Le secret de la mer


LE SECRET DE LA MER.


à mon ami auguste de vaucelle.




 
Sous le vent de la nuit la mer tumultueuse
S’agitait dans le lit que Dieu fit à ses flots ;
Et de son sein troublé, sombre et majestueuse,
Montait une hymne sourde où roulaient des sanglots.

La vague bondissait vers la grève immobile,
Reculait, s’abîmait et toujours renaissait,

Et les cités au loin mêlaient leur voix débile
À ces sourdes rumeurs que la houle accroissait.

Et les flots turbulents brisés par le rivage
Chantaient en retombant sur l’écueil froid et bleu,
Ils parlaient cette langue inconnue et sauvage
Que parle l’ouragan quand il cause avec Dieu.
chant des vagues.
Nous sommes le miroir où le ciel se reflète,
Nous savons l’avenir que l’univers attend,
Car sur nos fronts meurtris que l’orage soufflète,
Souvent la main de Dieu se repose et s’étend.

Dans le sombre infini de nos gouffres immenses
Dorment éblouissants des mondes ignorés,
Et notre sein puissant féconde les semences
Des jeunes continents nouvellement créés.

Un secret éternel tourmente nos abîmes,
Car nous savons le mot qui créa l’univers,
Ce mot mystérieux aux syllabes sublimes
Bondit dans notre sein en mille accords divers.

Quand sous leurs grands palais les cités turbulentes
Couvrent leurs larges flancs du manteau de la nuit,
Quand les étoiles d’or naissent étincelantes
Au portique azuré du palais de minuit ;

Quand la science humaine ouvre ses astrolabes
Pour compter les soleils qui pavent l’infini,
Alors nous épelons les étranges syllabes
De ce mot incréé que Dieu seul a fini

Les monts qu’aime l’éclair, les forêts murmurantes,
Les fleuves, les torrents, les sources et les vents,
Les émanations dans les brises errantes,
Et les cieux insondés inconnus aux vivants,

Épèlent avec nous dans l’immensité sombre
Ce mot resplendissant que nul œil n’a rêvé,
Mais il reste toujours dans notre flot qui sombre,
Sur nos lèvres jamais il ne s’est achevé.


Car ce mot échappé d’une bouche mortelle
Ébranlerait soudain l’univers confondu,
Et comme un fer bouillant que le forgeur martelle,
Les deux s’aplatiraient sur le monde éperdu.


Et Jéhovah debout dans ce désordre immense,
Devrait dans le chaos repétrir l’univers,
Créer un nouveau rhythme aux sphères en démence,
Et de son doigt puissant clore les cieux ouverts.


Par un pouvoir fatal nos lèvres enchaînées
Palpitent sous ce mot qui contient l’avenir ;
Depuis les jours lointains où nos vagues sont nées,
Nous l’épelons toujours sans jamais le finir.

Et c’est là le secret que dans les vents nocturnes
Nos seins tumultueux murmurent sourdement,
Ce qui fait que du fond de nos flots taciturnes
Une plainte sans fin monte éternellement.

Roulons, roulons, roulons vers la rive inconnue,
Le vent pousse les flots et Dieu pousse le vent,
Et dans notre miroir qui reflète la nue,
Nous voyons Dieu parfois se pencher en rêvant.



La rumeur s’éteignit, les vagues se calmèrent,
Sous les baisers du jour l’océan s’affaissa,
Aux parfums du matin les cités s’embaumèrent,
Et la voix de la mer dans leurs bruits s’effaça.

De tous côtés monta cette hymne éblouissante
Que la nature chante au sortir du sommeil,
Et la création se pencha frémissante
Sous cette ombre de Dieu qu’on nomme le soleil.