Le souvenir d’Albert Sorel

Gabriel Hanotaux
Le souvenir d’Albert Sorel
Revue des Deux Mondes7e période, tome 11 (p. 46-54).
LE SOUVENIR
D’ALBERT SOREL

J’ai passé ma vie côte à côte avec Albert Sorel pendant plus de trente ans. Durant ce long espace de temps, à peine nous nous sommes quittés.

En 1877, j’entrais, pour la première fois, dans le bâtiment des Archives des Affaires étrangères, cette construction qui, en retour de l’Esplanade des Invalides, borde de sa masse aveugle le coin de la rue de l’Université. Par le porche qui s’ouvre sur cette rue, on abordait un escalier sombre et on pénétrait ainsi, à l’entresol, dans l’antre du secret diplomatique, dont le cerbère était, en ce temps-là M. Pierre Faugère. Quand j’eus montré patte blanche, on me conduisit, par d’autres escaliers non moins obscurs, vers un appartement dissimulé entre le grand bâtiment et les portiques. Une porte s’ouvrit sur une salle basse occupée en son milieu par une immense table sur laquelle était tendu un tapis vert. Là un homme de forte carrure et à la moustache mérovingienne travaillait seul. Je pris une chaise et m’assis en face de lui ; on m’apporta les registres que je venais consulter, et je me mis, à mon tour, au travail. Nous rencontrant là à peu près tous les jours et vivant en silence l’un près de l’autre pendant de longues heures, nous finîmes par nous connaître, nous lier, nous aimer tendrement. C’était Albert Sorel.

A la sortie, congestionnés l’un et l’autre par l’absorbant labeur des copies et des notes, nous nous habituâmes à aller prendre l’air en déambulant sur les trottoirs du boulevard Saint-Germain qui venait d’être achevé. Nous causions à l’infini. Nos deux vies se développèrent parallèlement. Je rencontrai Albert Sorel partout : chez Gaston Paris, chez Taine, chez Delaroche-Vernet, chez Boutmy, à la Revue des Deux Mondes, à la Revue historique, à la Revue Critique, au Sénat, au ministère des Affaires étrangères, et nous reprenions à perte de vue nos conversations à peine interrompues.

Nous parlions de nos études, lui de la Révolution française, moi de Richelieu. Il me récitait ses pastiches de Victor Hugo, si pénétrants et si bouffons. Il se perdait en conjectures sur les détours de la politique, depuis l’aventure du 16 mai jusqu’au temps de Jules Ferry et de M. Méline. Un jour, je fus chargé, par Gambetta, d’offrir à Albert Sorel la direction politique au ministère des Affaires étrangères : il déclina l’offre si honorable, entendant se consacrer uniquement à son œuvre historique et à son enseignement. Il fut, toute sa vie, l’homme d’un seul livre. Il resta penché sur son sillon et mourut à la peine. Et comme il avait raison ! Quelle vie fut supérieure à la sienne et quels résultats plus durables que le monument qu’il laisse ?

Aux portes de l’Académie, quand l’heure vint de m’y présenter, je trouvai Albert Sorel. Et, à l’issue de chaque séance, nous reprenions nos déambulations le long des quais. Il ne tarissait pas sur un sujet toujours le même et qui devenait sa hantise au fur et à mesure que nous avancions en âge : la France. Les vieillards ne pensent qu’à l’avenir. Peu à peu, je vis ses forces décliner : il ne se plaignait pas, mais se savait atteint. Sa pensée s’élargissait encore. Il ne regardait plus seulement en avant, mais au-delà. Son œuvre s’achevait ; nous célébrâmes la dernière page du dernier volume en un banquet où j’eus l’honneur de parler au nom des amis de Sorel, et quelques mois après, à l’issue d’une admirable conférence qu’il fît, sur Corneille, dans son cher Rouen, il tomba.

Albert Sorel est toujours près de moi. Son souvenir est là ; son œuvre est là On me demande ce qu’il eût pensé de la guerre, ce qu’il eût pensé de la paix qui a suivi la guerre. Qu’eût-il dit de cette nouvelle Europe, de cette Europe libérée, mais dissociée et si terriblement menacée, que l’on nous a faite ?...


Albert Sorel, c’était « la sage Normandie. » Pensant à lui, j’associe à mon souvenir, cette parole de Napoléon qu’il m’avait lui-même apprise : « Tout ici est consolant et beau à voir, et j’aime vraiment cette belle et bonne Normandie ; c’est la véritable France. » La qualité normande de ce Normand, c’était la judiciaire. Peser le pour et le contre, se contenir, ne se prononcer qu’à bon escient, mettre perpétuellement son sens propre à l’épreuve, ne pas se précipiter, réserver le geste, attendre : telle était sa manière. Sa rectitude d’esprit était incomparable, mais avec une tendance à la procrastination. La volonté de l’action ne le fouaillait pas. En historien qu’il était, il laissait du temps au temps.

Je n’ai pas à dire ici le mérite de ces hommes d’après la guerre de 1870 : ils auront leur tour devant l’équitable histoire. Sous les auspices de M. Thiers, ils avaient la volonté de refaire la France et de la remettre à son rang, même s’il fallait consacrer à cette tâche, dans l’abnégation et le silence, une ou plusieurs générations. Sérieux, décidés aux longues patiences, nombre d’entre eux se consacrèrent aux profondes et ingrates études de l’érudition et de l’histoire, comprenant qu’il fallait reprendre l’édifice par les fondations et l’arbre par la racine, résolus à réparer l’erreur de tout un siècle et à ramener vers la France vaincue, je ne dis pas l’estime, mais la confiance du monde. Dois-je citer des noms ? Fustel de Coulanges, Taine, Vandal, Sorel.

Albert Sorel côtoyait Taine dans les recherches sur l’histoire de la Révolution française ; mais l’un s’attachant de préférence à la politique intérieure, et l’autre à la politique extérieure. Ces études renouvelaient cette histoire. On jugeait à la lumière des événements récents ; on s’arrachait à la polémique et à la légende ; on gardait son sang-froid, on voulait voir les choses au vrai. Les Archives nationales et les Archives des Affaires Etrangères venaient de s’ouvrir à ces loyales recherches. Je puis bien dire qu’aux Archives des Affaires Etrangères, — là-bas au détour de l’escalier, — c’est bien Sorel et moi qui avions enfoncé les portes.

C’était donc, enfin, l’Histoire, l’Histoire de France, dans son plus intime et secret développement, qui se dévoilait, l’Histoire de France telle qu’elle avait été conçue et réalisée par ses maîtres : Henri IV, Richelieu, Vergennes, Danton, Napoléon ; « elle secouait la poussière des Archives... » Or, ces chercheurs s’aperçurent tout de suite d’une chose : c’est qu’à ses différentes époques et dans la suite de ses révolutions, l’Histoire de France était toujours la même, se développant avec une logique parfaite, — traditionnelle et novatrice, obéissant aux lois de la nature et aux lois de la raison, non pas l’Histoire de tel ou tel siècle, de tel ou tel régime, de telle ou telle dynastie, mais l’Histoire de France.

Cela, Tocqueville l’avait déjà indiqué. Mais ce fut la tâche de cette génération de le prouver et de dégager les conséquences : puiser l’avenir dans le passé et le relèvement dans la tradition, tel fut le programme. La France survivrait certainement puisqu’elle avait survécu à tout : il n’y avait qu’à s’y remettre et à continuer. Ces études furent une école de persévérance et d’optimisme : optimisme que ne partageaient peut-être pas toujours ceux qui regardaient surtout le dedans, mais dont ceux qui regardaient le dehors étaient férus jusqu’à l’âme. Nous nous répétions, les uns aux autres, le mot de Joseph de Maistre : « Qu’arriverait-il de l’Europe, s’il n’y avait plus la France ? »


Mais, j’ai hâte d’en venir au jugement de Sorel sur les choses de son temps et sur le prochain avenir.

Quoique le poids de l’œuvre bismarckienne eût pesé si fortement sur lui, il ne croyait pas à la durée de l’Allemagne impériale et prussienne. Son doute portait seulement sur la question de savoir par où elle fléchirait. S’attachant à scruter les tendances séparatistes, naturelles sur ce vaste territoire, il tenait compte aussi du sentiment confus, mais ardent, qui avait poussé les « tribus germaniques » vers l’unité. Bismarck n’avait pas créé ce sentiment ; il l’avait trouvé vagissant dans les langes de 1848. Sorel se demandait si l’on devait s’attendre à une évolution libérale qui rendrait la vie supportable à l’Europe ; mais, comment s’accomplirait-elle sous le joug prussien avec la devise : « Par le fer et par le sang ? » H voyait bien grandir le socialisme marxiste : mais cet étatisme forcené ne lui inspirait que de la terreur. Je crois bien me souvenir que ce sur quoi il comptait, ce qu’il attendait avec la patience de l’homme à l’affût, c’était une crise dans la famille des Hohenzollern : soit minorité, soit déchéance individuelle, la succession appelant au trône un incapable ou un enfant : « Cela finira bien par leur arriver comme aux autres, disait-il ; un Picrochole serait la suite naturelle d’un Bismarck ; l’Allemagne déclarerait la guerre à l’Univers. Et alors ? Bismarck ne durera pas toujours. L’heure des imprudences sonnera. Attendons ! Démence ou décadence, ce régime et cette dynastie ne tiendront pas. »


Je suis tout à fait certain que Sorel voyait le danger venir du coté des Balkans : le tournant, pour la paix de l’Europe, ce serait la crise autrichienne. Il disait : « Il y a deux hommes malades, le Turc et l’Autrichien ; à celui-ci on ne pense pas assez. Qu’arrivera-t-il à la mort de François-Joseph ? » il ne supposait pas que les choses iraient si vite et que la sénilité serait plus tragique que la mort. Voyez, dans son livre, l’importance qu’il attache à ce qu’il appelle « l’incohérence de la monarchie autrichienne. »

S’il pensait que la France devait attendre son heure, l’heure où, par son relèvement, elle aurait redressé l’opinion du monde à son sujet, il pensait aussi qu’elle devait être prête, à tout instant, pour « le coup de tonnerre qui éclaterait dans un ciel serein. »

Je dois dire que Sorel, quoique fils des hommes de la mer, avait une sorte d’appréhension au sujet des entreprises coloniales ; il craignait que cela ne donnât barre chez nous à quelque coup de l’interventionnisme britannique. « Il y a toujours eu un parti anglais en France, » c’était une de ses phrases habituelles. Il comprenait la grandeur du problème ; il savait que, si nous ne nous hâtions pas, nous laisserions les autres se partager les bons morceaux et qu’après, il serait trop tard. Mais avions-nous les forces, le loisir, le temps ? C’était un continuel sujet d’alarme pour lui.

L’autorité de Jules Ferry, pourtant, l’avait ébranlé. Quand il fallut, vers 1890, reprendre l’œuvre interrompue et boucler, comme on dit, en Tunisie, à Madagascar, en Indo-Chine, à Obock, en Afrique du Nord, combien de fois nous sommes-nous arrêtés dans nos promenades, aux écoutes, l’oreille tendue vers l’Est ! Je travaillais alors, contre vents et marées, parmi nos amis qui ne voyaient que l’Europe. Que d’heures d’angoisse ! L’affaire d’Egypte était, pour Sorel, un casse-tête dont il ne voyait pas la fin. Il fallait agir, cependant ; le temps pressait. Nous avancions, la sonde à la main ; — et nous construisions, cependant, le canon de 75. Notre empire colonial, malgré ces sombres pronostics, s’est fait à temps ; mais il n’était que temps !


Il en revenait toujours à la politique européenne. C’était son sujet. Quelle devait être notre attitude quand l’heure sonnerait ? Et comment les choses s’arrangeraient-elles après ?

Car, si la guerre venait à éclater, il avait une confiance absolue : tel était son optimisme. Il connaissait le soldat de France, ses vertus, son endurance, sa solidité, étant lui-même grognard jusqu’au fond de l’âme. Je n’ai pas assez dit sa race, à ce Normand. J’y reviens. Son jugement si juste, ce sens pratique et sûr que j’appelais, tout à l’heure, sa judiciaire, cette prudence à la fois naturelle et voulue, fille de ses origines et fille des circonstances, était dominée, entraînée, animée en lui, par un sentiment toujours actif et qui était sa race même, celui de la foi dans la discipline nationale, ce qu’il appelait le tronc de l’arbre. Ce Viking était fort ; il suffisait de le voir. Rien ne devait être permis contre le corps et l’âme de la patrie ; rien ne devait attenter à sa puissance amassée et exercée par les siècles. Si la France était appelée à lutter, elle vaincrait par son unité ! Il ne savait rien de l’internationalisme : mot qui ne lui venait pas sur les lèvres, rêve qui n’effleurait pas sa pensée. Il croyait à la volonté de puissance. Au fond, jacobin tempéré, bonapartiste d’avant Bonaparte, soldat de Valmy et de Jemmapes, luttant pour une France bien constituée, complétée et ramassée sur elle-même, toujours prête à se défendre parce que toujours menacée.

Aucun impérialisme : il savait trop ce que cela nous avait coûté ; son système, vigoureusement défensif, se tenait entre la force et la raison. Comment dirai-je cela en des termes compréhensibles à notre âge exacerbé ? La politique de Sorel était cartésienne ; il admirait et citait avec ferveur la parole qui sert de titre au premier chapitre du Testament politique du cardinal de Richelieu : « Succincte narration de toutes les grandes actions du Roi, jusqu’à la paix faite en l’an..., » et le chiffre en blanc, comme une pierre d’attente. Il déclamait la phrase avec une emphase à la Flaubert et il ajoutait : « La guerre, oui, s’il le faut, mais pour la paix. » Il voulait, dans la politique, une parfaite mesure, une grande sagesse, une tranquille domination sur soi-même. Il se référait aux déclarations de Vergennes disant de la France : « Son désintéressement fera sa grandeur. » Son examen de nos traditions aboutissait, en somme, à cette phrase célèbre des Instructions que Talleyrand s’était données à lui-même en vue du Congrès de Vienne : « La France, y lit-on, est un Etat si puissant que les autres peuples ne peuvent être rassurés que par l’idée de sa modération, idée qu’ils prendront d’autant plus fortement qu’elle leur en a donné une plus grande de sa justice. Elle est dans l’heureuse situation de n’avoir point à désirer que la justice et l’utilité soient divisées et à chercher son utilité particulière hors de la justice et de l’utilité de tous. »

Mais Talleyrand, quand il écrivait cette phrase, partait en vaincu pour le Congrès de Vienne, et Albert Sorel est mort sous l’impression de la défaite de 1871 : ces hommes étaient payés pour être raisonnables et prudents. Que dirait Sorel, que penserait-il de ce qui s’est passé, la victoire obtenue ?


Sorel, malgré toute son application et sa perspicacité, n’avait pu, évidemment, deviner qu’après une guerre terrible et accablante où toutes les forces du monde seraient engagées, le vainqueur aurait plus souffert en ses hommes et en son territoire que le vaincu ; il n’avait pu deviner que, par un paradoxe unique dans l’histoire, le vaincu pourrait tenter, une fois la paix signée, de dicter la loi au vainqueur ; il n’eût pas deviné les conséquences de l’intervention d’amis lointains et dévoués, mais ignorants et désintéressés des choses européennes. Assurément, ce qui l’eût étonné le plus, c’est que la victoire s’abstiendrait de régler le statut politique de l’Allemagne, cause de toute guerre européenne depuis le Congrès de Vienne. Avant que les arbitres ne se prononçassent, il eût dû les renvoyer à son propre ouvrage : mais les arbitres ont peu de temps pour lire et s’instruire.

Eût-il renoncé au principe des « limites naturelles » qui est comme l’arbre de couche de son système ? Non, assurément. Au nom de la sécurité française et européenne, au nom de la politique défensive et modérée qui était la sienne, il se fût placé énergiquement derrière la revendication du maréchal Foch. Il eût trouvé peut-être, dans l’organisation immédiate et définitive des provinces rhénanes, la base la plus solide de l’organisation de la paix. Ce problème, il l’eût abordé franchement. Les arbitres se sont dérobés et ils se sont renformés dans la doctrine des nationalités sans lui faire rendre, d’ailleurs, tout ce qu’elle contenait.

Or cette doctrine ne l’enthousiasmait pas. Il n’y voyait guère qu’une aspiration, un sentiment, — un sentiment obscur et mal défini, instable, précaire, impétueux ; il y trouvait je ne sais quel relent bonapartiste et propagandiste : il voulait une Europe régie le moins possible par l’élément passionnel ; il pensait que la paix et la guerre elle-même doivent être soumises à la raison.

Il eût été heureux de la reconstitution de la Pologne : car l’opération diplomatique qui avait consisté à découper froidement une nation constituée depuis des siècles était, à ses yeux, « le plus grand crime de l’histoire. » Il en rougissait en tant qu’historien, et pensait que c’était une tâche propre à l’idéalisme français de contribuer à le réparer. Il comptait bien que ce serait, un jour, l’un des effets les plus heureux de l’alliance franco-russe.

Il ne voulait pas des Russes à Constantinople et me mettait sans cesse en garde à ce sujet. Il accueillait avec joie la confidence que je lui fis de la déclaration du prince Lobanoff : « Nous n’irons pas à Constantinople. »

Quel règlement entrevoyait-il pour le problème balkanique, pour le problème autrichien ? Je ne sais. De telles questions ne se posaient pas encore dans leur acuité. Il ne croyait pas à la destruction hic et nunc de l’Empire ottoman ; il rappelait la phrase fameuse de Chateaubriand : « C’est un décret de la divine Providence... » L’assaut livré à la vieille Europe par les jeunes Etats des Balkans l’étonnait. Il songeait à mettre dans tout cela un peu d’ordre et de discipline. « Il nous a fallu mille ans pour accomplir notre destinée, disait-il. Ils sont bien pressés ! » Il cherchait les moyens de consolider une Autriche capable de faire contrepoids à l’Allemagne. Peut-être songeait-il à quelque confédération balkanique sous l’égide de la Russie, à quelque confédération danubienne sous l’égide de l’Autriche. Nous avons ensemble appelé de nos vœux cet accord de Muersteg qui mit une pause dans la querelle de la Russie et de l’Autriche d’où devaient surgir les grands événements. Pourquoi cette pause n’a-t-elle pas duré ?...

Mais, dites-vous, comment Sorel jugerait-il ce qui vient de se passer, ce qui s’est fait et ce qui se fait de jour en jour ? Quelle serait son opinion sur cette nouvelle Europe, bâclée à la diable et si impétueusement ? Comment cet historien du Congrès de Vienne eût-il apprécié la paix de Versailles ?... Sûrement, Albert Sorel eût gardé son optimisme fondamental et, plus que jamais, après la victoire ; sûrement, il eût prononcé avec joie le Nunc dimittis puisqu’il eût vu le retour de l’Alsace-Lorraine au giron ; sûrement, sa raison satisfaite eût pris une confiance plus entière encore, si possible, en la grandeur et la nécessité de la France.

Après cela, comment se fussent traduites ces impressions, comment Albert Sorel se fût-il rangé, lui et ses traditions, aux nécessités d’un temps nouveau et à l’alignement de circonstances imprévisibles ? Comment cet homme d’un autre âge se fût-il adapté à l’âge nouveau ? Comment sa connaissance du passé se fût-elle pliée aux exigences du présent et de l’avenir ? Qui peut dire ?... Laissons le silence aux morts.


GABRIEL HANOTAUX.