Le Tombeau de Jean de La FontaineMercure de France (p. 143-144).
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LE CYGNE


Seul se révèle aussi grossier
Que toi, dans l’art de poésie,
Horace Flaccus, mais je nie
Que lui-même, dont le gosier
Préférait l’ail à l’ambroisie,
— Quoi qu’il die ! —
Eût osé moi, cygne, associer.
Dans une fable, au cuisinier.


Cette fable m’est un mystère.
Moi qui vogue entre terre et ciel,
Je te savais bien terre à terre,
Souvent brutal et sensuel.
Mais ici ton esprit est tel
Qu’il flétrit mon aile de neige.
Ah ! Que n’ai-je
Toujours la clef de ton gros sel ?

La mort eût été préférable
À cette grâce que j’obtins
De ce marmiton détestable
En lui chantant mes chants divins.
Ces chants, c’est toi qui me les prêtes ;
Mais on ne les entend qu’aux fêtes
Où Gros-Jean goûte à tous les vins !