Le rêve de Petit Pierre

« La douce terre a fait nos cœurs à son image »
 A. FERLAND.

CHAPITRE I.


On était au milieu d’août, il faisait une chaleur torride, et dans le rang de la plaine on se trouvait au plus fort de la moisson. Les terres de ce coin de pays se déroulaient immenses, à l’horizon, les vastes champs aux blés d’or onduleux, les grappes hautes et flexibles de l’avoine, puis les grandes espaces couverts de sarrasin rose et parfumé, faisaient de cette campagne un paysage d’un attrait si fort que le passant s’y attardait, ravi, comme s’il eût voulu y vivre toujours. Dans des pâturages couverts de trèfle mauve et touffu paissaient des vaches et des brebis. Le jour, des groupes d’hirondelles traversaient l’air, dessinant une courbe noire dans le ciel bleu ; des grives se becquetaient, en turlutant dans les frondaisons et, le soir, des rossignols éternisaient leur chant.

Au détour du chemin qui mène au « Trait-carré » la petite église de Saint-Joachim, se dresse brillante, sous le soleil qui la dore. Sa couverture de tôle jette mille feux sur les alentours. Au loin on entend le bruit strident d’une moissonneuse et la voix forte et jeune qui conduit l’attelage : Hue ! Dia ! Avance donc ! Et un jeune « habitant » à la peau basanée, aux traits hardiment dessinés, s’avance dans l’ensoleillement du grand champ. Sa tête brune, embroussaillée par les sueurs se couvre d’un large chapeau de paille un peu ébréché, une ample chemise à rayures enveloppe son torse splendide, et ses jambes sont étroitement serrés dans de souples souliers de peau de bœuf.

Tout en chantant de sa voix inculte et pleine un refrain du pays, le jeune homme façonne de beaux « javelons » qui iront bientôt remplir la grange ; il songe que le soleil perd de sa force, et que bientôt il pourra s’allonger et se rafraîchir un peu à l’ombre du vieux noyer.