Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume I/YASNA/Hâ45.

Traduction par James Darmesteter.
Texte établi par Musée Guimet, Ernest Leroux (I. La Liturgie (Yasna et Vispéred) (Annales du Musée Guimet, tome 21)p. 295-299).




HÂ 45 (SP. 44). — GÂTHA USHTAVAITI 3



1-2. Révélation de la doctrine mazdéenne. Existence de deux Esprits, le Bon et le Mauvais, opposés de pensée, d’âme, de religion (cf. Y. XXX, 1-6).

3-5. Cette doctrine est la première des choses dans ce monde : celui qui ne la suivra pas, telle que le Prophète la conçoit et l’exprime, malheur à lui à la fin du monde ! C’est la pensée d’Ahura, fondateur de l’Asha, père de Vohu Manô et d’Ârmaiti : ceux qui la suivront iront au Paradis.

6. Qu’Ahura m’entende et m’éclaire ! Il doit ses bienfaits à ses adorateurs. Nous voulons lui offrir nos hymnes de prière (§ 8), le réjouir de nos pensées vertueuses (§ 9), le magnifier par nos sacrifices de piété (§ 10).

11. Arrière les méchants ! Traitez superbement les superbes !


{{t|Dînkart, IX ; 16 (Sûtkar) ; 38 (Varshtmânsar) ; 60 (Bak).


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1. At fravakhshyâ. — Je vais parler, prêtez l’oreille ; écoutez, vous qui de près, vous qui de loin venez pour vous instruire 1[1]. Mazda m’a révélé toutes choses-. Le maître d’erreur’ ne fera pas une seconde fois périr lo monde ’, le .Méchant dont la langue professe les doctrines du mal ! 2. Je proclamerai les deux Esprits premiers, desquels celui qui est le Bon dit à l’Esprit destructeur : « .Non, ni nos pensées, nos enseignements, nos intelligences ; ni nos vœux, nos paroles et nos actes ; ni nos religions ni nos âmes ne sont d’accord ". »

3. Je proclamerai ce qui est la première des choses dans le monde d’Ahura’, telle que me l’a dite Mazda Ahura qui la connaît. Ceux qui d’entre vous n’accompliront pas la parole divine, telle que je* la conçois et l’exprime, malheur^ à eux jusqu’à la fin du monde ! 4. Je proclamerai ce qui est la meilleure des choses dans le monde 2. nù îm TÎspâ cîthré zî MazJàonhô dùm (la lecture de Geldner mazdàorihôdùm a contre elle l’accord des bons manuscrits et rinterprétation pehlvie) : ■■ car les Mazda ont rendu toutes choses manifestes » iMazdàonliô est un pluriel de majesté, à moins qu"il ne désigne Mazda et les Amshaspands). Le vers se prêterait aussi à la traduction « car les Mazda ont créé toute chose », le mot cilliré « manifeste » se disant des choses qui paraissent au jour : cf. le persan paidd kardan a rendre manifeste, créer » : c’est ainsi qu’entend la glose pehlvie : « c’est-à-dire quWuhrmazd a créé tout ce monde >> : mais le contexte favorise la première traduction et la glose semble reposer sur une fausse construction de nîgk zzz zi dans la traduction directe — dùm, pour dùii (de du doublet de dà ; cf. dàm, ya/tbùiièt, notes 13, 33 et Y. IX, note 68). 3. dusii-sastlsli ; zandb mlnôi (P.), .hriman.

4. . la fin du monde : il l’a déjà perdu une fois, au début, en y faisant invasion et y portant le mal. — dailntîui, dalitjavtar zamân : dans les textes postérieurs dhitim. 5. alià varanâ... àveretô ; àveretô, aimanûnhiit « il fait croire » ; cf. Y. XXXI, n. 5. 6. manào, sénglià, lihratavô ; varanà, ulibdlià, sliyaotlianà, daénào, urvànô. Glose : « c’est-à-dire que je pense le bien et tu penses le mal ; j’enseigne le bien et toi le mal ; je tiens mon intelligence dans le bien et toi la tienne dans le mal ; mon désir est bon, le tien est mauvais ; ma parole est bonne, la tienne mauvaise ; je fais le bien et toi le mal ; ma religion est celle des Gàthas (gdsdn’tgî/i], la tienne est celle des magiciens {ydtûkih ; cf. LXI, note 8 ; Vltl, 3-4) ;... une âme qui est dans la religion et une âme qui n’y est pas ne vont pas ensemble ». — Vers cités Y. XIX, 15. 7. Il s’agit sans doute dune façon générale de la religion révélée : cf. le Hà précédent, 2 a, notes 5 et 6 : la glose pehlvie veut y voir la formation du caractère, khim virâstan (cf. Dhikarl, IX, 38, 4 : une des excellences que conseille la religion, c’est de « former son caractère par les bonnes pensées, les bonnes paroles, les bonnes actions ». Le caractère, selon le Shikand Gùmdnik, I, 26, est la grande vertu du prêtre : ■< il consiste à ne point pécher par crainte ou fausse honte »). 8. Suppléer le sujet azem pour rétablir le vers.

9. avôi, anâk ; cf. p. 233, n. 76.


d’Ahura. Mazda connaît bien l’Asha 10[2], lui qui l’a établi. Père de l’actif Vohu Manô, Armaiti aux bonnes œuvres est sa fille 11[3]. Il ne saurait s’égarer 12[4], Ahura qui voit toutes choses. Cf. Yt. I, 18.
5. Je proclamerai ce que m’a dit le Très Bienfaisant, parole excellente à entendre aux mortels. Ceux qui l’écouteront de moi et l’enseigneront 13[5], ceux-là iront auprès de Haurvatât et d’Ameretât 14[6] ; par les œuvres de Vohu Manô, ils iront auprès d’Ahura Mazda 15[7].
6. Je proclamerai ce qui est la plus grande de toutes les choses, chantant la sainteté de ceux qui appartiennent au Dieu Sage 16[8]. O Spenta Mainyu, que Mazda Ahura m’entende ! S’inspirer de la Bonne Pensée, c’est le prier 17[9] : qu’il m’instruise donc par son intelligence parfaite 18[10] !
7. Ce sont ses bienfaits qu’avec leurs présents recherchent ses adorateurs 19[11], ceux qui ont vécu et ceux qui vivront 20[12] : l’âme du juste aspire à

l’immortalité 21[13] et à la force, tandis que sera en peine le méchant 22[14] ; tel est l’empire de Mazda Ahura sur la création 23[15].
8 24[16] Nous voulons donc lui offrir nos hymnes de prière 25[17] : car de mes yeux j’ai reconnu en lui 26[18] l’être de bonne pensée, de bonne parole, de bonne action, connaissant qu’Ahura Mazda est la sainteté même. Déposons donc nos prières devant lui dans le Garô-demâna 27[19].
9. Nous voulons le réjouir avec la Bonne Pensée, car il fait pour nous à son gré le bien-être et le malaise 28[20]. Qu’Ahura Mazda nous donne d’exercer l’empire 29[21], de voir prospérer nos troupeaux et nos hommes, grâce à la sagesse qui suit la piété de Vohu Manô 30[22] !
10. Nous voulons par les sacrifices d’Ârmaiti magnifier 31[23] Celui qui a

été nommé du nom de Seigneur Omniscient". L’homme qui le prêche avec Asha et Vohu Manô, en son pouvoir seront Ilaurvatàt et Amerelât ; ils lui donneront force et vigueur ^^

1 1 . Arrière ’^ les Daêvas et les hommes ! Soyez superbes pour les superbes, pour tous autres que le fidèle humble^’. Au saint, sage ou prince^, appartient la bienfaisante Religion : celui-là est [de la Religion] l’ami, le frère, le père, ô Mazda Ahura !

12. Le bien soit à quiconque fait du bien à àme qui vive ! (Y. XLIII, 1 ; [2 fois). Ashem votiù (3 fois).

Nous sacrifions au Hâ At fravakhshyâ.

Yèiîhè hâtàm.

32. Ahurô mazdào, pris ici clairement dans le sens étymologique : khûlâ dànâk. 33. côisht, câshit « le fait connaître » (de cish ; cf. jaoget, cùret, etc.). — khshathrùi, au sens propre, mais avec allusion à l’Amshaspand de ce nom, de sorte que celte strophe réunit les sept divinités suprêmes. — dàm, yahbûnêt, v. notes 2, 13. 34. Les Daévas et les méchants. — yastâ... aparô, matshân... akhar. 35. yôi im taré manyantà « ceux qui pensent insolemment >> ; de là l’abstrait tarôniaiti, nom du démon qui personnifie l’orgueil ; s’oppose à yé arém manyàtà « celui qui pense comme il convient », personnifié dans la déesse Armaiti. 36. saoshyaùtô déng : patôish : défig- patôisb, dastôhar pal [khûtâ], représente le couple « prêtre et prince », ahu et ratu (voir l’Introduction au Y. XIX). — déng patùish rappelle verbalement le védique dampati « maître de maison » ; mais ce n’est qu’une apparence : déng est traduit daslôbar, c’est-à-dire comme le zend dé, dans dé Jâmâspa (XLVI, 17 ; XLLK, 9 ; L, 18) ; les deux formes se concilient dans un primitif daL daiih, qui se retrouve :

l^Dans l’abstrait neutre daûli-ô, dândkîh « sagesse » (Yt. VI, 6) ; védique dansas ; 2° Dans l'adjectif dai>-ra daùg-ra, dànâk « sage » (Y. XLVI, 17)^ :*danh-ra, védique dasra ;

3° Dans le superlatif danh-ishta, ddndktûm (Y. XIII, note 13), védique dansislitha ; 4° Dans l’abstrait dàstvâ, dastôbarXh « règle «(origine derfa.s^oèrn’zn’dastva-hara ; cf. Y. XLVI, n. 30) ;

5° Peut-être dans didainhê « révélation » (Y. XLIII, note 36) ; dào « sage » (dans Mazdào, hudào, duzlidàonba, etc.) ; dalima ; mais le sens de dahma est d’un autre ordre [shapîr, uHama « vertueux »).


  1. 1. Litt. « vous qui de près (asnât = min nazdik), vous qui de loin désirez » c’est-à-dire venez « pour vous instruire » (ô êrpatastàn kartan). — Cf. le début du Hâ XXX. — fravakhshyà est une 1re personne du futur : frâj yamalalûnam (§ 2 a).
  2. 10. Litt. « il connaît bien en Asha ».
  3. 11. Ahura a créé la Sainteté (Asha), la Bonne Pensée agissante (Vohu Manô), la Piété parfaite (Ârmaiti). La glose voit dans ce passage une allusion à la sainteté du Khêtûk-das (voir Y. XIII, Appendice, pp. 126-134) : c’est sans doute la mention d’Ârmaiti qui lui a suggéré cette interprétation, Ârmaiti, la fille d’Ahura, étant aussi son épouse (l. l., p. 129).
  4. 12. Ou : « on ne saurait l’égarer ». — Glose : « toutes les œuvres de justice sont contenues dans la religion d’Ahura ».
  5. 13. Selon la glose, allusion à la nécessité d’avoir un Dastûr dont l’on suive les instructions. Litt. « ceux qui à moi donneront audition et enseignement » : dàm, yahbûnêt, pour dà-n (? cf. n. 2) ; cayascà, câshêt ô aishân.
  6. 14. « Pour recevoir leur récompense » (P.) ; cf. Y. XXXII, 15 ; Yt. I, 25.
  7. 15. Litt. « Ahura Mazda [ira] auprès d’eux ».
  8. 16. Selon la glose, allusion à la sainteté du sacrifice. — yé hudào yôi heñti, olà î hûdânâk [Auhrmazd] nafshâ man havâ-and « ceux qui appartiennent à celui qui est sage — Auhrmazd ». — Vers cité LII, 4 ; LXI, 5.
  9. 17. yèhyâ vahmê vohù frashî mananhâ ; litt. « lui dans le vahma duquel (vahma est la contre partie de yasna : c’est le second élément du culte, la prière ou nyâyishn ; cf. Y. I, n. 70) on converse avec Vohu Manò (Bonne Pensée), qu’il m’instruise… ! ».
  10. 18. Les dons de l’àsnô khratu, les dons naturels de l’intelligence (Y. XXII, note 22).
  11. 19. Adorons-le, il nous récompensera. Cf. Y. VII, 24. — savà, sût ; ràdaňhò, pun rât dahishnih ; est en réalité un nom d’agent, « celui qui fait les offrandes » : rât dahishnîh est une traduction étymologique, râd étant supposé  ; le sens général n’en est pas moins exact, ràdaňh étant le védique ràdhas.
  12. 20. Les premiers ont déjà leur récompense, les autres l’auront.
  13. 21. La vie céleste.
  14. 22. yâ neràsh sâdrà dregvatò « laquelle est pénible pour les méchants » (sâdrâ, tangîh, Y. XXXIV, 7). Le passage est imité dans le Vispéred, XVIII, 2 ( Sp. XXI, 4), où le Commentaire pehlvi ajoute : « on donne cette récompense au juste, dans le même temps qu’on châtie le méchant ». Cf. Uzirin Gâh, 6.
  15. 23. Traduction douteuse ; tâcâ khshathrà Mazdâo dàmish Ahurô ; je traduis dàmish comme un accusatif pluriel.
  16. 24. Cette strophe et les deux suivantes débutent symétriquement par trois désidératifs construits de même : tem né… vîvareshô ; tem né… cikhshnushô ; tem né… miniaghzhô, et expriment le désir du fidèle d’offrir à Ahura prière (§8), bonne pensée (§ 9) et sacrifice (§ 40).
  17. 25. tem né… vîvareshô : semble traité comme sujet ici et dans les deux strophes suivantes : cf. le latin nos, nominatif et accusatif.
  18. 26. Il manque deux pieds dans le premier hémistiche et c’est probablement du mot manquant, que je rends vaguement par « l’être », que dépendent les génitifs du vers suivant : par exemple ptarém (cf. § 4 : patarém vaňhéush… manaňhô).
  19. 27. Le Paradis : v. Y. XXXIV, 2, n. 6.
  20. 28. usen côret̪, pun khorsandîh kart (côret, v. XLIV, n. 21). Le pehlvi semble entendre : « l’aise de celui qui fait malaise » et ajoute : « le bien-être du méchant même vient d’Auhrmazd ».
  21. 29. Litt. « Que Mazda nous mette dans l’exercer empire » (khshathrà varezî nâo — K5 Pt4 ; Geldner lit verezényâo ; mais la lecture en nâo et la valeur pronominale de ce nâo est établie par le pehlvi ô landdyât) ; cf. au vers suivant : « qu’il mette nos troupeaux et nos hommes en prospérité ».
  22. 30. vanhéush ashâ haozàthwât â manaňhò : litt. « de par la sagesse de Vohu Manô par piété ». Glose : tarsakàsih râi zîam ît hûzandih pun Vahûman amân yahbûn « à cause de la piété qui est à moi, donne-nous la sagesse par Vohu Manô ». Vohû Manô, la Bonne Pensée, comprend parmi ses dons ceux de l’Intelligence (XXVIII, n. 2 ; XXII, n. 22).
  23. 31. mimaghzhô, de maz. Les sacrifices d’Armaiti sont les sacrifices offerts par la piété humble.