Le Vicomte de Bragelonne/Chapitre LXXXIX

Michel Lévy frères (p. 261-264).
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LXXXIX

LA SURPRISE DE MADEMOISELLE DE MONTALAIS.


Madame fut mariée au Palais-Royal, dans la chapelle, devant un monde de courtisans sévèrement choisis.

Cependant, malgré la haute faveur qu’indiquait une invitation, Raoul, fidèle à sa promesse, fit entrer Malicorne, désireux de jouir de ce curieux coup d’œil.

Lorsqu’il eut acquitté cet engagement, Raoul se rapprocha de de Guiche, qui, pour contraste avec ses habits splendides, montrait un visage tellement bouleversé par la douleur, que le duc de Buckingham seul pouvait lui disputer l’excès de la pâleur et de l’abattement.

— Prends garde, comte, dit Raoul en s’approchant de son ami et en s’apprêtant à le soutenir au moment où l’archevêque bénissait les deux époux.

En effet, on voyait M. le prince de Condé regardant d’un œil curieux ces deux images de la désolation, debout comme des cariatides aux deux côtés de la nef.

Le comte s’observa plus soigneusement.

La cérémonie terminée, le roi et la reine passèrent dans le grand salon, où ils se firent présenter Madame et sa suite.

On observa que le roi, qui avait paru très-émerveillé à la vue de sa belle-sœur, lui fit les compliments les plus sincères.

On observa que la reine mère, attachant sur Buckingham un regard long et rêveur, se pencha vers madame de Motteville pour lui dire :

— Ne trouvez-vous pas qu’il ressemble à son père ?

On observa enfin que Monsieur observait tout le monde et paraissait assez mécontent.

Après la réception des princes et des ambassadeurs, Monsieur demanda au roi la permission de lui présenter, ainsi qu’à Madame, les personnes de sa maison nouvelle.

— Savez-vous, vicomte, demanda tout bas M. le Prince à Raoul, si la maison a été formée par une personne de goût, et si nous aurons quelques visages assez propres ?

— Je l’ignore absolument, Monseigneur, répondit Raoul.

— Oh ! vous jouez l’ignorance.

— Comment cela, Monseigneur ?

— Vous êtes l’ami de Guiche, qui est des amis du prince.

— C’est vrai, Monseigneur : mais la chose ne m’intéressant point, je n’ai fait aucune question à de Guiche, et, de son côté, de Guiche, n’étant point interrogé, ne s’est point ouvert à moi.

— Mais Manicamp ?

— J’ai vu, il est vrai, M. de Manicamp au Havre et sur la route, mais j’ai eu soin d’être aussi peu questionneur vis-à-vis de lui que je l’avais été vis-à-vis de Guiche. D’ailleurs, M. de Manicamp sait-il quelque chose de tout cela, lui qui n’est qu’un personnage secondaire ?

— Eh ! mon cher vicomte, d’où sortez-vous ? dit le prince ; mais ce sont les personnages secondaires qui, en pareille occasion, ont toute influence, et la preuve, c’est que presque tout s’est fait par la présentation de M. Manicamp à de Guiche, et de Guiche à Monsieur.

— Eh bien ! Monseigneur, j’ignorais cela complètement, dit Raoul, et c’est une nouvelle que Votre Altesse me fait l’honneur de m’apprendre.

— Je veux bien vous croire, quoique ce soit incroyable, et d’ailleurs nous n’aurons pas longtemps à attendre : voici l’escadron volant qui s’avance, comme disait la bonne reine Catherine. Tudieu ! les jolis visages !

Une troupe de jeunes filles s’avançait en effet dans la salle sous la conduite de madame de Navailles, et nous devons le dire à l’honneur de Manicamp, si en effet il avait pris à cette élection la part que lui accordait le prince de Condé, c’était un coup d’œil fait pour enchanter ceux qui, comme M. le Prince, étaient appréciateurs de tous les genres de beauté. Une jeune femme blonde, qui pouvait avoir vingt à vingt et un ans, et dont les grands yeux bleus dégageaient en s’ouvrant des flammes éblouissantes, marchait la première et fut présentée la première.

— Mademoiselle de Tonnay-Charente, dit à Monsieur la vieille madame de Navailles.

Et Monsieur répéta en saluant Madame :

— Mademoiselle de Tonnay-Charente.

— Ah ! ah ! celle-ci me paraît assez agréable, dit M. le Prince en se retournant vers Raoul… Et d’une.

— En effet, dit Raoul, elle est jolie, quoiqu’elle ait l’air un peu hautain.

— Ah ! nous connaissons ces airs-là, vicomte ; dans trois mois elle sera apprivoisée ; mais regardez donc, voici encore une beauté.

— Tiens, dit Raoul, et une beauté de ma connaissance même.

— Mademoiselle Aure de Montalais, dit madame de Navailles.

Nom et prénom furent scrupuleusement répétés par Monsieur.

— Grand Dieu ! s’écria Raoul fixant des yeux effarés sur la porte d’entrée.

— Qu’y a-t-il ? demanda le prince, et serait-ce mademoiselle Aure de Montalais qui vous fait pousser un pareil grand Dieu ?

— Non, Monseigneur, non, répondit Raoul tout pâle et tout tremblant.

— Alors si ce n’est mademoiselle Aure de Montalais, c’est cette charmante blonde qui la suit. De jolis yeux, ma foi ! un peu maigre, mais beaucoup de charme.

— Mademoiselle de La Baume Le Blanc de La Vallière, dit madame de Navailles.

À ce nom retentissant jusqu’au fond du cœur de Raoul, un nuage monta de sa poitrine à ses yeux.

De sorte qu’il ne vit plus rien et n’entendit plus rien, de sorte que M. le Prince ne trouvant plus en lui qu’un écho muet à ses railleries, s’en alla voir de plus près les belles jeunes filles que son premier coup d’œil avait déjà détaillées.

— Louise ici ! Louise demoiselle d’honneur de Madame ! murmurait Raoul.

Et ses yeux, qui ne suffisaient pas à convaincre sa raison, erraient de Louise à Montalais.

Au reste, cette dernière s’était déjà défaite de sa timidité d’emprunt, timidité qui ne devait lui servir qu’au moment de la présentation et pour les révérences.

Mademoiselle de Montalais, de son petit coin à elle, regardait avec assez d’assurance tous les assistants, et, ayant retrouvé Raoul, elle s’amusait de l’étonnement profond où sa présence et celle de son amie avaient jeté le pauvre amoureux.

Cet œil mutin, malicieux, railleur, que Raoul voulait éviter, et qu’il revenait interroger sans cesse, mettait Raoul au supplice.

Quant à Louise, soit timidité naturelle, soit toute autre raison dont Raoul ne pouvait se rendre compte, elle tenait constamment les yeux baissés, et, intimidée, éblouie, la respiration brève, elle se retirait le plus qu’elle pouvait à l’écart, impassible même aux coups de coude de Montalais.

Tout cela était pour Raoul une véritable énigme dont le pauvre vicomte eût donné bien des choses pour savoir le mot.

Mais nul n’était là pour le lui donner, pas même Malicorne, qui, un peu inquiet de se trouver avec tant de gentilshommes, et assez effaré des regards railleurs de Montalais, avait décrit un cercle, et peu à peu s’était allé placer à quelques pas de M. le Prince, derrière le groupe des filles d’honneur, presque à la portée de la voix de mademoiselle Aure, planète autour de laquelle, humble satellite, il semblait graviter forcément.

En revenant à lui, Raoul crut reconnaître à sa gauche des voix connues.

C’était, en effet, de Wardes, de Guiche et le chevalier de Lorraine qui causaient ensemble.

Il est vrai qu’ils causaient si bas, qu’à peine si l’on entendait le souffle de leurs paroles dans la vaste salle.

Parler ainsi de sa place, du haut de sa taille, sans regarder son interlocuteur, c’était un talent dont les nouveaux venus ne pouvaient atteindre du premier coup la sublimité. Aussi fallait-il une longue étude à ces causeries, qui, sans regards, sans ondulation de tête, semblaient la conversation d’un groupe de statues.

En effet, aux grands cercles du roi et des reines, tandis que leurs Majestés parlaient et que tous paraissaient les écouter dans un religieux silence, il se tenait bon nombre de ces silencieux colloques dans lesquels l’adulation n’était point la note dominante.

Mais Raoul était un de ces habiles dans cette étude toute d’étiquette, et, au mouvement des lèvres, il eût pu souvent deviner le sens des paroles.

— Qu’est-ce que cette Montalais ? demandait de Wardes. Qu’est-ce que cette La Vallière ? Qu’est-ce que cette province qui nous arrive ?

— La Montalais, dit le chevalier de Lorraine, je la connais : c’est une bonne fille qui amusera la cour. La Vallière, c’est une charmante boiteuse.

— Peuh ! dit de Wardes ; il y a sur les boiteuses des axiomes latins très-ingénieux et surtout fort caractéristiques.

— Messieurs, messieurs, dit de Guiche en regardant Raoul avec inquiétude, un peu de mesure, je vous prie.

Mais l’inquiétude du comte, en apparence du moins, était inopportune. Raoul avait gardé la contenance la plus ferme et la plus indifférente, quoiqu’il n’eût pas perdu un mot de ce qui venait de se dire. Il semblait tenir registre des insolences et des libertés des deux provocateurs pour régler avec eux son compte à l’occasion.

De Wardes devina sans doute cette pensée et continua :

— Quels sont les amants de ces demoiselles ?

— De la Montalais ? fit le chevalier.

— Oui, de la Montalais d’abord.

— Eh bien ! vous, moi, de Guiche, qui voudra, pardieu !

— Et de l’autre ?

— De mademoiselle de La Vallière ?

— Oui.

— Prenez garde, messieurs, s’écria de Guiche pour couper court à la réponse du chevalier ; prenez garde, madame nous écoute.

Raoul enfonçait sa main jusqu’au poignet dans son justaucorps et ravageait sa poitrine et ses dentelles.

Mais justement cet acharnement qu’il voyait se dresser contre de pauvres femmes lui fit prendre une résolution sérieuse.

— Cette pauvre Louise, se dit-il à lui-même, n’est venue ici que dans un but honorable et sous une honorable protection ; mais il faut que je connaisse ce but ; il faut que je sache qui la protège.

Et, imitant la manœuvre de Malicorne, il se dirigea vers le groupe des filles d’honneur.

Bientôt la présentation fut terminée. Le roi, qui n’avait cessé de regarder et d’admirer Madame, sortit alors de la salle de réception avec les deux reines.

Le chevalier de Lorraine reprit sa place à côté de Monsieur, et, tout en l’accompagnant, il lui glissa dans l’oreille quelques gouttes de ce poison qu’il avait amassé depuis une heure, en regardant de nouveaux visages et en soupçonnant quelques cœurs d’être heureux.

Le roi, en sortant, avait entraîné derrière lui une partie des assistants ; mais ceux qui, parmi les courtisans, faisaient profession d’indépendance ou de galanterie, commencèrent à s’approcher des dames.

M. le Prince complimenta mademoiselle de Tonnay-Charente. Buckingham fit la cour à mademoiselle de Chalais et à mademoiselle de Lafayette, que déjà Madame avait distinguées et qu’elle aimait. Quant au comte de Guiche, abandonnant Monsieur depuis qu’il pouvait se rapprocher seul de Madame, il s’entretenait vivement avec mademoiselle de Valentinois, sa sœur, et mesdemoiselles de Créquy et de Châtillon.

Au milieu de tous ces intérêts politiques ou amoureux, Malicorne voulait s’emparer de Montalais ; mais celle-ci aimait bien mieux causer avec Raoul, ne fût-ce que pour jouir de toutes ses questions et de toutes ses surprises.

Raoul était allé droit à mademoiselle de La Vallière, et l’avait saluée avec le plus profond respect.

Ce que voyant, Louise rougit et balbutia ; mais Montalais s’empressa de venir à son secours.

— Eh bien ! dit-elle, nous voilà, monsieur le vicomte.

— Je vous vois bien, dit en souriant Raoul, et c’est justement sur votre présence que je viens vous demander une petite explication.

Malicorne s’approcha avec son plus charmant sourire.

— Éloignez-vous donc, monsieur Malicorne, dit Montalais. En vérité, vous êtes fort indiscret.

Malicorne se pinça les lèvres et fit deux pas en arrière sans dire un seul mot.

Seulement, son sourire changea d’expression, et, d’ouvert qu’il était, devint railleur.

— Vous voulez une explication, monsieur Raoul ? demanda Montalais.

— Certainement, la chose en vaut bien la peine ; mademoiselle de la Vallière fille d’honneur de Madame !

— Pourquoi ne serait-elle pas fille d’honneur aussi bien que moi ? demanda Montalais.

— Recevez mes compliments, mesdemoiselles, dit Raoul, qui crut s’apercevoir qu’on ne voulait pas lui répondre directement.

— Vous dites cela d’un air fort complimenteur, monsieur le vicomte.

— Moi ?

— Dame ? j’en appelle à Louise.

— Monsieur de Bragelonne pense peut-être que la place est au-dessus de ma condition, dit Louise en balbutiant.

— Oh ! non pas, mademoiselle, répliqua vivement Raoul : vous savez très-bien que tel n’est pas mon sentiment ; je ne m’étonnerais pas que vous occupassiez la place d’une reine, à plus forte raison celle-ci. La seule chose dont je m’étonne, c’est de l’avoir appris aujourd’hui seulement et par accident.

— Ah ! c’est vrai, répondit Montalais avec son étourderie ordinaire. Tu ne comprends rien à cela, et, en effet, tu n’y dois rien comprendre. M. de Bragelonne t’avait écrit quatre lettres, mais ta mère seule était restée à Blois ; il fallait éviter que ces lettres ne tombassent entre ses mains ; je les ai interceptées et renvoyées à M. Raoul, de sorte qu’il te croyait à Blois quand tu étais à Paris, et ne savait pas surtout que tu fusses montée en dignité.

— Eh quoi ! tu n’avais pas fait prévenir M. Raoul comme je t’en avais priée ? s’écria Louise.

— Bon ! pour qu’il fit de l’austérité, pour qu’il prononçât des maximes, pour qu’il défît ce que nous avions eu tant de peine à faire ? Ah ! non certes.

— Je suis donc bien sévère ? demanda Raoul.

— D’ailleurs, fit Montalais, cela me convenait ainsi. Je partais pour Paris, vous n’étiez pas là, Louise pleurait à chaudes larmes ; interprétez cela comme vous voudrez ; j’ai prié mon protecteur, celui qui m’avait fait obtenir mon brevet, d’en demander un pour Louise ; le brevet est venu. Louise est partie pour commander ses habits ; moi, je suis restée en arrière, attendu que j’avais les miens ; j’ai reçu vos lettres, je vous les ai renvoyées en y ajoutant un mot qui vous promettait une surprise. Votre surprise, mon cher monsieur, la voilà ; elle me paraît bonne, ne demandez pas autre chose. Allons, monsieur Malicorne, il est temps que nous laissions ces jeunes gens ensemble ; ils ont une foule de choses à se dire ; donnez-moi votre main : j’espère que voilà un grand honneur que l’on vous fait, monsieur Malicorne.

— Pardon, mademoiselle, fit Raoul en arrêtant la folle jeune fille et en donnant à ses paroles une intonation dont la gravité contrastait avec celles de Montalais ; pardon, mais pourrais-je savoir le nom de ce protecteur ; car si l’on vous protège, vous, mademoiselle, et avec toutes sortes de raisons…

Raoul s’inclina.

— Je ne vois pas les mêmes raisons pour que mademoiselle de La Vallière soit protégée.

— Mon Dieu ! monsieur Raoul, dit naïvement Louise, la chose est bien simple, et je ne vois pas pourquoi je ne vous le dirais pas moi-même… Mon protecteur, c’est M. Malicorne.

Raoul resta un instant stupéfait, se demandant si l’on se jouait de lui ; puis il se retourna pour interpeller Malicorne. Mais celui-ci était déjà loin, entraîné qu’il était par Montalais.

Mademoiselle de La Vallière fit un mouvement pour suivre son amie ; mais Raoul la retint avec une douce autorité.

— Je vous en supplie, Louise, dit-il, un mot.

— Mais, monsieur Raoul, dit Louise toute rougissante, nous sommes seuls… Tout le monde est parti… On va s’inquiéter, nous chercher.

— Ne craignez rien, dit le jeune homme en souriant, nous ne sommes ni l’un ni l’autre des personnages assez importants pour que notre absence se remarque.

— Mais mon service, monsieur Raoul ?

— Tranquillisez-vous, Mademoiselle, je connais les usages de la cour ; votre service ne doit commencer que demain ; il vous reste donc quelques minutes, pendant lesquelles vous pouvez me donner l’éclaircissement que je vais avoir l’honneur de vous demander.

— Comme vous êtes sérieux, monsieur Raoul ! dit Louise tout inquiète.

— C’est que la circonstance est sérieuse, Mademoiselle. M’écoutez-vous ?

— Je vous écoute ; seulement, Monsieur, je vous le répète, nous sommes bien seuls.

— Vous avez raison, dit Raoul.

Et, lui offrant la main, il conduisit la jeune fille dans la galerie voisine de la salle de réception, et dont les fenêtres donnaient sur la place.

Tout le monde se pressait à la fenêtre du milieu, qui avait un balcon extérieur d’où l’on pouvait voir dans tous leurs détails les lents préparatifs du départ.

Raoul ouvrit une des fenêtres latérales, et là, seul avec mademoiselle de La Vallière :

— Louise, dit-il, vous savez que, dès mon enfance, je vous ai chérie comme une sœur et que vous avez été la confidente de tous mes chagrins, la dépositaire de toutes mes espérances.

— Oui, répondit-elle bien bas, oui, monsieur Raoul, je sais cela.

— Vous aviez l’habitude, de votre côté, de me témoigner la même amitié, la même confiance ; pourquoi, en cette rencontre, n’avez-vous pas été mon amie ? pourquoi vous êtes-vous défiée de moi.

La Vallière ne répondit point.

— J’ai cru que vous m’aimiez, dit Raoul, dont la voix devenait de plus en plus tremblante ; j’ai cru que vous aviez consenti à tous les plans faits en commun pour notre bonheur, alors que tous deux nous nous promenions dans les grandes allées de Cour-Cheverny et sous les peupliers de l’avenue qui conduit à Blois. Vous ne répondez pas, Louise ?

Il s’interrompit.

— Serait-ce, demanda-t-il en respirant à peine, que vous ne m’aimeriez plus ?

— Je ne dis point cela, répliqua tout bas Louise.

— Oh ! dites-le-moi bien, je vous en prie ; j’ai mis tout l’espoir de ma vie en vous, je vous ai choisie pour vos habitudes douces et simples. Ne vous laissez pas éblouir, Louise, à présent que vous voilà au milieu de la cour, où tout ce qui est jeune vieillit vite. Louise, fermez vos yeux pour ne pas voir les exemples, fermez vos lèvres pour ne point respirer les souffles corrupteurs. Sans mensonges, sans détours, Louise, faut-il que je croie ces mots de mademoiselle de Montalais ? Louise, êtes-vous venue à Paris parce que je n’étais plus à Blois ?

La Vallière rougit et cacha son visage dans ses mains.

— Oui, n’est-ce pas, s’écria Raoul exalté, oui, c’est pour cela que vous êtes venue ? Oh ! je vous aime comme je vous ai aimée ! Merci, Louise, de ce dévouement ; mais il faut que je prenne un parti pour vous mettre à couvert de toute insulte, pour vous garantir de toute tache ; Louise, une fille d’honneur, à la cour d’une jeune princesse, en ce temps de mœurs faciles et d’inconstantes amours, une fille d’honneur est placée dans le centre des attaques sans aucune défense ; cette condition ne peut vous convenir : il faut que vous soyez mariée pour être respectée.

— Mariée ?

— Oui.

— Mon Dieu !

— Voici ma main, Louise, laissez-y tomber la vôtre.

— Mais votre père ?

— Mon père me laisse libre.

— Cependant…

— Je comprends ce scrupule, Louise ; je consulterai mon père.

— Oh ! monsieur Raoul, réfléchissez, attendez.

— Attendre, c’est impossible ; réfléchir, Louise, réfléchir, quand il s’agit de vous ! ce serait vous insulter ; votre main, chère Louise, je suis maître de moi ; mon père dira oui, je vous le promets ; votre main, ne me faites point attendre ainsi, répondez vite un mot, un seul, sinon je croirais que, pour vous changer à jamais, il a suffi d’un seul pas dans le palais, d’un seul souffle de la faveur, d’un seul sourire des reines, d’un seul regard du roi.

Raoul n’avait pas prononcé ce dernier mot que La Vallière était devenue pâle comme la mort, sans doute par la crainte qu’elle avait de voir s’exalter le jeune homme.

Aussi, par un mouvement rapide comme la pensée, jeta-t-elle ses deux mains dans celles de Raoul.

Puis elle s’enfuit sans ajouter une syllabe et disparut sans avoir regardé en arrière.

Raoul sentit son corps frissonner au contact de cette main.

Il reçut le serment, comme un serment solennel arraché par l’amour à la timidité virginale.