Le divorce du tailleur

le
DIVORCE DU TAILLEUR

M. Lefèvre, vieux tailleur.
Mad. Lefèvre, sa femme. (Joué par un jeune homme.)
Guillaume, entrepreneur, leur neveu.
Rémi, ouvrier de Guillaume.
Le théâtre représente une chambre, sur le devant de la scène une table, sur laquelle est un paquet dans un mouchoir, un journal. Au lever de la toile, madame Lefèvre coud ou tricote, au fond, est un havre-sac militaire, pour Rémi.
Scène 1ère.
Sept heures viennent de sonner à l’Église St. Eustache ! bon ! Tout est prêt ; voici le pantalon raccommodé et la veste du petit Guguste Coquelard, quand M. Lefèvre, mon mari, aura fait sa barbe, il ira porter ce paquet et se fera payer… Eh bien ! C’est comme ça qu’on fait ses affaires, on travaille, on gagne de l’argent, on ménage et on vit comme les autres, surtout quand la femme est maîtresse, car ne me parlez pas de ces femmes qui se laissent marcher sur le pied par leurs maris ?… Pouah !… Je n’en suis pas ; Nous portons le jupon, mais il faut montrer aussi que nous savons porter la culotte… J’ai accoutumé Lefèvre comme ça et ma foi, il n’en est pas plus à plaindre !… Ah ! voilà le journal de ce matin, voyons donc un peu ce qu’il nous chante ce matin ; car, ma parole, ces journalistes me font suer parfois avec leurs articles qui ne sont pour la plupart qu’un tas de menteries (elle lit) Heu ! heu ! heu !… « faits divers » Un homme du faut-bourg saint Marceau a été condamné par le tribunal de la police correctionnelle à deux mois d’emprisonnement pour avoir battu sa femme… Oh ! le monstre !… Oh ! le brigand, Deux mois !… Deux mois !… C’est-y pas abominable !… Deux mois !… Mais c’était de le pendre, le gueusard, qu’il fallait faire. En v’là une justice !… Ah ! j’vous dis ben, qu’ pour la trouver c’te justice là, il en faudrait une fameuse lanterne… (elle lit) Heu !… Heu !… « Entreprise… » bouth ! Encore une blague pour embêter c’pauvre monde !… Ah ! mon Dieu !… Ah ! mon Dieu !… C’est y Dieu possible !… Mais… non… Mais… oui… Mais… j’me trompe pas !… Ah ben !… Ah ben !… (elle lit) La seconde lecture sur la loi du divorce a été faite et a été acclamée par les membres de la gauche, on espère que cette loi sera sanctionnée !… Ah ! brigands !… Ah ! coquins d’ministres !… Tas d’paltoquets !… Ça s’irait y ben vrai, qu’ils auraient c’t’infamie d’passer une loi aussi barbare ! Criminelle ! Bête ! Stupide ! horrible comme celle-là ! Ah ! les malheureux !… Y z’en sont ben capables, car, dans le siècle où nous sommes y a pus d’mœurs !… Pus rien !… Ah ! ben, c’est pour le coup, qu’mon mauvais sujet d’Guillaume, mon neveu va être content, lui, maître entrepreneur qui aurait été si heureux avec sa femme, ma pauvre nièce Thérèse… Mais, le renégat, il passe ses nuits et ses jours au cabaret !… Ah ! Ciel de Dieu !… Quel siècle ! Quel siècle ! Ah ! mais un instant… nous sommes là !… Écoutez, mes chères petites Dames, si vous voulez m’en croire, on se rendra à la chambre de ces paltoquets de ministres, on leur z’y dira : Vous êtes un tas de chenapans, remettez votre diable de loi dans votre poche et ne nous en parlez plus, ou, foi de femmes, nous allons vous faire danser une girandole dont vous vous rappellerez !… Oui, mes chères petites Dames, montrons leur que nous portons la culotte, et, foi d’Ursule Lefèvre, je me mets à votre tête et vous verrez… Mais j’entends marcher… Ah ! c’est le p’tit Rémi, l’ouvrier d’mon mauvais sujet de neveu.
Scène 2e.
Bonjour, mame Lefèvre… ça va bien… merci, moi aussi… vous êtes ben honnête.
Ah ! bonjour, mon p’tit Rémi, toujours le premier à la boutique… c’est bien… ça… mon garçon.
Ah ! Dame ! mame Lefèvre, j’suis content quand j’verloppe quand j’vois voler les écopeaux, ça m’donne du cœur, parc’que je m’dis : j’gagne des écus… et ces écus là… voyez vous ?… ça servira pus tard.
Oh ! tu es un garçon rangé, toi, mon p’tit Rémi, tu travailles toujours avec courage, on ne te voit pas fréquenter ni les cabarets ni les mauvais sujets ?
Oh ! pour ça mam’ Lefèvre, c’est pas pour dire ; mais voyez vous, moi, j’aime mieux mon travail que de manger ma paie avec les amis comme on dit ; … et puis, c’est pas ça, mam’ Lefèvre, quand on néglige son travail pour vider la bouteille, on s’fait mépriser, on perd les pratiques, témoin, sans vous offusquer, mon bourgeois, vot’neveu Guillaume ?
Ça n’me fâche pas l’moins du monde mon p’tit Rémi, mon neveu est un mauvais sujet, un ivrogne qui… enfin… je gage qu’il n’est pas encore rentré ?
Ma foi, non, Mam’ Lefèvre, vous avez mis l’nez dessus… hier, il a retiré une trentaine de francs d’une pratique, il en sorti de suite et il ne reviendra pas avant que tout soit mangé soyez en sûre, Mam’ Lefèvre ?
Ah ! le sacripant !… Et dire que j’ai été assez faible, assez folle d’y donner ma nièce Thérèse en mariage… mais dame on s’trompe souvent sur les apparences.
Pauvr’mame Thérèse, c’est dommage, une si bonne petite femme !… Ah !… (il soupire bruyamment).
Trop bonne, mon p’tit Rémi, trop bonne, vois tu, y va tout boire, tout gaspiller et il ne lui laissera que les deux yeux pour pleurer… Oh ! le monstre !
Oui, et puis qu’alle en a de si beaux des yeux !… Ah ! (même soupir)
Mais comme tu soupires Rémi, on dirait qu’tas la cathédrale de Strasbourg sur l’estomac ?
Dame, mam’ Lefèvre, quand j’vois une si jolie p’tite femme si malheureuse, qu’ça m’en rend tout triste voyez vous ?
Ce bon Rémi !… Tiens vois-tu ce journal ? Eh ben, il y a un mot, un scélérat d’mot et si ce mot, ma nièce Thérèse voulait… malgré qu’j’en veux à tous ces coquins d’ministres… eh ! ben, malgré ça, j’crois que j’dirais à Thérèse d’en profiter.
Quéqu’c’est que c’mot là, donc, mam’ Lefèvre ?
Tiens, lis.
« Le divorce ! »
Oui, oui, le divorce !… Loi infâme… mais qui rendrait libre ma pauvre Thérèse.
Ah ! Mam’ Lefèvre, t’nez, faut que j’vous dise tout c’que j’ai sur l’cœur !… D’puis que j’vois la bourgeoise, mam’ Thérèse si malheureuse avec son mari, que j’me suis mis à l’aimer d’tout mon cœur !… Et je m’disais souvent : Dieu ! Si j’avais une p’tite femme comme ça… j’la rendrais t’y heureuse !… Tous les jours levé de bonne heure, j’varlopperais avec courage, j’y achèt’rais un tas d’colifichets de toilette, j’voudrais qu’alle éclipse toutes les autres, et…
Ce bon Rémi !
Et puis l’dimanche, mam’ Lefèvre, j’irais avec ma p’tite femme à la barrière, au salon d’flore, manger la fine gibelotte de lapin, avec une bonne bouteille de vin à seize, sans compter l’gros radis noir par dessus l’marché !… Oh ! oui, que j’la rendrais heureuse !… T’nez mam’ Lefèvre vous savez qu’aux trois journées de 1830, je m’suis conduit en brave citoyen, qu’j’ai même reçu la croix d’juillet et la commission des récompenses nationales a pris mon nom ?… Eh ben, j’y suis pas même allé à c’te commission, j’ai tout laissé ça là, y a c’pendant du temps d’écoulé, mais, bouth ! des récompenses, j’aime ben mieux rester auprès d’la bourgeoise au moins, quoiqu’y parle jamais, si j’la vois pleurer, j’cours à la boutique et j’y pleure aussi.
C’est bien, ça ? mon p’tit Rémi, mais tu n’peux c’pendant pas épouser une femme mariée ?
Eh ben… ben non, Mam’ Lefèvre, j’sais ben… Mais si le divorce prenait ?… Si le bourgeois venait à quitter sa femme ?… Enfin, mam’ Lefèvre… on sait pas… mais si ça arrivait, hein ?… Dites donc ?… Oh ! j’vous en prie, mam’ Lefèvre, parlez y d’moi à mam’ Thérèse !… J’vous l’dis, elle ne s’rait plus malheureuse !… Oh ! non, oh ! non !
J’te crois bien, mon bon p’tit Rémi, tu peux croire que si c’te gueuse de loi vient à sortir, je penserai à toi, mais il vaudrait encore mieux que ce malheureux Guillaume reprenne une conduite régulière… Ah ! Dieu de Dieu, si M. Lefèvre m’en faisait la dixième partie seulement !
Ah ! Dame, pour celui-là, c’est ben la crême des hommes, que l’papa Lefèvre, toujours oui, jamais non, toujours content, toujours joyeux et docile, Ah faut voir !
C’est que je l’ai habitué comme ça, aussi ça m’obéit, ça ne dépenserait pas un centime sans ma permission, mais dame aussi, j’sais lui donner ce qui peut lui faire plaisir, et on vit heureux.
Oui, oui, c’est un vrai ménage modèle que le vôtre, mam’ Lefèvre ?
Mais j’entends M. Lefèvre, va travailler mon p’tit Remi, et sois tranquille et bon sujet toujours.
Oui, mam’ Lefèvre, au r’voir mam’ Lefèvre, n’vous dérangez pas, j’vous remercie… y a pas d’offense.
Scène 3e.
Bonjour ma respectable épouse, voulez vous l’étrenne de ma barbe, bobonne ?
Allons, allons, prenez et dépêchez vous.
Dieu ! que mon épouse est jolie, ce matin.
Allons, c’est bon ; écoutez bien ce que je vais vous dire.
Oui, madame Lefèvre, j’écoute.
Voila l’ouvrage que vous avez fini hier soir et que vous allez porter aux pratiques.
Oui, Madame Lefèvre… Mais vraiment vous êtes superbe ce matin.
Mon Dieu, M. Lefèvre que vous êtes turbulent pour votre âge.
Eh ! Eh ! Madame Lefèvre c’est que je suis encore vert, allez…
(il chante) En 1702 mon cœur
Vous déclara son ardeur
Et nous sommes…
Mais, pour Dieu, taisez-vous donc, M. Lefèvre, taisez-vous donc, vous m’agacez les nerfs… écoutez moi, voyons, finissons en.
Allons, allons, oui bobonne, ne vous fâchez pas, parlez.
Eh bien, je disais donc que voici l’ouvrage fini… il y a la culotte du père Kemlin, pour raccomodage et un fonds… ça se monte à 36 sous.
Trente six sous… bon… allez mam’ Lefèvre.
Plus deux bouts de manches à la veste du p’tit Guguste Coquelard, 21 sous… pour le tout, 57 sous que vous me rapporterez.
Oui, Madame Lefèvre, 57 sous… je n’y manquerai pas, je vous les rapporterai en entier et intacts.
C’est bien comme ça que je l’entends, je voudrais bien voir qu’il en soit autrement.
Ah ! soyez tranquille… Allons, Mam’ Lefèvre donne moi mon paquet.
Ah ! à propos, si vous rencontrez ce mauvais sujet de Guillaume, je vous défends de lui parler, ne l’écoutez pas, il vous perdrait.
Soyez tranquille, madame Lefèvre, je ne lui parlerai pas du tout.
Ah ! c’est que vous êtes d’une pétulance quelque fois… je crains… mais non, je ne crains pas, car vous savez que je ne ris pas toujours ?
Eh ! Eh ! bobonne, quand vous riez, ça m’donne de la vivacité !… ça m’rappelle les beaux jours, eh ! eh ! eh !
Allons, allons, c’est bon, babillard… tenez voici le paquet et décampez.
Oui, madame Lefèvre, voulez-vous encore l’étrenne de ma barbe, bobonne ?
Non, non, mais partez donc, M. Lefèvre, Dieu ! quelle patience ?… N’oubliez pas… 57 sous… allons partez.
Oui, oui, bobonne, je pars !… Dieu ! que mon épouse est jolie (il sort en répétant) 57, 57.
Scène 4e
Et voilà comme on les élève !… Ah ! si toutes les femmes suivaient mon principe, on ne verrait pas tous ces gueusards d’hommes faire les Empereurs… on vivrait heureuses et nos maris seraient toujours à nos genoux !… Ah ! maintenant, il faut que j’aille voir ma pauvre nièce Thérèse, que je lui donne une bonne leçon afin qu’elle maîtrise un peu son mauvais sujet de mari (en sortant.) oh ! les hommes ! les hommes ?
Scène 5e
Ouf ! Je suis brisé ! Quelle nuit ! Quelle orgie ! Quel jeu ! Ce Diable de Léonard m’a embêté avec son punch ! Son champagne, j’en ai encore la tête lourde !… Et encore m’avoir fait jouer ?… Et dire que j’ai perdu cent francs sur parole !… oh ben ! ma foi, il m’est encore dû de l’argent, nous paierons !… Je recommencerais bien une fête ce matin… mais plus le sou… plus rien, il faudrait encore en faire demander de cet argent… Et puis je suis tellement fatigué que je ferai mieux de dormir un peu… Dormir !… Oui ça va être facile, avec ma p’tite femme Thérèse, je la vois d’avance avec ses pleurs, me faire un tas de jérémiades, des remontrances, des prières !… Mais tout ça, ça m’ennuie, ça m’embête ! Je veux être mon maître, je sais bien que ma respectable tante Ursule Lefèvre lui donne un tas de petits conseils ?… Elle voudrait que Thérèse me mènerait comme elle mène le papa Lefèvre, mon oncle ! (il rit) ah ! ah ! ah ! ah ! La pauvre vieux, on peut dire que celui-là est un mari mouton !… Tiens ? Voilà le journal ? Je gage bien que ma tante a déjà vu le fameux article du divorce ? Et qu’elle va en conséquence faire un sermon à Thérèse à mon égard !… Eh bien, oui, le divorce ! Si on m’ennuie avec des pleurnicheries, j’envoie tout promener !… Et pourtant, elle est jolie ma Thérèse !… Je la regardais l’autre soir, elle avait voulu prendre son petit air colère et ses yeux brillaient comme deux escarboucles !… Oui, oui, elle est jolie !… Mais ma foi ! Au diable ! Encore une fois je veux être le maître !… Pas de reproches ! Je m’amuserai, je boirai ! Je ferai la noce et si l’on est pas content… Eh bien, je suivrai la pente que d’autres suivront… je profiterai du divorce.
Scène 6e
Quoi ?… Quoi ? C’est y ben vrai… ça ?… Vous voulez divorcer ?
Tiens !… Qu’est-ce qui t’prend donc, toi, Rémi, es-tu malade ?
Non… bourgeois… mais je viens de vous entendre dire que vous vouliez…
Eh bien ? Quoi ?
Eh ben !… que… vous vouliez prendre le divorce… pour…
Eh bien, après ?… Qu’est-ce que ça t’fait à toi, Rémi ?
Dame !… Bourgeois… Si c’était comme ça… moi… voyez vous… j’vous dirais… que… enfin… si vous vouliez… divorcer… je…
Achève donc, je ne te comprends pas !
Eh ! ben !… Eh ben, je vous demanderais pour être le mari de la bourgeoise.
Tu voudrais que je te donne ma femme !… Ah ! ah ! Ah ! Ce cher Rémi ! Ma parole d’honneur, il est farceur !
Mais pas du tout, bourgeois, je ne farce pas… puisque vous voulez divorcer… moi, j’peux ben m’marier avec mam’ Thérèse ?
Et qu’est-ce qui te dit que Thérèse voudrait de toi.
Ah ! Dame, bourgeois, alle verrait ben qu’y aurait d’la différence, c’est pas pour vous fâcher que j’vous dis ça, mais dame aussi, vous la rendez pas heureuse, vos dépenses, vos nuits au cabaret… oh ! elle verrait une fameuse différence, moi qui suis sobre, travaillant… enfin…
La paix ! M. Rémi, je n’aime pas les remontrances… Et d’abord savez-vous si Thérèse accepterait le divorce ?
Oh ! pour ça, oui, bourgeois… faut pas vous fâcher ! Moi, j’vous dis ça avec mon gros bon sens… mais c’est pas pour vous offusquer, voyez-vous !… Tout à l’heure, j’entendais Mam’ Thérèse qui pleurait dans sa chambre et Mam’ Lefèvre est venue… Dame, alle y en a tant dit sur vous, sur le divorce, que la pauvr’ petite femme a dit. « Eh bien, oui, il n’y a que ce moyen là et je veux l’employer… là-dessus, elles ont parlé bas. » Moi, j’ai r’descendu à la boutique… j’ai entendu votre dernier mot… et je m’suis déclaré.
Ce Rémi m’ouvre les yeux il faut que je voie Thérèse (haut). Laissons cela, Rémi, si les choses ne changent pas et si je me décidais à prendre le divorce, eh bien, alors il sera temps d’en parler… Mais à propos Rémi, moi, à ta place, je profiterais des récompenses nationales, j’ai vu hier un des membres de la commission, et si tu voulais, tu pourrais occuper un grade dans l’armée en récompense de ta conduite aux trois journées de Juillet… et ça te ferait oublier les drôles d’idées qui germent dans ta tête.
Ah ! merci, bourgeois, ne d’mandez rien pour moi, j’préfère rester ici, je m’trouve heureux, oh ! oui, ben heureux… J’attendrai.
Attends ! attends ! mon garçon, mais moi je te ménage une surprise (haut). C’est bien, Rémi, attends, à ton aise… mais qu’est-ce que j’entends là-bas ?
Scène 7e
57, 57.
Eh ! c’est mon bon oncle Lefèvre ?
Ah ! c’est toi Guillaume, 57, 57 (il marche).
Mais où allez vous donc si vite, mon oncle ?
Je m’en vas porter 57 sous à madame Lefèvre… bonjour, bonjour, mon neveu, 57, 57, (il veut toujours marcher).
Que diable ! attendez donc, vous avez le temps ?
Non pas, non pas, 57, 57.
Venez donc causer un peu avec moi, mon oncle ?
Non pas, non pas, ma femme m’a défendu de te fréquenter 57, 57.
Both ?… Et pourquoi cela ?
Elle dit que tu me perdrais, 57, 57.
Ah ! ah ! ah ! je reconnais bien là, ma respectable tante… allons, allons, mon oncle je ne suis pas un monstre, que diable ?… Venez boire un verre de vin avec moi ?
Un verre !… Ah bien, il ne manquerait plus qu’ça, ma femme m’en dirait de belles, 57, 57.
Tenez, mon oncle, je crois que vous vous laissez mener par le bout du nez.
Moi, par le bout du nez !… Moi, Thomas Lefèvre, ah ! non, non, mon neveu… mais… tiens… adieu… 57, 57.
Mon oncle, vous êtes une poule mouillée.
Une poule… oh ! non… Un coq je n’dis pas oh ! oh !
Sur quelque point par bonté d’âme
Si j’veux bien céder que’que fois
Pour faire plasir à ma femme
Je fais semblant d’suivre ses lois
Et si par fois je fais ses droits
Si je suis toutes ses fantaisies
Si je flan’ toutes ses manies
Si je veux combler tous ses vœux
Passé ça… j’fais c’que j’veux (bis.)
Mais tu me r’tardes… adieu Guillaume, 57, 57.
Voyons, voyons, vieux, de l’énergie.
J’en ai, j’en ai, mais… 57, 57.
Allons, mon oncle, laissez de côté vos diables de 57 et venez avec votre neveu au coin… là… en face… nous allons boire un verre.
Non… non… 57, 57.
Mon oncle, c’est moi qui paie !
Diable ! diable !… 57, 57.
Allons donc, soyez raisonnable
Eh ! mon oncle, soyez homme, enfin
Eh ! corbleu ! on est pas coupable
Pour aller boive un verre de vin.
Si contre moi ma femme s’allume
Tu diras que j’suis à côté
Et qu’une fois n’est pas coutume
Que j’m’en vas boire à sa santé.
Oui mon n’veu, je suis raisonnable
Oui mon n’veu je suis homme enfin
Et corbleu on n’est pas coupable
Pour aller boire un verre de vin.
Scène 8e
Bon ! les vlà partis bras d’sus, bras d’sous ! Ah ben j’plains les 57 sous du père Lefèvre, j’crois que l’bourgeois va les faire joliment danser… mais, c’est au retour qu’ça va chauffer, j’vois d’avance mam’ Lefèvre, ça va en faire un galimatias ! … Ma foi tant pis pour le bonhomme !. Ah ! c’est pas là qu’est ma grande inquiétude, c’est c’que m’a dit l’bourgeois !
Ah ! si j’avais la bonne chance qu’y divorce, c’pendant je l’crois… Tout m’le dit, — parce que… enfin… y a tant d’chose contre le bourgeois, qu’mame Thérèse, dira oui tout d’suite et aussi d’après c’que j’ai pu comprendre mam’ Lefèvre f’ra tout pour la faire consentir à divorcer !… Oui, oui, j’réussirai… j’en suis sûr… ce soir tout s’ra décidé… j’vas quitter la boutique de bonne heure, j’vas m’habiller en dimanche, j’fais d’suite ma d’mande, j’suis accepté oh ! alors je m’trouve l’plus heureux des mortels et j’travaille comme quatre !… allons… Mais… vlà mam’ Lefèvre… oh ! quels yeux !… y a du louche là-dedans.
Scène 9e
Dis donc, mon p’tit Rémi, tu n’as pas vu M. Lefèvre ?
Oui, mam’ Lefèvre, que je l’ai même ben vu.
Comme tu m’dis ça Rémi, d’un air tout drôle, voyons, tu l’as vu ?
Mais oui, Mam’ Lefèvre, que je l’ai vû ici, et puis après ça que j’lai pus vu, parc’qu’il est sorti.
Sorti !… Mais Rémi. tu ne vois donc pas que j’suis sur les chardons… je n’y tiens plus… parle, parle donc, où est-il mon Lefèvre ?
Eh ben ! il est venu jusqu’ici… il parlait de ses 57 sous et puis M. Guillaume se trouvait là et…
Tu dis… Guillaume… J’ai peur… parle vite, Rémi, après, après.
Diable comme vous serrez, fort !… Eh bien, après l’bourgeois y a parlé, M. Lefèvre y a répondu… enfin l’bourgeois l’a invité à boire un verre de vin, M. L’fèvre s’est défendu un p’tit peu… Mais vous connaissez l’bourgeois, j’crois qu’y pourrait débaucher un ange, il l’a si ben emberlificoté que l’bonhomme est tombé dans l’panneau et y sont partis tous les deux.
Ah ! le malheureux ! ah ! le vieux scélérat ! Après tout ce que je lui avais dit, tout ce que je lui avais recommandé, me jouer un tour pareil !… Dire, mon p’tit Rémi qu’y m’avait juré ses grands Dieux qu’il n’écouterait pas Guillaume et me tromper ainsi !… Ah ! vieux grigou, j’vas t’en chanter une gamme !… Mais où peut-il être ? Quand va-t-il revenir ? Mon Dieu ! Ce mauvais garnement de Guillaume va me le perdre ! Oh ! il est perdu !… mon pauvre Lefèvre, lui qu’était si docile à mes avis, c’était doux comme un mouton, y n’aurait pas été prendre sa demi tasse sans ma permission et encore sur les cinq morceaux de sucre qu’on lui servait, il m’en gardait toujours trois dans la poche de son gilet !… Ah le brigand de Guillaume, c’est un monstre, il ne mérite pas la corde pour le pendre… Mais, voyons donc, Rémi, tu es là à me regarder les bras croisés, la bouche ouverte… mais va donc, Rémi, va donc, va me chercher mon mari, mon pauvre Lefèvre, ou bien, il est perdu ! Rémi, mon p’tit Rémi, va, marche, cours, trouve-le, ramène-le moi…
Eh ! t’nez, Mam’Lefèvre r’gardez, je m’trompe pas, c’est lui qu’j’entends
Vive le vin ! Vive ce jus divin…
Oui, oui, c’est lui !… Dieu ! dans quel état il est, il ne tient plus sur les jambes !… attends ! attends ! va ! à nous deux ! nous allons voir !
Diable ! le baromètre annonce de l’orage, je m’sauve.
Scène 10e
(chante) Vive le vin ! Vive ce jus divin ?
Qu’il égaie ma vie…
Tiens ! voilà ma respectable épouse ! eh ! eh ! eh ! eh !
Reculez-vous, vous sentez le vin à pleine bouche.
Je sens le vin ! eh ! eh ! eh ! C’est que j’y ai goûté, une fois n’est pas coutume ! eh ! eh ! eh ! eh !
Comment vous n’avez pas de honte ? Vous ne rougissez pas de venir devant moi dans un pareil état ?
Rougir !… hé ! hé ! Le vin m’a fait rougir, lui hé ! hé ! hé ! Une fois n’est pas coutume à bas les monopoles !… Voulez-vous m’embrasser, madame Lefèvre ?
Fi !… retirez-vous !… Vous êtes un vieux sans cœur !
Madame Lefèvre !… Il ne faut pas m’insulter !
Qu’avez-vous fait des 57 sous, l’argent du voisin ?
Les 57 sous ?… L’argent du voisin ?… Il est bu l’argent du voisin… hé ! hé ! hé ! Une fois n’est pas coutume !
Vieux Grigou ! Vieux Chouan !
Madame Lefèvre !… assez !
Un vieux sac à vin !… Un vieux renégat !
Madame Lefèvre !
Un vieux républicain !… Un vieux sans-culotte !
Sans… Sans culotte !… Ah ! madame Lefèvre ce que vous dites là est très indécent devant l’honorable société qui nous écoute.
Un crocodile !… Un vieux…
Madame Lefebvre !… Je repousse vos épichettes !… Je les méprise vos épichettes !… À bas les monopoles !
Je vous dis que vous êtes un vieux fou !… Un vieux de rien !… Un mange tout !… un… un… un…
Madame Lefèvre !… Vous êtes une vieille sorcière et une vieille bavarde !
Misérable !… j’vas t’arracher les yeux.
Arrière ! épouse criminelle !
Ah ! malheureux ! Tu oses lever la main sur moi ?
La main !… jamais ! le balais je n’dis pas… Une fois n’est pas coutume !… d’ailleurs il y a une manière d’arranger les épinards !
Et laquelle ?… Monstre !
C’est de divorcer comme Guillaume et sa femme vont le faire, le divorce étant dans les lois du royaume, je profite des lois du royaume !… À bas les monopoles !
Ah ! voilà où tu voulais en venir, hein ? Tu iras trouver une femme comme moi pour t’apprêter ton café tous les matins.
Tu le mangeras toute seule ton vieux café à la chicorée ! Moi je garde mon énergie d’homme libre !
Ah ! le monstre !… Si c’est pas indigne !
Madame Lefèvre ! Allez me préparer mon paquet !… Une fois n’est pas coutume !… Eh ! eh ! eh ! Vive le vin ! Vive ce jus divin…
Quel scandale !… Quelle conduite !… Ah ! les coquins d’hommes ! Les coquins d’hommes !…
Scène 11e
Et voilà comme on s’arrange quand on a d’ça dans la poitrine !… Ah ! je m’laisse mener comme une poule mouillée !… Par le bout du nez ?… Non !… non !… j’ai d’l’énergie et mon neveu Guillaume va être content de moi… lui qui m’disait que j’allais me mettre aux genoux de Madame Lefèvre ! Aux genoux !… Non, non… C’est trop mesquin ! Trop abject !… J’suis un homme morbleu !… Corbleu !… Capédisious ! J’veux être mon maître !… libre !…indépendant !… Vive le divorce !… À bas les monopoles !… Une fois n’est pas coutume !
Scène 12e
Comment ? mon oncle ? Qu’est-ce qu’on vient de me dire ? quoi ? serait-ce vrai ? Vous voulez divorcer ?
Ça t’étonne, ça mon p’tit ?
Mais voyons, mon oncle, vous n’y pensez pas ?
À cause donc, mon n’veu que j’n’y pense pas ?
Parce que vous n’avez pas le cœur de quitter ma pauvre tante qui vient d’entrer chez nous, elle pleure, elle se désole.
Ah ! ça dis donc, mon n’veu, sais tu que tu es un tant soit peu girouette… Ce matin tu m’parlais bleu et ce soir tu m’réponds tout rouge ?… Tu me prêchais le divorce comme une chose des plus aimables et utile pour la société et à présent tu changes de culotte ?
Diable de vieux ! C’est qu’il y tient ?… Et c’est moi qui suis cause de cela (haut). Voyons, mon oncle, j’ai eu tort, le plus grand tort de vous parler ainsi, je m’en repens bien sincèrement et pour vous le prouver, je dois vous dire que je viens de faire la paix avec Thérèse ma femme, je lui ai demandé pardon de tous mes torts, elle m’a pardonné en pleurant de joie et, à dater de ce jour, je dis adieu à tous ces faux plaisirs, je me remets à l’ouvrage, je veux vivre heureux auprès de ma femme !… Voyons, mon oncle, revenez de votre erreur ; imitez-moi, allez retrouver votre femme, ma pauvre tante et nous serons tous heureux.
C’est beau ça !… C’est sensible !… Si j’avais le temps je pleurerais !… Moi !… retourner auprès de ma femme !… Mais non !… Mais non !… mon neveu, j’ai trop d’énergie !… Tu ne sais donc pas que Madame Lefèvre infectait avec moi un air de supériorité qui ne m’allait pas du tout ? Mais, pas du tout ? du tout ?… Et qu’une fois qu’elle avait dit oui, il n’y avait pas moyen de dire non ?… Je ne veux plus vivre ainsi, c’est trop abject !… Le divorce étant dans les lois du royaume, je profite des lois du royaume !… À bas les monopoles !… Une fois n’est pas coutume !
Jusqu’à ce jour je fus trop bête !
Je suis las du conjungo
Chez moi, ce n’était qu’un casse tête
Et je n’étais qu’un zéro
Rester avec ma femme
Non, non, ça n’se peut plus
J’aimerai mieux sur mon âme
Le Choléra Morbus !
A-t-on vu un vieil entêté semblable ? Mais, mon oncle, divorcer après quarante cinq ans de mariage ? y pensez vous ? Qu’allez vous faire ?
Ce que je vas faire ?… Je ne suis pas en peine, j’ai des bras et des jambes, j’irai poser des fonds de culottes dans les cours étrangères !
Mais, mon oncle, réfléchissez…
Hein !… Réfléchir ?… Tout est réfléchi !… Non ! Non !… Une fois n’est pas coutume, adieu mon n’veu… j’men vas chercher mon paquet.
Scène 13e
Diable ! C’est que le bonhomme est capable de partir… Mais où diable peut-il aller ?… oh ! oui, c’est ma faute, mais qui aurait jamais pensé que le père Lefèvre irait se fourrer dans la tête de divorcer, de quitter sa femme… Ah ! bath ! bath ! C’est une folie et je ne le souffrirai pas, allons, il faut arranger ça !… Ah ! j’ai une autre chose, c’est mon ouvrier Rémi, il s’est tellement mis dans la tête que je voulais divorcer, qu’il en a parlé à plusieurs de ses amis et qu’il a la ferme intention de venir ce soir faire sa demande à Thérèse (il rit) ah ! ah ! ah ! Oui, mais j’ai prévenu tout cela, un voyage lui fera du bien, le pauvre Rémi, ne s’attend pas au tour que je lui ai joué à la commission des récompenses nationales ! Mais quel est ce bruit ?… c’est comme une batterie de cuisine en révolte ?… Mais Dieu me pardonne, je ne me trompe pas… oui… oui… c’est mon oncle !… Ah bien, ma parole d’honneur, c’est impayable !
Scène 14e
(il est chargé de batterie de cuisine, parapluie, carton, panier, sac, etc.)
N… i… Ni… C’est fini !… Une fois n’est pas coutume !
Lefèvre !… Mon Lefèvre !…
Je ne la suis p’lus vot’ Lefèvre ?… Épouse irascible !…
Lefèvre !… Où vas tu mon Lefèvre ?
Où je vas ?… je vas errer dans des lieux arides !…
Arides !… Ah ! j’en mourrai !
Mon oncle !… Mon oncle ! Elle se trouve mal !
Hein !… Elle se trouve mal ?… (il jette tout par terre) Ursule !… Ursule !… mon épouse !… ma femme ! mon épouse légitime ! Ma psiché ! Ma Diane, ma flou ! fontaine d’amour ! Reviens à toi !… Vite, Vite, Guillaume, de l’eau !… de l’eau d’floride !… du vinaigre des quatre voleurs… de l’huile… de… de… tout !… tout !… vite… vite !… Ursule !… Bobonne !… Je suis à tes pieds !… bobonne ! Écoute la voix de la nature qui parle !… Guillaume ! Guillaume !… Elle ouvre l’œil !…
Excuse moi ma bonne amie
Ah ! pardonne un moment d’erreur
Je veux durant toute ma vie (bis)
Te faire oublier ma rigueur (bis)
Ah ! vraiment je suis trop sensible ! Relevez-vous…
Elle pardonne (bis) oh ! ciel est-il possible
Mon Thomas !…
Ma p’tite Ursule !
Plus de divorce nos chagrins sont finis (bis)
Pour être heureux restons unis (bis)
Scène 15e
J’accours… (il reste stupéfait) Que vois-je… Pardon… Bourgeois… Monsieur… Madame… Mais… Je venais…
Je sais ce que tu voulais, mon cher Rémi, tu venais demander Thérèse en mariage… (il lui donne un papier) Tiens lis ! ma réponse est dans ce billet
Que peut contenir ce billet !… (il lit) « Monsieur d’après l’avis de la commission des récompenses nationales vous êtes nommé sergent au vingt-quatrième régiment d’infanterie de ligne et vous êtes tenu de vous rendre d’ici à trois jours sous les drapeaux de l’armée » (il reste comme interdit, et tout à coup, il va prendre le havre-sac et s’avance en chantant)
Ah ! je devine ce qu’il me reste à faire
Adieu Madame, adieu donc mes amis
Je vais chercher un destin plus prospère
Pensez quéquefois au pauvre militaire
Plus de divorce vos chagrins sont finis
Pour être heureux restez unis
Plus de divorce nos chagrins sont finis
Pour être heureux restons unis !