CHAPITRE II

INFLUENCE DE LA JEUNE FILLE DANS LA FAMILLE ET DANS LA SOCIÉTÉ.


La jeune fille est ce bouton qu’un orage peut briser ; qu’un sourire du soleil fait éclore. Elle tient à l’une des trois classes, ouvrière, bourgeoise et riche, dont le monde se compose.

Ouvrière, elle travaille par nécessité.

Bourgeoise, par devoir.

Riche, par délassement.

On a dit : L’oisiveté engendre tous les vices ; cherchons à démontrer que le travail sanctifie quiconque sait apprécier sa valeur.

La famille pauvre, a pour obligation constante le gain de son pain quotidien. L’enseignement primaire constitue toute sa science ; dès l’adolescence, l’enfant de cette classe fait l’apprentissage sérieux de la vie et prend un état plus qu’une vocation. De là ses écarts, ses dégoûts. L’homme se plie plus facilement que la femme à de grossiers travaux ; elle supporte mieux la douleur ; il supporte plus la fatigue. Tandis qu’elle se raffine à tirer l’aiguille, il se bronze à tenir le marteau. Dans l’atelier de couture, l’esprit a toujours une lampe qui brûle. Dans le chantier, le bruit des instruments de travail fait entendre sa voix au-dessus de toutes les voix. Aux heures des repas, les jeunes filles ne quittent point l’atelier ; les jeunes garçons, au contraire, vont au cabaret, à la gargote, y contractent de mauvaises habitudes, qui sont comme une barrière entre eux et leurs pareils.

Du premier pas dans la vie réelle, dont le point de départ est le même pour les deux sexes, dépend l’avenir de chacun. Si la jeune fille, au lieu de descendre, s’élève ; si, pénétrée du sentiment de sa dignité propre, ses actes sont honorables, elle n’épousera qu’un homme honoré. Le danger à éviter pour elle, est l’attrait de la séduction.

En général, les jeunes gens des classes élevées ne se font aucun scrupule de poursuivre de leurs hommages les jeunes ouvrières ; ils flattent leur beauté, encensent leur amour-propre, développent en elles l’orgueil et les perdent en les abusant. C’est de cette catégorie de jeunes aveuglées, que sortent les filles-mères, les lorettes, les prostituées, dont beaucoup ont commencé par l’honneur, et finissent par la débauche. Certes, celles qui plus fortes que la tentation résistent à leur cœur, deviennent de bonnes mères de famille, de laborieuses ouvrières, d’honnêtes épouses. L’autorité de la mère, elles l’ont respectée, le devoir, elles l’écoutent ; n’aspirant point à porter le chapeau et s’élevant à leurs yeux, par le respect que leur inspire la blouse de leur fiancé ; tous deux sont honnêtes et de leur probité unie, des enfants naîtront, probes aussi.

On ne se préoccupe pas assez du plus sacré des devoirs, la propagation de l’espèce. Non-seulement il y a des lois physiques que l’on doit observer, mais il y a aussi des lois morales. L’âge, le rang, l’éducation ont leur harmonie. Pour garantir aux époux le bonheur dans le mariage, le père et la mère devraient veiller sur l’apport que chacun des fiancés possède en qualités. D’un sexe à l’autre, il y a influence réciproque. La ménagère qui manque d’ordre, pousse son époux à l’ivrognerie, l’époux ivrogne inspire à sa compagne du dégoût.

Si la femme est coquette, les enfants sont négligés. Le mari s’abrutit ou devient despote ; la dispute fait place à l’intimité ; l’injure, à l’affection, le droit au devoir. Dès lors les deux conjoints ont chez eux la guerre ; chacun tire à soi cette chaîne qui ne peut se rompre et que tous deux cherchent à briser. Liés d’intérêts, désunis de cœur, la discorde, cette divinité qui change les conditions de l’existence, souffle sur eux le mal, de toute la force de ses poumons.

L’amant, s’il est supérieur à l’amante, entraîne celle-ci et la fait, à son gré, bonne ou mauvaise, leur lien n’a rien d’absolu, ils sont unis par un engagement libre, leur indulgence naît de la crainte d’une rupture que la société n’empêche ni ne blâme.

L’amante, à son tour, avec un peu d’adresse, entraîne son amant. Ce que la force physique lui refuse, la force morale le lui donne. Elle ne cherche pas à convaincre, elle persuade. La logique ne lui prête aucune arme, sa force lui vient du cœur. Ce qu’elle sent, elle l’exprime. Elle ne demande point qu’on l’admire, elle se rend digne d’admiration, et si l’amour la conduit à l’hymen, comme elle a su être amante, elle saura être mère. Celle-là trouvera le bonheur où est sa tendresse. Que lui importe la fortune ? elle a le travail ! L’oisiveté ? elle a le courage ! Le superflu ? elle a le nécessaire ! Le plaisir ? elle a le bonheur ! Santé, famille, affection, tout lui est donné ! Quel riche est aussi riche qu’elle !

— “Trois choses nous perdent, — nous disait un jour une femme déchue aux yeux de la société : — L’amour, la coquetterie, la paresse. Nous nous donnons, parce que nous aimons ; parce que nous avons le goût des belles choses ; parce que ne rien faire nous paraît le suprême bien. De l’amour trahi, nous entrons dans les amourettes. Le cœur est brisé, la vanité lui survit, on l’écoute. Tant que la jeunesse dure, les prodigalités du luxe nous enivrent, nous dissipons en insensées l’argent dont nous ne connaissons pas le prix. Nous lui vendons notre jeunesse et, le jour où il ne veut plus la payer, nous buvons, pour étourdir la femme dans l’orgie de la fille perdue…”

Pauvres créatures ! quelques-unes encore se relèvent de ces bas-fonds, reviennent sur l’eau et demandent à la société la place qu’elle ne leur rend point. Il y a cependant telles âmes qui, pour être relevées, n’ont besoin que d’une main tendue. Jésus-Christ permit-il à aucun de jeter la première pierre à la femme adultère ? La miséricorde et la charité sont des vertus chrétiennes, pourquoi les pratique-t-on si peu !

Par l’autorité des faits nombreux que l’expérience nous a fournis, il nous est permis d’affirmer que, dans la classe laborieuse, depuis le bas peuple jusqu’à l’ouvrier anobli par son travail, l’influence de la femme est réelle dans le bien comme dans le mal. Vices ou vertus, les enfants prennent tout de leurs mères ; les grands hommes sont là pour le prouver. Courage militaire, courage civil, ambition ou désintéressement, prodigalité ou égoïsme, la mère, par son exemple, dépose, au sein de son fils, le principe de sa propre nature. Ses vices ou ses vertus, elle les lui transmet, et qui honore sa mère, s’il est entraîné par le monde, reviendra tôt ou tard de ses égarements ; car celui-là, au plus profond de son cœur, conserve le culte de la famille, arche sainte des vertus privées.

Arouet de Voltaire tenait de sa mère l’esprit fin, la vive saillie et la logique qui firent de lui un homme hors ligne. Monsieur de Lamartine, laisse se réfléter dans ses écrits les sentiments que lui inspira sa mère. Les grands capitaines, les grands orateurs, les grands poëtes, ont dû leur carrière à l’impulsion qu’ils ont reçue de leur mère, dès le plus bas âge. Saint-Augustin eût-il été aussi sublime sans les exemples de sainte Monique ? Dans la classe bourgeoise surtout, cette relation de sentiments se fait sentir avec plus de force encore entre le fils et la mère. Ils peuvent se quitter, ils ne se séparent pas. Leurs cœurs battent à l’unisson, dans deux poitrines ; ce que celui-ci exprime, celle-là le sent, honneur, devoir, affection, tout leur est commun, ils sont solidaires l’un de l’autre, le fils continue la mère, et l’on peut leur appliquer ce proverbe : Dis-moi de qui tu es né, je te dirai qui tu es ?

Évidemment, c’est de la classe bourgeoise que sortent, en plus grand nombre, les penseurs, les philosophes, les éminents écrivains, les grands artistes, les habiles industriels, les financiers, en un mot les travailleurs du cerveau. Eh bien ! dans cette classe, la fille vit surtout sous l’aile de sa mère. L’enfant du peuple passe de la crèche dans l’asile, de l’asile dans l’école, de l’école dans l’atelier.

L’enfant de l’oisif, passe des bras de sa nourrice dans les mains d’une bonne ; des mains d’une bonne, dans celles d’une gouvernante. Il voit sa mère à des heures réglées, il échange peu ses pensées avec elle, ne donne pas de courant aux effluves de son cœur, si bien que sa destinée doit s’en ressentir.

La classe bourgeoise, met en commun la vie de famille. La mère y est la première éducatrice de ses filles. Ses exemples, ses leçons, se gravent sans effort au sein des jeunes cœurs dont elle se constitue la tutrice. Assez haut placée pour élever jusqu’à elle ses inférieurs, elle n’a qu’à tendre la main pour toucher à ses supérieurs. Des tiges de sa racine sortent les classes utiles qui professent la morale, le sacerdoce, l’enseignement, etc.

C’est à la bourgeoisie que la plus large part de l’action sociale revient, comme intermédiaire, entre le peuple et l’aristocratie ; que les mères y prennent garde, on ne les exclut pas, on les appelle à remplir avec amour leur mission de paix !

Les temps chevaleresques ont eu leur culte de la femme ; les temps religieux, leurs vierges martyres ; notre siècle, si fécond en toutes choses, n’aura-t-il pas, pour régénérer la société, des mères dignes d’exercer dans la famille le protectorat de l’enfance, le sacerdoce de la morale ?

Du plus bas au plus haut échelon social, les qualités de la mère réagissent sur son entourage. Catherine de Médicis fit Charles IX, Jeanne d’Albret fit Henri IV. Sous son pinceau, Corregio eut l’inspiration d’une femme. Raphaël fut grand par sa Fornarina ; Hildebrand prit conseil de la princesse Mathilde ; Dante grandit par Béatrix ; Pétrarque n’eût pas chanté sans Laure, et tout homme, en évoquant son passé, trouvera au fond de son cœur, uni au nom d’une femme, le souvenir doux ou cruel d’un sentiment qui a marqué sa destinée.

Tout se traduit en chiffres de nos jours, en face de l’avenir. Les écoliers quittent leurs jeux pour suivre le cours de la Bourse. Les étudiants échangent leur insouciance contre l’intérêt. Les mariages se traitent au comptant. On cote le talent, la réputation, la gloire ; c’est une course à l’or, un enivrement d’égoïsme : le chacun pour soi absolu.

Messieurs qui réglez tout, ne pensez-vous pas que l’heure de la réparation soit venue ? La vie ainsi employée à cumuler intérêts sur intérêts, chiffres sur chiffres, est-elle bien ce que vous avez rêvé pour vous d’abord, pour vos fils ensuite ? Vous n’avez plus souci de plaire, où trouveriez-vous le temps d’aimer ? La courtisane que l’argent paye, suffit à votre fantaisie ; vous la prenez sans passion, vous la quittez sans peine, comme vous feriez d’un vêtement. D’amour, vous n’en avez que pour l’argent, et les compagnes qui, de leur dot, paient votre nom, ne mettent pas plus leur cœur dans la balance que vous n’y mettez le vôtre.

L’égoïsme est l’hydre du siècle, c’est un fait. La cupidité tend à troubler l’ordre social, c’est un autre fait ; et pourtant, les élans généreux, les sentiments honnêtes ne sont pas étouffés, ils sommeillent. Réveillons-les sans jeter anathême aux chercheurs d’or, aux aveugles trafiquants de finance ; crions halte à l’ambition de tous ; le bonheur n’est pas dans l’ivresse, il est dans le calme.

La femme non pas vendue mais donnée, les époux non pas étrangers mais unis ; la famille non plus une charge mais un gain, voilà, comme base, le principe sur lequel doit, ce nous semble, reposer la société.

Femmes, ne vous contentez pas d’être les mères de vos fils, soyez leurs inspiratrices ; donnez à vos filles la meilleure part de votre cœur, le plus pur désintéressement de votre âme, l’amour du beau, du vrai, du juste, sans lequel l’admiration n’existe pas. Nous vous avons montré sous le toit paternel la jeune fille pauvre. Nous avons mis le doigt sur quelques plaies sociales. Goûtons au miel, laissons le fiel, quelques exemples nous aideront à démontrer que le bonheur de l’humanité est dans la pensée de Dieu.