Anonyme
Le livre des petits enfantsJohn Wiley (p. 77-89).
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LA CATARACTE.


Mes chers enfants, vous ne savez pas ce que c’est qu’une cataracte ? je vais vous le dire.

Dans les pays où il y a beaucoup de rochers, de montagnes, de grands précipices, il y a aussi des lacs, des rivières ou des fleuves ; alors, quand leurs eaux trouvent sur leur passage des montagnes ou des rochers, elles sont arrêtées, elles se détournent et vont tomber avec un grand fracas au fond des précipices ; en tombant, elles forment ce qu’on appelle des cataractes. C’est fort beau, mais cela est très effrayant. On se dit : « Si je tombais là-bas, qu’est-ce que je deviendrais ? » Vous allez voir ce qui arriva à un pauvre petit garçon qui eut ce malheur-là.

Il y a aujourd’hui cinquante-cinq ans : c’était un dimanche ; un grand nombre de personnes qui venaient d’assister à la prière du soir, sortaient de l’église d’un village d’Écosse. En Écosse, mes amis, il y a beaucoup de rochers, de lacs et de montagnes ; c’est vous dire qu’il y a aussi des cataractes. Chacun retournait chez soi en causant le long du chemin. Donnat et sa Femme entrèrent dans leur ferme, mais leur frère Angus et son fils Kennet avaient encore deux lieues et demie à faire pour arriver chez eux. Ils se reposèrent un moment chez leurs parents, où ils firent un bon souper ; puis Angus dit à son fils qu’il fallait partir. On était en hiver, la nuit était fort noire ; le temps était froid, et l’on craignait un orage.

Donnat, en ouvrant la porte de sa cabane, dit à son frère : « Vous feriez mieux de rester ici jusqu’au matin ; le vent se lève, et va nous amener de la pluie et de la grêle. — Non, répondit Angus, il faut que nous partions : ma pauvre femme Marie et ma petite Lily seraient bien en peine, si elles ne nous voyaient pas arriver ce soir. Nous connaissons la route, et la nuit ne nous fait pas peur ; d’ailleurs, si nous nous égarions, Dieu, qui est toujours avec nous, nous aiderait à retrouver, notre chemin. — Vous savez, dit Donnat, qu’il y a près de votre village une cataracte dangereuse, et un sentier bien glissant et bien étroit au dessus du précipice. »

Angus n’en prit pas moins son bâton, et Kennet la petite boîte dans laquelle ils avaient apporté de quoi manger, et ils se mirent en route. Pendant quelque temps ils marchèrent sans peine, malgré la pluie qui tombait avec force. Le père et le fils causaient ensemble, et parlaient des bonnes choses qu’ils avaient entendues le soir à l’église.

Kennet avait à peine quinze ans ; il faisait le bonheur de son Père et de sa Mère : car, dès son enfance, il avait été fort appliqué à l’étude, et il avait toujours rempli tous ses devoirs, désirant surtout plaire à Dieu et satisfaire ses Parents. Comme la mère du jeune Samuel dont vous savez l’histoire, sa Mère voulait aussi le consacrer au Seigneur, désirant qu’il pût un jour être Pasteur. Pour cela, on comptait le mettre bientôt dans un collège où il devait s’instruire. « Mon Père, dit Kennet, nous avons entendu un bien beau sermon ; je me rappelle qu’on nous a dit que Dieu venait toujours à notre secours, quand nous étions malheureux ; cela est bien consolant ; nous sommes donc sûrs qu’il ne nous abandonnera jamais. »

Tout en causant, le père et le fils marchaient dans un chemin fort étroit, le long d’une montagne ; près de la montagne coulait une rivière. Elle était grossie par la pluie, et ses eaux faisaient un grand bruit en tombant au fond d’un horrible précipice : cela formait, comme je vous l’ai dit, une cataracte. Angus et son fils marchaient au haut de la montagne avec précaution, dans la crainte de glisser. Ils avaient bien froid, et ils étaient tout mouillés et bien fatigués ; le vent et la pluie leur donnaient contre le visage, ce qui les inquiétait beaucoup ; ils ne parlaient plus, et cherchaient à résister à l’orage. Ils s’aperçurent qu’ils approchaient de la rivière. « Courage, mon fils, dit Angus, nous serons bientôt chez nous. — Mon Père, dit Kennet effrayé, nous ne sommes plus dans le bon chemin ; prenez garde à vous… » et au même instant un grand cri se fit entendre, et Angus pensa bien que son fils était tombé au fond du précipice… Il l’appela, mais il n’entendit plus rien…

Vous jugez, mes chers amis, du désespoir de ce pauvre père. Cependant il se rappela encore ces paroles consolantes : Dieu vient toujours à notre secours quand nous sommes malheureux, et il pensa que ce bon Dieu ne l’abandonnerait pas dans cet affreux moment. Il voulut appeler encore une fois son cher fils, mais il n’avait plus la force de crier… Il courut au village pour aller chercher du secours ; toutes les lumières étaient éteintes, et tout le monde dormait, excepté sa femme Marie et sa fille Lily, qui venaient de remettre du bois et de la tourbe au feu. Devant la cheminée était une petite table sur laquelle était une Bible ; car cette famille était pieuse : tous les matins et tous les soirs on lisait la parole de Dieu. Pendant que la mère et la fille lisaient le chapitre où il est dit que Dieu est notre force et notre secours dans les détresses[1], elles entendirent frapper à la porte.

« Les voilà ! » dirent-elles avec joie ; mais quand elles virent Angus seul, elles pensèrent tout de suite qu’un grand malheur était arrivé… « Et Kennet ? » demandèrent-elles. — « Au fond du précipice ! » répondit le pauvre père.

Oh ! mes chers enfants, qu’elle fut triste cette nuit qu’ils passèrent tous les trois au coin du feu, en attendant le jour ! Cependant Dieu, qui est toujours avec ceux qui sont affligés, leur donna l’espoir de sauver leur fils bien-aimé. De grand matin leurs voisins et leurs amis se réunirent pour aller à la recherche de Kennet.

Ce pauvre enfant, que vous aimez sans doute et auquel vous vous intéressez tous…, n’était pas mort, mes chers amis ! il était resté suspendu sur un arbre qui se trouvait entre deux rochers, et quoiqu’il jetât de grands cris, il n’était entendu de personne. Quand il vit le danger où il était, il serra avec force les branches de l’arbre auquel il était resté accroché, et il attendit avec patience qu’on vînt à son secours. Il se rappela alors ces paroles : Dieu vient toujours à notre secours dans le malheur. « Oui, dit-il, le Seigneur est avec moi ; » et il ne perdit point l’espoir d’être sauvé.

Les gens du village qui s’étaient mis en route, arrivèrent au bord du précipice, conduits par le pauvre père qui tremblait de trouver son fils mort. Tout d’un coup un jeune homme nommé Malcolm, s’avança sur le bord du rocher, et s’écria : « Le voilà, le voilà ! Vite des cordes, des cordes ! » Lorsqu’Angus fut sûr que son fils vivait encore, il tomba à genoux, remercia Dieu et le pria de veiller sur lui.

On descendit des cordes très fortes jusqu’à l’arbre auquel Kennet était suspendu ; mais ses bras étaient raides, et il était tellement saisi par le froid, qu’il ne pouvait ni bouger, ni parler. Alors le brave Malcolm, le jeune homme dont je vous ai parlé, offrit de descendre au fond du précipice ! On lui attacha la corde autour du corps ; il détacha les mains de Kennet de l’arbre qu’il tenait serré, et lorsque Malcolm l’eut pris dans ses bras, on les remonta tous les deux.

Le père, en rentrant chez lui, s’écria : « Ma chère Femme, remercions Dieu : notre fils est sauvé ! Prépare un lit bien chaud, et qu’il se couche à l’instant. » À peine au lit, Kennet prit un violent accès de fièvre, et l’on craignit qu’il ne tombât dangereusement malade ; cependant, les prières qu’on adressa au Ciel pour cet intéressant enfant furent exaucées, et il se rétablit bientôt.

Après avoir passé quelques années au collége de Glasgow, il fut nommé Pasteur dans un joli village d’Écosse, et se fit chérir de tous les habitants. Il se rappelait souvent la manière miraculeuse dont il avait été sauvé, et lorsqu’il avait quelque chagrin, il se consolait en pensant que Dieu vient toujours à notre secours quand nous sommes dans le malheur.

  1. Ps. XLVI., 2.