent et des rivières changèrent complètement leur cours. De grandes forêts furent renversées. La physionomie de toute la côte fut très sensiblement modifiée.

Cette partie du pays fut encore visitée par des tremblements de terre en 1791 et en 1870. Un témoin oculaire, Messire J.-B. Plamondon, décrit, sous des couleurs terribles, le tremblement de terre du 20 octobre 1870, dans une correspondance publiée dans le Journal de Québec. Il y eut plusieurs blessés mais pas de morts. Les dommages furent considérables. Le Père Lalement dit au sujet du tremblement de terre de 1663 :

« Vers la Baie Saint-Paul, il y avait une petite montagne sise sur le bord du fleuve, d’un quart de lieue ou environ de tour, laquelle s’est abysmée et, comme si elle n’eut fait que plonger, elle est ressortie du fond de l’eau pour se changer en islet et faire d’un lieu tout bordé d’écueils, comme il estait, un hâvre d’assurance contre toutes sortes de vents. »

« On serait tenté de croire », dit l’abbé Chs Trudelle, « que cette île plongeuse n’est rien moins que l’Île-aux-Coudres, située en face de la Baie Saint-Paul, si Jacques Cartier ne l’avait trouver à sa place actuelle, le 6 septembre 1535, lorsqu’il remonta le fleuve pour la première fois. »

M. Boucher assure, dans son Histoire Naturelle du Canada, adressée à Colbert, le 8 octobre 1663, qu’il n’y avait pas d’habitants dans Charlevoix lors des tremblements de cette année-là.

L’église des Éboulements s’élève sur une hauteur de près de 1,200 pieds du niveau du fleuve. La paroisse tire son nom des éboulements épouvantables qui se produisirent lors des secousses sismiques de 1663.

Des Éboulements à Saint-Irénée, on contourne une chaîne de caps qui s’avancent dans le fleuve et obligent les navires à faire un demi-cercle. Le Cap-aux-Oies est le cap le plus avancé de cette chaîne.

Ceux qui mirent en vogue Saint-Irénée furent feu Sir Rodolphe Forget, l’honorable juge Sir A.-B. Routhier et l’honorable juge Joseph Lavergne. Sur le premier sommet des collines, on aperçoit Hauterives flanquée de sa tour carrée ; c’est la villa de Sir A.-B. Routhier. Bâtie plus près du rivage, se trouve la villa du juge Lavergne, Les Sablons. Plus haut, il y a Gil’Mont de feu Sir R. Forget. Plus près du rivage, presque sur la grève, s’élève l’hôtel Charlevoix. Partout à travers les bouquets d’arbres se disséminent d’autres villas, de claires maisonnettes. Ce qui fait le charme de Saint-Irénée, c’est le paysage. On dirait un village des Alpes. De quelque côté que l’on tourne les regards, on est ravi. L’église paroissiale s’élève sur un haut plateau. L’érection de la paroisse date de 1843.

Sir A.-B. Routhier a dit du paysage de Saint-Irénée : « Le site en est vraiment enchanteur. Tout ce que la vue de la mer, des montagnes et des bois peut offrir de pittoresque, de grand et de beau s’y trouve rassemblé dans une harmonie calme et solitaire… »

Un beau chemin suit la grève, monte la falaise et débouche au village.

Au sortir du havre de Saint-Irénée-les-Bains, nous contournons le cap de la Pointe-au-Pic et traversons au large de la belle baie de La Malbaie, au fond de laquelle nous voyons le village de ce nom, puis nous arrivons à la Pointe-au-Pic ou Murray Bay, le plus populaire summer resort de la province de Québec, pourrait-on dire. On devrait appeler cet endroit toujours par son nom véritable et français Pointe-au-Pic et non Pointe-à-Pic qui ne veut rien dire et qui n’est pas même français, ni Murray Bay qui n’est pas le nom véritable et authentique de l’endroit qui est d’origine bien française.

La Pointe-au-Pic est si intéressante que dans ce Tour du Saguenay nous avons cru lui consacrer un chapitre spécial. Mais avant de nous en occuper, nous rebrousserons chemin jusqu’à l’extrémité est de l’Île-aux-Coudres, afin de nous permettre de donner, au point de vue du tourisme, quelques notes sur cette île, la plus importante du Saint-Laurent, peut-être même avant l’Île d’Orléans, puisqu’elle fut le premier coin de terre de l’Amérique où abordèrent des Européens.



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Scène d’hiver canadien.
Tableau de M. Yvan Neilson.