Le procès de Marie-Galante (Schœlcher)/V

E. de SOYE & Cie (p. 44-53).


CHAPITRE V.

Complicité morale. — Le citoyen Alonzo.



Nous avons cherché à mettre en relief les traits les plus caractéristiques du procès de Marie-Galante. On connaît maintenant la véritable cause des tristes événements dont la dépendance de la Guadeloupe a été le théâtre, à la suite des élections de juin 1849. Nous avons analysé les faits matériels ; il nous reste à examiner ceux qui se rapportent à la complicité morale des accusés politiques.

M. Alonzo, tant par la position que lui a faite l’accusation que par son mérite personnel, résume en lui tout l’intérêt qui s’attache aux condamnés de cette catégorie. Il est d’ailleurs la personnification de ces anciens affranchis élevés par leur intelligence et la puissance d’une énergique volonté au niveau de leurs anciens maîtres. Nègre ardemment jaloux de l’égalité pour sa race, homme influent, M. Alonzo était fatalement désigné aux rancunes de ceux qui, connaissant sa valeur, ne voulaient cependant pas le traiter en égal. M. Alonzo a été condamné à dix ans de réclusion pour de prétendus discours qu’un seul témoin, d’après la déclaration du procureur général dans l’acte d’accusation, qu’un seul témoin, il est vrai, a le courage de répéter à la justice (Progrès du 14 mars 1850) ; son crime paraît être bien plus dans son dévouement pour les cultivateurs et leur attachement pour lui que dans sa conduite à l’époque des événements. Si l’on en doutait, la dénonciation suivante, adressée au gouverneur dès le 26 juin, le lendemain même du jour des désordres, et par conséquent alors qu’aucune enquête sérieuse n’avait pu être faite, attesterait les haines profondes qui couvaient contre lui et n’attendaient qu’une occasion pour éclater.


« Marie-Galante, le 26 juin 1849.
« Monsieur le gouverneur,

« C’est tout un pays qui gémit sous de nombreuses ruines, sur des faits déplorables, qui vient dénoncer l’auteur de tous ses maux. Il est un homme à Marie-Galante qui exerce la puissance la plus grande, dispose des masses à son gré, un homme qui a une influence illimitée sur les nouveaux affranchis et qui a un état-major d’émissaires fidèles à leur consigne : cet homme que, pour mettre fin aux malheurs qui pèsent sur notre malheureux pays, nous dénonçons comme le principal moteur de notre situation anormale, c’est le citoyen Alonzo.

« Nous avons l’honneur d’être, etc.

« Signé : Louis Roussel Bonneterre ; — Auguste Ronsel ; — Bothereau Roussel ; — Ducos fils ; — Vergé ; — Larray ; — Houëlche. — Roussel Bonneterre ; — G. Roussel ; — Raynal ; — B. Roussel ; — Ducos père ; — P. Ducos ; — Boulogne, Boulognet ; — Granier de Cassagnac ; — Biel ; — Wachter, Égésype ; — Jaume ; — Espaignet ; — Servant ; — Evrard ; — Ballet ; — Watcher ; — de Montémont ; — Boulogne Saint-Willier ; — Giraud Faup ; — Briel ; — Saint-Omer Larigot ; — Charles Rousselet ; — Philéas Boulogne. »

À la suite de ces signatures on lit :

« Alonzo n’est pas le seul meneur ; signé : H. Dauxion, avocat-avoué.

« Il en est le chef ; signé : Oscar Sauvaire ; — Ludolphe. »

Parmi ces trente-neuf signataires, trente-quatre ont servi de témoins et les sieurs Oscar Sauvaire et Ludolphe qui dénonçaient le citoyen Alonzo sont précisément les individus qui plus tard ont été poursuivis comme coupables de l’assassinat commis, le jour même de la signature de cette pièce, sur la personne du noir Jean-Charles !!!… Si de pareils témoins n’étaient pas rigoureusement reprochables, de quel poids cependant pouvaient-ils être dans la balance de la justice devant une Cour d’assises qui ne doit aucun compte des inspirations de sa conscience ? Ne le voit-on pas ? ces trente-quatre signataires ne se bornent pas à signaler de prétendus griefs, ils formulent un jugement : « Pour mettre fin à nos malheurs, nous dénonçons le citoyen Alonzo ! » On a mis fin à leurs malheurs en condamnant cet homme qui a montré, dans tout le cours des débats, un caractère d’une noblesse simple et grande, digne des plus belles figures du Plutarque.

La passion politique fut rarement poussée plus loin que dans cette dénonciation. Comment a-t-on pu la signer sans fournir au moins une apparence de preuve ? Où donc l’importance que s’est acquise un citoyen suffit-elle pour le rendre responsable de tous les excès qui viendront à se commettre ?

Les propriétaires de Marie-Galante reprochent à M. Alonzo son immense influence sur l’esprit des cultivateurs. Les ingrats ! Cette influence, il l’avait mise au service de l’ordre, il l’avait employée à rétablir la tranquillité et le travail sur toutes leurs habitations. Laissons à cet égard parler M. Gatine soutenant devant la Cour suprême le pourvoi en cassation du noble condamné.

« Alonzo ! Étranges et tristes vicissitudes des choses d’ici-bas ! Ah ! ce n’est pas sans émotion que je prête ici le secours de ma parole à cet accusé. Naguère encore, lorsque le grand jour de l’émancipation s’était levé, lorsque j’apportais aux populations de la Guadeloupe le décret libérateur, je vis Alonzo à Marie-Galante. De la condition d’esclave il s’était élevé a l’état d’homme libre par son travail et l’énergie de sa volonté. Il s’était ensuite créé un commerce et un patrimoine ; auprès de lui ses anciens compagnons d’infortune, esclaves toujours, avaient trouvé naturellement bon accueil, assistance et secours. Il était comme le centre des mille liens de la solidarité qu’avait créée entre les noirs l’oppression commune du régime servile. Il avait, en un mot, une grande influence. Quel usage en faisait-il, et quelle reconnaissance lui a-t-on gardée de services incontestables ? Voici ce que révèle le procès-verbal des débats lui-même, treizième audience, 29 mars :

« Victor Bothereau Roussel, témoin, déclare qu’étant le premier de ceux qui devaient déposer à l’audience, on l’avait fait rester dans une chambre qui se trouve derrière les gradins où est placé sur le banc, d’en haut l’accusé Alonzo. La porte se trouvant ouverte, et le sieur Alonzo profitant de cette circonstance, l’a interpellé et lui a dit : « Comment, c’est vous qui avez signé la demande de ma déportation ! sans moi vous n’auriez pas le travail sur votre habitation, tandis que j’y ai ramené l’ordre et le travail. »

« M. le président s’adressant à Alonzo lui a dit qu’il ne souffrirait pas que les témoins fussent menacés par les accusés, et que, dans son propre intérêt, il l’engageait à s’abstenir de toute manifestation de ce genre. »

« Alonzo en imposait-il ? non. Comme Scipion, il aurait pu répondre à ses accusateurs : Par moi, par mon concours au moins, en 1848, l’ordre et le travail ont été maintenus à Marie-Galante, tous vos intérêts sauvegardés ; allons en rendre grâce aux dieux.

« Voici des faits antérieurs au procès et publiés longtemps auparavant.

« À Marie-Galante, en 1848, le commissaire-général, visitant les populations de cette île, avait réuni autour de lui, à la mairie de Grand’Bourg, les principaux propriétaires, des cultivateurs, des citoyens de toutes les classes. Il tenait là, comme en beaucoup d’autres communes auparavant, les assises de l’organisation du travail libre. Le récit de cette séance est consigné ainsi dans le compte-rendu de sa mission :

« L’accusation d’influence s’élevait contre M. Alonzo, dont le nom figure déjà honorablement dans cet écrit, (à l’occasion de sa nomination aux fonctions d’adjoint au maire de Grand’Bourg). — Mais, messieurs, répondit-il avec une grande modération, cette influence, je ne crois pas en avoir jamais mal usé ; et cela devrait être évident pour vous, car beaucoup d’entre vous sont venus me trouver et m’ont demandé mon intervention pour le rétablissement du travail sur leurs habitations. J’ai accédé à leurs désirs et j’ai eu la satisfaction de réussir. — Le fait était vrai : il ne fut pas dénié. Il s’était produit dans beaucoup d’autres localités. Voilà ce qui s’est passé sous les yeux du commissaire général, en assemblée publique. Rois détrônés acceptant difficilement la déchéance, les colons n’en persistaient pas moins dans leurs incriminations passionnées, sans s’apercevoir qu’ils se montraient souvent ingrats envers des hommes auxquels sont dus en grande partie le succès de l’émancipation, le maintien de l’ordre et du travail, le salut des colonies. Voilà ce que dira sans doute un jour l’impartialité de l’histoire…[1]

« Le jeune et habile défenseur d’Alonzo s’emparait de ce témoignage devant la Cour d’assises.

« Cette solennelle déclaration, disait-il, sortie des méditations du cabinet après les émotions de la vie publique ; cette déposition antérieure au procès, cette voix d’outremer jetée par le hasard comme une défense providentielle au milieu des graves conjonctures qui nous traversons, tout ce témoignage emprunte du caractère particulier de son auteur une sorte d’irrésistible et mélancolique autorité[2]. »

« Voilà, messieurs, ce que je devais rappeler dans l’intérêt d’Alonzo, et pour donner toute leur puissance aux moyens de cassation qu’il présente.

« La défense a dit que cette affaire était un procès à l’influence d’Alonzo, après une tentative de déportation. Ne pourrait-on pas le croire, en présence de cet arrêt qui déclare Alonzo seulement coupable de complicité dans la rébellion, pour l’avoir provoquée par machinations et artifices coupables !

« Devant vous, nous demandons compte à l’arrêt de cette complicité dont il n’a pas spécifié les éléments en fait. Complice par machinations et artifices ! Ah ! ceci ne rappelle-t-il pas ces procès des colonies, ces condamnations effroyables, prononcées sur véhément soupçon ? C’est aux colonies surtout qu’il faut préciser et spécifier les faits dont les citoyens peuvent être appelés à se justifier devant les tribunaux criminels… »

Tel est l’homme que les colons de Marie-Galante dénoncent comme l’auteur de tous leurs maux ! !

Mais, dira-t-on, l’accusation a dû formuler contre le citoyen Alonzo quelque chose de moins vague que le crime de sa bienfaisante influence ? Non. Parmi les charges accumulées contre lui, la plus grave est celle-ci : « Au moment où la liberté fut proclamée, lorsque des manifestations de désordres promptement réprimées remplissaient l’île d’anxiétés et d’angoisses, quel était le nom invoqué par les agitateurs qui parcouraient les campagnes ? celui d’Alonzo. « Alonzo vous demande du secours, » et les noirs abandonnaient les ateliers, ils s’armaient, (ils s’armaient ! de quoi ?) et se portaient en masse sur la ville. Aux élections de 1848, c’était dans la maison d’Alonzo qu’on venait prendre le mot d’ordre. » (Réquisitoire du procureur général.)

À cela, il n’y a qu’un mot à répondre. M. Alonzo a été maintenu dans ses fonctions d’adjoint au maire sous les trois gouverneurs : MM. Gatine, Fiéron, Favre, fonctions qu’il exerçait encore le jour de son arrestation ! Le véritable crime de M. Alonzo, le voici énoncé dans toute la naïveté coloniale : « Sa maison était un bureau de consultation où les travailleurs venaient exposer leurs griefs contre les propriétaires ; » ce sont les propres paroles du réquisitoire de M. Rabou. Le président M. Beausire est dans les mêmes sentiments ; à l’audience du 13 mars, il interpelle l’accusé en ces termes : « Votre maison était toujours pleine de cultivateurs qui venaient vous consulter. » (Progrès, 21 mars). Quel criminel ! les noirs venaient le consulter ! Oui, voilà ce qui rendait M. Alonzo si coupable ! Se placer entre les propriétaires et leurs anciens esclaves ! N’est-il pas évident que c’était préparer l’extermination de la race blanche ! Autrefois, la parole, la volonté du planteur ne se discutaient pas, elles s’imposaient ; certains colons n’ont pu l’oublier. La preuve c’est qu’à cette époque M. Bayle-Mouillard, ce procureur général embarqué par M. Fiéron, exposait en ces termes les prêterions exorbitantes de certains habitants sucriers :

« D’anciens maîtres, demandant une contrainte impossible, rêvent je ne sais quel système de travail forcé, et s’emportent contre le magistrat qui refuse de remplacer le fouet du commandeur par la verge de la justice déshonorée ! » En de telles conjonctures, comment les relations qui existaient entre M. Alonzo et ses anciens frères de servitude n’auraient-elles pas appelé sur lui la vengeance de ceux qui voulaient remplacer le fouet du commandeur par la verge de la justice déshonorée ? M. Bayle-Mouillard, chef de la justice à la Guadeloupe, a été banni pour avoir résisté aux entraînements de l’oligarchie coloniale ; M. Alonzo ne devait il pas succomber ?

Nous n’analyserons pas les autres griefs qui lui sont imputés par le ministère public. Quelle force, en effet, ajoute à l’accusation sa participation à la création du journal le Progrès ? « Meneur politique, Alonzo recevait toutes les communications. En voulez-vous une preuve ? Un journal est fondé à la Pointe-à-Pitre, le matériel est venu de Paris : » (Oh ! oh ! voilà qui est suspect, un matériel de journal venu de Paris !) ; « mais il faut un cautionnement. Le comité de la Pointe écrit à qui ? À Alonzo, qui est nommé président d’une commission dont Maurice Sébastien fait partie. Des quêtes s’organisent, et le cautionnement est trouvé ! » Assurément cela paraîtra très-grave à un homme qui n’aime pas la presse. Mais depuis quand, sauf pour M. Rabou, la qualité d’actionnaire d’une feuille indépendante implique-t-elle une complicité quelconque dans des incendies et des dévastations ? M. Alonzo avait de l’influence ! qui le nie ? ses convictions politiques rattachaient au parti qui portait dans les élections MM. Perrinon et Schœlcher ! il ne s’en cache pas. Mais qui oserait lui faire un crime d’opinions aussi chevaleresquement exprimées que celles-ci :

« Un jour, dit-il, Ferdinand est venu me demander des bulletins : je lui ai répondu qu’en ma qualité d’adjoint au maire, je ne voulais pas en délivrer, et qu’il devait s’adresser à Maurice Sébastien, s’il voulait voter pour M. Schœlcher. Alors Ferdinand me dit : « Comment trouvez-vous Isaac, qui nous dit qu’il ne fallait pas voter pour M. Schœlcher, parce que M. Schœlcher a écrit qu’un père pouvait avoir des relations avec sa fille, une mère avec son fils, un frère avec sa sœur. » Alors j’ai répondu qu’Isaac était un impertinent et qu’après les élections j’allais lui casser la tête. Mon intention était de lui proposer un duel pour avoir insulté mon ami. Puisque je votais pour M. Schœlcher, sensément c’était mon ami. Car quand on insulte mon ami en ma présence, je n’ai pas besoin d’aller lui dire cela pour qu’il se défende, c’est pour moi une affaire personnelle. C’est comme vous, monsieur le président, si vous disiez du mal de mon ami, je me ferais une affaire avec vous : c’est personnel, ce n’est pas général. » (Compte-rendu du Progrès, 21 mars.)

Un caractère de cette trempe devait infailliblement attirer les haines des incorrigibles. Il était trop fier, trop énergique pour des propriétaires habitués à ne voir dans les nègres que des instruments passifs.

Le procureur général, M. Rabou lui-même, convient, au reste, « qu’il y avait dans l’existence de cet homme quelque chose qui devait tout d’abord appeler sur lui l’intérêt et la confiance. Ancien esclave, Alonzo, par son travail, par son économie, était parvenu à briser ses fers. Libre depuis quinze ans, il se livrait à un petit commerce qui pouvait satisfaire son ambition. Naturellement ardent, passionné, il ne devait plus conserver l’exaltation de la jeunesse, Alonzo a atteint sa cinquantième année, mais il est des cœurs dans lesquels les mauvaises passions ne vieillissent jamais. » C’est pourtant à ce nègre de cinquante ans, dont les antécédents sont si purs, si honorables, que l’on impute des projets de massacres et d’incendies. Dans quel but aurait-il conçu ces affreux desseins ? Nul ne l’a dit. Est-ce, comme le prétend plus loin l’accusation, parce que « Alonzo unissait à l’astuce du vieil esclave la violence irréfléchie d’un implacable ressentiment contre d’anciens oppresseurs ? » Mais si peu réfléchi qu’on veuille le représenter, pourquoi M. Alonzo aurait-il encouragé une révolte absurde, sans résultats possibles ? Est-ce qu’en agissant ainsi il n’allait pas contre les intérêts évidents de son propre parti ? Comment ! vous lui reconnaissez une certaine intelligence, vous le dites tout-puissant parmi les meneurs, et vous ne remarquez pas que si vraiment « il est assuré depuis longtemps d’un empire irrésistible sur l’esprit des noirs, s’il est le chef, le capitaine général, presque le roi de Marie-Galante, « l’élection des candidats de son choix est certaine ; que, dès-lors, ce n’est pas lui qui peut chercher à faire naître des causes d’invalidation du scrutin, mais le parti opposé. En vain objecterez-vous l’organisation d’un complot ; cette invention cent fois détruite le serait une fois de plus, car tous ceux qui ont été accusés d’être les agents d’Alonzo ont été acquittés. MM. Maurice Sébastien et Kaifort sont libres aujourd’hui, et M. François Germain lui-même n’a été condamné qu’à un an de prison pour délit électoral.

Le ministère public n’avait cependant pas ménagé ces citoyens. Ainsi, pour M. Germain, voici comme il le dévoile dans son réquisitoire : « Ancien soldat, la position de Germain est des plus modestes, il est cordonnier : Germain est, en un mot, un de ces hommes qui ont plus à gagner qu’à perdre à un bouleversement social. » Il ne fait pas bon être ancien soldat et cordonnier quand on tombe sous la main du procureur général de la Guadeloupe. M. Rabou n’avait-il pas encore rapporté ce monstrueux propos de M. Sébastien Maurice s’adressant aux électeurs noirs : « Ne croyez pas que ce soit M. Bissette qui a signé votre acte de liberté, c’est M. Schœlcher. » (Acte d’accusation.) Vraiment, en face de semblables motifs d’accusation n’a-t-on pas quelque droit de se demander si ce ne sont pas les élus que l’on poursuivait dans la personne de leurs électeurs ? Les extraits de l’Avenir, du Commercial et du Courrier de la Martinique, que nous avons cités en commençant, répondent à cette question. Quant à M. Kaifort, honorable commerçant de la Pointe-à-Pitre, sa présence à Marie-Galante avait suffi pour le rendre complice de la prétendue insurrection. Suivant le procureur général, « c’est lui et ses deux acolytes (style Rabou) qui faisaient croire aux habitants de Marie-Galante que la mer n’ayant pas de maîtres, la terre ne devait pas en avoir davantage. » Malgré cette accusation de communisme, qui manque rarement son effet aux colonies comme dans la métropole, ces prévenus, nous le répétons, ont été reconnus innocents. Nous ne discuterons pas la prétendue doctrine du partage des terres, dont on voulait les faire disciples ; il n’en a pas été question une seule fois dans le procès. Nous avons prouvé autre part que ces bruits, aussi absurdes que coupables, ont été répandus par ceux-là seuls qui s’en font aujourd’hui une arme contre nous[3].

Nous avons dit ce que nous voulions sur le véritable caractère des événements et du procès de Marie-Galante, c’est à l’opinion publique à juger en dernier ressort. Les faits appartiennent à l’histoire. Nous ferons seulement une dernière réflexion : Les soixante neuf accusés avaient tous des antécédents irréprochables, le fait a été proclamé par Me Lignières, avocat blanc. « Quels étaient donc ces hommes ? dit-il ; vous les connaissez, vous les avez tous sur ces bancs. À l’exception d’Hyppolite, qui a subi en police correctionnelle une légère condamnation, et d’un autre aussi condamné en simple police, ils n’ont rien à se reprocher dans leur passé. Plusieurs d’entre eux ont obtenu dans cette enceinte d’honorables attestations. »

Vingt-huit des accusés ont été absous, quarante et un condamnés. Nous ne pouvons nous prononcer sur ce verdict ; le respect que l’on doit à la chose jugée nous ferme la bouche. En présence de l’arrêt qui partage entre les quarante et un condamnés trente-sept années de prison, cent-cinq années de réclusion, soixante années de galères, outre une peine de travaux forcés à perpétuité, un seul devoir nous reste à remplir, c’est celui de dire comment furent composées les assises qui ont rendu un jugement aussi rigoureux.


  1. Abolition de l’esclavage à la Guadeloupe et quatre mois de gouvernement dans cette colonie, par Ad. Gatine. Paris, 1849, page 60.
  2. Plaidoirie de Me Percin, rapportée par la Liberté, n° 50.
  3. Voir la Vérité aux cultivateurs et ouvriers de la Martinique, pages 184 et suivantes.