Le Traité franco-siamois et le Cambodge

Le traité franco-siamois et le Cambodge
J. Harmand

Revue des Deux Mondes tome 40, 1907


LE TRAITÉ FRANCO-SIAMOIS
ET
LE CAMBODGE

Le traité franco-siamois du 23 mars 1907, qui vient d’être soumis à la Chambre et accepté par elle sans débat, établit nos relations avec le Siam sur une base essentiellement neuve. Il est permis de le regarder comme le point de départ d’une ère nouvelle dans l’histoire de l’Indo-Chine et dans l’évolution de notre politique. Son importance est donc considérable. S’il nous coûte un peu cher et s’il vient un peu tard, il n’en mérite pas moins d’être accueilli avec satisfaction.

L’auteur du présent article qui, au cours d’une vie consacrée presque tout entière à l’Extrême-Orient, a peut-être acquis une certaine expérience des affaires indo-chinoises, demande la permission de se citer lui-même en reproduisant les paroles qu’il prononçait il y a quelques mois, au moment même où l’on allait inaugurer les négociations de Bangkok, dans une conférence donnée à l’une des associations qui ont travaillé de la manière la plus utile à répandre la connaissance de nos établissemens d’outre-mer, l’Union coloniale :

« Puisque notre ignorance et notre suffisance nous ont fait manquer des occasions qui ne se retrouveront sans doute plus, il faut changer notre fusil d’épaule et, sans vaines récriminations contre le passé, considérer, — réserves faites quant à certaines rectifications de frontières non moins désirables pour la tranquillité du Siam que pour la nôtre, — qu’il est à présent de notre avantage d’avoir sur le flanc occidental de notre domaine un royaume en progrès matériel et moral, et par cela même plus capable de maintenir son indépendance, moins disposé à accepter certaines ingérences. Il nous serait ainsi commandé par notre intérêt bien entendu de favoriser le développement du Siam avec la sympathie sincère que son attitude nous avait momentanément obligés à lui mesurer. »

Dans leur raccourci volontaire, ces lignes contenaient tout un programme de politique, et c’est précisément cette politique que vient de réaliser le nouveau traité. L’habileté de nos négociateurs a utilisé un concours de circonstances favorables, circonstances générales et particulières de lieu, de moment, de fait et de personnes, d’une part en nous accommodant aux nécessités nées de la rupture d’équilibre que la fortune prodigieusement rapide du Japon a produite ; de l’autre en profitant des opportunités que nous offrait l’entente cordiale avec la Grande-Bretagne, dont l’hostilité ou la mauvaise volonté nous a causé tant de soucis et même nous était devenue, à un certain moment, des plus dangereuses. Enfin, nous avons pu disposer des services et de l’expérience acquise, et bénéficier de l’intelligence ouverte de plusieurs agens ou fonctionnaires français et étrangers, soit à Paris, soit à Bangkok, ainsi que de la présence à la tête de la commission de délimitation constituée à la suite du précédent traité, d’un officier distingué, au courant des données multiples du problème, M. le lieutenant-colonel Bernard.

Le roi de Siam et ses conseillers princiers eux-mêmes se montraient déjà disposés à comprendre les avantages d’une politique de sincérité et de confiance substituée à la défiance et aux intrigues dont nous avons les uns et les autres longuement souffert. Mais ils semblent avoir subitement reçu l’illumination de périls assez apparens et d’un caractère assez pressant pour emporter leurs dernières hésitations. Dès lors, ils se sont décidés à traiter. Cette résolution prise, le roi Chulalongkorn a pu s’embarquer sans inquiétude pour faire en Europe le voyage qu’il avait depuis quelque temps le désir d’entreprendre, et qui donne à la France l’occasion de saluer en sa personne un prince qui a désormais pour ambition nécessaire le progrès de ses États par la mise en commun de nos moyens d’action, de nos ressources matérielles et de notre puissance effective.

Le temps est passé où nous aurions pu résoudre autrement la question du Siam, mais il n’est pas inutile de rappeler pourquoi il ne nous a pas été possible, pendant de si longues années, d’obtenir un résultat analogue à celui que nous venons d’atteindre.

Le Siam pourtant, la seule des royautés de quelque importance au-delà du Gange qui ait réussi, en dehors de la Chine, à maintenir son indépendance contre les entreprises européennes, n’a survécu que grâce à notre arrivée sur le champ des compétitions extrême-orientales. Tous les États de l’ouest de l’Indo-Chine ayant succombé au contact britannique, il n’est pas douteux que, sans notre débarquement à Saigon en 1859 et sans l’extension de notre domination au Cambodge en 1803, le Siam eût été infailliblement englobé dans l’orbite conquérante de l’Angleterre dont il subissait déjà la puissante attraction. Si quelques enthousiastes irréfléchis ont cru possible de planter notre drapeau sur les rizières et les pagodes du delta du Ménam, jamais aucun gouvernement français, ni aucun de ses agens responsables n’ont nourri une idée aussi chimérique : nos rivaux s’en rendaient pertinemment compte, tout en utilisant à leur profit les manifestations mégalomanes d’une presse ignorante. En réalité, nous avons toujours travaillé au maintien de l’autonomie du Siam ; et c’est un succès méritoire d’y avoir réussi, en présence des forces supérieures de la Grande-Bretagne, s’appuyant sur une base commerciale alors incomparable, sur sa suprématie navale, sur son armée de l’Inde, et sur l’état divisé de l’Europe continentale. Je n’éprouve d’ailleurs aucune hésitation à reconnaître qu’il a fallu à nos voisins une sagesse supérieure et une modération exemplaire pour ne pas céder à la tentation d’étendre la main sur une proie si riche, dont l’absorption n’eût soulevé après 1870 aucune difficulté insurmontable, surtout s’ils s’étaient contentés de l’établissement d’un de ces régimes de protectorat qu’ils excellent à graduer suivant les exigences de leur politique générale. C’est bien à nous que le Siam doit d’avoir traversé impunément une phase aussi critique.

Nous n’avions cependant aucun droit à compter sur sa reconnaissance. En effet, par suite d’un « faux départ » dans nos relations avec lui, jamais, depuis 1863, date de l’inauguration de notre protectorat sur le Cambodge, et moins encore depuis 1867, date de notre premier traité politique avec la cour de Bangkok, nous n’avons pu vivre avec elle sur un pied amical. Cette situation fâcheuse ne pouvait que s’envenimer lorsque, à la suite des événemens de 1883 et de notre querelle avec la Chine, nous avons été obligés d’étendre notre conquête jusqu’à la frontière du Tonkin et d’assumer la direction de la race annamite tout entière. Nos territoires devenaient contigus à ceux du Siam ou de ses tributaires, avec des bornes assez indécises, sur toute la longueur de la presqu’île indo-chinoise.

Cette animosité, qui tantôt se maintenait latente et supportable, tantôt se manifestait par des crises plus ou moins graves, avait pour cause originelle deux facteurs principaux : d’une part, l’existence entre nous d’une frontière vicieuse, insuffisante et dangereuse ; de l’autre, l’impossibilité qui résultait pour nous, du fait de cette limite inacceptable, et que nous avions pourtant acceptée, de donner satisfaction aux aspirations de nos protégés cambodgiens, satisfaction que nous avions conscience de leur devoir comme contre-partie des maux que nous leur avions apportés.

Lorsque nous sommes arrivés en Cochinchine, nous avions désappris, depuis la fin du XVIIIe siècle, toute pratique coloniale. Nous nous trouvions d’ailleurs en face d’un problème qui ne s’était jamais posé à l’ancienne monarchie, car elle n’avait eu à gouverner que des colonies véritables, des « colonies à colons, » et non pas à administrer des pays peuplés de grandes masses indigènes constituées en corps de nations. Notre administration coloniale métropolitaine ne vivait que d’une vie bureaucratique précaire, sur les bribes de traditions assimilatrices héritées vaguement de l’ancien régime et ne répondant pas aux besoins nouveaux. Du reste, elle ne fonctionnait qu’à l’état d’annexé sans importance du ministère de la Marine. Et quant au ministère des Affaires étrangères, déshabitué de porter ses regards au-delà de l’Europe ou des États principaux des deux Amériques, il se désintéressait, sauf incidens majeurs et toujours imprévus, de ce qui pouvait se passer dans ces mers lointaines. Il ne prévoyait pas, et presque personne ne prévoyait alors où devaient nous entraîner ces entreprises ébauchées sans plan ni vues générales, et ne se rendait aucun compte de l’importance qu’allait bientôt prendre l’Extrême-Orient. Il se reposait sur la marine du soin de résoudre sur place les difficultés qui pouvaient surgir ou de lui rendre compte des faits accomplis. C’était l’époque du « débrouillage, » pour employer une expression de l’argot militaire ; mais c’était aussi, avec la lenteur et l’irrégularité des communications, le champ le plus favorable aux hardiesses de l’initiative individuelle, qui tournaient bien ou mal, suivant la chance ou la valeur des hommes.

Ceux-ci, dans leur ensemble, furent bien choisis, animés des intentions les meilleures, énergiques, désintéressés, imbus de l’esprit de devoir, et c’est ce qui fait qu’en dépit des fautes commises, nous pouvons considérer avec un certain orgueil l’histoire de nos débuts en Indo-Chine. Les erreurs étaient inévitables dans un milieu si inconnu, sur un théâtre si nouveau, et dans l’accomplissement d’une tâche si mal préparée, où le gouvernement de Napoléon III se lançait sans aucun fil directeur. Elles vinrent beaucoup plus de notre ignorance générale et de notre organisation rudimentaire que de l’insuffisance des chefs et de leurs subordonnés.

Une fois la Basse-Cochinchine occupée, nous nous trouvâmes naturellement amenés à entrer en contact avec le Cambodge, et avec le prince qui venait de monter sur le trône khmer. Le gouvernement impérial, s’il eût été mieux inspiré, plus instruit, plus clairvoyant, aurait pu tirer du Cambodge, enjeu des rivalités des deux empires prédominans de l’Indo-Chine, et de sa situation intermédiaire, un parti tout autre ; il aurait probablement rempli nos destinées beaucoup plus vite, avec beaucoup moins d’efforts et de sacrifices de vies et d’argent français[1], et d’une manière plus conforme à nos traditions généreuses : le point de départ de nos entreprises eût été, en effet, la défense d’une nationalité injustement opprimée, et invoquant d’elle-même le secours de nos armes et le poids de nos influences.

Quoi qu’il en soit, les amiraux Charner, en 1861, et Bonard en 1862, s’inspirant des documens de la mission Montigny, avaient noué avec la cour d’Oudong[2] quelques relations de simple courtoisie ou du moins de minime importance politique. Riais la bonne fortune de la France venait de donner pour successeur à ces officiers généraux, en qualité de commandant en chef de nos forces et de gouverneur de la Cochinchine, le contre-amiral de la Grandière : ce fut un bon serviteur du pays, et l’on s’accorde aujourd’hui à rendre hommage à sa mémoire. Par son caractère, sa fermeté, son bon sens, son esprit d’économie, par les choix heureux qu’il sut faire dans tous les corps de la marine pour y puiser des administrateurs de nos nouvelles provinces, il fit la Cochinchine, et c’est à lui en grande partie que nous devons de l’avoir conservée. Très promptement, il comprit la nécessité d’empêcher notre territoire de devenir un champ d’intrigues dangereuses et difficiles à contrôler et d’étendre notre suprématie sur le Cambodge ou du moins sur ce qui en restait : c’est ce qu’il fit en lui imposant notre protectorat, qu’on ne nous demandait plus.

À ce moment, et malgré le prestige que nous avaient acquis nos victoires sur les Annamites, le jeune roi Norodom n’était plus dans les idées de son père. Toutes ses tendances, comme celles de la plupart des princes de sa famille et des principaux mandarins, étaient tournées du côté du Siam. Aussi notre protectorat fut-il un échec grave pour la politique siamoise et une humiliation pour le gouvernement de Bangkok : il constitua contre le nôtre un grief très compréhensible.

L’amiral de la Grandière était obligé de consacrer toute son attention à l’organisation de notre conquête et à la préparation, sur les lieux mêmes et encore plus peut-être à Paris, où il y avait à surmonter tant d’obstacles, de la prise de possession de trois provinces cochinchinoises de l’Ouest (Vinh-long, Chaudoc et Hatien), qu’il occupait au milieu de l’année 1867. Pendant ce temps se passaient à Bangkok des événemens dont la répercussion fut incalculable. Ils ont pesé d’un poids insurmontable sur notre établissement, et nous ont valu la plupart des difficultés dont nous venons à peine de sortir.

L’agent du ministère des Affaires étrangères à Bangkok était alors un officier de marine, le capitaine de frégate Aubaret, qui avait fait partie de nos expéditions de Chine et de Cochinchine, où il s’était passionné pour les choses annamites. Mais il ignorait comme nous tous les affaires cambodgiennes, et il ne saisit pas la nature des rapports qu’il devait entretenir avec le gouverneur de la Cochinchine, véritable représentant de la politique française. Le plus parfait accord doit exister entre l’agent français à Bangkok et le chef de nos possessions ; c’est une condition indispensable à la marche concordante de nos intérêts. Cette condition n’exista pas. Avec un zèle ardent, trop ardent peut-être dans l’exercice de ses nouvelles fonctions, mais avec le mobile, probablement inconscient, de se manifester à lui-même son indépendance de fraîche date, le commandant Aubaret poursuivit une politique personnelle. Et d’autre part, les deux ministères des bords de la Seine n’avaient pas les contacts permanens et harmonieux qui eussent été d’autant plus nécessaires que la marine avait, avec une inexpérience assez pardonnable des conditions de notre diplomatie, une autonomie plus grande et des facultés d’initiatives intérieures ou lointaines plus étendues.

Se gardant bien de tenir l’amiral de la Grandière au courant de ses intentions et les faisant accepter avec la même discrétion par le ministère des Affaires étrangères, médiocrement intéressé à ces sortes de choses, notre consul réussit à obtenir du roi Mongkut, sans beaucoup de peine on peut le croire, un projet de traité dont l’amiral gouverneur n’eut aucune connaissance, jusqu’au moment où il revint, tout ratifié, de Paris en Cochinchine. Ce traité consacrait de nos mains et couvrait de notre signature la spoliation des provinces cambodgiennes du nord et de l’ouest du Grand Lac, habitées tout entières par des Khmers, spoliation exécutée à des époques assez récentes et par les procédés les plus répréhensibles, eu égard même aux abus de forces très larges dont s’accommodent les diplomaties extrême-orientales-Il coupait en deux l’immense déversoir lacustre des crues annuelles du Mékong, que nous connaissons sous le nom de « Grand Lac, » et qui exerce sur toute la région du Sud de la presqu’île indo-chinoise une gravitation politique et économique particulière, par sa position comme par la fécondité de ses eaux merveilleusement poissonneuses, vivier de ces populations ichtyophages.

De plus, en maintenant au cœur de notre territoire une brèche toujours ouverte, qui privait notre conquête inachevée de la sûreté indispensable à son développement, ce traité a exercé la plus pernicieuse influence sur nos relations avec le Siam, et l’on peut même dire sur toute notre politique coloniale. En organisant entre nous et le Siam une hostilité forcée, il semait aussi entre la France et la Grande-Bretagne, dont le Siam se voyait contraint de rechercher de plus en plus la bienveillance intéressée, un germe de discorde qui a été fort près, un instant, de porter les fruits les plus amers. Nuisible au Siam, nuisible à la France ; il était par surcroît néfaste au Cambodge, auquel il nous interdisait d’offrir, en retour des souffrances matérielles que lui avait infligées notre protectorat, les compensations d’ordre moral qui auraient pu atténuer pour lui les conséquences des erreurs commises. Il nous contraignait à rester sourds aux protestations de la cour de Pnôm-penh et du peuple khmer, qui nous regardaient désormais comme responsables de leurs déboires.

Nous connaissions fort mal ces populations et la puissance de leurs instincts et de leurs besoins sentimentaux. Imbus des théories scientifiques ou pseudo-scientifiques sur la hiérarchie des races, — théories auxquelles la fortune des Japonais semble devoir porter un coup assez rude, — nous n’avons pas su pénétrer l’âme de ces Asiatiques, et trop souvent nous leur avons témoigné un mépris qu’ils ne méritaient pas. Les Cambodgiens, en particulier, inférieurs en intelligence et en activité aux Annamites, leur sont généralement supérieurs par le caractère et par le fonds moral. Vivant beaucoup du passé, confondant l’histoire et la légende, l’œuvre des dieux et le travail des hommes, que des monumens magnifiques ou des ruines grandioses remettent perpétuellement sous leurs yeux, en revivifiant dans leur cœur simple la gloire de leurs ancêtres et la trace sacrée de leurs vieux rois, ils ont une conscience profonde de leur nationalité et de ses droits.

Incapables de saisir cet aspect du problème, nous avions constitué au Cambodge un régime incomplet, et je demande à en rappeler les conditions et les effets.

En intervenant au Cambodge, l’amiral de la Grandière avait bien compris qu’il ne nous était pas possible d’employer d’autre procédé que celui du protectorat ; mais nous ne possédions pas la moindre expérience de cet artifice de gouvernement. Nous n’avions alors d’autres « protectorats » que ceux de petits archipels perdus dans l’immensité des mers australes, les Iles de la Société, les Iles Marquises et les Iles Wallis, de proportions trop réduites pour que nous ayons pu y puiser des leçons utiles. Dans ce mode de rapports avec un souverain et un royaume sans forces organisées, nous ne vîmes qu’un moyen commode, peu dispendieux, tout d’abord de préserver notre flanc gauche d’hostilités annamites probables en isolant les trois provinces restées sous le gouvernement de Hué, et d’assurer à notre petite Cochinchine une sécurité moins précaire, en second lieu d’éloigner de nous et du Cambodge les intrigues siamoises. Pour atteindre ce but, nous nous constituions les gardiens du trône et de la cour de Phnôm-penh.

Nous n’eûmes malheureusement pas l’idée, qui semble aujourd’hui naturelle, de jeter les regards autour de nous et de nous renseigner sur la pratique des Anglais dans l’Inde, où l’on rencontre toutes les formes possibles de protectorat, c’est-à-dire tous les degrés de rapports entre l’autorité britannique et les rajahs ou nababs feudataires ou médiatisés des « native states. » Nous attachant seulement à la préservation du pouvoir royal et à l’existence du monarque, nous perdions de vue les intérêts de son peuple lui-même, ignorans des responsabilités que nous allions assumer, et des calamités que cette omission allait bientôt répandre sur ce pays, dont nous avions pourtant la naïveté de nous considérer comme les bienfaiteurs.

Ce régime si variable, si protéiforme du protectorat, quand il s’exerce surtout sur un pays d’organisation arriérée, doit avoir pour règle fondamentale l’établissement de certaines garanties financières, avec un budget plus ou moins complet de dépenses de bien public obligatoires, et avec des sanctions pénales en cas de « maladministration. » Ces principes sont encore plus essentiels quand il n’existe dans le pays protégé, à côté du chef héréditaire et de sa famille, aucune aristocratie proprement dite. L’observation la plus superficielle de l’Inde britannique, ou même l’histoire des conquérans de l’antiquité nous l’aurait enseigné si, en débarquant en Cochinchine, nous n’avions eu l’outrecuidance et la simplicité de croire que nous avions découvert un monde nouveau et comme isolé dans l’espace, où rien du dehors n’était applicable. Nous ne savions pas que ces sortes de monarchies faibles et violentes à la fois sont, comme on l’a dit, des « tyrannies tempérées par la rébellion, » que la menace de la révolte et la révolte elle-même sont les seuls freins qui s’opposent aux fantaisies ou à l’avidité du monarque, d’autant plus disposé à l’abus de son pouvoir qu’il se considère lui-même comme une émanation de la divinité, et que dans ces milieux de civilisation hindoue où le sacré et le profane sont entièrement confondus, la religion n’a aucun rapport avec la moralité civile.

Le roi du Cambodge était mis à l’abri de toutes représailles par la présence de nos forces militaires et navales qui avaient pour consigne à peu près unique de monter la garde autour de lui. Cette application erronée de notre devoir ne tarda pas à répandre sur les populations et sur leurs chefs eux-mêmes des maux sans nombre : pendant près de vingt ans, le Cambodge fut un des pays les plus malheureux du monde. Pressuré sans merci, livré à la dilapidation de ses biens, voyant successivement transformés en monopoles tous les produits de ses champs sans qu’une parcelle des impôts extorqués lui fît retour par une amélioration quelconque, le peuple khmer souffrait en silence, jusqu’à l’extrême limite de la misère : il savait bien que s’il osait bouger, nos soldats arriveraient aussitôt mettre le holà ! Mais c’était au « protecteur » qu’il attribuait ce déplorable état de choses. Il fallait que cette race fût habituée de longue date à la résignation pour résister à un pareil régime. Nous avons dû attendre longtemps pour y porter le commencement de remèdes nécessaire, jusqu’au moment où après la pacification complète de nos provinces, le premier gouverneur civil, M. Le Myre de Vilers, armé d’une expérience administrative technique et des leçons du passé, inaugura au Cambodge un rudiment de budget et les réformes les plus pressantes.

En dépit de ces lacunes et de ces erreurs, notre protectorat a eu un résultat honorable : il a maintenu l’existence de la nationalité cambodgienne. Nous avons rassemblé en un faisceau plus solide des populations qui, livrées à elles-mêmes, n’auraient pas tardé à se dissoudre, sous les coups répétés des rivalités conquérantes de l’Est et de l’Ouest. Mais ce résultat agrandissait nos responsabilités, et nous étions de plus en plus impérativement obligés de ne pas demeurer plus longtemps sourds aux protestations de nos protégés, réclamant sans cesse de nous leurs provinces perdues. Ils viennent enfin d’obtenir satisfaction. Ce résultat a produit au Cambodge une impression profonde. Son retentissement s’étendra bien au-delà des limites des pays khmers : notre prestige en bénéficiera même auprès des Annamites, race de conquérans dont nous avons brusquement arrêté la puissance expansive, mais dont les ambitions ataviques ne sont pas mortes.

Au cours des événemens dont je viens de présenter un bref résumé, nous aurions sans doute eu plusieurs occasions de réparer la faute commise en 1867 et d’obtenir la restitution des provinces cambodgiennes lacustres. Nous aurions pu le faire en 1884 et en 1885, à l’époque de notre querelle et de notre règlement de comptes avec la Chine. En dispersant nos coups sur l’île de Formose, dont la conquête eût exigé de notre part des efforts considérables et de longue durée, avec des dépenses indéfinies que le Parlement ni la nation n’eussent certainement pas consentis à un moment où l’opinion se montrait si hésitante et si mal disposée à l’encontre de l’entreprise tonkinoise toute seule, le gouvernement s’était, ce nous semble, complètement trompé. L’occupation de Formose nous eût mis sans tarder en opposition plus aiguë avec la Grande-Bretagne, animée déjà de dispositions visiblement « inamicales » à notre égard, et si elle était devenue définitive, c’est nous-mêmes — opinion dont il ne me paraît guère permis aujourd’hui de contester le bien fondé — qui aurions probablement expérimenté les premiers la force de l’organisation militaire et navale du Japon. Mais notre gouvernement, présidé alors par Jules Ferry, tenait à Formose. Il aurait été, croyons-nous, bien préférable et autrement facile, à tous les points de vue, politique, militaire et financier, de porter nos hostilités contre le vice-roi des Quang — c’est lui qui nous faisait la guerre au Tonkin avec ses soldats et son argent — et de nous établir à Haïnam. Sans doute, l’occupation de cette grande île (on n’avait pas encore inventé les « locations à bail, » mais on eût aisément trouvé quelque euphémisme analogue) n’aurait pas présenté seulement des avantages, car elle ne possède pas de bon mouillage. Mais au moins nous en aurions écarté l’éventualité redoutable d’une intrusion étrangère, et Haïnam eût bien valu Quang-chanwan. Nous aurions ainsi couvert le golfe du Tonkin, devenu mer française. Enfin — et c’est par là que cette parenthèse se rattache étroitement à l’histoire de nos relations avec le Siam — la grande majorité des Chinois du Siam, émigrés de Haïnam, devenant ipso facto non pas seulement des protégés français, mais par milliers des sujets français, nous, aurions acquis du coup à Bangkok une puissance irrésistible et nos affaires y auraient pris aussitôt une tout autre allure.

Nous avons peut-être laissé échapper une autre opportunité en 1893, après l’affaire de Paknam, où venaient aboutir nos contestations laotiennes avec le Siam. Aurions-nous pu, avec un peu plus de décision et de fermeté, régler alors au profit de nos protégés cette obsédante question de Battambang ? Nous ne l’avons pas essayé. Je n’ignore pas que la situation n’était pas très aisée, et que le ministre des Affaires étrangères, M. Develle, avait à tenir compte de sérieuses oppositions, qui revêtirent même une forme presque hostile, hors de proportion avec son objet ; mais cette opposition ne portait pas sur la province de Battambang. Une diplomatie bien documentée aurait pu démontrer à la Grande-Bretagne qu’il était autant de son intérêt que du nôtre, et même avantageux pour la sécurité du Siam, d’extraire de nos rapports communs cette épine envenimée qui ne pouvait qu’entretenir des irritations d’une répercussion dangereuse. On sait que le traité franco-siamois du 3 octobre 1893 (traité Le Myre de Vilers) et l’arrangement anglo-français du 15 janvier 1890 ne comblèrent pas sur ce point nos desiderata. Cependant, les réserves stipulées aux articles 2 et 3 de ce traité n’étaient pas sans valeur et permettaient quelques présages d’un meilleur avenir.

Je ne peux discuter les deux traités de 1902 et de 1904 qui laissaient aux esprits attentifs l’impression de ne rien régler, de tout maintenir en suspens, et dont le seul avantage consistait, en entretenant nos suspicions réciproques, à garder la porte ouverte aux revendications futures. Ils ne pouvaient être considérés que comme une halte d’étape sur In marche pénible des relations de la France et du Siam.

Au point de vue de notre politique extérieure, le rattachement au Cambodge des provinces de Battambang, Sisophone et Angkor transforme le Grand Lac en un bassin complètement français. L’accroissement de territoire et de population, bien qu’il ne soit pas à dédaigner, n’est qu’un aspect secondaire de la question : l’intérêt véritable, nous l’avons dit, est tout autre.

La frontière de 1867, qui traversait le Grand Lac, laissant au Siam le fond occidental et le rivage de cet immense réservoir, avec la plus grande rivière et la plus ramifiée de son bassin propre, offrait aux intrigues des autres puissances une base excessivement dangereuse pour notre avenir. Que le Siam vînt à passer, dans une forme aussi atténuée qu’on voudra l’imaginer, sous la protection ou l’hégémonie d’un État étranger, nous étions exposés à voir des fortifications s’élever sur les bords du Lac. Même avec les réserves inscrites dans les dernières conventions, nous n’étions pas suffisamment garantis contre celle éventualité. En conséquence, la puissance protectrice pouvait faire flotter sur ces eaux sa flamme de guerre ; elle pouvait ensuite réclamer la libre pratique des issues du Lac à la mer, c’est-à-dire la navigation au travers de notre delta de Cochinchine, et l’on sait assez à quels résultats peuvent aboutir les controverses sur le régime des fleuves internationaux. C’était la ruine de notre prestige et, à bref délai, la fin d’une domination qui nous a coûté tant et de si grands sacrifices.

Mais on doit encore envisager une autre hypothèse. Le danger d’une intervention étrangère écarté, les réserves des traités de 1893 à 1904 n’étaient efficaces que si nous avions en contact avec nous un Siam assez faible pour être incapable de tourner les clauses de précaution qui lui avaient été imposées, ou pour faire valoir à nouveau des droits que nous lui avions reconnus par les conventions antérieures. Pour qu’il fût permis à notre prudence politique de favoriser les progrès administratifs et financiers du Siam et le développement de ses belles ressources naturelles, il fallait combler le fossé qui nous séparait. En attendant, la situation vicieuse qui nous était faite nous condamnait à la méfiance réciproque. Nous nous trouvions, de part et d’autre, rivés à une politique sans franchise et sans réelle dignité. Assurés maintenant du côté le plus vulnérable de notre empire par la renonciation solennelle qui vient de s’accomplir, rien ne nous empêche plus de marcher d’accord avec le Siam, de pratiquer avec lui cette politique de franchise, de netteté et de générosité qui convient à nos traditions et à notre caractère, et de favoriser ses progrès. Nous pouvons lui prêter l’appui de nos moyens d’action supérieurs.

La valeur économique de la région de Battambang est fort loin d’être négligeable. Avec un territoire d’environ 25 000 kilomètres carrés, elle compte près de 250 000 habitans. C’est l’une des plus riches du Cambodge, une des plus favorisées sous le rapport de la production du riz, dont l’écoulement se trouve assuré par le Lac et son émissaire jusqu’aux entrepôts de Cholen et de Saigon. Soumise à une administration meilleure, soustraite aux tiraillemens, aux intrigues, aux vols de bestiaux, aux actes de violence généralement impunis qu’entraînait sa situation frontière et indécise, sa prospérité s’accentuera rapidement surtout si notre administration comprend bien son rôle et réserve, pendant un temps plus ou moins prolongé, aux producteurs et aux commerçans de céréales, certains privilèges fiscaux, à octroyer comme don de joyeux avènement. L’extension de nos pêcheries n’est pas non plus matière à perdre de vue.

Tout avantage se paie. Est-il à croire que nous ayons payé trop cher celui que nous avons obtenu ? En examinant toutes les circonstances, en tenant compte des modifications qui se sont produites récemment dans les conditions politiques du monde et en particulier de l’Extrême-Orient, en tenant compte aussi du moment où nous avons traité, nous pouvons nous déclarer satisfaits.

L’enclave de Dan-Saï, dont le sort fut un élément important dans la négociation, ne représente pas pour nous la même valeur que pour les Siamois : tout le monde semble d’accord à ce sujet et il n’y a pas lieu d’exposer ici les réflexions que ce point peut suggérer.

La rétrocession de Krat et des îles avoisinantes, mêlée à celle de Chantaboun, pourrait donner lieu à des observations d’une assez sérieuse portée. Elle est de nature à soulever des objections de la part des marins et des militaires. Toutefois, la propriété de toute la côte orientale du golfe de Siam, avec les nombreuses îles qui s’y trouvent disséminées, étant donné d’ailleurs notre supériorité navale sur le Siam, assure de ce côté à nos forces une sécurité aussi complète qu’il est possible de l’obtenir dans l’état général du monde. Il ne dépend d’ailleurs que de nous de venir en aide à la nature au moyen de travaux de ports et de défense militaire appropriés à nos moyens et aux nécessités pratiques dûment étudiées et démontrées.

Reste la question, fort considérable, de la juridiction consulaire et de l’abandon que nous nous engageons à en faire, après la mise en vigueur des nouveaux codes siamois, et la création, cela va de soi, d’un personnel judiciaire instruit et consciencieux.

Il y aurait, à propos de cette détermination, bien des choses à dire. Cette clause est pour le gouvernement siamois la plus importante de toutes, et c’est autour d’elle que s’est engagé le vif du débat. Indépendamment de certaines incitations imprévues qui en ont accéléré la solution, la reconquête de sa souveraineté juridique était ce qui tenait le plus au cœur des négociateurs siamois. Pour bien le comprendre, il faut se rendre compte du rôle de premier ordre que la même question a joué dans la réorganisation du Japon. Le désir ardent de se soustraire à la juridiction des étrangers et de se classer ainsi dans l’aréopage des États considérés comme pleinement civilisés a été, pour le gouvernement japonais et pour la nation tout entière, le ressort qui a soutenu de la manière la plus puissante l’effort gigantesque, déployé pendant toute une série d’années pour atteindre les résultats que l’on sait. Et, puisque nous avons déjà invoqué l’exemple de l’Angleterre, n’oublions pas les bénéfices qu’elle a retirés du fait d’avoir cédé la première aux Japonais dans cette discussion, sans tenir compte des résistances et des appréhensions qui se manifestaient parmi toutes les colonies européennes à l’idée de voir leurs membres soumis aux jugemens de magistrats d’une mentalité si différente de la nôtre. Ce fut le présage d’une alliance qui a porté depuis des fruits si importans qu’ils ont peut-être dépassé les espérances de ceux qui les avaient semés.

La révision des codes siamois est du reste confiée à des jurisconsultes français choisis, nous devons le croire, avec le soin particulier et les qualités éminentes qu’exige une tâche d’une si grande portée, mais si difficile. Il y faut un esprit philosophique qui ne se développe pas d’ordinaire dans la pratique assidue des textes, mais qui suppose la compréhension des hommes d’une autre race, et l’intuition des milieux, peut-être la plus rare qui soit au monde.

Remarquons enfin que cet abandon de nos protégés chinois et de nos sujets, qui est en lui-même un acte des plus graves, nous enlève l’arme la plus efficace dont nous disposions, abstraction faite du recours à la force déclarée, pour influencer le gouvernement siamois. Nous ne pouvions nous en dépouiller qu’à la condition d’avoir définitivement adopté une politique toute nouvelle, et que cette politique nous fut permise. Cette concession seule doit être pour la Cour de Bangkok la preuve la plus évidente de notre entière sincérité et le gage le plus précieux des bienveillantes intentions de notre gouvernement.

La rédaction des articles consacrés à la juridiction soulève une autre question non seulement intéressante pour les juristes politiques, mais qui embrasse des conséquences d’une assez grande étendue : tant dans le texte du traité que dans les protocoles annexes, il est fait mention des protégés et des sujets français. Or notre droit public n’a pas jusqu’ici comporté ce terme : Les esprits ultra-logiques, comme il en est chez nous à foison, se refusent à l’admettre : pourtant il n’est pas possible de nier que l’idée et le fait aient bien une existence réelle. Nous avons des possessions peuplées de sujets, c’est-à-dire d’hommes soumis à la souveraineté française sans être des nationaux et sans jouir de tous les droits des citoyens français.

En résumé, suivant une expression déjà employée, mais qui s’adapte parfaitement à la circonstance, ce traité se présente comme une « cote bien taillée entre nos ambitions d’antan et les possibilités d’aujourd’hui. » Aucun esprit impartial ne saurait en contester la valeur. En se combinant avec le traité japonais, il semble indiquer la naissance d’une politique d’ensemble à appliquer à l’Extrême-Orient, instrument indispensable à notre pays, et qui a fait défaut trop longtemps aux efforts et à la bonne volonté de nos agens lointains. Ces deux traités assurent à nos établissemens une sécurité qui leur manquait d’un côté. Mais dans quelle mesure et pour combien de temps ?… Et dans ce milieu d’équilibre instable où sont accumulés tant de matériaux explosibles, les transformations dont nous venons d’être les témoins souvent surpris ne sont-elles pas l’amorce de révolutions plus grandes encore ? Les ententes et les alliances, subordonnées à la mutabilité des intérêts qui les ont suscitées, sont-elles d’une constitution solide et durable ? Les contrats dont nous avons parlé, s’ils écartent un certain nombre de dangers, ne font pas disparaître les autres. Nous avons donc toujours à prendre des précautions sans lesquelles l’Indo-Chine resterait incapable d’atteindre le but que la métropole y poursuit, à savoir la constitution d’un organisme assez bien défendu, assez robuste et assez riche pour apporter à sa puissance un surcroît de force et d’efficacité politique. Aussi ne saurait-on s’élever avec une trop inquiète énergie contre certaines propositions d’économies militaires et même de désarmement colonial qui surgissent déjà de quelques côtés, et qui surgissent à une heure particulièrement inopportune. Gardons-nous de prêter l’oreille à de si dangereux conseils. La seule chose vraie est que la tranquillité relative acquise par nos récentes négociations en Asie orientale nous laisse libres d’étudier avec plus de soin, mais toutefois sans lenteur, un programme de défense militaire et naval de l’Indo-Chine, adéquat à nos moyens généraux et locaux et à nos besoins, en échelonnant sur un certain nombre d’exercices financiers les dépenses nécessaires à cet objet capital.


Je voudrais, en terminant, exprimer un vœu qui ne saurait trouver une meilleure place qu’ici, et qui doit être dans la pensée des hommes cultivés de tous les pays, en voyant le plus magnifique groupe des monumens de l’ancien Cambodge, Angkor la Grande et Angkor la Sainte, passer sous notre garde effective. Retrouvés, explorés et étudiés par les Français, ils font en quelque sorte partie du patrimoine de notre orientalisme, et ont encore bien des réponses à donner à qui saura interroger leurs restes imposans. Mais nous leur devons aujourd’hui quelque chose de plus que l’attention des artistes et les recherches des savans : nous sommes préposés à leur conservation, et nous en devenons responsables devant l’humanité intelligente. Nous ne devons pas manquer à ce devoir plus qu’aux autres. Nos corps savans, avec leur organe naturellement désigné, l’École Française d’Extrême-Orient, se préoccuperont des meilleurs moyens d’instituer la surveillance efficace et permanente de ces grandes archives de pierre, menacées par tant d’ennemis, et dont beaucoup ont déjà succombé sous les attaques du climat et de sa végétation dévorante, ou par suite de l’incurie et de la brutalité des hommes.


J. HARMAND.


  1. En 1854, le prédécesseur de Norodom, An-duong, effrayé des perspectives d’absorption définitive dont menaçaient sa couronne les rivalités des Annamites et des Siamois, eut l’idée, on ne sait trop sous quelle inspiration, d’envoyer à Singapore auprès de notre consul un métis portugais, chrétien de son entourage, pour invoquer la protection de la France et réclamer l’envoi à sa cour d’un plénipotentiaire chargé de la négociation d’un traité régulier. L’année suivante, M. de Montigny, notre agent en Chine, sans doute à la suite de ces ouvertures, vint en Indo-Chine ; mais par malheur, au lieu de s’aboucher directement avec le roi du Cambodge, il se rendit en premier lieu à Bangkok, où il eut l’imprudence de révéler son intention de s’entretenir ultérieurement avec An-duong. Dès lors, sa mission était condamnée à la stérilité ; d’autres maladresses et impatiences de sa part, jointes à la surveillance exacte dont il fut aussitôt l’objet, l’empêchèrent même de se rendre à la capitale cambodgienne et tout fut remis en question jusqu’à une époque indéterminée.
  2. Résidence royale, sur le bras du Lac, de 1834 à 1866.