Le suicide de Sarah Bernhardt


Anonyme
LE SUICIDE DE SARAH BERNHARDT
DÉTAILS COMPLETS

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Sarah Bernhardt, la grande comédienne que l’Univers entier a applaudie, vient de mettre fin à ses jours d’une façon aussi tragique que mystérieuse.
Hier soir, son mari, en rentrant, la trouva étendue, la face contre terre, sur le plancher du grand salon ; elle tenait dans sa main droite crispée un journal et dans l’autre un petit flacon bouché soigneusement à l’émeri ; sur ce flacon, était collé une étiquette où on lisait ce mot, grâce auquel M. Schnerb est arrivé à se faire une petite popularité :
« DYNAMIQUE »
Monsieur « Sarah Bernhardt », à ce spectacle aussi triste qu’inattendu, met la main sur le cœur de sa femme et, s’apercevant qu’il ne bat plus, s’affaisse en sanglotant à côté d’elle après avoir crié trois fois : « Au secours !!! » La femme de chambre, répondant à cet appel, se précipite affolée dans l’endroit où avait lieu ce double drame, et, à l’aspect des deux corps étendus, pousse un énorme cri de désespoir et s’évanouit à côté de ses maîtres. Le cri de la servante, ayant été heureusement entendu par le concierge, celui-ci quitte précipitamment sa loge, monte quatre à quatre l’escalier et arrive tout essoufflé sur le théâtre de ces lugubres événements parisiens. En apercevant trois corps couchés pêle-mêle les uns sur les autres, il recule épouvanté jusqu’au seuil de la porte, et, en voulant fuir trop précipitamment, glisse sur le parquet fraîchement ciré et tombe à la renverse sans pouvoir se relever. La portière, inquiète de ne pas voir revenir son mari, arrive à son tour, et, comme il avait laissé éteindre, en tombant, la lumière qu’il tenait à la main, elle se butte, en courant, dans le corps du malheureux, tombe à son tour sur lui et s’assomme. Heureusement que le voisin d’en face, qui prenait le frais à son balcon, avait aperçu à travers les rideaux de mousseline un mouvement inaccoutumé d’ombres et qu’il avait, en prévision d’un accident, été prévenir le commissaire de police.
Dès que ce fonctionnaire arriva avec quatre agents et un docteur, son premier soin, avant d’ouvrir l’enquête, fut d’ouvrir la fenêtre, ce qui était plus pressé ; et, à l’aide d’un flacon de sels, il fit revenir à elles les victimes de ce lugubre drame.
Sarah Bernhardt seule hélas ! ne revint pas.
Le docteur ayant examiné attentivement le flacon de dynamite constata qu’il était intact ; ce n’était donc pas le produit chimique, cher à M. Schnerb, qui avait causé la mort de l’artiste chérie du public.
Après avoir ouvert, avec une difficulté inouïe, l’autre main de la morte, et en avoir retiré le journal chiffonné qu’elle serrait si fortement, le docteur s’écria :
« Je m’en doutais !... la malheureuse s’est empoisonnée avec Le Figaro !!! La mort a été foudroyante !!!... Vite !! que l’on se hâte de répandre du phénol dans toutes les chambres de l’appartement, dans les escaliers, sous le vestibule, dans la rue même, sinon le quartier va être infecté. »
Tiens, mais où est donc le cadavre !... s’écrie tout à coup le commissaire, en regardant avec anxiété tout autour de lui.
« Mais oui, au fait, où donc ma pauvre amie ? dit à son tour M. Sarah Bernhardt. »
« Nous ne la voyons nulle part, exclament en chœur tous les assistants.
« Qu’on perquisitionne tout l’appartement, dit le commissaire !! Vous, messieurs, intime-t-il à ses agents, ne perdez pas une minute, une seconde. Feuilletez, page par page, tous les livres de la bibliothèque pour voir si elle n’est pas dedans !! Soulevez les tapis pour voir si elle n’est pas dessous !! Il y a un mystère terrible dans cette affaire !!! Que personne ne sorte !! J’arrête tout le monde !! Je m’arrête même moi-même. Je vais vous fouiller tous !...
« Docteur, vous pâlissez !... Serait-ce vous qui auriez fourré le cadavre dans votre poche pendant que j’avais la tête tournée tout-à-l’heure pour éternuer !...
- Où l’aurais-je mis, monsieur le commissaire, puisque je n’ai pas bougé d’ici ?
- Eh mais ! dans votre porte-feuille ! Montrez-moi votre porte-feuille !...
- Le voici.
- Rien !... rien !... rien !... Rien dans les mains, riens dans les poches.
- Parbleu ! dit le docteur au commissaire, vous ne voyez donc pas qu’elle s’est évaporée !...
- Évaporée ?...
- Mais oui ; il n’y en avait presque pas avant son suicide, il n’y en a plus du tout après.
MORTIBUS SPONGIΠCORPULUS HUMANITUM
- Je ne comprends pas, mais ça ne fait rien, dit le commissaire. Je vais coucher cela tout de même sur mon procès-verbal.
À bientôt messieurs, à bientôt !

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Figurez-vous que j’ai fait ce rêve idiot la nuit dernière.


Paris. – Félix MEUNIER, éditeur. – Dépôt chez L. GABILLAUD, 222 rue St-Martin.