Éditions Édouard Garand (p. 73-74).

CHAPITRE XVI

QU’EST DEVENUE LA REINE DU ROCHER ?


Jean Bahr fut tenté de proposer à M. Jambeau à Maurice Leroy et à Nounou de partir, de quitter l’île tous ensemble et de s’en aller vivre parmi leurs semblables… Pourtant, un quelque chose d’indéfinissable semblait le retenir sur le Rocher aux Oiseaux, et d’ailleurs, quatre ou cinq jours après le départ des Dupas, le spleen de Jean s’envola à tire d’ailes. Il y avait la « Villa Marielle » à terminer, et quoique Marielle eut disparu, de la villa portant son nom et qu’il avait construite pour sa bien-aimée, il ferait une sorte de monument érigé en sa douce mémoire.

Comme M. Jambeau s’ennuyait ferme au « Manoir-Roux », Jean et Maurice, accompagnés de Max, allèrent s’y installer, aussitôt qu’ils le purent, Jean n’emportant que ses livres traitant de l’Architecture, et Maurice emportant son violon et sa musique en feuilles. Quant à Max, il fut chargé de déménager Brise et Bise, ainsi que Toute-Blanche, aussi les volailles.

Enfin, l’installation étant complétée, M. Jambeau, Jean, Maurice, Max, Nounou et Firmin, chacun s’occupant à sa manière et le plus agréablement possible, attendirent l’automne, qui ne pouvait tarder, car, déjà il gelait la nuit, et le firmament avait revêtu cette teinte blafarde qui caractérise le commencement de la morte saison.

L’automne, c’est triste partout, dans les villes comme dans les campagnes… Sur le Rocher aux Oiseaux, ce n’était pas folichon… surtout après le départ du dernier bateau qui mettait en communication l’île avec le reste du monde.

Le salon du « Manoir-Roux » avait été converti en bibliothèque. Sur des rayons couvrant tout un pan du mur, les livres de M. Jambeau avaient été installés. Mais, comme on préférait se tenir dans la salle d’entrée, on apportait les livres dans cette pièce et l’on passait de longues veillées agréablement à lire et à faire un peu de musique. Comme Jean possédait une bonne oreille lui permettant d’improviser d’assez jolis accompagnements, c’est lui qui accompagnait Maurice au piano quand celui-ci jouait le violon.

M. Jambeau occupait l’ancienne chambre à coucher de Marielle ; celle qu’elle avait dû céder à Mme Dupas, on s’en souvient. Le boudoir qui était attaché à cette pièce servait de chambre à coucher à Firmin.

Deux lits simples avaient été mis dans l’ancienne chambre de Pierre Dupas ; celle qu’avait, ensuite occupée Louise Vallier. Jean et Maurice occupaient cette pièce, qui était aussi grande que celle qui avait été allouée à M. Jambeau.

Max occupait la chambre voisine de celle de Nounou. On n’a pas oublié cette chambre et de l’incident dramatique la concernant. Marielle avait occupé cette pièce, défense avait été faite à Max de toucher à quoi que ce fut ; les mille riens qu’elle contenait avaient appartenu à Marielle et pour M. Jambeau, pour Jean, pour Maurice et pour Nounou c’étaient des sortes de reliques.

Le « Manoir-Roux » ayant été construit pour braver toutes les saisons, on était assuré d’y passer confortablement l’hiver qui commençait.

Un soir, alors que tous étaient réunis dans la chambre de M. Jambeau pour y passer la veillée, parce que le pauvre invalide souffrait de rhumatisme et ne pouvait descendre dans la salle, Jean dit :

— Mes amis, à nous tous, nous devrions pouvoir découvrir le mystère de la disparition de Marielle, ce me semble… Marielle a disparu, comme si elle se fut effondrée sous le sol… Où est-elle ?… Où est-il notre ange ?… Qu’est devenue la Reine du Rocher ?…

— Hélas, Jean, répondit M. Jambeau, c’est si étrange cette disparition, que je suis tenté de croire la rumeur qui a couru sur l’île, dans le temps.

— Et cette rumeur ? demanda Jean. Quelle est-elle, M. Jambeau ?

— On disait que Marielle avait été délivrée par un ange… et que cet ange c’était Bébé Guy.

Personne ne sourit, même, à ces paroles de M. Jambeau ; seulement, Jean répliqua gravement :

— L’ére des miracles de cette sorte est passée… et Marielle… Qu’en pense Nounou ?

— En effet, Nounou ! dit Maurice, en s’adressant à la vieille servante. C’est vous qui, la dernière, l’avez vue et lui avez parlé… racontez-nous donc, et sans omettre un seul détail, ce qui s’est passé entre vous et Mlle Marielle ?

Nounou raconta tout… Quand elle parla de l’incident du coffret, Jean s’écria :

— C’est la première fois que j’entends parler de ce coffret, Nounou !

— Moi aussi ! dirent, en même temps M. Jambeau et Maurice.

Et vous dites que ce coffret contenait mille dollars, Nounou ?

— Oui, M. Bahr, mille dollars.

— Vous dites aussi que le coffret avait disparu, contenant et contenu, en même temps que Marielle ?

— Le coffret a disparu, en même temps que Mlle Marielle, je l’affirme ! répondit Nounou. M. Rust ne s’en est même pas aperçu ; mais moi, j l’ai remarqué tout de suite.

— C’est singulier ! s’exclamèrent-ils tous.

— Mon oncle Jean, dit tout à coup Max, vous m’avez dit souvent que Mlle Marielle était un ange… Ne peut-elle pas s’être envolée au ciel ?

Tous sourirent tristement à la question naïve de l’enfant.

— Mais… le coffret, M. Max ? demanda Nounou.

— Ah ! c’est vrai… le coffret… murmura Max.

— Marielle ne peut pas avoir quitté l’île, affirma Jean. Les chaloupes ont été comptées (il n’y en a que trois, d’ailleurs) et elles étaient toutes amarrées solidement… Non, Marielle n’a pas quitté le Rocher aux Oiseaux…

— Mais, Jean !… dit Maurice, il est impossible que…

— Marielle n’a pu quitter l’île, je le répète, Maurice…, où est-elle ?… Elle a mystérieusement disparu du salon, dont la fenêtre avait été clouée à l’extérieur… M. Rust a monté la garde toute la nuit devant la porte du salon, et il avait la clef de cette porte sur lui… J’ai même appris, depuis, que le Docteur Jasmin avait passé la nuit couché sur le canapé qu’il y a dans la salle… Comment ma bien-aimée a-t-elle pu s’enfuir ?… Oh ! que je voudrais le savoir !

Ah ! que n’eussent-ils donné tous ces braves gens qui aimaient tant Marielle, pour découvrir le secret de sa mystérieuse disparition !