Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeTiersLivre/28

Alphonse Lemerre (Tome IIp. 136-142).

Comment frere Ian reconforte Panurge
sus le doubte de Coquage.


Chapitre XXVIII.


Ie t’entends (dist frere Ian) mais le temps matte toutes choses. Il n’est le Marbre ne le Porphyre, qui n’ayt sa vieillesse & decadence. Si tu ne en es là pour ceste heure, peu d’années apres subsequentes ie te oiray confessant, que les couilles pendent à plusieurs par faulte de gibessiere. Desia voy ie ton poil grisonner en teste. Ta barbe par les distinctions du gris, du blanc, du tanné, & du noir, me semble vne Mappemonde. Reguarde icy. Voy là Asie. Icy sont Tigris & Euphrates. Voy là Afrique. Icy est la montaigne de la Lune. Voydz tu les paluz du Nil ? Deça est Europe. Voydz tu Theleme ? Ce touppet icy tout blanc, sont les mons Hyperborées. Par ma soif, mon amy, quand les neiges sont es montaignes : ie diz la teste & le menton, il n’y a pas grand chaleur par les valées de la braguette.

Tes males mules (respondit Panurge). Tu n’entends pas les Topiques. Quand la neige est sus les montaignes : la fouldre, l’esclair, les lanciz, le mau lubec, le rouge grenat, le tonnoirre, la tempeste, tous les Diables, sont par les vallées. En veulx tu veoir l’experience ? Va on pays de Souisse : & consydere le lac de VVunderberlich à quatre lieues de Berne, tirant vers Sion. Tu me reproches mon poil grisonnant, & ne consydere poinct comment il est de la nature des pourreaux, es quelz nous voyons la teste blanche, & la queue verde droicte & viguoureuse. Vray est que en moy ie recongnois quelque signe indicatif de vieillesse. Ie diz verde vieillesse : ne le diz à personne. Il demeurera secret entre nous deux. C’est que ie trouue le vin meilleur & plus à mon goust sauoureux, que ne soulois : plus que ne soulois, ie crains la rencontre du mauuais vin. Note que cela argüe ie ne sçay quoy du ponent, & signifie que le midy est passé. Mais quoy ? Gentil compaignon tousiours, autant ou plus que iamais. Ie ne crains pas cela, de par le Diable. Ce n’est là où me deult. le crains que par quelque longue absence de nostre roy Pantagruel, au quel force est que ie face compaignie, voire allast il à tous les Diables, ma femme me face coqu. Voy là le mot peremptoire. Car tous ceulx à qui i’en ay parlé, me en menassent. Et afferment qu’il me est ainsi prædestiné des cieulx. Il n’est (respondit frere Ian) coqu, qui veult[1]. Si tu es coqu, ergò ta femme sera belle : ergò tu seras bien traicté d’elle : ergò tu auras des amis beaucoup : ergò tu seras saulué. Ce sont Topicques monachales. Tu ne en vauldras que mieulx, pecheur. Tu ne feuz iamais si aise. Tu n’y trouueras rien moins. Ton bien acroistra d’aduentaige. S’il est ainsi prædestiné, y vouldrois tu contreuenir ? diz, Couillon flatry[2], C. moisy.


c. rouy.

c. poitry d’eaue froyde.

c. transy.

c. auallé.

c. fené.

c. esrené.

c. de faillance.

c. hallebrené.

c. prosterné.

c. engroué.

c. ecremé.

c. supprimé.

c. retif.

c. moulu.

c. dissolu.

c. morfondu.

c. dyscrasié.

c. disgratié.

c. flacque.

c. esgoutté.

c. acrauanté.

c. escharbotté.

c. mitré.

c. baratté.

c. bimbelotté.

c. entouillé.

c. vuidé.

c. chagrin.

c. demanché.

c. vereux.

c. vesneux.

c. malandré.

c. thlasié.

c. spadonicque.

c. bistorié.

c. farineux.

c. hergneux.

c. gangreneux.

c. crousteleué.

c. depenaillé.

c. matté.

c. guoguelu.

c. trepelu.

c. trepané.

c. basané.

c. euiré.

c. feueilleté.

c. estiomené.

c. etrippé.

c. nieblé.

c. syncopé.

c. ripoppé.

c. dechicqueté.

c. ventousé.

c. effructé.

c. gersé.

c. pantois.

c. fusté.

c. de godalle.

c. fistuleux.

c. languoureux.

c. maleficié.

c. hectique.

c. vsé.

c. quinault.

c. matagrabolisé.

c. maceré.

c. paralyticque.

c. degradé.

c. perclus.

c. de Ratepenade.

c. de petarrade.

c. hallé.

c. dessiré.

c. hebeté.

c. cornant.

c. appellant.

c. barré.

c. assassiné.

c. deualizé.

c. anonchaly.

c. de matasain.

c. badelorié.

c. deschalandé.


c. chaumeny.

c. pendillant.

c. appellant.

c. guauasche.

c. esgrené.

c. incongru.

c. forbeu.

c. lanterné.

c. embrené.

c. amadoué.

c. exprimé.

c. chetif.

c. putatif.

c. vermoulu.

c. courbatu.

c. malautru.

c. biscarié.

c. liegé.

c. diaphane.

c. desgousté.

c. chippoté.

c. hallebotté.

c. chapitré.

c. chicquané.

c. eschaubouillé.

c. barbouillé.

c. riddé.

c. haue.

c. morné.

c. pesneux.

c. forbeu.

c. meshaigné.

c. thlibié.

c. sphacelé.

c. deshinguangé.

c. farcineux.

c. varicqueux.

c. vereux.

c. esclopé.

c. franfreluché.

c. frelatté.

c. farfelu.

c. mitonné.

c. boucané.

c. effilé.

c. vietdazé.

c. mariné.

c. extirpé.

c. constippé.

c. greslé.

c. soufleté.

c. buffeté.

c. corneté.

c. talemousé.

c. balafré.

c. eruyté.

c. putois.

c. poulsé.

c. frilleux.

c. scrupuleux.

c. fellé.

c. rance.

c. diminutif.

c. tintalorisé.

c. marpault.

c. rouillé.

c. indague.

c. antidaté.

c. manchot.

c. confus.

c. Maussade.

c. acablé.

c. assablé.

c. desolé.

c. decadent.

c. solœcisant.

c. mince.

c. vlecré.

c. bobeliné.

c. engourdely.

c. aneanty.

c. de zero.

c. frippé.

c. febricitant.

Couillonnas au diable, Panurge mon amy : puys qu’ainsi t’est prædestiné, vouldroys tu faire retrograder les planetes ? demarcher toutes les sphaeres celestes ? propouser erreur aux Intelligences motrices ? espoinder les fuzeaulz, articuler les vertoilz, calumnier les bobines, reprocher les detrichoueres, condempner les frondrillons, defiller les pelotons des Farces ? Tes fiebures quartaines, Couillu. Tu ferois pis que les Geants. Vien ça, couillaud. Aimerois tu mieulx estre ialous sans cause, que coqu sans congnoissance ? Ie ne vouldrois (respondit Panurge) estre ne l’vn ne l’autre. Mais si l’en suys vne fois aduerty, ie y donneray bon ordre, ou bastons fauldront on monde. Ma foy, frere Ian, mon meilleur sera poinct ne me marier. Escoute que me disent les cloches à ceste heure que sommes plus pres. Marie poinct, marie poinct, poinct, poinct, poinct, poinct. Si tu te marie : marie poinct, marie poinct, poinct, poinct, poinct, poinct : tu t’en repentiras, tiras, tiras : coqu seras. Digne vertus de Dieu, ie commence entrer en fascherie. Vous aultres cerueaulx enfrocquez, n’y sçauez vous remede aulcun ? Nature a elle tant destitué les humains, que l’home marié ne puisse passer ce monde sans tomber es goulphres & dangiers de Coqüage ?

Ie te veulx (dist frère Ian) enseigner vn expedient, moyenant lequel iamais ta femme ne te fera coqu sans ton sceu & ton consentement. Ie t’en prie (dist Panurge) couillon velouté. Or diz, mon amy. Prens (dist frère Ian) l’anneau de Hans Carüel[3] grand lapidaire du Roy de Melinde. Hans Carüel estoit home docte, expert, studieux, home de bien, de bon sens, de bon iugement, debonnaire, charitable, aulmonsnier, philosophe : ioyeulx au reste, bon compaignon, & raillart, si oncques en feut : ventru quelque peu, branslant de teste, & aulcunement mal aisé de sa persone. Sus ses vieulx iours il espousa la fille du baillif Concordat, ieune, belle, frisque, guallante, aduenente, gratieuse par trop enuers ses voisins & seruiteurs. Dont aduint en succession de quelques hebdomades, qu’il en deuint ialous, comme vn Tigre : & entra en soubson, qu’elle se faisoit tabourer les fesses d’ailleurs. Pour à laquelle chose obuier, luy faisoit tout plein de beaulx comptes touchant les desolations aduenues par adultere : luy lisoit souuent la legende des preudes femmes[4] : la preschoit de pudicité, luy feist vn liure des louanges de fidelité coniugale, detestant fort & ferme la meschanceté des ribauldes mariées : & luy donna vn beau carcan tout couuert de Sapphyrs orientaulx. Ce non obstant, il la voioyt tant deliberée, & de bonne chere auecques ses voisins, que de plus en plus croissoit sa ialousie. Vne nuyct entre les aultres estant auecques elle couché en telles passions, songea qu’il parloit au diable & qu’il luy comptoit ses doleances. Le diable le reconfortoit, & luy mist vn anneau on maistre doigt, disant. Ie te donne cestuy anneau : tandis que l’auras on doigt ta femme ne sera d’aultruy charnellement congneue sans ton sceu & consentement. Grand mercy (dist Hans Carüel) monsieur le diable. Ie renye Mahon, si iamais on me l’oste du doigt. Le diable disparut : Hans Carüel tout ioyeulx s’esueigla, & trouua qu’il auoit le doigt on comment a nom ? de sa femme. Ie oubliois à compter comment sa femme le sentent, reculloit le cul arriere, comme disant ouy nenny, ce n’est ce qu’il y fault mettre : & lors sembloit à Hans Carüel qu’on luy voulust desrobber son anneau. N’est ce remede infallible ? A cestuy exemple faiz, si me croys, que continuellement tu ayez l’anneau de ta femme on doigt. Icy feut fin & du propous & du chemin[5].


  1. Des Périers (Nouvelle 5), citant ce discours de mémoire, l’attribue à Pantagruel : « Et bien, s’elle vous fait cocu après, le plaisir vous demeure tousiours, ie ne dis pas d’estre cocu, ie dis de l’auoir depucelée. Et puis vous auez mille faueurs, mille auantages, à cause d’elle. » — La Fontaine a énuméré ces nombreux avantages dans son conte de La Coupe enchantée.
  2. Dans l’édition de 1546, cette liste est sur trois colonnes. Voyez ce que nous avons dit, p. 246, note sur la l. 12 de la p. 128. La liste de 1546 contient un certain nombre d’épithètes qui ne figurent pas ici, mais que nous aurons soin de recueillir dans le Glossaire.
  3. « Voici la généalogie exacte du Conte de l’Anneau de Hans Carvel. L’invention en est due à Poge… Qu’on lise la 133 de ses facéties, intitulée Visio Francisci Philelphi, on reconnoîtra que Rabelais… n’a fait que mettre le nom de Hans Carvel à la place de celui de Philelphe. On trouve ensuite ce conte dans la onzième des Cent nouuelles nouuelles… L’Arioste est le troisiéme qui l’a mis en œuvre à la fin de la cinquième de ses Satires… Un anonyme qui fit imprimer in-16, à Lyon, en 1555, un recueil de plaisantes Nouvelles, a employé ce conte dans la xi. Celio Malespini l’a aussi employé, p. 288, de la seconde partie de ses Ducento Novelle, imprimées in-4, à Venise l’an 1609… La Fontaine, en 1665, habilla joliment en vers la prose de Rabelais… Enfin, pour couronnement de l’œuvre, on a essayé de le mettre en petits vers Anacréontiques Latins dont les connoisseurs jugeront. » (La Monnoye, Ménagiana, t. i, p. 369). La pièce en vers latins qui suit ce morceau est évidemment de La Monnoye lui-même.
  4. Carvel craignant de sa nature
    Le cocuage & les railleurs,
    Alleguoit à la creature,
    Et la legende, & l’écriture,
    Et tous les Liures les meilleurs.

    dit La Fontaine. Au moyen âge il y avait une littérature morale destinée à faire bien comprendre aux femmes l’étendue de leurs devoirs. On peut voir la bibliothèque spéciale fort curieuse du Ménagier de Paris à ce sujet : l’histoire de Griselidis tient le premier rang, et le chien de Montargis lui-même est cité comme un exemple de fidélité à son maître que les femmes doivent s’efforcer d’imiter. On.se rappelle avec quelle chaleur Gorgibus vante (Molière, Sganarelle, acte i, sc. i) :

    Les Quatrains de Pibrac, & les doctes Tablettes
    Du Conseiller Mathieu…

    et aussi La Guide des Pecheurs. Un peu plus tard, Arnolphe compose pour Agnès Les Maximes du mariage, comme Carvel avait fait pour sa femme Les louanges de fidélité conjugale.

  5. Brundusium longæ finis chartæque viæque.

    (Horace, Satires, 1, 5, v. 104)