Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume III/Introduction


 
Traduction de James Darmesteter

Édition : Musée Guimet. Publication : Ernest Leroux, Paris, 1893.
Annales du Musée Guimet, Tome 24.


Introduction
— Grands faits politiques, religieux et linguistiques de l’histoire ancienne de l’Iran.


RECHERCHES
SUR LA
FORMATION DE LA LITTÉRATURE
ET
DE LA RELIGION ZOROASTRIENNE


INTRODUCTION
GRANDS FAITS POLITIQUES, RELIGIEUX ET LINGUISTIQUES DE L’HISTOIRE ANCIENNE DE L’IRAN

Pour se diriger dans l’histoire de la littérature et de la doctrine zoroastriennes, il est nécessaire d’avoir dans l’esprit les grandes lignes de l’histoire de l’Iran ancien, — histoire politique, religieuse et linguistique.


I. L’histoire politique de l’Iran, depuis les premières périodes accessibles jusqu’à la conquête arabe, s’étend sur treize siècles et se divise en cinq périodes.

1o  Période médique. — La Médie, sujette de l’Assyrie, s’affranchit vers la fin du viiie siècle avant notre ère, détruit Ninive vers la fin du viie siècle et prend en main l’hégémonie de l’Iran.

2o  Période perse achéménide. — Vers l’an 550, Cyrus, l’Achéménide, renverse Astyage, roi de Médie, et substitue la province de Perse à la province de Médie dans l’hégémonie de l’Iran. La dynastie achéménide garde l’empire durant un peu plus de deux siècles.

3o  Période grecque. — En l’an 336, Alexandre envahit l’empire perse et le subjugue. Il y organise la domination grecque et essaie d’y implanter la civilisation grecque.

L’empire grec d’Iran ne dure dans son intégrité que trois quarts de siècle, avec les premiers Séleucides. Vers 250, la Parthie devient indépendante avec Arsace, tandis que la Bactriane se sépare aussi, mais sous une dynastie grecque. La puissance grecque, peu à peu réduite par les soulèvements nationaux et par les guerres civiles, disparaît finalement vers l’an 150 avant notre ère, sous les coups de Mithridate le Grand, après avoir duré près de deux siècles.

4o  Période parthe. — L’empire parthe ou arsacide, fondé vers 250 avant notre ère par Arsace, étendu peu à peu par la conquête et organisé définitivement par Mithridate le Grand, est renversé en 226 de notre ère par une dynastie nouvelle, originaire de Perse, celle d’Ardashir le Sassanide, qui se donne comme héritier et restaurateur de l’empire du dernier Darius.

5o  Période perse sassanide. — La dynastie sassanide a duré quatre siècles et périt en 652 avec Yazdgard devant la conquête arabe qui, en apportant l’Islam, ouvre une ère nouvelle dans le développement de l’Iran.

II. La religion de l’Iran ne nous est directement connue que durant la dernière de ces cinq périodes, la période sassanide : nous possédons une grande partie du livre des Sassanides, l’Avesta, et toute une vaste littérature religieuse qui s’est développée, sous les Sassanides et depuis, autour de l’Avesta. L’Avesta même est présenté par les Sassanides comme le débris d’un livre achéménide.

Nous ne connaissons la religion des Achéménides que par des données éparses soit dans les inscriptions émanées d’eux, soit dans la littérature grecque.

III. L’Avesta est conçu dans une langue très proche parente de la langue des inscriptions achéménides, mais qui ne lui est pas identique et qui n’en représente pas non plus une époque, soit antérieure, soit postérieure. La langue des Achéménides était le dialecte propre à la province de Perse : celle de l’Avesta appartient à une autre province.

La langue des Achéménides, ou vieux persan, s’est continuée dans le pehlvi qui est la langue des Sassanides, et le pehlvi s’est continué dans le persan moderne.

La langue de l’Avesta, le zend, comme on est convenu de l’appeler, s’est éteinte sans descendance apparente. Néanmoins la phonétique et le lexique de l’afghan moderne s’expliquent comme si l’afghan était dérivé du zend ou d’un dialecte très voisin du zend 1[1] ; ce qui prouve que la région afghane formait le domaine ou du moins faisait partie du domaine de la famille zende.

Les coïncidences frappantes qui existent entre les données de l’Avesta et celles que nous possédons sur les idées religieuses de la période achéménide laissent penser au premier abord qu’en effet la religion sassanide est, comme elle le prétend, l’image fidèle de la religion achéménide : et d’autre part la proche parenté du zend avec le vieux persan crée une impression favorable à l’idée que l’Avesta est en effet le débris d’un livre achéménide.

Un examen plus approfondi confirme-t-il ces présomptions ou les infirme-t-il ?

C’est ce que nous essaierons de déterminer dans les pages suivantes, en combinant les données extérieures fournies par l’histoire, avec les données intérieures fournies par l’analyse des textes.

La question a été abordée plusieurs fois, mais avec des ressources insuffisantes, qui ont empêché de l’embrasser dans toute sa complexité et de formuler les solutions avec clarté. Voici les principales solutions qui ont été proposées : je suis obligé, en les exposant, de leur donner peut-être une précision qu’elles n’avaient pas toujours dans la pensée de l’auteur ou dans son expression.

1o  Solution traditionnelle. — L’Avesta et sa religion ont été révélés par Ahura au prophète Zarathushtra, qui les a apportés au roi Vîshtâspa, 258 ans avant l’invasion d’Alexandre. Alexandre a détruit l’Avesta : une partie a été retrouvée sous les Arsacides et sous les premiers Sassanides (iiie siècle de notre ère). À cette solution se rattache Anquetil qui fait paraître Zoroastre en l’an 589 et propose d’assimiler Vîshtâspa à Hystaspès, le père de Darius.

2o  Solution de l’apocryphe. — L’Avesta est un apocryphe rédigé par les Parsis, après la conquête arabe (William Jones et les Anglais).

3o  Solution védisante. — L’Avesta est avec les Védas un des monuments les plus anciens de la race aryenne. Selon l’extrême gauche de l’école, le Zoroastrisme s’est formé par une réaction contre le Védisme et marque une révolution religieuse qui a séparé les deux branches aryennes (Bopp, Benfey, Haug, Roth).

4o  Solution Israélite. — Le Zoroastrisme s’est formé en Médie au contact des Mages avec les captifs d’Israël déportés au viiie siècle par Salmanasar (Ch. de Harlez).

5o  Solution historique. — L’Avesta a été rédigé dans la période de fermentation religieuse qui précède l’avènement des Sassanides.

C’est à cette dernière solution, proposée par M.  Bréal 1[2] et à laquelle semble être arrivé aussi Paul de Lagarde, qui mourut malheureusement sans avoir eu le temps d’exposer sa pensée 2[3], que se rattachent les conclusions de cette étude. Les voici brièvement résumées :

Quant au fond :

La religion de l’Avesta représente essentiellement la religion de l’époque achéménide, mais profondément pénétrée, après la conquête d’Alexandre, au contact des Grecs et des Juifs, de principes et d’éléments nouveaux empruntés au Néo-Platonisme et au Judaïsme.

Quant à la forme :

Tout l’Avesta, même dans ses parties les plus anciennes, porte l’empreinte de ces principes nouveaux et en a reçu sa forme. Il a été rédigé tout entier après la conquête d’Alexandre, entre le ier siècle avant notre ère et le ive siècle après notre ère. La langue où il a été rédigé, le zend, était très probablement une langue savante, une langue morte.




  1. 1. Darmesteter, Chansons populaires des Afghans, lxiv-lxv.
  2. 1. Sur la composition des livres zends (dans les Mélanges de mythologie et de linguistique, 207 sq.). 1878.
  3. 2. Purim, p. 39), dans les Abhandlunqen der kœniglichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Gœtlingen, 1887.