Le pain et la panification/Partie 2/Chapitre 4

J.-B. Baillière & Fils (p. 196-248).

CHAPITRE IV

DESCRIPTION PARTICULIÈRE DE CHACUNE DES OPÉRATIONS.

Les notions théoriques qui viennent d’être exposées vont nous permettre de suivre maintenant le détail des opérations en nous rendant compte de leur raison d’être.

§ 1. — Choix de la farine.

Les boulangers ne font pas usage d’ordinaire d’une farine provenant de la mouture d’une seule sorte de blé. Il est rare qu’une telle farine présente à la fois toutes les qualités requises pour la production économique d’un bon pain. Nous avons vu que la composition chimique des diverses farines, surtout en ce qui concerne la proportion des matières azotées, est extrêmement variable. Elle dépend non seulement de la variété du blé d’où sort la farine, mais encore, pour une même variété de blé, des conditions de la culture, richesse du sol, humidité, température. Si donc le boulanger employait au hasard la première farine venue, il obtiendrait un pain très variable. Or le consommateur exige du commerce un pain conforme à un certain type, assez variable d’un pays à un autre, mais fixe dans un pays déterminé. Ce résultat ne peut être atteint que par l’emploi de farines provenant de grains judicieusement mélangés.

Il arrive aussi que, par raison d’économie, au lieu de se borner à mélanger diverses sortes de blé, on associe à la farine de blé certaines farines étrangères, telles que celles des autres céréales, seigle, orge, avoine, maïs, riz, ou même des farines ou fécules de pomme de terre, de pois, de haricot, etc. ; de pareilles additions nuisent toujours à la qualité du pain, et, selon la désignation sous laquelle le pain obtenu est vendu, ces mélanges peuvent être considérés comme légitimés ou comme frauduleux. Dans certains pays l’addition de la farine de seigle est de règle.

Nous ne nous occupons pour le moment que du pain fait exclusivement avec de la farine de froment. Il faut distinguer deux sortes de mélanges : le mélange des grains avant la mouture, et celui des farines. Le premier est fait par le meunier. C’est une opération délicate, très compliquée (dix ou douze variétés de blé entrent parfois dans la composition d’une farine. Les considérations principales qui guident le meunier sont : la teneur en gluten, la dureté du grain et son rendement en farine (les blés durs donnent un plus grand rendement), la couleur de la farine à obtenir, etc. La farine de blé tendre est celle qui se laisse travailler le plus facilement ; le pain qu’elle fournit est bien blanc, si le taux de blutage est suffisamment élevé ; la farine de blé dur, employée seule, exige beaucoup plus de force pour la confection des levains ; elle donne un plus grand rendement en pain ; ce pain présente une nuance tirant sur le jaune et est d’ordinaire moins léger. La farine des blés mitadins fournit des résultats intermédiaires.

Une fois le blé réduit en farine et livré à cet état au boulanger, il y a encore différents mélanges possibles. Le boulanger peut associer des farines de diverses provenances, comme a fait le meunier pour les grains ; il peut aussi associer des farines de divers âges de mouture. La farine s’altère toujours en vieillissant. Si pour une raison quelconque une farine a été conservée trop longtemps, elle peut être devenue absolument impropre à la panification, à cause de l’altération de son gluten, et cependant il peut suffire d’y ajouter une certaine proportion de farine fraîche très riche en gluten pour en obtenir un pain parfaitement salubre et satisfaisant pour le goût. Mais le mélange que les boulangers pratiquent le plus est celui des produits séparés de mouture dans des proportions différentes de celles où le moulin les donne. La mouture par cylindres retire d’un même blé des produits très variés ; en les associant dans des proportions convenables, on obtient des types de farine particuliers à peu près comme un peintre obtient les teintes qu’il veut sur sa palette par le mélange des couleurs naturelles.

Proposons-nous maintenant d’apprécier la qualité d’une farine. On peut, sans le secours de l’analyse chimique, obtenir de précieuses indications par le seul examen des caractères extérieurs de la farine, savoir la couleur, le toucher, l’odeur et la saveur.

La couleur de la farine doit être d’un blanc jaunâtre. Pour comparer la couleur de plusieurs échantillons de farine, on peut avantageusement employer l’appareil dû à l’ingénieur autrichien Peckar. Sur une planchette en bois noirci on place un premier échantillon de farine. Au moyen d’une spatule de verre on presse doucement la farine par un mouvement de va-et-vient horizontal, de manière à obtenir une couche compacte de 6 à 8 millimètres d’épaisseur, uniformément tassée à l’intérieur et parfaitement unie à la surface. Ensuite, au moyen d’un bord de la spatule disposé en lame de couteau, on coupe nettement les bords de la couche, de façon à obtenir une tablette rectangulaire à arêtes bien droites. On pousse doucement cette tablette vers une extrémité de la planchette, en évitant de la briser. On procède de la même façon pour les autres échantillons, que l’on range les uns à côté des autres en les serrant le plus possible de manière à ne laisser subsister aucun intervalle entre eux. On peut placer ainsi cinq échantillons sur cette planchette. Le « nécessaire Peckar » contient deux autres planchettes identiques, ce qui permet d’établir la comparaison entre quinze échantillons.

Les échantillons placés sur la planchette sont ensuite comprimés au moyen d’un polissoir en verre, de façon que leur surface soit parfaitement unie ; ce résultat obtenu on coupe les bords de la couche pour lui donner une forme régulière. On peut alors examiner les farines, dont les différentes nuances ressortent très nettement.

On peut encore accentuer davantage les différences en immergeant les couches dans l'eau. On plonge avec précaution la planchette dans un baquet d’eau en l'enfonçant bien normalement et lentement. Une fois la planchette entièrement recouverte par l’eau, on attend quelques instants, pour laisser échapper les bulles d’air, puis on la retire et on la laisse s’égoutter en la plaçant obliquement. L’examen des farines ainsi humectées fournit de nouveaux renseignements, plus précis que ceux qu’avait donnés l’examen à sec.

Les indications du toucher ont une grande importance. La farine ne doit pas s’agglomérer spontanément en grumeaux d’une certaine consistance. Frottée entre les doigts, elle ne doit pas être trop douce, trop glissante. Elle doit être légèrement granuleuse ; pressée dans la main elle doit s’agglomérer mollement en pelote, et non échapper entièrement. Les farines dites revêches sont celles qui contiennent le plus de gluten.

L’odeur ne saurait être décrite, mais fournit des renseignements précieux : elle doit être agréable.

La saveur doit être douce, sans amertume ni goût de moisi. Introduite dans la bouche, la farine doit se mêler facilement à la salive ; elle ne doit pas croquer sous la dent.

Si le boulanger veut être renseigné le plus parfaitement possible, cet examen superficiel doit être complété par l’examen chimique. Nous avons donné plus haut, dans le chapitre consacré à la composition de la farine, les méthodes d’analyse employées. Nous revenons maintenant sur ce sujet, mais à un autre point de vue : au lieu d’étudier la composition chimique de la farine en général, il s’agit cette fois d’appliquer l'examen chimique à la détermination de la valeur boulangère relative d’une farine donnée. Cet examen exige les opérations suivantes :

1o Détermination de l’eau hygrométrique. — Nous avons vu que la farine est très hygrométrique. La quantité d’eau qu'elle retient est donc en rapport avec l’humidité de l’atmosphère. De plus certains meuniers, pour faciliter l’opération de la mouture, sont dans l’usage de mouiller le blé avant de le faire passer entre les cylindres. Pour ces deux raisons la farine offerte au boulanger peut retenir des quantités d’eau extrêmement variables, et ce fait a une grande importance, car plus la farine est riche en eau, plus elle est altérable, et moins elle absorbera d’eau au pétrissage, c’est-à-dire moins sera grand le rendement en pain.

D’après Rivot, la belle farine de froment, conservée pendant plusieurs jours dans une chambre sèche à la température de 20° à 25°, ne retiens que de 9 à 10 p. 100 d’eau. Celles que vendent les boulangers de Paris en contiennent de 16 à 17, quelquefois même 18 p. 100. On peut admettre de 15 à 17 p. 100 d’eau en moyenne dans les bonnes farines de froment, moulues et conservées dans les conditions atmosphériques ordinaires. Une proportion d’eau plus élevée nuit à la conservation du produit en rendant plus faciles les fermentations.

La détermination de l’eau se fait en pesant une certaine quantité de farine, et la desséchant dans une étuve réglée à 110° jusqu’à poids constant. La période poids représente exactement l’eau hygrométrique que contenait la farine.

2o  Préparation et dosage du gluten. — La préparation du gluten par la méthode ordinaire (malaxer la farine sous un filet d’eau) faite dans des conditions toujours identiques, par le même opérateur, permet de se rendre compte aisément de la bonne ou de la mauvaise conservation de la farine, et de sa qualité pour la fabrication du pain, par la rapidité avec laquelle le gluten se rassemble, et par ses caractères physiques. Avec l’habitude de cette opération on peut classer les farines d’après leur qualité, aussi sûrement que les dégustateurs reconnaissent et classent les vins par leur goût.

Dans les farines altérées par fermentation le gluten ne commence à se réunir qu’au bout d’un temps relativement assez long. Il tend sans cesse à se diviser en grumeaux qui ont peu d’adhérence entre eux. On ne parvient qu’avec peine à le réunir en une seule masse, et celle-ci est beaucoup moins consistante et élastique que ne serait le gluten normal. La différence est d'autant plus grande que la farine examinée est plus altérée. Rivot, opérant toujours sur 100 grammes de farine, a constaté qu’avec les belles farines la préparation du gluten était terminée en moins d’une demi-heure. Elle exigeait une heure et plus pour les farines avariées.

Quant au poids de gluten trouvé à l’analyse, il fournit un renseignement important sur la valeur de la farine supposée en bon état, mais ne permet pas d’en apprécier l’état de conservation.

Le gluten peut être pesé à l’état sec et à l’état humide. Les résultats trouvés ainsi ne sont pas proportionnels entre eux. Dans la pratique ordinaire il est beaucoup plus commode de se dispenser de la dessiccation, opération longue et difficile. Mais les chimistes n’accordent guère de confiance qu'a la détermination du gluten sec. La proportion d’eau que retient le gluten varie avec diverses conditions. Elle varie d’abord avec le temps pendant lequel on a laissé reposer les pâtons avant d’en retirer le gluten, comme l’a montré M. Balland. Il serait facile de s’affranchir de cette cause d’indétermination en fixant ce temps d’une manière conventionnelle. Mais elle varie aussi avec la nature des blés et avec l’état de conservation de la farine. Dans les analyses faites par M. Thubert[1], sur 21 échantillons de farine contenant entre 23,50 et 31,20 de gluten humide p. 100, ce gluten humide contenait entre 42 et 32,4 de gluten sec p. 100, et retenait par conséquent entre 58 et 67,6 d’eau p. 100. Dans un échantillon de farine qui ne contenait que 14,1 p. 100 de gluten humide, ce gluten était beaucoup moins hydraté que d’habitude : il n’avait retenu que 54,8 p. 100 d’eau. Sur 2300 échantillons de farines analysés sous la direction de M. Balland au laboratoire de l’Administration de la guerre, des écarts plus grands encore ont été observés : le gluten le plus hydraté retenait 71,13 p. 100 d’eau, et le moins hydraté 52 p. 100.

Dans les farines de premier choix du commerce, l’hydratation est voisine de 70 p. 100. Les meilleures farines, au point de vue de la panification, sont celles dont le gluten retient la plus forte quantité d’eau.

Nous avons dit que l’hydratation du gluten varie avec l’état de conservation : plus le gluten est avarié, moins il retient d’eau.

On voit d’après cela qu’il y a intérêt, dans l’examen d’une farine, à doser à la fois le gluten humide et le gluten sec. L'hydratation du gluten ne doit pas descendre au-dessous de 62 p. 100.

Les praticiens emploient fréquemment, pour apprécier la qualité du gluten, un appareil connu sous le nom d’Aleuromètre de Boland, et qui à pour but de mesurer l’extensibilité du gluten à la cuisson. En voici le principe : dans un cylindre (fig. 34), on place 7 grammes du gluten humide à examiner ; le cylindre est plongé dans un bain d’huile à 150° que l’on continue à chauffer pendant dix minutes. Le gluten se boursoufle par la chaleur, et soulève une rondelle de cuivre placée au milieu du cylindre. La hauteur à laquelle arrive cette rondelle est prise pour mesure de l'extensibilité du gluten. Cotte hauteur est elle-même mesurée au moyen d’une tige verticale, graduée de haut en bas, de 25 à 50, fixée sur la rondelle.

Fig. 34. — Aleuromètre Boland.
Fig. 34. — Aleuromètre Boland.

Quand cette dernière est soulevée par la dilatation du gluten, la tige s’élève et sort du cylindre. On lit le nombre de divisions dont la tige dépasse le bord du cylindre. Ce nombre n’excède jamais 50, et on admet que s’il est inférieur à 25, la farine d’où provenait le gluten essayé n’est pas propre à la panification.

Dans la pensée de son inventeur, le degré marqué à l'aleuromètre par une farine en mesure la valeur au point de vue de la panification. La comparaison faite entre les indications de cet instrument et les données de l’analyse chimique ne justifie pas cette affirmation. on rencontre des farines de qualité médiocre, qu'un examen chimique approfondi fait éloigner des approvisionnements militaires, et qui marquent cependant 50 degrés à l’aleuromètre, tandis que de bonnes farines, fraiches et provenant de bonnes moutures, marquent quelquefois un degré très faible. Les analyses de M. Balland, ainsi que celles de M. Thubert, conduisent à rejeter complètement l’emploi de l’aleuromètre.

Examen de l’amidon. —• Dans la préparation précédente du gluten, les matières entraînées par l’eau doivent être reçus d’abord sur un tamis, puis dans une grande capsule. C’est là que se dépose l’amidon, avec plus ou moins de lenteur. Cet amidon doit être examiné attentivement. Quand il provient de farine de froment pure et de bonne qualité, il a un aspect satiné tout spécial. Quand il provient de farine de froment altérée, ou d’un mélange de bonne farine de froment avec des farines de seigle, de maïs, de millet, etc..., il est gluant sous les doigts et présente pour chaque cas spécial un caractère particulier. Un œil très exercé peut seul tirer de cet examen tout le profit possible.

Examen des autres matières solides. — Le tamis au-dessus duquel on a malaxé la pâte retient le son, les débris de tissu cellulaire, les matières étrangères et de petites portions de gluten. Ces dernières, faciles à séparer, ont dû être réunies à la masse du gluten qui était restée dans la main. La quantité comparative des autres matières permet d'évaluer approximativement le soin avec lequel le son a été séparé, et la propreté de la farine.

Dosage de l'acidité. — Ce dosage fournit d’excellentes indications sur l’état de conservation des farines, indications qui s’accordent avec celles que fournit le dosage et l’examen du gluten : à une forte acidité correspondent une faible teneur en gluten sec et une faible hydratation de ce gluten. Nous avons donné plus haut la méthode qui permet de comparer l’acidité des farines. M. Balland a constaté que dans les farines propres à la panification et en bon état l’acidité mesurée par cette méthode oscille entre 0,013 et 0,040 p. 100 (en acide sulfurique). Des acidités notablement supérieures à celles-ci indiquent des farines avariées, à moins que la farine ne contienne une proportion considérable d’issues, auquel cas elle ne serait pas panifiable.

Examen microscopique. — Il est utile de soumettre au microscope, séparément : 1° la farine elle-même ; 2° l’amidon, classé, par agitations avec l’eau et décantations successives, en deux, trois ou quatre grosseurs ; 3° les débris d’enveloppes et fragments de tissu cellulaire.

C’est l’examen de l’amidon, examen fait dans la lumière naturelle et la lumière polarisée, qui fournit les renseignements les plus utiles, relativement aux mélanges de farines étrangères. Nous n’entrerons pas dans le détail de cet examen, qui appartiendrait plutôt à un Traité des farines. Nous nous bornerons à reproduire les ligures des diverses sortes d’amidon qu’on peut rencontrer (fig. 35 à 46).

L’examen microscopique des débris d’enveloppes permet aussi de reconnaître les adultérations, mais, en dehors de toute recherche de fraude, cet examen a une importance spéciale pour permettre de prévoir les

Fig. 35. — Fécule de pomme de terre et amidon de blé en lumière polarisée.
Fig. 35. — Fécule de pomme de terre et amidon de blé en lumière polarisée.

qualités du pain que pourra fournir une farine donnée.

On sait que les parties qui influent d’une manière défavorable sur la couleur et la qualité du pain sont la membrane interne du tégument séminal et les germes : ce sont en effet ces parties qui renferment les diastases ; au contraire les barbes qui hérissent le sommet du grain, les débris du péricarpe et du testa se comportent simplement comme des substances inertes qui ne Page:Boutroux - Le pain et la panification.djvu/210 nuiraient que si elles intervenaient en proportion considérable. Il importe donc de doser l’ensemble des débris étrangers, et surtout ceux de ces débris qui proviennent du germe et du tégument séminal. On doit à M. A. Girard une méthode qui permet de faire ce dosage rigoureusement[2]. Les débris provenant d’un poids connu de farine, soit 10 grammes, et séparés comme nous l’avons dit plus haut, du gluten et de l’amidon, pourraient être pesés, mais on n’aurait ainsi que leur proportion totale, sans séparation en débris nuisibles et débris indifférents. M. A. Girard a recours au dénombrement. On met tous ces débris en suspension dans un liquide visqueux d’une densité telle qu’ils puissent y rester en équilibre : ce liquide est un mélange, par parties égales, de glycérine et de sirop cristal (glucose et dextrine) : le volume total est mesuré ; après avoir obtenu, par une agitation convenable, une répartition uniforme de ces débris dans tout le liquide, on en remplit une cellule de verre à fond quadrillé, analogue à celle que les physiologistes emploient pour la numération des globules du sang. Les dimensions sont telles que chaque carré gravé sur le fond est la projection horizontale de de millimètre cube. La cellule est examinée au microscope sous un grossissement de 60 à 80 diamètres. Dans chaque carré on compte tous les débris qui s’y rencontrent, en les classant par catégories suivant leur nature. L’expérience montre que les résultats sont identiques, à quelques unités près sur plusieurs centaines, d'un carré à l’autre ; on obtient donc des résultats d’une précision remarquable en prenant la moyenne des observations faites sur dix carrés. Il est facile de calculer ainsi le nombre des débris de diverses sortes que contenaient les 10 grammes de farine.

Voici quelques résultats parmi ceux qu’a obtenus M. A. Girard avec un blé tendre examiné en 1895 :

Mouture aux cylindres. Mouture par meules.
Taux d'extraction. 45% 60% 70% 80% 65 à 70% 65 à 70%
Farines
 
Fleur supér. Farine 1er Farine 2e Farine 3e Ardèche. Nièvre.
Débris inactifs.
Péricarpes
1.800 2.700 6.900 10.000 4.900 4.700
Testa
300 1.700 2.400 3.500 900 1.400
Barbes
400 900 4.500 5.600 4.400 6.600





Total
2.500 6.300 13.800 19.100 10.200 12.700





Débris actifs.
Sons entiers
néant néant 6.100 6.500 700 2.600
Membranes
700 3.600 8.200 10.900 4.900 4.600
Germes
200 800 4.200 7.600 2.900 2.400





Total
900 4.400 18.500 25.000 8.500 9.600





Total général dans 1 gr. de farine. 3.400 10.700 32.300 44.100 18.700 22.300

On voit combien cette méthode peut fournir de renseignements précieux ; mais c’est au meunier plutôt qu’au boulanger qu’il en faut recommander l’emploi ; le meunier a par là le moyen de se rendre exactement compte de la valeur des opérations par lesquelles il classe les diverses sortes de farine que donne un même blé.

7o On peut encore doser l’azote total, ainsi que les cendres et les sels particuliers qui les composent. Mais à vrai dire ces dernières données analytiques sont loin d’avoir, au point de vue de la boulangerie, la valeur de celles que fournit l’examen du gluten, de l’amidon et des débris d’enveloppes.

8o Enfin l’examen d’une farine ne peut être complet que si l’on connaît en même temps la qualité du pain qu'elle produit dans de bonnes conditions de fabrication, ainsi que son rendement en pain. Mais ces caractères seront examinés plus bas.

La farine qui vient d’être moulue doit être conservée un certain temps avant d’être employée. Elle s’améliore pendant ce temps. Au bout d’une huitaine de jours on commence à pouvoir remarquer une amélioration qui va en s’accentuant dans la suite pendant une période qu’on ne saurait fixer avec précision. C’est entre quinze jours et un mois à peu près qu’elle a acquis toute la valeur dont elle est susceptible. On commence ordinairement à l’employer deux ou trois mois après la mouture. Au délà elle ne se bonifie plus, mais peut conserver encore longtemps ses qualités. Les altérations surviennent au bout d’un temps très variable suivant les conditions de conservation. Une farine moulue depuis deux ans peut être encore apte il fournir un excellent pain.

§ 2. — Pétrissage.

Le pétrissage a pour but de mélanger intimement le levain avec de la farine, de l’eau et du sel, de façon à faire une pâte aussi homogène que possible. Il peut être exécuté à bras ou confié à des pétrins mécaniques. Décrivons d’abord le pétrissage à bras, tel qu’il est pratiqué dans les boulangeries de France.

Le pétrin est une auge en bois ayant à peu près la forme d’un demi-cylindre à axe horizontal. On y introduit la farine destinée à une fournée. A l’une des extrémités du pétrin on creuse dans la farine une cavité dont on renforce le contour avec de la farine comprimée, cette cavité s’appelle la fontaine. Le levain est placé dans la fontaine. On y ajoute, en deux fois, l’eau qui doit être employée ; celle-ci doit être tiède, et en quantité égale à un peu plus du poids de la farine ; on ne saurait fixer cette quantité d’une manière plus précise, car la proportion d’eau à employer est variable. Elle dépend surtout de la qualité de la farine : les farines qui absorbent le plus d’eau sont les meilleures. Elle dépend aussi de la fermeté qu’on doit donner à la pâte. On délaie le levain avec cette eau de manière que la masse ne contienne aucun grumeau et soit aussi liquide que possible. Cette masse s’appelle la délayure.

À la délayure on ajoute, par portions successives, le reste de la farine. On opère rapidement le mélange, sans retirer les mains. On n’obtient pas encore ainsi une pâte élastique, mais une masse peu liée, remplie d’inégalités, ayant une consistance voulue. Cette opération s’appelle la frase.

Elle est suivie de la contre-frase, qui s’exécute ainsi : on ratisse le pétrin de manière A tout rassembler en une seule masse, que l’on retourne d’avant en arrière et de droite à gauche et inversement. Ces déplacements de la pâte, extrêmement pénibles, doivent être exécutés avec célérité.

Ensuite, les mains placées sous la pâte, on travaille celle-ci en la tirant, la rapprochant, la retournant par gros pâtons, qu’on jette dans le pétrin de droite à gauche et de gauche à droite. Ces déplacements s’appellent les tours à pâte.

Cette opération terminée, on ratisse encore le pétrin, et on retire la moitié de la pâte, que l’on met dans une corbeille pour en faire un levain.

La moitié qui reste dans le pétrin subit alors l’opération du bassinage : on fait dans la pâte des enfoncements, dans lesquels on verse de l’eau salée. La proportion du sel à employer est d’environ 0 kil. 75 de sel pour 1U0 kilos de farine. Elle varie beaucoup d’un pays à un autre.

L’emploi du sel ne se fait pas partout comme nous venons de l’indiquer. Dans les manutentions militaires, par exemple, au lieu d’incorporer l’eau salée vers la fin du pétrissage, on introduit tout le sel dans l’eau dans laquelle on délaie le levain. Il y a même des localités où le set est ajouté à l’état solide par poignées sur le levain avant que l’on coule l’eau dans laquelle on va le délayer. Cette dernière pratique est à blâmer, parce que le sel peut ainsi ne pas se dissoudre entièrement pendant le délayage. On peut craindre aussi, quand le sel, même en solution parfaite, est ajouté tout entier au levain, qu’il ne retarde la fermentation s’il est en proportion un peu forte, Ceci n’est plus à craindre à la fin du pétrissage ; il suffit pour s’en rendre compte de se reporter à l’expérience de la page 137, où, du levain ordinaire ayant été incorporé A une pâte acidulée par de l’acide tartrique, la pâte a levé plus vite qu’une autre qui contenait dix fois moins d’acide tartrique, mais qui contenait cet acide dans son levain. Le sel doit agir de la même manière que l’acide tartrique.

Dès que l’eau salée est bien incorporée, on donne à la pâte plusieurs tours, puis on procède à la dernière opération du pétrissage, nommée le battement ou soufflage.

On prend la pâte les mains serrées, on l’enlève et on la laisse retomber violemment, en la retournant de manière à placer en dessus la partie qui était au fond du pétrin. Ces mouvements sont réitérés plusieurs fois aussi promptement que possible. Ils donnent à la pâte de la blancheur, du volume et de l’élasticité.

Les boulangers distinguent trois sortes de pâte, la pâte ferme, la pâte mi-ferme ou bâtarde, et la pâte douce. Ces pâte diffèrent par leur teneur en eau, et aussi par quelques détails dans le travail nécessaire pour obtenir. La pâte ferme n’est plus en usage dans les grandes villes. C’est la pâte bâtarde qui est employée A Paris pour les pains ordinaires. La pâte douce, d’un travail plus difficile, est employée pour certains pains de luxe.

Le pétrissage à la main est un travail extrêmement pénible, auquel les ouvriers les plus robustes ne peuvent résister bien longtemps. De plus il entraîne inévitablement des malpropretés répugnantes. L’ouvrier ayant constamment les mains dans la pâte ne peut prendre aucune précaution pour éviter que la sueur qui lui coule du front d’une manière continue ne se mélange au pain. Aussi depuis longtemps a-t-on fait de nombreuses tentatives pour substituer dans le pétrissage le travail d’une machine à celui de l’homme. Les résultats obtenus jusqu’à présent ne sont pas absolument satisfaisants. On a réussi à construire des pétrins mécaniques au moyen desquels un même nombre d’ouvriers fait dans un même temps plus de pain qu’à la main. Mais le travail imposé à ces ouvriers par la machine est encore très pénible, au moins avec certains modèles des plus usités ; la sueur continue à aveugler le pétrisseur et à ruisseler sans interruption dans le pétrin mécanique aussi bien que dans l’ancien pétrin à bras.

Un très grand nombre de pétrins mécaniques de formes diverses ont été proposés et employés. Le lecteur trouvera dans le Manuel Roret la description de plus de trente-quatre modèles. Les uns peuvent être mis en mouvement à bras d’homme, les autres exigent une force motrice plus puissante.

Nous décrirons seulement l’un des plus employés, le pétrin Deliry. Construit pour la première fois en 1855, il a reçu des perfectionnements successifs. Ce pétrin (fig. 47) est constitué par un bassin en fonte à bords évasés, tournant autour d’un axe vertical. A l’intérieur de ce bassin se meuvent : 1° un pétrisseur en forme de lyre pour fraser la pâte et ensuite la découper pendant toute 1a duré du travail ; 2° deux allongeurs de forme hélicoïdale pour souffler et allonger la pâte, ainsi que cela se pratique dans le pétrissage à bras.


Fig. 47. — Pétrin mécanique Deliry, pour pâte à pain, roulant sur six galets avec ses poulies de commande.
Les opérations se font de la manière suivante. On verse dans le bassin l’eau et le levain, puis on met le pétrin en marche. On embraie alors le pétrisseur, et lorsque le levain est bien délayé dans l’eau on verse la farine et on embraie les deux allongeurs. Le pétrissage exige de 12 a 15 minutes s’il s’agit de pâtes douces ou bâtardes, de 15 à 25 minutes si l’on veut faire des pâtes plus fermes. Pendant le travail le pétrin se nettoie lui-même et continuellement au moyen d’un coupe-pâte qui y est adapté. Aussitôt le pétrissage terminé, on peut remplacer le coupe-pâte par un porte-balance ; la pesée se fait alors sans qu’on soit obligé de retirer la pâte du pétrin. Ce dernier perfectionnement supprime l’opération la plus pénible que laissait subsister le pétrissage mécanique.

Comparaison entre le pétrissage à la main et le pétrissage mécanique. — Malgré les perfectionnements les plus ingénieux, les machines à pétrir n’arrivent pas à exécuter toutes les opérations du pétrissage avec la même perfection que les bras humains.

On leur reproche encore de refroidir la pâte quand ils sont en fonte, d’être d’un nettoyage très difficile, de trop multiplier les contacts de la pâte avec l’air, ce qui lui fait prendre, par dessiccation, une trop grande consistance avant qu’elle ait été suffisamment battue ; de laisser subsister dans la pâte les corps étrangers que peut accidentellement contenir la farine, et qui seraient retirés par l’ouvrier dans le pétrissage à bras ; et autres défauts de détail.

D’un autre côté, les pétrins mécaniques rendent de grands services dans la fabrication du pain sur une grande échelle, comme pour les prisons, les hôpitaux, les armées. Dans ces cas, si le travail est moins parfait que celui qu’exécuterait un bon boulanger de ville, stimulé par la concurrence commerciale, il est en revanche, plus régulier que celui qu’on pourrait attendre d’ouvriers agissant seulement sous l’empire de la discipline. La qualité du pain dépend ainsi beaucoup moins du caprice de l’homme. Le rendement, avec une farine donnée, peut être à peu près constant ; la fermeté de la pâte peut être fixée d’une manière plus précise. Le travail continu peut être obtenu plus facilement. Enfin l’emploi des pétrins mécaniques économise la main d’œuvre et le temps : un homme suffit là où il faudrait deux ou trois pétrisseurs, et le pétrissage complet exige de 15 à 20 minutes de moins que le pétrissage à bras dans les mêmes conditions.

La tendance irrésistible de la civilisation moderne vers la suppression de la petite industrie au profit de la grande permet de prévoir que l’avenir appartient au pétrin mécanique, mais de grands progrès sont encore à réaliser pour que le travail à bras puisse être abandonné sans laisser trop de regrets.

§ 3. — Apprêt de la pâte et préparation des pains.

Une fois le pétrissage terminé, la pâte est recouverte d’une toile et abandonnée à elle-même pour fermenter. Ce repos de la pâte est appelé par les boulangers la mise au tour. Il a lieu soit dans le pétrin même, soit dans un autre récipient appelé tour. Il dure un temps variable selon l’état de la pâte et les conditions qui accélèrent ou retardent la fermentation. On donne le nom d’apprêt à la modification que la fermentation fait subir à la pâte. Ce même mot désigne aussi le temps que dure cette fermentation.

Les principales conditions qui influent sur le temps d’apprêt sont les suivantes :

1° Relativement au levain. Plus le levain incorporé à la pâte est fort, c’est-à-dire en état de fermentation avancée, plus l’apprêt doit être court.

2° Relativement à la pâte. Plus la pète est douce, plus l’apprêt doit être court, parce que la fermentation prolongée en diminuerait trop la consistante. L’apprêt doit être aussi d’autant plus court que la masse de pâte est plus considérable, parce que la fermentation en est d’autant plus vive.

3° Relativement au milieu extérieur. Plus la température est élevée, plus l’apprêt doit être court. En hiver des précautions sont nécessaires pour éviter le refroidissement pendant l’apprêt ; on couvre la pâte d’étoffes de laine, on chauffe, s’il y a lieu, le local.

Dans les conditions moyennes, l’apprêt de la pâte au pétrin dure une vingtaine de minutes ; la pratique seule permet d’apprécier le moment où l’apprêt est convenable.

Quand ce moment est arrivé, on divise la pâte en portions dont chacune devra être un pain. Ces portions sont pesées : elles doivent avoir un poids supérieur à celui des pains qu’on veut obtenir, à cause de la perte de poids à la cuisson. Ensuite on leur donne la forme voulue, on les saupoudre de farine grossière, qu’on appelle fleurage, et on les dépose soit sur des couches, soit dans des panetons. Les couches sont des toiles, saupoudrées de farine ou de petit son, posées sur une surface horizontale, et qu’on replie sur les pains de manière à les envelopper de tous côtés. Les panetons sont des corbeilles doublées de toile. Un de leur principaux avantages est qu’on peut les déplacer à volonté pour les mettre plus au frais ou plus au chaud suivant qu’il est utile de ralentir ou d’accélérer la fermentation.

Les pâtons subissent,soit sur les couches, soit dans les panetons, un nouvel apprêt, plus long que l’apprêt au pétrin, et qu’on peut évaluer en moyenne à environ 35 minutes, après quoi les pains sont prêts à être enfournés.

§ 4. — Préparation des levains.

Nous avons vu que le levain, quelle qu’en soit l’origine, doit son activité à de la levure, c’est-à-dire à une ou plusieurs espèces de Saccharomyces. Il s’agit d’utiliser le pouvoir que possèdent ces microorganismes de produire du gaz carbonique, pour faire gonfler la pâte dans toutes ses parties. On y arrive par des procédés divers qui peuvent être rapportés à deux principaux : le pétrissage sur levure et le pétrissage sur levain, entre lesquels se placent des procédés mixtes.

Le procédé le plus simple est le travail sur levure. On trouve ce microorganisme dans le commerce. Il est cultivé en grand pour l’usage spécial des boulangers. Dans les pays de brasserie on peut aussi se servir de levure de bière, mais celle-ci est moins blanche et colore un peu le pain. Elle est aussi moins active que la levure spéciale. Cependant elle est parfois préférée comme donnant au pain plus d’arôme. En Allemagne le pétrissage sur levure, est le seul employé pour la fabrication du pain blanc. Voici comment on le pratique. Pour trois fournées on emploie :

Farine de froment (lre qualité) 
230 kilog.
Farine de sarrasin 
2 -
Lait 
120 litres.
Levure 
3 kilog.
Sel 
3 -

Avec un tiers de la farine, 50 litres de lait tiède et toute la levure on fait une pâte molle, qu’on laisse reposer 2 heures et demie. Si la fermentation s’est déclarée, on délaie cette pâte dans le reste du lait. On incorpore le reste de la farine et le sel, on pétrit grossièrement à la main, puis on confie la masse au pétrin mécanique.

Le même procédé est employé en France pour divers pains de luxe. Nous exposerons plus loin les procédés suivant lesquels la levure est employée en Angleterre.

Si l’on considère la grande économie de temps et de main-d’œuvre que procure le travail sur levure, on est tenté d’étendre l’emploi de la levure à la fabrication du pain ordinaire. Mais ici se présentent des difficultés. La levure pressée que fournissent les fabricants est un produit extrêmement altérable. Il en résulte une incertitude perpétuelle sur le dosage de la quantité de levure à employer pour chaque fournée. En effet, si le produit ne contient que des cellules vivantes et en état d’activité parfaite, il en faut beaucoup moins que s’il contient une forte proportion de cellules mortes ou languissantes. On ne peut donc obtenir de bons résultats qu’à la condition d’employer de ta levure parfaitement fraîche pour chaque fournée, et alors le procédé devient coûteux, et même impraticable dans les localités très éloignées des centres de production de la levure.

L’industrie cherche depuis plusieurs années à supprimer cet inconvénient en fournissant à la boulangerie de la levure préparée de manière à être parfaitement conservable pendant des mois. Pasteur a démontré que de la levure pressée, mélangée au mortier avec cinq fois son poids de plâtre, et ainsi parfaitement desséchée, conservait sa vitalité pendant plus de sept mois. Il suffit donc de dessécher la levure soit par le contact avec une substance inerte déshydratante, soit par l’action d’un courant d’air sec, ou par tout autre moyen reconnu inoffensif pour la vie des cellules, pour obtenir un produit qui conservera très longtemps le pouvoir de déterminer la fermentation du sucre et qui, par conséquent, pourra être employé à la panification. De là l’industrie des levures sèches. A vrai dire, cette industrie est « renouvelée des Grecs », car le levain qu’ils obtenaient en séchant au soleil une pâte faite avec du moût de raisin en fermentation et du son, et qu’ils employaient pendant un an à la panification (Voir ci-dessus p. 92) était une véritable levure sèche. Cependant les résultats obtenus récemment dans l’industrie des levures sèches, tout en étant encourageants, ne sont pas encore pleinement satisfaisants. Au reste on ne doit pas, a priori, s’attendre à pouvoir produire une levure sèche qui ait exactement la valeur d’une bonne levure fraîche. Dans l’expérience de Pasteur sur la levure desséchée par le plâtre, la levure, tout en conservant la puissance fermentative, subissait une diminution progressive dans son activité. Pasteur semait cette poudre de plâtre et levure à diverses époques dans un moût de bière stérilisé toujours semblable, maintenu toujours à la même température de 20° dans une étuve, et notait le temps qui s’écoulait entre l’ensemencement et la première apparition de petits îlots de mousse à la surface du moût, indice du début de la fermentation.

J’appellerai ce temps l’incubation. L’ensemencement ayant toujours été pratiqué avec la même quantité de poudre et la même quantité de moût, le tableau suivant montre comment a varié la durée d’incubation avec l’ancienneté de la levure.

Ancienneté du mélange. Incubation.
2 jours. 3 jours.
2 mois 19 jours. 4 —
7 — 9 — 8 —
10 — et demi. Levure morte.

Ainsi la levure sèche perd peu à peu son activité jusqu’à devenir complètement inerte. Mais la variation est lente et régulière, tandis qu’une levure fraîche qui s’altère peut subir en 24 heures un abaissement énorme d’activité et devenir tout à fait impropre à la panification.

Nous citerons comme levures sèches pouvant être employées à la panification la levure Vaguiez (à Montières-lez-Amiens), que nous avons trouvée très active, la levure Collette, moins active d’après nos comparaisons, et le Levain Royal, mélange de levure et d’amidon, de fabrication anglaise qui, dans nos essais, s’est montré beaucoup moins actif à poids égal, mais, employé sous un poids suffisant, a fourni des résultats satisfaisants. Nous devons dire toutefois qu’après essai l’Administration militaire a rejeté l’emploi de toutes ces levures sèches.

Le travail sur levain se fait de deux manières différentes qu’on appelle le pétrissage sur levain naturel et le pétrissage sur pâte.

Le pétrissage sur pâte est très simple : il consiste à prélever sur la première fournée la moitié de la pâte au moment où elle est complètement pétrie ; on lui laisse prendre un apprêt convenable, puis on l’utilise immédiatement comme levain pour la seconde fournée. Le même prélèvement, fait sur la seconde fournée, fournit le levain destiné à la troisième, et ainsi de suite.

Ce procédé ne peut pas être appliqué indéfiniment. Il suppose des opérations absolument continues.

Le pétrissage sur levain naturel se fait, dans les boulangeries françaises, en plusieurs temps. On commence par prélever une portion d’une pâte complètement pétrie ; on la repétrit avec de l’eau et de la farine, de manière à en faire une pâte ferme ; on met celle-ci au frais dans une corbeille revêtue, à l’intérieur, d’une toile qui se replie sur la pâte. Cette pâte est appelée le levain chef. On le laisse fermenter jusqu’à ce qu’il ait doublé de volume. A ce moment il doit présenter une surface bombée, lisse ; il doit être élastique et tenace, et répandre une odeur vineuse agréable. Cette fermentation dure de quatre à cinq heures suivant la saison. Pendant ce temps il se produit une grande multiplication de levure, mais en même temps il se développe des bactéries qui désagrègent le gluten et rendent la pâte acide. Évaluée en acide sulfurique normal, l’acidité peut ainsi s’élever, d’après les expériences de M. Balland, jusqu’à 0,350 p. 100 dans le levain humide, soit environ 0,6 pour 100 parties de levain desséché, la farine employée contenant, à l’état sec, 0,1 d’acide p. 100. Si dans un levain chef dont l’apprêt est terminé on dose le gluten, on trouve qu’il a diminué en quantité, et qu’il est devenu visqueux, filant, difficile à rassembler.

Quand l’apprêt du levain chef est terminé, on procède à un rafraîchissement qui en fera le levain de première. Le levain chef est délayé dans de l’eau et additionné d’un poids de farine égal au sien, le tout pétri en pâte ferme. Puis on lui laisse prendre son apprêt dans le pétrin, ou en corbeille s’il y a lieu. La farine nouvelle que contient cette pâte favorise la multiplication de la levure, et diminue la proportion de bactéries, pourvu qu’on ne laisse pas la fermentation durer trop longtemps. Aussi, suivant la saison, les boulangers rafraîchissent-ils plusieurs fois le levain de première, ce qui rend la fermentation de plus en plus franchement alcoolique, et par suite augmente la proportion de gluten normal et diminue l’acidité.

On fait ensuite le levain de seconde en rafraîchissant le levain de première de manière à en augmenter le volume d’un tiers. On fait une pâte moins ferme que celle du levain précèdent, et on la travaille davantage. Ces règles sont justifiées par la nécessité d’obtenir une fermentation dans laquelle la levure prédomine de plus en plus : il faut pour cela que l’apprêt soit obtenu dans un temps plus court, ce qui exige plus d’eau et une homogénéité plus parfaite de la pâte.

Enfin en rafraîchissant le levain de seconde, on fait le levain de tout point. Celui-ci doit avoir, en été, la moitié du volume de la fournée à faire, et en hiver, au moins le tiers. On le travaille avec plus de soin encore que le levain de seconde et pour les mêmes raisons ; il doit être très peu acide, et ressembler beaucoup à la pâte de pain.

C’est avec le levain de tout point que l’on fait la pâte définitive ainsi que nous l’avons expliqué ci-dessus. Si ce dernier levain doit être employé en plu» grande proportion en été qu’en hiver, c’est que, la température élevée favorisant le développement des bactéries, il faut diminuer le plus possible le temps d’apprêt de la pâte définitive. 11 faut n’avoir à produire dans celle-ci qu’un début de fermentation.

En somme les principes qui doivent guider le travail délicat des levains, peuvent se résumer de la manière suivante. La fermentation panaire effectuée avec un levain de pâte pour point de départ se compose de plusieurs fermentations qui peuvent être ramenées à deux principales : fermentation alcoolique par levure, et fermentation acide par bactéries. Ces deux fermentations sont presque complètement isolées au deux bouts 228 PAIN. du temps de l'apprêt : au début il y a multiplication presque exclusive de levure, avec production corrélative d’alcool et d’acide carbonique, le gluten étant respecté ; à la fin il y a multiplication presque exclusive de bactéries, avec production d’acides liquides (lactique, acétique, butyrique) et de gaz carbonique, et en même temps altération du gluten. Au milieu du temps d’apprêt ces deux fermentations se superposent. Enfin plus la température est élevée, plus la phase de début est courte et fait place rapidement à la phase intermédiaire et à la phase finale. Si l’on se bornait toujours à la phase de début, la proportion des cellules de levure par rapport aux bactéries irait en croissant, mais aussi, faute d’un temps de développement suffisant, la proportion du nombre des cellules de levure par rapport au volume de la pâte irait en décroissant ; le levain ne serait plus assez fort ; quand on l’incorporerait à la pâte définitive, il ne pourrait la gonfler qu’au bout d’un temps tellement long que la phase intermédiaire et la phase finale s’établiraient. Le mal qu’on aurait évité dans le levain, on le retrouverait dans la pâte définitive. C’est pourquoi dans la préparation du levain chef, pour obtenir une multiplication suffisante de levure, on pousse l’apprêt jusqu’au commencement de la phase finale. Mais, par les rafraîchissements successifs, c’est-à-dire par une série de cultures de début, on augmente progressivement le rapport du nombre des cellules de levure au nombre des bactéries, tout en augmentant assez le volume de la pâte de levain pour que, dans DESCRIPTION DES OPÉRATIONS. 25» la pâte définitive, on puisse obtenir un gonflement suffisant en arrêtant la fermentation à sa première phase. Dans le travail sur pâte, où l’on fait aussi une série de cultures de début, il est A remarquer que la qualité des fournées successives va en s’améliorant.

De travail sur levain consiste donc au fond A maintenir un équilibre entre deux phénomènes antagonistes dont la pâte est le siège : la multiplication de la levure et la multiplication des bactéries. On peut faciliter singulièrement cet équilibre par l’emploi judicieux de la levure commerciale. Aussi les boulangers des grandes villes, tout en travaillant sur levain, ajoutent-ils de la levure chaque fois qu’il y a lieu d’activer la fermentation alcoolique. Le travail sur levain et le travail sur levure aboutissent au même résultat mécanique, au gonflement de la pâte ; mais les qualités du pain obtenu dans les deux cas ne sont pas les mêmes. Les différences les plus sensibles résident dans l’acidité de la pâte, dans la saveur, dans la couleur et dans la structure. Le pain fait avec le levain de pâte seul a la mie sensiblement acide ; celui qui est fait avec la levure seule a la mie à peu près neutre, cette différence est tout expliquée par les considérations qui précèdent : l’acidité est produite par les bactéries, et celles-ci sont rendues impuissantes par la levure. La différence de saveur est en rapport avec cette différence de réaction : l’acidité, si elle n’est pas poussée trop loin, plaît en général au consommateur ; s’il a l’habitude du pain légèrement 230 PAIN. acide, celui qui ne l’est pas lui parait fade. La différence de saveur provient aussi de substances moins faciles à déceler chimiquement : la levure introduit un certain arôme qui peut plaire ou déplaire. Quand elle n’est pas bien fraîche, elle donne un goût désagréable. De même les bactéries du levain communiquent une saveur aromatique spéciale, moins prononcée. Quant à la couleur, le pain fait à la levure seule a la mie un peu moins blanche, jaunâtre. Ceci peu tenir à des causes diverses. D’abord si l’on a employé une levure qui n’était pas blanche, le pain est coloré par la levure elle-même. De plus, si la farine contient un peu de substance empruntée à l’enveloppe du grain, nous savons que cette substance cède à l’eau des matières solubles qui brunissent à l’air ; la levure, comme nous l’avons vu, laisse commencer ce brunissement, mais l’empêche de s’augmenter à partir du moment où elle détermine une fermentation vive. Les bactéries font plus : elles décolorent ces matières déjà brunies. Par conséquent si la farine contient quelque peu de débris d’enveloppes (et elle en contient toujours), le pain qu’on fera avec cette farine et la levure sera plus coloré par ces débris que celui qu’on fera avec cette farine et du levain. La différence la plus frappante est celle que présente la structure de la mie dans les deux cas. La mie des pains faits avec la levure seule présente des cellules régulières, étroites et friables ; elle a une structure pour ainsi dire mousseuse. Celle des pains faits avec le levain de pâte présente des cellules irrégulières, de dimen¬ DESCRIPTION DES OPÉRATIONS. 251 sions très variées. Ceci s’explique par la différence de conservation du gluten. Dans la pâte faite sur levure le gluten est beaucoup mieux conservé ; c’est pourquoi les cellules, protégées comme nous l’avons dit par une enveloppe élastique et presque imperméable, conservent après la cuisson la structure mousseuse qu’elles avaient pendant la fermentation. Au contraire dans la pâte sur levain, nous avons vu que sous l’influence des bactéries, des diastases qu’elles sécrètent et de l’acidité qu’elles produisent, le gluten est beaucoup plus modifié et a perdu on partie la propriété de former avec l’eau une matière malléable et ductile ; de sorte que les gaz dégagés pendant la fermentation, au lieu de rester emprisonnés bulle par bulle dans de petites cellules, s’échappent des points où ils ont pris naissance et se rassemblent çà et là dans des poches qui s’écrasent à demi sous le poids des couches superposées. La différence de structure des deux sortes de pain entraîne une différence dans leur faculté de se conserver. Nous étudierons plus loin les modifications que subit le pain après la cuisson. Mais dès maintenant nous devons dire que le pain fait sur levure se modifie plus rapidement que l’autre : il ne conserve pas sa saveur du jour au lendemain : il a besoin d’être mangé tendre. Il ne se prête donc pas comme le pain fait sur levain à être préparé en provision pour plusieurs jours ainsi qu’on le pratique d’ordinaire à la campagne. Cet examen, d’une part, du travail, et d’autre part, des résultats obtenus, soit avec le levain, soit avec la levure, ne conduit pas à donner la préférence d’une m PAIN. manière absolue à l’un ou à l’autre de ces deux procédés de panification. Au point de vue du travail, le procédé sur levain est, dans les conditions actuelles, plus sûr. Dans les localités où l’on n’a pas la levure sous la main à l’état frais, il fournit un pain plus économique, préférable comme pain de ménage. Dans les mêmes conditions le travail sur levure n’est avantageux que pour les pains de luxe. Mais il semble que l’emploi de la levure pourrait être perfectionné de manière à devenir avantageux pour toute sorte de pain. La levure fabriquée par les fabriques de levure ne se garde pas. Aussi les boulangers sont-ils obligés d’en ajouter à la pâte beaucoup plus qu’il n’en faudrait si chaque cellule de levure était vivante et active. Il en résulte que la levure donne un goût et parfois même une couleur au pain, et, chose plus grave, il en résulte aussi qu’on ne peut jamais savoir quelle dose de levure doit être employée pour chaque fournée. Si toutes les cellules introduites étaient en pleine activité, il n’y aurait pas besoin d’en introduire plus qu’on n’en introduit avec le levain. On éviterait ainsi la saveur et la couleur de la levure, et on pourrait déterminer avec beaucoup plus de précision la dose nécessaire. Il y aurait donc avantage pour le boulanger à fabriquer sa levure lui-même. Les grandes maisons de boulangerie ne pourraient-elles pas s’adonner à la culture de la levure en milieu liquide ? On choisirait une espèce de Saccharomyces reconnue comme une des meilleures, rigoureusement isolée par culture sur plaque d’après les procédés usités en bactéDESCRIPTION DES OPÉRATIONS. 233 riologie. On on ferait en permanence une culture pure dans dos moûts incolores, en suivant les procédés modernes, et on pourrait ainsi produire continuellement sur place toute la levure nécessaire pour faire lever chaque fournée. La levure, étant toujours bien semblable à elle-même, pourrait être incorporée à la pâte en proportion presque fixe, toujours très petite, et donnerait des résultats réguliers pourvu que l’on sût tenir compte des autres conditions qui influent sur la fermentation, notamment de la température. Il en faut si peu, quand toutes ses cellules sont bien actives, qu’il n’y aurait pas d’inconvénient au point de vue économique à employer pour la cultiver des procédés coûteux. Le travail délicat des levains serait complètement supprimé, remplacé qu’il serait par la culture en milieu liquide, délicate aussi, mais exigeant une main-d’œuvre moins considérable. Le gluten de la pâte resterait intact pendant la fermentation. Les farines inférieures, pourvu qu’elles ne fussent pas trop avariées, donneraient un pain presque aussi bien levé que les farines de première qualité. Il est probable que le pain préparé de cette façon coûterait moins cher, ce qui disposerait le public à l’accepter malgré les préventions inspirées par l’habitude du pain préparé avec le levain. Au point de vue de l’hygiène, on peut dire que les différences entre les deux sortes de pain sont insignifiantes. Cependant quand le pain sur levain est très bien fait, il est probable qu’il est un peu plus digestible, à cause des acides qu’il contient, acides capables m PAIN. d’exercer une action légèrement excitante, favorable à l’appétit et à la digestion. Cet avantage ne parait pas assez marqué pour l’emporter sur ceux de la méthode que nous proposons.

Moyen de se procurer un premier levain. — Il peut se présenter des circonstances où, n’ayant à sa disposition ni levain de boulanger, ni levure, on ait besoin de faire du pain. Comment faire lever la pâte ? Il existe, pour résoudre cette question, des recettes empiriques d’après lesquelles on prépare un milieu de culture favorable au développement du ferment, mais on compte (sans le savoir) sur l’ensemencement spontané pour en obtenir les germes. A l’appui de la valeur de ces recettes, on cite des cas où elles ont donné de bons résultats. Ces résultats sont sous la dépendance du hasard. Qu’on se figure un jardinier qui, désireux de faire pousser des fraisiers sur un certain terrain, se bornerait à le nettoyer et à le bêcher. Ce procédé pourra, parfaitement réussir s’il se trouve des fraisiers vivants dans le voisinage. Dans leur développement naturel ils arriveront au bord du terrain, et trouvant là un sol bien préparé, ils l’envahiront rapidement. Mais s’il n’y a pas de fraisiers à proximité, ce sera un grand hasard si quelque graine de cette plante y est introduite à temps. Les mauvaises herbes vulgaires prendront possession du sol avant que cette heureuse chance puisse être réalisée. Il en va de même pour le levain spontané. Quand l’expérience est faite avec des vases qui ont servi à la panification, ou à la fermentation des boissons, elle DESCRIPTION DES OPÉRATIONS. 235 réussit. Dans le cas contraire elle échoue. Si l’on veut s’affranchir du hasard, il faut absolument semer pour récolter. J’ai fait essayer avec succès le procédé suivant, dans lequel la semence est empruntée à une denrée qui peut, dans certaines circonstances, être plus facile à trouver que du levain ou de la levure, au raisin sec. Ce fruit porte toujours sur son épiderme des germes vivants de levure. Il suffit de l’écraser dans de l’eau pour obtenir un milieu de culture adapté au développement de ces germes : c’est ce qui rend aisée la fabrication du vin de raisin sec. Voici donc le procédé. Triturer 15 parties de raisin sec de Corinthe avec 85 parties d’eau tiède (35°). Au bout d’un temps variable (ordinairement moins de vingt-quatre heures) le liquide sera en pleine fermentation. A ce moment on le soutirera (cette opération n’est pas indispensable). On obtiendra ainsi 70 parties de moût en fermentation, auquel on incorporera 140 parties de farine, d’ou 210 parties de levain. Ce procédé parait susceptible de rendre service dans des expéditions lointaines, en cas de communications impossibles avec les villes. On pourrait naturellement remplacer le raisin de Corinthe par tout autre fruit sucré, par exemple par des figues ou des dattes.

§ S. — Cuisson. Quand la pâte a subi son dernier apprêt, elle est mise au four. PAIN. Il existe un très grand nombre de modèles de fours de boulangerie ; comme les principes qui en guident la construction ne sont pas empruntés à la chimie, ce n’est pas ici le lieu de les décrire ; nous renverrons pour ce sujet le lecteur au Manuel Roret, où il en trouvera plus de cinquante formes. On a calculé (1) que, en supposant la pâte à la température initiale de 20°, il faut, pour la transformer en pain, lui fournir par kilogramme de pain à obtenir, environ 300 grandes calories, c’est-à-dire la quantité de chaleur qui serait nécessaire pour faire passer 3 kilogrammes d’eau de 0° à 100°. Cette quantité de chaleur doit être fournie à température beaucoup plus élevée qu’il n’est nécessaire pour la cuisson des aliments ordinaires, parce que la pâte doit, à la périphérie, se transformer en croûte, c’est-à-dire en une matière à demi caramélisée. C’est vers 200° que les substances hydrocarbonées humides commencent à subir nettement cette modification, c’est donc cette température que doit atteindre la croûte ; ainsi l’enceinte dans laquelle se trouve la pâte devra être portée à une température supérieure à 200° ; en fait, les fours de boulangers sont amenés, à Paris, à la température de 250° à 300°. Le four le plus simple, celui qui a été employé de temps immémorial, et qui sert encore aujourd’hui dans la petite boulangerie, est une chambre construite en briques, présentant la forme d’un demi-œuf aplati, et consistant en une sole presque plate, recouverte d’une

(l) Voir Birnbaum’s Brotbacken. DESCRIPTION DES OPÉRATIONS. 237 voûte surbaissée, fig. 48, 49 et 50, Cette sole est destinée à recevoir, d’abord le combustible, puis les pains. En avant, une ouverture unique, pouvant être fermée par une plaque de tôle, sert à la fois à l’introduction du combustible et des pains, au nettoyage de la sole, à l’entrée de

Fig. 50. Fig. 48 à 50. — Four à chauffage direct et intermittent. — Fig. 48, coupe en hauteur ; fig. 49, coupe en largeur ; fig. 50, plan.

l’air appelé par la combustion, et à la sortie de la fumée. Une hotte, placée au-dessus de cette ouverture, conduit les gaz sortants à une cheminée. Ce système primitif est ordinairement modifié, dans les villes, par l’adjonction de plusieurs orifices, ainsi que le représentent nos figures. Les gaz de la combustion, au lieu 238 PAIN. de sortir par l’ouverture principale, sortent par trois ou quatre orifices placés en arrière et sont conduits, par autant de carneaux qui traversent la maçonnerie au-dessus de la voûte, jusqu’à la cheminée. 11 y a souvent aussi, à droite et à gauche de la bouche du four, deux ouvertures servant à introduire du menu bois enflammé pour éclairer le four pendant l’enfournement du pain ; ces ouvertures sont fermées pendant la cuisson. Pour se servir de ce four, on commence par introduire le combustible, ordinairement du bois aussi sec que possible (bouleau, pin, chêne écorcé, hêtre, suivant les localités). On allume, puis on ferme la porte du four, si la bouche ne sert pas à la sortie de la fumée. Quand on juge que le four est assez échauffé, on enlève la braise, on nettoie la sole et on enfourne, en s’éclairant par la flamme de quelques morceaux de bois placés à l’entrée du four. Puis on referme la porte.

Ce four est donc à chauffage direct et intermittent, puisqu’il faut le charger de combustible avant la cuisson de chaque fournée. 11 est très bien adapté aux besoins de la petite fabrication, mais il n’est pas économique. Dans sa forme la plus simple il n’utilise guère que 20 p. 100 de la quantité de chaleur dégagée par le bois qu’on y brûle. On réaliserait une très grande économie si l’on pouvait tenir le four chaud d’une manière continue, à condition qu’on eût toujours du pain à y faire cuire. Pour cela il faut abandonner le chauffage direct ; on a donc construit des fours dans lesquels le foyer est extérieur au moufle. Tantôt les produits de la combustion tra¬ DESCRIPTION DES OPÉRATIONS. 239 versent la capacité du moufle, tantôt ils ne font qu’en lécher extérieurement les différentes parties ; dans le second cas, au lieu de construire tout le moufle en briques, c’est-à-dire en une substance mauvaise conductrice destinée à rayonner lentement la chaleur emmagasinée pendant la chauffe, on en construit certaines parties en fonte ou on tôle, pour faire arriver jusqu’au moufle par conductibilité la chaleur des produits de la combustion. D’autres fours sont chauffés par l’introduction d’air chaud, ou de vapeur surchauffée, dans le moufle. Enfin, d’autres sont chauffés par une circulation de vapeur d’eau surchauffée dans plusieurs séries de tubes qui la font passer continuellement, d’une chambre à feu où elle s’échauffe, au four où elle cède sa chaleur, au-dessus et au-dessous de la sole, et vice versa. Dans tous ces fours où le foyer est extérieur au moufle, on emploie des combustibles plus économiques que le bois : houille, coke, tourbe, etc., suivant les localités. La sole ne reçoit pas de cendres, et par suite le pain n’y est pas souillé de débris incrustés dans la croûte. Dans les plus parfaits au point de vue de l’économie du chauffage, on utilise jusqu’à 50 ou 60 p. 100 environ de la chaleur dégagée par le combustible. Quel que soit le four employé, il doit être amené, avant l’introduction du pain, à une température qui peut varier de 225° à 300° suivant les circonstances, force de l’apprêt, pâte plus ou moins ferme, volume des pains, etc. L’évaluation de la température du four, facile dans 240 PAIN. des expériences scientifiques, est au contraire très difficile dans la pratique. Divers systèmes de pyromètre ont été essayés et n’ont pu être adoptés. Au laboratoire d’expertise des Invalides, dirigé par M. Balland, on se sert d’un pyromètre Damaze, à base de mica. Mais dans la boulangerie pratique, on s’en rapporte à l’expérience de l’ouvrier, qui juge, à l’inspection de la couleur de la voute, à l’impression de la chaleur sur la main, et à d’autres indices dépourvus de précision scientifique, si le four est au point convenable. Ce résultat atteint, on nettoie parfaitement la sole, et on enfourne les pains, en les renversant sur une pelle saupoudrée de fleurage, à l’aide de laquelle on les introduit dans le four. Que se passe-t-il pendant la cuisson ? Bien que la température ambiante soit très élevée, celle de l’intérieur de la pâte ne s’élève que lentement : aussi s’établit-il bientôt une différence très tranchée entre la périphérie et l’intérieur : à la périphérie se forme la croûte, à l’intérieur se forme la mie. Commençons par les modifications qui se produisent à l’intérieur. D’abord la température y est favorable à la fermentation. La production d’acide carbonique continue donc et s’accélère. Le pain se gonfle, à la fois par dilatation et par augmentation de la masse du gaz inclus. Ce gonflement ne se fait pas également dans toutes les directions de manière que la forme du pain reste semblable à elle-même. Car la surface, et surtout la portion de surface qui touche la sole, se desséchant et se durcissant, devient de moins en moins extensible, et DESCRIPTION DES OPÉRATIONS. 241 tend par elle-même à diminuer d'étendue. Il en résulte que la forme du pain tend à se rapprocher de la figure qui, sous une même surface, contient le plus grand volume, e’est-à-dire de la sphère. Le pain devient donc plus bombé, il gagne en hauteur et perd en largeur ; les pains qui se baisaient (c’est le terme usité en boulangerie) se séparent, si la pâte n’avait pas contracté trop d’adhérence. La température, continuant à s’élever, devient bientôt impropre aux fermentations produites par les ferments vivants, levure et bactéries : c’est ce qui arrive vers 40°. La production de gaz carbonique s’arrête alors. Mais en même temps commence une autre phase : l’amidon, chauffé en présence de l’eau, commence peu à peu à se transformer en empois. S’il se trouve dans la pâte une diastase, celle-ci n’est pas encore paralysée ; au contraire son activité va en croissant jusque vers 70° et subsiste encore au delà. A ce moment les choses se passent différemment suivant que la farine contenait ou non du son. Si elle est exempte de son, elle ne contient pas de diastase en quantité appréciable : l’amidon n’éprouve pas alors d’autre modification que celle de la transformation partielle en empois : les grains se gonflent et se soudent entre eux, en même temps qu’une petite partie se solubilise pour former surtout ce que Lintner et Düll appellent l’amylodextrine. Mais si la pâte contient du son, l’amidon transformé en empois est attaqué par l’amylase du son, et transformé en substances solubles, dextrine et maltose. Ce processus se poursuit jusque vers 80°, Ensuite, la tem- Bouthoux. — Le Pain. 14 m PAIN. pérature s’élevant toujours, il ne reste plus que la transformation en empois, transformation qui no peut jamais être poussée bien loin parce que la pâte ne contient pas assez d’eau. Enfin, nous arrivons à la température d’ébullition de l’eau. A partir de ce moment une notable quantité de vapeur se forme dans la pâte. Que va devenir cette vapeur ? Les expériences de M. Balland vont nous le faire savoir. Ces expériences ont été faites avec des pains de munition, de forme ronde, et du poids moyen de 1,500 grammes après cuisson. Les nombres absolus trouvés ne seraient pas applicables à d’autres pains, mais les phénomènes accusés par ces nombres ont une portée générale. Or M. Balland a trouvé qu’à la cuisson 1,750 grammes de pâte ont perdu environ 200 gr. d’eau, soit 11,42 p. 100. Mais en analysant séparément la croûte et la mie, il a constaté que cette perte était supportée uniquement par la croûte. En effet la pâte, au moment de l’enfournement, contenait, dans trois expériences : 47,57 p. 100... ; 47,18 p. 100... ; 48,01 p. 100 d’eau ; et après cuisson la mie a donné 47,82 p. 100 d’eau, tandis que la croûte n’en contenait plus que 24,66 p. 100. Ainsi donc au moment de la cuisson où nous en sommes arrivés, la vapeur d’eau formée ne s’échappe pas sensiblement des cellules qui ont été pratiquées dans la pâte par le gaz carbonique pendant la fermentation ; mais grâce à la ténacité de leur gluten elle les dilate et leur fait prendre leur maximum d’extension : c’est alors DESCRIPTION DES OPÉRATIONS. 243 que ce qui était seulement de la pâte levée devient de la mie de pain. Pendant tout le temps que se prolonge la cuisson à partir de ce moment, si la mie perd de l’eau, ce n’est qu’en se transformant progressivement en croûte dans ses parties périphériques ; au contraire dans ses parties centrales la teneur en eau ne variant pas sensiblement, une véritable ébullition à température fixe se maintient,jusqu’au bout. La mesure directe de la température, effectuée avec précision par M. Aimé Girard au moyen de thermomètres à maxima introduits au milieu de la masse panaire, indique une légère ascension de la température au-dessus du point d’ébullition de l’eau pure sous la pression atmosphérique : lorsque la cuisson est satisfaisante, la température atteint 101° à Paris. A cette température la vapeur dégagée par l’eau pure à une pression de 787 millimètres, pression qui n’est jamais atteinte par l’atmosphère. L’élévation de la température au-dessus du point d’ébullition normal de l’eau peut s’expliquer en partie par une légère augmentation de pression due à la résistance de la croûte ; elle est due aussi certainement pour une part à ce que l’eau de la pâte n’est pas de l’eau pure. Quand l’eau retient des substances solides en dissolution, son point d’ébullition s’en trouve élevé. Ainsi en ajoutant 10 grammes de sel marin à 100 grammes d’eau, on obtient une solution qui, sous la pression de 700 millimètres de mercure, bout à 101°,5. Or l’eau de la mie de pain tient en dissolution diverses substances solides : il s’y trouve, outre la petite quantité de PAIN. 244 sels calcaires qui existe toujours dans les eaux potables, un peu de sel marin qu’on y a ajouté (près de 2 p. 100), les sels et autres substances solubles de la farine, et enfin une certaine proportion de produits solubles de transformation de l’amidon. Cette eau ne peut donc manquer de bouillir à une température un peu plus élevée que de l’eau distillée. Voilà ce qui se passe dans l’intérieur du pain. A la périphérie il en est tout autrement : au lieu d’une faible perte d’eau, dessiccation presque complète ; au lieu d’une température limitée à peu près au point d’ébullition de l’eau, température s’élevant progressivement jusqu’à celle du milieu ambiant, c’est-à-dire dépassant 200®. Alors le gluten brunit, l’amidon lui-même peut commencer à se torréfier ; il se forme ainsi une croûte dure et colorée, parfois fendillée, qui s’épaissit progressivement aux dépens de la mie. Ces qualités de la croûte ne sont pas recherchées. On tâche au contraire qu’elle soit plutôt molle que dure, et plutôt légèrement dorée que brune. On y arrive en modérant les deux causes : élévation de température et dessiccation. La température ne doit pas dépasser 300® au moment de l’enfournement, et, pour s’opposer à la dessiccation, on injecte parfois de la vapeur d’eau dans le moufle pendant que le pain est encore froid : il se dépose alors, par condensation, une couche d’eau à la surface du pain ; l’amidon, chauffé avec cette eau se transforme en grande partie en amidon soluble et dextrine, et ainsi se produit à la surface des pains dits "pains viennois" un beau vernis doré. On peut obtenir à peu près DESCRIPTION DES OPERATIONS. 245 le même résultat sans injecter de vapeur, on humectant d’eau la surface des pains an moment de l’enfournement. Le temps que dure la cuisson du pain est très variable : il dépend de la grosseur des pains, de la nature de la pâte et de la température du four. Dans la boulangerie militaire, où les pains ont toujours le même poids et la même forme, la durée de la cuisson est généralement de 30 minutes. Une cuisson lente, avec une température initiale relativement peu élevée, produit un croûte épaisse, très résistante, et une mie renfermant une faible proportion d’eau. Une cuisson rapide dans un four très chaud donne presque toujours une croûte brûlée et une mie mal cuite, retenant beaucoup d’eau. Il ne faut donc pas croire, quand la croûte est brûlée, que le pain est trop cuit ; c’est ordinairement le contraire qui est vrai. On reconnaît que la cuisson est au point convenable à quelques caractères que savent bien apprécier les hommes de métier : la croûte supérieure a pris une couleur vive, la croûte inférieure est sonore ; dans le cas où les pains ont des baisures, la mie de celles-ci résiste à la pression des doigts et ne colle pas. Ensuite a lieu le détournement. A ce moment le pain se compose de croûte et de mie en proportion variables. Dans les expérience de M. Balland que nous venons de citer, le pain entier contenait 39,24 p. 100 d’eau, répartie entre un tiers de croûte, d’une épaisseur de 4 à 5 millimètres, et deux tiers de mie, la croûte contenant, comme nous l’avons dit, 24,66 p. 100 d’eau, et la mie 47,82 p. 100. 246 PAIN. Suivant la consistance de la pâte (douce, ferme ou bâtarde), la forme et le poids des pains, la perte d’eau à la cuisson subit de grandes variations. Cette perte doit être prévue par le boulanger, qui doit en tenir compte dans la pesée de la pâte au sortir du pétrin. D’après le Manuel Roret, on compte à Paris que pour obtenir 100 en poids de pain, il faut employer : Pour pains de 4 kilogr.... 114 de pâte.


— ordinaires de 2 kilogr... 120 —

— de 1 kilogr 129 — — longs de 2 kilogr. 191 — — plats de 2 kilogr 148 — — plats de 1 kilogr 162 — — couronnes de 1 kilogr... 167 —

Étudions maintenant les gaz contenus dans le pain. M. Balland, opérant sur de petits pains sans baisure d’une centaine de grammes, dont il extrayait les gaz sous une cloche placée sur la cuve A mercure, a trouvé qu’à la sortie immédiate du four ces pains ne contenaient que de l’eau et de l’acide carbonique. Un quart d’heure après la sortie il trouve un mélange de vapeur d’eau, d’oxygène, d’azote et de gaz carbonique ; enfin au bout d’une ou deux heures le gaz carbonique et la vapeur d’eau ont disparu, et on ne trouve plus que les gaz de l’air. Ces analyses font bien voir ce qui se passe à la sortie du four. Les cavités du pain sont alors entièrement remplies de gaz carbonique et surtout de vapeur d’eau. Pendant le refroidissement cette vapeur d’eau se condense en eau sans que les cavités se rétrécissent, grâce à la résistance du gluten, qui par la cuisson a perdu sa plasticité. De là une raréfaction qui appelle rapidement la rentrée de l’air. Quant au gaz carbonique, il s’élimine peu à peu par simple diffusion. L’eau de condensation de la vapeur donne d’abord à la mie un aspect luisant et humide ; peu à peu cette eau se réincorpore dans la pâte. Pendant cette période de repos après le détournement, période appelée « ressuage », le pain perd encore environ 2 p. 100 de son poids. Après une exposition de 6 heures dans une paneterie bien aérée, on peut dire que le pain est complet et possède l’ensemble de ses qualités.

Influence de l’apprêt sur la structure du pain après la cuisson. — Cette influence est mise en évidence par l’expérience suivante : avec un même levain et la même farine, j’ai fait deux pains ; le gonflement était mesuré au moyen du tube à pâton décrit plus haut. L’un a été enfourné quand le gonflement était 1,5, l’autre quand le gonflement était 3. Ce dernier était devenu très mou et plat. À la cuisson il ne s’est pas relevé ; il a conservé une forme de galette. L’autre s’est au contraire beaucoup bombé pendant la cuisson. Quand les pains ont été refroidis ils ont été ouverts. Le pain de gonflement 3 avait une structure spongieuse fort agréable. Les yeux étaient moyennement gros, assez réguliers, limités par des membranes minces, sans grandes cavités. Celui de gonflement 1,5 présentait au contraire de très petits yeux et d’assez grandes cavités irrégulièrement distribuées. Il était compact et désagréable. On voit que l’apprêt le plus convenable correspond à un gonflement d’environ 2.

La différence de structure des deux pains s’explique facilement. Dans le pain trop levé les membranes minces des cavités ont laissé la vapeur d’eau développée par la cuisson se diffuser presque régulièrement, comme, avant la cuisson, elles avaient laissé se diffuser le gaz carbonique de la fermentation, ce qui avait produit l’affaissement de la pâte. Dans le pain insuffisamment levé au contraire le tissu compact s’est opposé au dégagement continu de la vapeur d’eau ; celle-ci a subi des augmentations de pression locales qui ont fini par triompher de la résistance du milieu en produisant çà et là des hernies ou des déchirures par où l’excès de vapeur s’est précipité ; ainsi se sont formées les plus grandes cavités, et le bombement du pain entier.

Quand l’apprêt est parfait, ces effets de pression locale se produisent encore, mais au sein d’un tissu général moins complet, en sorte qu’il y a beaucoup moins de différence entre les petits et les grands yeux.

Il ne faudrait donc pas croire que les pains les moins bombés sont nécessairement les moins levés.

  1. Thubert, Journal de pharmacie et de chimie, 15 juillet 1893.
  2. A. Girard, Compl. rend. Ac. des sc., 1895, CXXI, p. 858.