Le Texas et les États-Unis



LE TEXAS
ET
LES ÉTATS-UNIS.

I.

La question de l’annexation du Texas préoccupe depuis près d’un an tous les esprits aux États-Unis, et depuis deux mois elle commence à préoccuper sérieusement la presse anglaise. Elle a soulevé entre les organes des différens partis de l’Union américaine la polémique la plus vive et la plus irritante ; elle a donné naissance à d’innombrables brochures. Comme elle va décider d’ici à quelques semaines de l’élection à la présidence, et que du débat engagé à ce sujet peut sortir, dans un avenir plus ou moins prochain, la guerre avec l’Angleterre, et peut-être la dissolution de l’Union, nous avons cru que cette question intéressait à un haut degré les nations européennes. Les efforts de l’un des grands partis de l’Union pour accomplir la séparation du Texas d’avec le Mexique, les obstacles que ce parti rencontre aujourd’hui pour consommer son œuvre en unissant le Texas aux États-Unis, l’influence qu’exercera l’annexation sur le sort de l’Union elle-même, sur ses relations extérieures, et principalement sur ses rapports avec l’Angleterre, tels sont les divers points qui appellent notre attention sur un sujet dont aucun organe de la presse française ne s’est encore occupé[1].

Sous la domination espagnole, le Texas faisait partie de l’intendance de San-Luis de Potosi. C’est un vaste territoire qui s’étend de la Sabine à l’est, jusqu’au Rio de las Nueches, à l’ouest, et de la rivière Rouge, un des affluens du Mississipi, au nord, jusqu’au golfe du Mexique. La Sabine le sépare de la Louisiane, la rivière Rouge de l’Arkansas, les montagnes de Saint-Saba des Indiens indépendans ; le Texas touche, vers l’ouest et le sud, aux états mexicains de Coahuila et du Nouveau-Santander. On évalue fort diversement la superficie de ce territoire ; chaque parti, en Amérique, l’augmente ou la diminue suivant son intérêt. On lui donne quatre fois l’étendue de la Virginie, ou neuf fois celle du Kentucky ; on va même au-delà, mais par une exagération évidente : l’appréciation la plus probable lui donne cent cinquante lieues de long du nord-est au sud-ouest, et quatre-vingts lieues de large, c’est-à-dire un tiers de la France. Le terrain est fort ondulé, et s’élève toujours à mesure qu’on s’éloigne de la mer, sans qu’il y ait cependant de hautes montagnes, la partie supérieure forme un vaste plateau d’où découlent en grand nombre des rivières fort considérables, le Brazo, le Guadalupe, le San-Jacinto, le Natchez, l’Arroyo, toutes navigables jusqu’à vingt lieues, et quelques-unes jusqu’à quatre-vingts lieues dans les terres. Les côtes, sur un développement de cent cinquante lieues, offrent au commerce plusieurs ports naturels dans la situation la plus avantageuse, comme Galveston et San-Luis. La chaleur y est extrême, et la terre très propre à la culture du riz, de la canne et du coton ; la partie centrale présente, surtout au bord des rivières, une vaste étendue de savanes tout unies, très faciles à mettre en culture, et où la terre, vierge encore, porte la végétation la plus vigoureuse et promet de riches récoltes de maïs et de tabac. La partie supérieure seule, où il neige assez fréquemment l’hiver, se rapproche davantage, pour le climat, des états du milieu de l’Union. Les montagnes du nord-ouest, qui sont un démembrement de celles du Mexique, présentent des mines assez riches d’or et d’argent, et même de fer. Les spéculateurs en terre, pour qui le Texas est en ce moment une mine féconde, ont fait le tableau le plus exagéré des avantages naturels du sol et du climat ; mais il est certain que c’est un pays riche et fertile, et entre les mains de la race active et industrieuse qui peuple l’Amérique, il peut parvenir à la plus grande prospérité. Jusqu’à l’arrivée des émigrans des États-Unis, il n’avait pour habitans que quelques tribus errantes d’Indiens, les Waccos, les Tawackannies, les Caddos, les Tankaways, les Lepans, que les Américains n’ont pas tardé à détruire, et quelques colons mexicains. Aussi était-il resté presque entièrement inculte : aux uns manquait le désir, aux autres les moyens de tirer parti des avantages naturels du sol. Quiconque connaît l’esprit envahissant des Anglo-Américains comprendra sans peine qu’une contrée comme le Texas, bornée par deux des états de l’Union, médiocrement peuplée et offrant une perspective si flatteuse à l’industrie commerciale et agricole, devait être pour ses voisins un sujet de tentation irrésistible ; mais bientôt l’intérêt même des états du sud leur fit une nécessité de l’acquisition du Texas.

On sait que l’Union se divise en deux grandes sections, les états libres et les états à esclaves, les premiers commerçans et manufacturiers, et situés au nord, les autres concentrés au sud, adonnés à la culture du tabac, du riz et du coton, et défendant le principe même de l’esclavage, parce que sous leur climat la trop grande chaleur et la nature même de leurs cultures ne permettent pas aux blancs de travailler la terre. Les états libres se sont accrus avec bien plus de rapidité que les états à esclaves ; ils couvrent aujourd’hui une bien plus vaste étendue de terrain, et ils ont enfermé leurs rivaux dans un cercle presque sans issue. Depuis l’acquisition de la Louisiane et des Florides, les états du sud sont acculés à la mer, et trois états libres, l’Ohio, l’Indiana, l’Illinois, ont fermé passage aux planteurs du Kentucky et du Tennessee ; les hommes du sud n’ont plus de débouchés que par deux états du milieu, le Missouri et l’Arkansas. Mais les planteurs de l’Arkansas sont arrivés déjà au pied des montagnes Rocheuses, et toute cette partie de l’Amérique, infiniment plus élevée que les côtes, exposée à des hivers bien plus rigoureux, et avec une température moyenne bien plus basse, n’est pas très favorable à la culture du tabac, et surtout du coton. Au contraire, au sud de l’Arkansas, à l’ouest de la Louisiane, s’étend le Texas, qui, par son sol et son climat, semble appeler les planteurs, et leur offre un débouché d’autant plus nécessaire, que les terres épuisées de la Virginie et du Kentucky sont désertées de jour en jour, et que la population s’accumule dans les états situés plus au sud. De ce besoin, chaque jour plus pressant, est résultée pour les états du sud une tendance irrésistible à se saisir du Texas, et c’est pourquoi, depuis long-temps déjà, les hommes d’état américains ont pensé à donner, par l’acquisition du Texas, un débouché au trop plein de population des états à grande culture.

Le Texas était autrefois compris dans l’immense étendue de terrain dont la France réclamait la propriété sous le nom de Louisiane ; car du reste il n’y eut jamais de délimitation de territoire entre les possessions espagnoles et françaises. Lorsque la France vendit la Louisiane à l’Union, elle lui transmit donc les droits qu’elle pouvait avoir sur tout ou partie du Texas actuel, et les États-Unis prétendirent étendre leur frontière jusqu’au Rio del Norte ; l’Espagne au contraire protestait contre ce qu’elle appelait un empiétement, et voulait resserrer la Louisiane dans des limites bien plus étroites. Aussi, lorsqu’elle vendit les Florides à l’Union, y eut-il transaction ; l’union recula du Rio del Norte à la Sabine, et céda formellement à l’Espagne tout le pays à l’ouest de cette rivière, qui fut prise comme limite. Il est à remarquer que M. Clay (et c’est lui-même qui rappelle ce fait dans la lettre qu’il vient d’adresser à ses commettans) combattit inutilement dans le sénat le traité d’acquisition des Florides, sur ce motif qu’on sacrifiait ainsi le Texas, qui avait une bien plus grande valeur. Si M. Clay n’avait point trouvé d’appui dans le sénat lorsqu’en 1819 il insistait sur l’importance du Texas, au bout de dix ans les opinions avaient bien changé, et les états du sud cherchaient déjà de quel côté diriger le surcroît de leur population. Dès 1828, sous la présidence de M. Adams, M. Clay, ministre des affaires étrangères, chargea l’envoyé américain à Mexico de proposer l’achat du Texas ; mais c’est à peine si ce diplomate fit quelques ouvertures à ce sujet, certain qu’il était d’un refus. En effet, la constitution de l’union mexicaine ne permettait pas plus au gouvernement central d’aliéner le Texas que celle de États-Unis ne permet au congrès d’aliéner le Maine ou la Virginie. Le gouvernement américain qui n’avait peut-être voulu donner qu’une satisfaction illusoire aux états du sud, n’insista pas, et l’affaire en resta là. Cependant, lorsque l’Anglo-Américain a une fois jeté les yeux sur une proie, il est bien difficile de le distraire de l’objet de sa convoitise : les planteurs du sud insistèrent avec leur ardeur et leur emportement habituels et, en mai 1829, on vit arriver au pouvoir, avec le général Jackson, une administration toute dévouée aux intérêts du sud. Dès le mois d’août, M. Van Buren, ministre des affaires étrangères, écrivait à M. Poinsett, ministre à Mexico, que le président voulait qu’on ouvrît sans délai des négociations pour l’achat du Texas, et tandis que l’administration précédente n’avait jamais pensé à offrir plus d’un million de dollars, le général consentait à offrir quatre millions, et même cinq s’il le fallait. Le gouvernement américain avait connaissance de l’expédition que l’Espagne dirigeait alors contre le Mexique, et M. Van Buren croyait l’occasion favorable pour renouveler l’offre d’une somme considérable.

Les Mexicains, malgré leur indolence et leur apathie, conservent encore quelque chose de l’orgueil castillan : ils reçurent la proposition comme une insulte, résistèrent à la tentation d’une somme aussi forte, et malgré leur dénuement triomphèrent de l’armée espagnole. M. Poinsett fut vivement blessé de cet échec et du refus péremptoire qu’il avait éprouvé ; il écrivit à son gouvernement : « Nous ne pourrons jamais étendre nos frontières au sud de la Sabine, à moins de chercher querelle à ce peuple-ci. » C’était une insinuation qui fut comprise. Comment s’expliquer en effet qu’en 1830 la Gazette de l’Arkansas ait pu imprimer ce qui suit : « D’après les informations puisées à une source qui mérite la plus haute confiance (entitled to the highest credit), il paraîtrait que nous ne devons plus nourrir l’espoir d’acquérir le Texas tant qu’un parti mieux disposé pour les États-Unis ne dominera pas au Mexique, ou peut-être tant que le Texas ne secouera point le joug du gouvernement mexicain, ce qu’il fera sans doute dès qu’il aura un prétexte raisonnable pour en agir ainsi ? » N’était-ce pas l’annonce du plan machiavélique qu’on allait mettre à exécution ? Quel était donc le correspondant si bien informé de la Gazette de l’Arkansas ? On y vit tour à tour M. Poinsett, M. Butler, son successeur, et plusieurs des amis du général Jackson.

À ce moment, un homme qui depuis long-temps s’était fait remarquer comme un des plus chauds partisans du général Jackson, Samuel Houston, qui avait été gouverneur du Tennessee et représentant de cet état au congrès, qui se vantait de posséder l’entière confiance du président et paraissait ainsi appelé à jouer un rôle dans l’administration nouvelle, quitta tout à coup Washington après avoir mis quelques personnes dans la confidence de son projet, et se rendit au Texas, abdiquant ainsi sa qualité de citoyen américain. Il y fut suivi par un nombre assez considérable de citoyens du Kentucky et du Tenessee appartenant au même parti. Samuel Houston ne dissimulait guère ses intentions, car le Journal de la Louisiane, en rendant compte de son départ, disait qu’il ne s’était rendu au Texas que pour révolutionner cette province, et terminait son article, par ces mots : Nous pouvons nous attendre à apprendre bientôt qu’il a levé l’étendard de l’indépendance (we may expect shortly to hear of his raising his flag). C’était cinq ans avant la révolte du Texas qu’on s’exprimait ainsi. Le gouvernement mexicain se montra on ne peut plus libéral envers les nouveaux arrivans ; aucune garantie, aucune concession, ne leur fut refusée, et le nombre des émigrans s’accrut rapidement. Cependant Samuel Houston, depuis son arrivée au Texas, avait groupé autour de lui tous les colons venus des états du sud : il répétait à qui voulait l’entendre qu’il avait confidence des vues particulières du président des États-Unis ; il était devenu le chef d’un parti qui s’accroissait de jour en jour. Le centre de ce parti était la ville de Brazoria, la plus rapprochée des bords de la mer ; là affluaient tous les possesseurs d’esclaves qui affectaient un souverain mépris pour les lois mexicaines, et qui, en violation de ces lois, permirent à deux négriers de débarquer et de vendre publiquement leurs cargaisons. Brazoria possédait la seule presse du Texas, elle fut employée à multiplier des circulaires, des pétitions, des libelles de toute sorte contre le gouvernement mexicain, et dès 1832 une première collision éclata entre les colons américains et le Mexique ; à partir de ce mouvement, l’agitation alla croissant jusqu’à la fin de 1835.

Pendant que Samuel Houston et Stephen Austin organisaient les émigrans anglo-américains et préparaient tout pour secouer au besoin le joug du Mexique, le général Jackson continuait ses démarches pour obtenir le Texas par des voies légitimes. Dès le début de son administration, il avait annoncé l’intention bien arrêtée de ne pas quitter le pouvoir sans procurer aux états du sud, qui l’avaient nommé, cette acquisition tant désirée. Il choisit comme envoyé à Mexico, à la place de M. Poinsett, un de ses confidens intimes, M. Anthony Butler, homme du sud et personnellement intéressé dans la question, puisqu’il avait acheté des lots de terre au Texas. Outre la correspondance diplomatique, il y eut entre le président et M. Butler un échange perpétuel de lettres particulières, qui toutes roulaient sur le Texas. La correspondance officielle a été soumise au sénat, et reproduite par les journaux américains ; malgré des suppressions et des altérations sans nombre, qui ont provoqué les plaintes de la presse américaine, il est facile de voir que l’acquisition du Texas était la grande affaire du président. Pendant près de sept années, il a multiplié les offres de toute nature, et toujours sans succès ; il a tour à tour employé la prière et la menace. Deux traités avaient été conclus presque simultanément entre le Mexique et les États-Unis ; l’un réglait les frontières des deux républiques, l’autre était un traité de commerce. On ne saurait croire tous les délais et toutes les ruses qu’employa le gouvernement américain pour arriver à échanger les ratifications du second traité séparément, afin de pouvoir revenir sur le premier. Le gouvernement mexicain, qui commençait à s’alarmer des vues ambitieuses des États-Unis, tint bon et insista pour que les deux traités fussent ratifiés ou annulés ensemble, et le président se résigna à céder. Pourtant les ratifications étaient à peine échangées, que le ministre américain, ne tenant nul compte du traité de limitation, demandait, au nom de son gouvernement, une modification considérable dans le règlement des frontières. Le gouvernement mexicain repoussa cette demande avec d’autant plus d’énergie, que la nation mexicaine se prononçait très vivement contre la cession du Texas. Nous lisons, en effet, dans une des lettres de M. Butler au général Jackson : « Je n’ai pas perdu de vue un instant la question du Texas, au sujet de laquelle vous témoignez tant d’inquiétude, car, outre que je sais quels sont vos désirs, je ne suis point insensible aux grands avantages que notre pays tirerait de cette acquisition… Mais l’opinion publique dans ce pays est tellement opposée à l’acquisition du Texas par les États-Unis, que le gouvernement, non-seulement n’oserait pas accueillir une proposition à ce sujet, mais oserait encore moins consentir à nous céder ce pays. Chaque fois que les journaux désiraient raviver le feu de l’opposition contre le président Guerrero, il paraissait des articles qui l’accusaient de vouloir nous vendre le Texas, et l’on ajoutait que, pour ce crime seul, il méritait d’être renversé du pouvoir. »

Le gouvernement américain ne rougit pas de descendre aux chicanes diplomatiques les plus mesquines ; ainsi M. Van Buren écrivait à M. Butler : « On m’a assuré que des deux rivières qui se jettent dans la baie de la Sabine, celle qui coule le plus à l’ouest est la plus considérable, et qu’on pourrait soutenir avec raison que c’est celle dont il est question dans le traité de limitation. » Le gouvernement mexicain répondit que les deux rivières avaient toujours été connues, l’une sous le nom de Sabine, l’autre sous celui de Rio de las Nechez, et qu’il n’y avait pas de confusion possible. La chancellerie américaine se mit alors à étudier les cartes, et finit par découvrir bien au-delà du Rio de las Nechez une autre Sabine, qui se jette dans le Rio Bravo del Norte, auprès de Loredo. M. Butler ne craignit pas de prétendre que ce devait être la Sabine désignée par le traité, que la question était au moins douteuse, que le meilleur moyen d’en finir était de faire un nouveau traité, et il indiquait le désert de la Grande-Prairie comme une limite naturelle. Comme on refusait bien plus vivement encore de céder des provinces peuplées entièrement par les Mexicains, M. Butler crut avoir trouvé un moyen indirect de parvenir à son but : il avait appris en confidence que le Mexique songeait a négocier un emprunt avec les États-Unis, il pensa à demander le Texas comme gage : le Mexique étant hors d’état d’acquitter jamais sa dette, la mise en gage équivalait à une vente. Mais le gouvernement américain avait entrevu la possibilité d’avoir le Texas pour rien ; on défendit à M. Butler de faire ni de recevoir aucune proposition au sujet d’un emprunt, et l’on insista sur la Sabine nouvellement découverte. Le Mexique, loin de céder, se plaignit des menées des Américains dans le Texas, et de l’encouragement manifeste que toutes les tentatives de désordre recevaient des États-Unis. L’impatience prit alors le général Jackson, et par contre-coup M. Butler changea de ton ; il ne demanda plus, il exigea. Dans une lettre du 21 décembre 1834, il déclare, par ordre du président, qu’un « plus long délai à déterminer la véritable frontière du Mexique et des États-Unis ne saurait être permis. Le Mexique occupant une vaste étendue de territoire que le gouvernement du soussigné présume respectueusement (respectfully) appartenir au peuple des États-Unis, et dont une grande partie, comme on sait, a déjà été concédée par les autorités du Mexique à des individus de toute sorte, il devient d’une impérieuse nécessité que la question soit promptement vidée. » M. Butler termine en demandant que le traité soit fait assez tôt pour être présenté au sénat des États-Unis avant le 4 mars suivant. Ainsi les États-Unis ne sollicitaient plus un changement de frontière : ils réclamaient comme leur bien ce qu’ils demandaient auparavant comme une concession, et il fixaient au Mexique un délai de deux mois pour se résigner à ce sacrifice.

Le gouvernement mexicain, pour gagner du temps, transporta la négociation à Washington, et M. Butler y fut appelé pour conférer à ce sujet avec le président et le ministre des affaires étrangères ; mais Butler avait acquis la conviction que les négociations ne pourraient amener un résultat favorable, et il songeait déjà sans doute à d’autres moyens. Comment s’expliquer autrement les réticences, les mots couverts de la dernière lettre qu’il écrivit avant son départ pour Washington, et dont le gouvernement n’a communiqué que le fragment suivant : « Quand j’aurai le plaisir de vous voir, je pourrai vous montrer clairement que je n’ai pas perdu mon temps, et que l’on a fait tout ce que les circonstances permettaient de faire, que toute chose est même prête pour terminer l’affaire à notre satisfaction. Je puis prouver, jusqu’à l’évidence, qu’en trois mois nous pouvons tout consommer ; mais il y a une pierre d’achoppement que vous seul devez écarter. L’explication en serait trop longue pour une lettre, sans compter les renseignemens qu’il vaut mieux mettre sous vos yeux pour que vous voyiez tout à la fois, et je suis si près de me trouver avec vous, et de pouvoir vous en parler à l’aise, que je crois moins nécessaire de vous faire une communication écrite ; d’ailleurs, vous ne pouvez écarter immédiatement la pierre d’achoppement dont je parle. Il faudra quelques mois pour mettre toute chose en mouvement ; mais je vous donne ma parole, retenez-le bien, je vous donne ma parole que votre administration ne se terminera pas sans que vous voyiez l’objet en question en votre possession. »

M. Butler, pour se rendre à Washington, traversa le Texas, où il vit Austin et Samuel Houston : il passa aux États-Unis les mois de mai et de juin, et les premiers jours de juillet 1835 ; puis il se remit en route pour le Mexique. Le général Jackson avait résolu de faire une dernière tentative : M. Butler avait pour instructions de demander tout le territoire à l’est du Rio del Norte jusqu’au 37e degré de latitude ; la frontière aurait suivi ce degré de latitude jusqu’à l’Océan Pacifique, et aurait ainsi enveloppé une grande partie de la Californie et sa capitale Monterey. On permettait cependant à M. Butler de se contenter à moins, si ce sacrifice paraissait trop grand ; enfin, on l’autorisait à porter ses offres à six millions de dollars. M. Butler mit cinq mois à se rendre à Mexico, sur lesquels il en passa trois dans le Texas, alors en pleine agitation. Il est notoire qu’il y vit fréquemment Austin, Houston, et tous les meneurs du parti américain, qui parlaient déjà ouvertement de révolte. Aussi, à peine était-il arrivé à Mexico, que le gouvernement mexicain demandait son changement. De son côté, M. Butler terminait la première lettre qu’il écrivit à Washington par ces mots remarquables : « Je suis décidément d’avis que, malgré toutes les difficultés nouvelles que fera naître ou qu’a déjà créées la situation actuelle des choses, et qui arrêtent la négociation que je poursuis, je puis réussir, quoiqu’il faille un peu plus de temps, et certains changemens dans la manière de conduire l’affaire et les agens à y employer. » Après un dernier refus, M. Butler, qui venait d’ailleurs de recevoir la nouvelle de son rappel, quitta brusquement Mexico, en adressant au gouvernement mexicain deux lettres insolentes que le gouvernement des États-Unis fut obligé de désavouer, et alla s’établir au Texas, ou plutôt donner le mot d’ordre aux colons du sud pour arracher par la force ce que la diplomatie n’avait pu obtenir. C’est à ce moment même que parut la déclaration d’indépendance du Texas.

L’occasion était favorable ; une révolution venait d’avoir lieu au Mexique. Les abus des législatures provinciales avaient été si grands, qu’une réaction eut lieu en faveur du parti centraliste : celui-ci, guidé par Santa-Anna, obtint l’avantage, et une nouvelle constitution fut mise en vigueur. Elle instituait, à la place des états, des départemens administrés par un conseil législatif et par un gouverneur et un commandant militaire à la nomination du président. L’autorité des conseils législatifs était restreinte à la police, aux élections, et à la proposition des lois : le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire étaient réservés au gouvernement central. Les troubles qui accompagnèrent cette révolution au Mexique parurent aux colons anglo-américains une heureuse occasion ; ils protestèrent contre les changemens introduits dans la constitution et se déclarèrent indépendans. Leur manifeste, dont la rédaction fut calculée de façon à faire appel au fanatisme démocratique et religieux des États-Unis, contenait une longue série de griefs qui servirent de prétextes à la révolte, mais n’en étaient pas les motifs réels. Les véritables causes, nous les avons déjà indiquées : c’étaient le désir qu’avaient les Américains du sud d’arracher le Texas au Mexique pour l’incorporer à l’Union, les intrigues des colons anglo-américains appuyées, sinon suscitées, par le cabinet de Washington, l’intérêt des spéculateurs qui avaient obtenu de la législature particulière du Texas des concessions illégales de terres, contre lesquelles le gouvernement mexicain protestait, et surtout l’intérêt commun de tous les possesseurs d’esclaves, qui ne voulaient pas se soumettre aux lois du Mexique contre l’esclavage.

Aussitôt la déclaration d’indépendance publiée, tous les colons furent obligés d’y adhérer : le silence leur fut imposé sur les causes de la rébellion, et toute protestation fut étouffée. C’est à peine si un colon américain osa élever la voix dans un journal de New-York ; encore il s’excusa de ne pas signer sa lettre, parce que c’eût été se dévouer à la mort. Un autre abandonna le pays, et publia dans le National Intelligencer un article signé un émigrant de retour. Un M. Bartlett écrivit à un journal de New-York pour réfuter cet article, et il terminait sa lettre par ces mots : « J’ai un avis à donner à ce gentleman ; c’est de ne reparaître jamais au Texas après le pamphlet qu’il a publié, s’il ne veut faire connaissance avec la salutaire discipline de la loi de Lynch[2]. » Mais voici un autre fait bien plus significatif. Un citoyen de la Louisiane, nommé Boatright, avait eu l’imprudence de se prononcer hautement, dans une réunion, contre la révolution texienne, et de blâmer la connivence du gouvernement américain avec les révoltés. Il fut surpris chez lui, à Caddo, sur le territoire américain, par une bande de Texiens et emmené au Texas : là on résolut de l’enterrer tout vif. Pendant qu’on creusait sa fosse devant lui, il parvint à s’échapper par un effort désespéré, mais une décharge de mousqueterie l’étendit raide mort. Son corps fut coupé en morceaux, et les membres suspendus aux arbres voisins. Le gouvernement américain garda le silence sur ce fait. Quelle ne devait pas être la terreur des Texiens quand un citoyen américain était ainsi traité !

Pendant qu’on obtenait ainsi l’unanimité des colons, tous les Américains du sud qui avaient pris part à cette œuvre de perfidie s’occupaient activement d’en assurer le succès. La ville de Cincinnati forma un bataillon de volontaires qui partit au secours du Texas. Mobile et Natchez suivirent cet exemple, la Nouvelle-Orléans envoya à elle seule trois compagnies, montant à plus de cinq cents hommes. Félix Houston, frère de Samuel, prit le titre de général et partit avec un bataillon levé dans le Tenessee. Des bureaux de recrutement furent ouverts à la Nouvelle-Orléans et dans d’autres villes, et leur adresse indiquée dans tous les journaux : des meetings furent tenus dans tous les états, des souscriptions ouvertes ; des armes, des munitions, des provisions de toute sorte rassemblées publiquement. Le gouvernement, évidemment d’accord avec les spéculateurs en terres, garda le silence et laissa tout faire, malgré les réclamations incessantes des états du nord, dont les journaux invoquaient sans cesse la loi américaine qui fixe « une amende qui ne pourra excéder mille dollars, et un emprisonnement qui n’excédera pas trois ans contre toute personne qui, dans les limites du territoire et de la juridiction des États-Unis, mettra sur pied, ou rassemblera, ou préparera une expédition ou une entreprise militaire dirigée contre le territoire ou les domaines d’un prince, état, colonie, district, ou peuple étranger, avec qui les États-Unis seraient en paix. »

À la nouvelle de la révolte du Texas, Santa-Anna partit à la tête d’une partie de l’armée mexicaine pour la comprimer. Il débuta par des succès, et sembla sur le point d’étouffer l’insurrection à sa naissance. Aussitôt Samuel Houston écrivit à un citoyen éminent de Tennessee, Dunlap : « Pour avoir les forces qui nous sont nécessaires afin de résister au Mexique, nous comptons principalement sur les États-Unis. Ce secours ne saurait arriver trop tôt… Il n’y a, à mon avis, qu’une pensée chez les Texiens : c’est d’établir l’indépendance du Texas et d’être incorporés aux États-Unis. » Dunlap prit aussitôt le titre de général, leva un corps de troupes, et marcha vers le Texas. Samuel Swartwout, l’ami d’enfance, le confident intime du président Jackson, se mit également à rassembler des hommes et des armes, et obtint même du président une escorte pour le convoi qu’il préparait, mais qui devint inutile. On sait que Samuel Houston, ayant intercepté une dépêche de Santa-Anna, réussit à surprendre à San-Jacinto l’avant-garde mexicaine, la dispersa, et fit Santa-Anna prisonnier. On a constaté ce fait : c’est que, dans les troupes qui combattirent sous les ordres de Houston à San-Jacinto, il n’y avait que trente-sept Texiens ; le reste était des volontaires américains. On remarqua aussi que Houston dépêcha immédiatement un courrier particulier au général Jackson, et lorsque ce courrier arriva à Washington, quoiqu’il fût plus de minuit on le conduisit au président, que l’on réveilla exprès.

Cependant le gros de l’armée mexicaine n’avait pas été entamé, elle comptait encore à peu près dix mille hommes, et était plus que suffisante pour réduire les insurgés, lorsque le général Jackson prit une mesure qui sauva le Texas. Cette mesure lui a été souvent reprochée, et elle est une tache dans sa vie politique, car elle est empreinte d’un caractère de duplicité indigne du chef d’un grand gouvernement. Il prétexta que les Indiens pouvaient profiter des troubles du Texas pour faire des courses sur la frontière, et expédia au général Gaines l’ordre de marcher avec un corps de troupes pour faire respecter le territoire américain, mais Gaines, qui avait des instructions secrètes, ne s’arrêta pas à la frontière : il la franchit avec ses troupes et s’avança jusqu’a la ville de Nacogdoches, a soixante-quinze milles dans l’intérieur du Texas. Il y établit son quartier-général et s’y retrancha. En même temps il laissait passer sans obstacle, par centaines et par milliers, les volontaires et les corps organisés qui se rendaient des États-Unis au Texas, et même deux cents hommes de ses troupes trouvèrent moyen de déserter avec armes et bagages, et d’aller rejoindre avec leur uniforme l’armée texienne. Aussi l’envoyé mexicain indigné quitta Washington, et de toutes parts le bruit se répandit au Texas que les États-Unis se déclaraient contre le Mexique. Samuel Houston annonçait par une proclamation qu’il était appuyé par la plus haute autorité des États-Unis. Le général Jackson n’eût sans doute jamais osé donner aux troupes américaines l’ordre d’attaquer l’armée mexicaine ; mais il était bien aise de le faire craindre, certain que l’effet moral produit par la marche de Gaines suffirait pour sauver le Texas. En effet, les Mexicains, qui connaissaient le peu de délicatesse politique de leurs puissans voisins, s’alarmèrent de l’approche des troupes américaines, et s’arrêtèrent fort indécis ; puis, les troubles ayant recommencé au Mexique, l’armée ne tarda pas à se disperser et à laisser le champ libre aux Texiens.

Le général Jackson venait de rendre un immense service aux insurgés : il ne s’en tint pas là. Quoique ses fonctions dussent expirer dans cinq ou six semaines, il trouva encore moyen d’employer ce temps utilement pour l’œuvre commune. Après avoir arraché le Texas au Mexique, il fallait préparer l’annexation de son territoire aux États-Unis en faisant reconnaître l’indépendance des Texiens. Le président eut encore recours à la ruse. Il commença par adresser au congrès un message où il déclarait que la délicatesse ne permettait pas aux États-Unis de reconnaître le Texas comme un état indépendant, sans faire une injustice au Mexique. Cependant, quelques jours après, il fit ajouter au budget des affaires étrangères, par un amendement, une légère somme dans le cas où il deviendrait nécessaire d’avoir un envoyé auprès du gouvernement texien. Quand cette somme eut été votée, il paraît que ce cas si éloigné en apparence se présenta immédiatement, car le président crut devoir nommer un envoyé au Texas trois jours avant l’expiration de sa magistrature. C’est le dernier acte officiel qu’il ait signé : il léguait à son successeur et à son ami, M. Van Buren, le soin d’annexer le Texas aux États-Unis. C’est ainsi que Jackson atteignit presque le but qu’il s’était proposé en arrivant au pouvoir, et que se trouva à peu près réalisée la prédiction que lui faisait, six mois auparavant, M. Butler, que son administration ne se terminerait pas sans qu’il vît le Texas au pouvoir des États-Unis.

Les faits que nous venons de rappeler prouvent assez clairement que la séparation du Texas d’avec le Mexique a été l’œuvre des Américains du sud, et qu’elle a été singulièrement aidée par la connivence, pour ne pas dire la complicité, du gouvernement des États-Unis. Un passage remarquable de la circulaire adressée en septembre 1842 par le vénérable J. Quincy Adams à ses commettans montre quelle est l’opinion d’un grand nombre d’Américains à ce sujet. « La politique de l’administration de Jackson envers le Mexique, dit M. Adams, est digne de Machiavel. De perpétuelles négociations pour des traités qui ne devaient jamais être exécutés ont été combinées avec des instances continuelles pour obtenir la cession du Texas. En même temps, le Texas lui-même était poussé à la révolte contre le Mexique, et il a fini par lever la bannière de l’indépendance sous les auspices d’un officier tennessien, d’un commandant militaire qui avait Jackson pour ami et pour patron, qui s’était expatrié dans le but d’accomplir cette révolution et l’a accomplie en effet. Les États-Unis ont reconnu l’indépendance du Texas, mais la manière dont on a obtenu cette reconnaissance est un commentaire lumineux de l’amitié et de la bienveillance dont nous avons si orgueilleusement fait parade envers le Mexique. »

C’était à M. Van Buren de terminer l’œuvre menée si loin par le général Jackson. Dès l’année suivante, le Texas demanda à être incorporé aux États-Unis, et envoya à Washington M. Memucan Hunt pour ouvrir des négociations à ce sujet avec M. Forsyth, secrétaire d’état. M. Hunt proposait l’union pure et simple des deux peuples, mais à une seule condition qu’il faut remarquer, c’est que les Texiens conserveraient leur autorité pleine et incontestée sur leur population esclave. Les états du nord, qui avaient été fort irrités de la conduite du général Jackson dans toute cette affaire du Texas et avaient souvent protesté, élevèrent aussitôt la voix. Ce fut une réclamation universelle ; les législatures des états d’Ohio, de Rhode-Island et de Massachusetts, par des votes solennels, se déclarèrent ouvertement opposées à l’annexation, et le parti whig tout entier se prononça nettement contre la mesure. M. Webster prononça à New-York, dans une réunion de citoyens, un discours contre l’annexation qui fut fort applaudi. Quand la question fut portée incidemment devant le sénat, M. J. Quincy Adams se signala par l’énergie avec laquelle il combattit d’avance tout projet d’annexation. Son discours, qui remplit plusieurs séances et devint le programme du parti whig, fut, selon l’expression des journalistes américains, un coup de massue pour l’hydre de l’annexation. Enfin, le meilleur écrivain de l’Amérique après Washington Irving, le docteur Channing, publia, sous la forme d’une lettre adressée à M. Clay, une brochure qui eut le plus grand retentissement. M. Van Buren était loin d’avoir l’opiniâtreté de son prédécesseur ; c’est un esprit souple et adroit qui aimait mieux tourner les obstacles que les surmonter. À peine au pouvoir, il se sentait déjà ébranlé, sa majorité dans les chambres diminuait chaque jour ; il fut effrayé de ce concert de protestations, et n’osa affronter l’opposition des états du nord. D’ailleurs le Mexique avait protesté contre la reconnaissance de la république du Texas, et en même temps il avait offert une satisfaction raisonnable pour tous les griefs dont le général Jackson avait poursuivi en vain le redressement. Il n’y avait donc aucun prétexte légitime de se jeter dans une guerre contre le Mexique, il fallait avouer qu’on voulait avoir le Texas à tout prix, et cela au moment où le congrès était convoqué extraordinairement pour rétablir le crédit de l’Union. M. Van Buren, qui rencontrait une opposition très vive à ses mesures financières, ne voulut pas se mettre sur les bras un embarras de plus ; il refusa les offres du Texas, en donnant pour raison que le gouvernement mexicain pourrait considérer l’annexation comme équivalant à une déclaration de guerre. Le gouvernement texien ne tarda pas d’ailleurs à rompre officiellement la négociation. Il obtint successivement d’être reconnu par la France, par l’Angleterre, et par la plupart des puissances européennes : il sembla se résigner à son existence indépendante, et la question de l’annexation parut définitivement résolue contre les vœux des états du sud.

II.

Maintenant, comment cette question a-t-elle été soulevée de nouveau, et pourquoi va-t-elle décider sans doute de l’élection du président ? C’est ce qu’on ne peut faire comprendre sans entrer dans quelques explications sur la situation respective des partis aux États-Unis. Personne n’ignore que l’Union s’est trouvée, dès l’origine, divisée en deux grands partis, les fédéralistes et les démocrates : les premiers, ayant pour but de fortifier, autant que possible, le gouvernement central, et de changer peu à peu les états particuliers en de véritables provinces, afin de ne faire de toute l’Union qu’un seul corps, une seule nation ; les autres, au contraire, cherchant à affaiblir, autant que possible, l’autorité du congrès au profit des états particuliers. Dans le premier parti se rangèrent tous les grands hommes de la révolution, Washington, Hamilton, Jay, J. Adams ; mais la mort de Washington fut pour les fédéralistes un coup mortel. L’opinion démocratique arriva au pouvoir avec Jefferson, et ne s’en dessaisit plus. Le parti opposé, tenu long-temps loin du pouvoir, se décomposa et cessa, à vrai dire, d’exister. Cependant les restes du parti fédéraliste, joints aux mécontens, à tous ceux qui trouvaient que les démocrates allaient trop loin, réussirent, en 1824, à porter John Quincy Adams à la présidence. Ce ne fut qu’un triomphe éphémère ; M. Adams ne put obtenir une seconde élection ; il fut renversé par le général Jackson et, depuis 1828, il n’est plus question du parti fédéraliste. Ceux même qui en ont conservé les opinions, M. Adams, M. Channing, se gardent bien de prendre un nom impopulaire et condamné par de trop nombreuses défaites. Toutefois, au moment de la victoire, une scission s’opéra dans le parti vainqueur : beaucoup pensèrent qu’on avait dépassé plutôt qu’atteint le but ; que le gouvernement fédéral, loin de pouvoir porter ombrage à l’indépendance des états particuliers, avait à peine la force suffisante pour gouverner l’Union, et que, si on relâchait encore ces liens si faibles, on arriverait à une dissolution presque immédiate. Ceux-ci voulurent garder ce qu’on avait conquis, mais ne pas faire un pas de plus : de là la naissance du parti conservateur ou whig, comme on l’appelle maintenant. Dès les premiers jours de son existence, ce parti se recruta des débris des fédéralistes, et c’est dans leurs rangs qu’il prit ses chefs, M. J. Q. Adams et M. Clay : son plus grand orateur, M. Daniel Webster, n’est entré dans la carrière politique que depuis l’apparition des whigs. Les démocrates, malgré cette séparation, n’en restèrent pas moins un parti puissant : ils gardèrent leur nom, quoiqu’ils soient divisés en deux sections, les démocrates purs et les locofocos ou nullificateurs, et ils sont demeurés maîtres du terrain, quoique évidemment en minorité dans l’Union. Mais ceci tient à d’autres causes qui veulent être signalées.

Aux États-Unis, les partis se subordonnent aux divisions territoriales, et c’est là le grand danger de l’Union ; avant d’être whig ou démocrate, on est homme du nord ou du sud : l’antipathie est extrême, parce que les intérêts sont fort différens, sinon tout-à-fait opposés. À l’origine de l’Union, presque tous les états avaient des esclaves ; tous se livraient à l’agriculture, presque aucun ne s’occupait de commerce ou d’industrie. Les états du sud, favorisés par la nature de leur sol et par le climat, avaient une grande supériorité sur les autres : aussi la Virginie exerça-t-elle quelque temps une influence prédominante. Tout a bien changé par suite du développement de l’Union. Les états issus de la Nouvelle-Angleterre, où l’esclavage n’a jamais existé, ne l’ont pas reconnu comme institution, ou même l’ont proscrit. Les états limitrophes ont suivi cet exemple, soit qu’ils subissent l’influence du voisinage ou celle du grand mouvement philanthropique donné par Wilberforce, soit parce que la nature de leur climat et de leurs cultures rend le travail esclave moins avantageux, soit enfin par l’impossibilité où se trouve le travail esclave de soutenir la concurrence avec le travail libre. Il en est résulté que le flot de l’émigration s’est surtout dirigé vers ces états, parce que le blanc ne travaille pas là où le travail est la marque de la servitude, et que les émigrans ont presque tous besoin pour vivre d’un salaire journalier. La population du nord a dépassé rapidement celle du midi. Le nord s’est livré au commerce et à la navigation ; il est devenu l’intermédiaire commercial de tous les peuples sans marine ; enfin, surtout depuis la guerre de 1812, il s’est fait fabricant et manufacturier.

Les états du sud sont encore ce qu’ils étaient au temps de la révolution. La nature leur ayant refusé des ports sur une côte aride et dangereuse, exposée à tous les vents, ils n’ont pu se livrer au commerce, et se sont tournés de plus en plus vers l’agriculture. La culture du tabac, du coton, de la canne, qui demande des soins perpétuels et minutieux, a rendu chez eux le travail des esclaves plus avantageux qu’il ne l’est au nord ; ce travail est d’ailleurs consacré dans ces états par de longues habitudes. Les Américains du sud s’y sont attachés avec passion, et de là une irritation extrême contre les états du nord, qui, en abolissant chez eux l’esclavage, l’ont indirectement attaqué chez les autres, et qui, par le contact des nègres libres avec les nègres esclaves, ont créé aux hommes du sud un danger immense et de tous les jours. À ce motif d’inimitié est venue se joindre la vanité blessée. Les états du nord, grandissant tous les jours en population et en richesse, n’ont pas tardé à dépasser les états du sud et à leur enlever une supériorité à laquelle ils étaient depuis long-temps habitués ; ceux-ci se sont crus dépouillés par leurs rivaux. Quoique tous les calculs montrent que l’agrandissement des états du sud est hors de proportion avec ce qui se passe en Europe, ceux-ci, ne considérant que le progrès relatif, accusent le nord de s’enrichir à leurs dépens, parce qu’il grandit encore plus vite. L’exploitation et la ruine du sud par le nord, voilà le thème perpétuel de leurs orateurs.

Le développement de l’industrie manufacturière au nord est venu créer une nouvelle cause de séparation et l’une des plus puissantes. Les États-Unis ont été long-temps dans la dépendance de l’Europe pour tous les objets manufacturés, et surtout pour les étoffes ; ils tiraient de la France les étoffes de luxe, les soieries, les velours, et de l’Angleterre les étoffes communes de laine et de coton, en sorte que les planteurs du sud vendaient aux Anglais le coton avec lequel ceux-ci fabriquaient les étoffes qu’allait chercher en Angleterre le commerçant du nord. Mais, depuis la guerre de 1812, les gens du nord, instruits par les émigrans, se sont mis à vouloir fabriquer eux-mêmes ce qu’ils allaient chercher si loin. Ils y ont assez bien réussi ; seulement ils ont demandé au gouvernement général protection contre la concurrence étrangère, et le congrès, accédant à leurs demandes, a établi ce fameux tarif de douanes qui porta un coup très grave à l’industrie française, et qui causa en Angleterre une crise commerciale. L’Angleterre, frappée dans ce qu’elle a de plus sensible, rendit coup pour coup : elle éleva les droits sur les cotons américains, les abaissa sur les autres, et favorisa par tous les moyens la culture du coton dans l’Inde. Aujourd’hui, les cotons de l’Inde entrent pour une proportion très forte dans la fabrication anglaise ; on peut même, par la marche ascendante de ces produits, prévoir le jour où ils occuperont seuls le marché, et viendront peut-être faire concurrence aux cotons américains en France et en Allemagne. Cela est surtout probable, si la compagnie des Indes accepte le traité que lui propose la Chine, et consent à abandonner la culture de l’opium ; ce seront autant de terres que l’on consacrera à la culture du coton. Tout cela a été fait avec la merveilleuse promptitude que met l’Angleterre dans tout ce qui sert ses intérêts commerciaux. L’Inde produisait assez peu de coton ; d’une année à l’autre, par la volonté de la métropole, elle a décuplé sa production pour l’affranchir de toute dépendance vis-à-vis de l’Amérique. Le contre-coup du tarif a donc porté, en définitive, sur les planteurs du sud ; aux faillites de Leeds, de Manchester et de Birmingham ont répondu celles de Baltimore, de Charlestown et de toutes les villes du sud jusqu’à la Nouvelle-Orléans. Aussi, les états du sud sont-ils aussi ardens à demander le rappel du tarif que ceux du nord, et surtout de l’ouest, à en demander le maintien.

On voit quels intérêts séparent le nord du sud ; la division d’intérêts se traduit presque toujours en Amérique par la division politique, et quelquefois elle la domine. Les opinions fédéralistes prédominaient dans le nord, le sud fut démocrate jusqu’à la frénésie. Lors de la décomposition du parti démocratique, les whigs se recrutèrent surtout dans les anciens états fédéralistes et dans les états de l’ouest ; ceux du sud se groupèrent autour du général Jackson, et restèrent ultra-démocrates. L’intérêt territorial s’élève au-dessus des questions politiques ; aussi chaque fois qu’il s’agit d’une mesure commerciale ou financière, ou de la question de l’esclavage, on voit les représentans du sud voter comme un seul homme sans distinction de nuances ni de partis. Il n’en est pas de même pour les états du nord ; la division règne parmi eux. Ceux de l’extrême frontière nord, qui convoitent le Canada comme les états du sud convoitent le Mexique, sont restés profondément démocratiques ; le Maine, le Vermont, le New-Hampshire et une grande partie du New-York ont toujours été et sont encore le foyer des opinions radicales. Cette fraction du parti démocratique forme ce qu’on appelle les démocrates purs. Le sud, au contraire, a exaspéré les tendances du parti, il est devenu locofoco ou nullificateur, et toujours par intérêt de position. Les états du sud avaient protesté dès l’établissement du tarif : loin de tenir compte de leurs plaintes, le congrès, en 1824 et 1828, maintint le droit qu’avait le gouvernement central à établir le nouveau tarif, et en éleva même la taxation. Dans Le sud, on contesta ce droit, on prétendit que les états, n’ayant jamais eu l’intention de se confondre en un seul et même peuple, n’avaient pu aliéner leurs droits de souveraineté, que l’Union était une ligue d’états également souverains et indépendans les uns des autres ; chaque état avait, disait-on, le droit de suspendre ou d’annuler les lois générales contraires à sa constitution particulière. Cette théorie se trouve résumée dans une phrase prononcée devant le congrès de 1833 par le chef des nullificateurs, M. Calhoun : « La constitution, dit-il, est un contrat dans lequel les états ont figuré comme souverains. Or, toutes les fois qu’il intervient un contrat entre des parties qui ne connaissent point de commun arbitre, chacune d’elles retient le droit de juger par elle-même de l’étendue de son obligation. » La désunion des états du nord a rendu à ceux du sud l’avantage que semblaient devoir leur faire perdre la naissance et les rapides progrès du parti whig, et le sud, quoiqu’en minorité, n’en a pas moins continué à diriger l’Union dans la voie la plus favorable à ses intérêts. Il a fait une alliance étroite avec les démocrates du nord, et, par l’appoint de leurs 30 ou 35 voix, il réussit à conserver une faible majorité dans la chambre des représentans : dans le sénat, les deux partis se balancent, le nord et le sud ont chacun 26 voix. Le parti démocratique pur à contracté l’habitude de soutenir la politique des états du sud dans toutes les questions économiques, et il se dédommage du peu de considération dont il jouit dans le nord, en se faisant faire par le sud une large part dans la distribution des emplois fédératifs, dont celui-ci dispose presque toujours par le moyen du président, pris dans son sein. Il est à remarquer en effet que sur cinquante-six années de présidence cette dignité a été quarante-quatre ans entre les mains de citoyens des états à esclaves, et pendant quatre autres années, sous M. Van Buren, elle a été exercée entièrement à leur profit. C’est cette alliance des démocrates du nord avec les nullificateurs qui explique comment un citoyen de l’état de New-York, M. Van Buren, a été porté à la présidence par les hommes du sud, et comment il est encore aujourd’hui le candidat préféré d’un grand nombre d’entre eux.

Du reste, il est à remarquer qu’il se forme depuis quelques années, entre les deux grands partis qui divisent les États-Unis, un parti nouveau dont les progrès sont pour les hommes du sud une cause d’irritation extrême, et en haine duquel ils briseront peut-être l’Union. Ce parti nouveau, qui voudrait se dissimuler encore, s’intitule le tiers-parti, et serait mieux nommé le parti des abolitionnistes. Les hommes de cette opinion se prétendent neutres sur la plupart des questions qui divisent l’Union, et, en réalité, ils les subordonnent toutes à l’abolition de l’esclavage. Ils votent toujours dans le même sens que le parti whig ; mais ils affectent de s’en séparer, afin de lui laisser toute sa liberté d’action, et de ne pas l’envelopper dans leur impopularité ni dans la haine qu’ils inspirent aux hommes du sud. M. Adams, en prenant la direction du tiers-parti, a abdiqué au profit de M. Clay toutes les chances qu’il pouvait avoir d’être élevé de nouveau à la présidence, car son élection serait un signal de guerre civile. En effet, la question de l’esclavage est, après tout, la grande question qui divise les États-Unis ; c’est elle qui met surtout la constitution en péril, car les hommes du sud ont mille fois déclaré qu’ils aimeraient mieux rompre l’Union que de voir le gouvernement central non pas abolir l’esclavage, mais seulement le réglementer. Ils ont fait stipuler dans la constitution que le gouvernement ne se mêlerait jamais de ce qu’ils appellent les institutions particulières du sud, et l’on ferait un volume rien qu’en retraçant leurs exigences et leurs susceptibilités à cet égard. Avec l’appui des démocrates, ils ont été jusqu’à faire décider par le congrès qu’il n’avait point le droit d’abolir ni de modifier l’esclavage dans le district fédéral. Les gens du nord, qui connaissent la violence emportée de leurs compatriotes du sud, et qui aiment sincèrement l’union, leur ont fait toutes sortes de concessions : ils ont poussé la condescendance jusqu’à voter plusieurs fois un article suspensif du règlement du congrès, portant que l’on déposerait sur le bureau, sans les lire et sans en rendre compte, les pétitions pour l’abolition de l’esclavage. C’est alors que le tiers-parti trahit son existence : M. J. Q. Adams protesta contre cette violation du droit de pétition ; au commencement de chaque session, il combattit avec énergie la suspension du règlement, et même, il y a quelques années, le vénérable vieillard, refusant de reconnaître une décision contraire à la constitution, rendit compte, malgré la suspension, d’une pétition contre l’esclavage. Aussitôt le parti démocratique entra en fureur, et, en dépit des efforts des whigs, ne rougit pas de voter un blâme contre un des membres les plus illustres du congrès, contre un ancien président. Depuis ce moment, les hommes du sud suivent avec anxiété les progrès du tiers-parti, et rien n’est plus curieux que les efforts des whigs pour en dissimuler l’existence : ils affectent même de se réunir à leurs adversaires pour voter, à une immense majorité, les mesures que ceux-ci croient devoir réclamer. C’est ainsi qu’on a permis aux Américains du sud de détruire la liberté de la presse au mépris de la constitution fédérale, de suspendre la liberté individuelle, et qu’on a abandonné à la loi de Lynch, c’est-à-dire à la mort, tous ceux qui seraient surpris introduisant dans les états du sud des journaux, livres ou brochures contraires à leurs institutions particulières. D’autres mesures plus odieuses encore, par exemple la loi récente qui permet aux états du sud de faire vendre l’équipage d’un navire qui débarquerait un nègre libre ou emmènerait un nègre esclave, n’ont été emportées par les hommes du sud qu’à la suite d’une lutte très vive et avec l’aide des démocrates du nord. On vit, en plus d’une circonstance, des membres du sud demander l’appel nominal pour s’assurer qu’aucun démocrate ne votait mal. Malgré ces victoires remportées par le sud, le tiers-parti gagne tous les jours du terrain, et il est évident qu’il finira, dans un avenir plus ou moins prochain, par absorber le parti whig. Les nuances politiques tendent à s’effacer en Amérique ; il n’y a pas de différence bien sérieuse entre les whigs et les démocrates. On a vu ceux-ci adopter au besoin les opinions et la conduite de leurs adversaires, et quand la Caroline, en 1832, annula un acte du congrès, le général Jackson agit avec autant de vigueur que l’aurait pu faire M. Clay, ou même M. Adams. Les partis ne subsistent qu’autant qu’ils ont un but bien arrêté et se distinguent par des oppositions bien tranchées. On peut donc prévoir une transformation au sein des partis américains. Si l’Angleterre est destinée à ne plus compter un jour que des radicaux et des conservateurs, l’Union n’aura plus, d’ici à quelques années, que des abolitionistes et des anti-abolitionistes parce que les questions sérieuses sont celles où l’esclavage est engagé. Du reste, le tiers-parti n’aborde pas encore directement l’abolition de l’esclavage : le moment n’est pas venu, et la constitution le défend ; mais on demande, et chaque année le Massachusetts en fait l’objet d’une pétition, un changement dans la base de la représentation. Le nombre des députés de chaque état se règle sur la population, et dans les états du sud trois esclaves comptent comme un citoyen ; on demande que la répartition ne se règle désormais que sur le nombre des hommes libres. Ce changement enlèverait aux états du sud le quart au moins de leurs représentans, et donnerait à ceux du nord une immense majorité. C’est sur cette proposition que le débat s’engagera d’abord, et c’est pour lui ôter toute chance de succès que les états du sud demandent l’annexation du Texas.

La question du Texas semblait ajournée ; les esprits s’en occupaient beaucoup moins que de la question du tarif, qui est chaque année l’objet de débats violens, lorsque, par une manœuvre électorale, M. Tyler, ou plutôt M. Calhoun, son principal ministre, est venu la ranimer tout à coup et en brusquer la décision par un commencement d’exécution : cette manœuvre a jeté la perturbation dans les deux grands partis qui se disputent le gouvernement de l’Union. M. Tyler est Virginien et propriétaire d’esclaves, il est donc personnellement intéressé à l’annexation du Texas, et il la préparait en secret, à petit bruit ; il n’aurait point osé porter la question devant le congrès sans l’arrivée de M. Calhoun au ministère. Entraîné par celui-ci, il a changé de méthode, il a agi à ciel ouvert, et il s’est assez habilement servi de cette question, afin de rallier à l’appui de sa candidature tous les Américains de l’un et de l’autre parti, pour qui le maintien perpétuel de l’esclavage passe avant tout autre intérêt. M. Tyler recueillera-t-il lui-même le fruit de cette manœuvre ? C’est ce qui dépend de M. Calhoun.

M. Calhoun ambitionne la présidence depuis vingt ans. Son immense talent, l’élévation de son caractère, ses vertus privées, et le patriotisme qu’il déploya lors de la lutte contre l’Angleterre en 1812, l’en rendraient digne. Avec moins d’impatience, il y serait arrivé déjà, à la suite de M. Adams ou du général Jackson. Porté à la vice-présidence par les mêmes voix qui avaient donné la présidence à M. Adams, il touchait au but ; mais il crut voir, et devait voir en effet, un rival dangereux dans M. Clay, à qui M. Adams avait confié le département des affaires étrangères, et, sans autre motif qui pût le justifier, il se jeta dans le parti de l’opposition, qui se composait alors des débris de l’ancien parti démocratique, ralliés autour de l’immense popularité qui s’attachait au nom de Jackson. M. Calhoun, orateur et homme d’état éminent, d’une intégrité au-dessus de tout soupçon, avait peu d’estime pour la capacité et le caractère du général Jackson ; il se rattachait au parti du général, parce que Jackson était l’ennemi déclaré et acharné de M. Clay. Si la coalition qui le portait à la présidence prévalait, M. Clay disparaissait des abords du pouvoir, et l’expérience et les talens de M. Calhoun allégeraient pour le vieux général le poids des affaires. M. Calhoun éprouva un nouveau mécompte. Le parti jacksoniste l’emporta, il est vrai ; mais le caractère dominateur et arbitraire du nouveau président s’accommoda bien mieux de la souplesse un peu servile de son premier ministre, M. Van Buren, que des principes arrêtés et de la fermeté de son vice-président, M. Calhoun. Celui-ci d’ailleurs, avec un vif sentiment de sa dignité personnelle, était d’un caractère aussi impérieux et dominateur que le général Jackson, et, avec la conscience de son immense supériorité intellectuelle, il prétendait assez ouvertement à la suprême direction des affaires. Jackson inclina donc de plus en plus vers M. Van Buren, et finit par s’abandonner tout entier à lui : la succession sur laquelle M. Calhoun avait compté lui échappait encore une fois. Il rompit d’une manière éclatante avec le général Jackson et se jeta dans l’opposition, où, tout en combattant pour son propre compte, il se trouva, côte à côte avec M. Clay et M. Webster. Cette coalition des plus grands talens du congrès fut fatale à M. Van Buren, et le fit tomber de la présidence. Il y avait eu trêve de rivalités personnelles pour opposer à M. Van Buren, dans la personne du général Harrison, une popularité acquise sur les champs de bataille ; mais ce qui avait été élevé par l’épée tomba par l’épée : à peine en possession du pouvoir, le général Harrison mourut, et un homme assez insignifiant, et qui pour cela même avait été porté à la vice-présidence, M. Tyler, se trouva tout à coup à la tête des affaires.

Le principal souci de tout président, c’est d’assurer sa réélection. M. Tyler, arrivé à la vice-présidence surtout avec l’appui et par la permission des whigs, et sans influence personnelle dans aucun parti, ne pouvait espérer sa réélection qu’autant qu’il serait adopté comme candidat par un des deux grands partis de l’Union. Il lui fallait donc se laisser diriger entièrement par M. Clay, afin de conserver l’appui des whigs ; mais M. Clay, chef de ce parti depuis longues années, et tenant entre ses mains le sort de M. Tyler, se résignerait-il à attendre quatre années encore, ou n’aimerait-il pas mieux, à difficulté égale, prendre le pouvoir pour lui-même que le donner à un autre ? M. Tyler le craignit : il chercha à séparer M. Clay de ses amis et à se substituer à lui dans la direction du parti whig. Malgré l’influence que lui donnait sa position, M. Tyler échoua dans sa tentative : il ne put réussir à conserver dans le cabinet qu’un seul ministre whig, M. Webster ; mais ni le concours de M. Webster, ni le traité Ashburton, ne gagnèrent à M. Tyler le parti whig, qui resta fidèle à M. Clay. M. Tyler d’ailleurs, homme du sud de naissance et d’éducation, ne pouvait se dépouiller de toutes les opinions, de tous les préjugés, de tous les vœux même de ses compatriotes : la marche qu’il suivit dans les questions financières, et son désir d’acquérir le Texas, le montraient assez. Au bout de dix-huit mois, M. Webster quitta le ministère et rentra dans le parti whig, au moment où celui-ci commençait à faire une opposition assez vive au président. M. Tyler, repoussé de ce côté, songea alors à s’attacher le parti démocratique. Ses amis de la Virginie, qu’il avait appelés avec lui au pouvoir, M. Wise, M. Gilmer, M. Upshur, appartenaient à ce parti. Son opinion sur la banque était celle des démocrates ; tout semblait l’en rapprocher. Le ministère fut donc modifié dans ce sens, et M. Tyler crut ne pouvoir mieux sonder le terrain qu’en remettant sur le tapis la question du Texas. On le savait partisan décidé de l’annexation ; c’était aussi le rêve favori de M. Upshur, successeur de M. Webster ; toutefois ce ne fut pas sans surprise qu’on vit paraître, le 10 janvier 1843, dans un journal semi-officiel, une lettre de M. Gilmer, sénateur de Virginie, sur l’annexation du Texas. M. Gilmer se déclarait partisan décidé de la mesure, et concluait qu’elle devait être accomplie immédiatement ou pas du tout (to be done soon or not at all). Une pareille démarche d’un homme étroitement lié avec le président parut une avance faite par celui-ci aux hommes du sud, et toute la presse des états à esclaves l’accueillit avec faveur. M. Walker, sénateur du Mississipi, ne tarda pas à publier, en réponse à M. Gilmer, un essai où il examinait les moyens d’annexer le Texas à l’Union, et prouvait la légalité de cette mesure. Alors la presse officielle rompit le silence, et se déclara en faveur de l’annexation. C’était jeter le masque ouvertement et se tourner tout-à-fait du côté du parti démocratique. Cependant les efforts de M. Tyler n’avaient pas eu grand succès ; on avait accueilli ses avances avec reconnaissance : c’était tout. Il avait bien trouvé parmi les démocrates des gens disposés à accepter des emplois ; mais ils venaient seuls, sans lui apporter d’autre appui que leurs personnes, et la masse du parti démocratique restait groupée autour de M. Van Buren. Malgré son échec antérieur, celui-ci l’emportait encore de beaucoup en influence sur M. Calhoun, qui n’avait de crédit réel que parmi les nullificateurs. M. Tyler, ayant conçu le projet de rallier à lui le parti démocratique, résolut de profiter de la rivalité qui séparait MM. Van Buren et Calhoun, et quand la mort inopinée de M. Upshur laissa vacante la place de ministre des affaires étrangères, ce fut M. Calhoun qu’il y appela.

M. Calhoun, en arrivant aux affaires, y apporta cette promptitude et cette décision qui sont les traits distinctifs de son caractère ; il démontra au président que le temps des incertitudes et des demi-mesures était passé ; qu’en présence de la masse du parti whig, si compacte et si bien unie, et du parti démocratique entièrement désorganisé et livré à l’anarchie, il n’y avait de salut possible qu’en changeant de terrain. Poser la question entre les whigs et les démocrates, c’était aller au-devant d’une défaite : mieux valait mettre aux prises le nord et le sud, car, en ralliant fortement tous les anti-abolitionistes, tous les timides, tous ceux qui ont un intérêt quelconque à voir accomplir l’annexation, on avait des chances de gagner la bataille. Pour cela, il fallait payer de promptitude et d’audace ; en se prononçant franchement pour l’annexation, on ne perdait rien, et on avait l’honneur de l’initiative aux yeux des partisans de la mesure ; on obligeait ensuite M. Clay et M. Van Buren à se prononcer pour ou contre, et ils ne le pouvaient faire sans perdre des partisans dans l’une ou l’autre alternative. En quelques jours, un traité fut conclu, signé avec le Texas et porté aussitôt au sénat avec un message rédigé évidemment par M. Calhoun[3]. Dans ce message le président, se conformant au langage de ceux qui ont toujours demandé l’annexation, prétend que les États-Unis ne font que reprendre un territoire qui leur appartient en vertu de la cession faite par la France de la Louisiane en 1803. Il fait remarquer que la population du Texas est sortie presque tout entière des États-Unis, qu’elle en aime et qu’elle en conserve les mœurs et les institutions. Puis, après avoir parlé de la fertilité et de la richesse du Texas, il fait un magnifique tableau des avantages que l’annexation procurera à toute l’Union : les états de l’est verront se développer leur commerce maritime ; les états de l’ouest trouveront dans le Texas un immense marché ouvert aux produits de leur industrie et de leur sol ; les états du sud y gagneront en sécurité. Et ce ne sont encore, pour le président, que des raisons d’une importance secondaire : le Texas a besoin de l’appui d’une puissance étrangère ; il s’est plusieurs fois adressé aux États-Unis, il faut craindre de le pousser à bout par des refus obstinés qui pourraient lui inspirer l’idée de chercher appui ailleurs, et l’obliger à contracter de dangereuses alliances. Le président insiste, avant tout, sur le cas où une puissance étrangère, c’est-à-dire l’Angleterre, viendrait à se ranger du côté du Texas ; il établit le droit qu’a le Texas d’abdiquer son indépendance, et celui qu’ont les États-Unis d’en accepter la souveraineté. Le passage le plus curieux est celui où il est question du Mexique, et où il est fait allusion à l’Angleterre : « Quant au Mexique, le pouvoir exécutif est disposé à adopter envers lui une conduite conciliante… Il n’a pas le moindre désir d’humilier le Mexique, ni de lui faire aucun tort ; mais en même temps il ne peut compromettre par un délai les intérêts essentiels des États-Unis. Le Mexique n’a aucun droit à exiger ou à attendre pareille chose : nous traitons légitimement avec le Texas comme avec une puissance indépendante. La guerre, qui s’est prolongée pendant huit ans, n’a abouti qu’à convaincre tout le monde, excepté le Mexique, que le Texas ne pouvait être reconquis. Il est temps que cette guerre cesse. Le gouvernement, quoiqu’il la vît se prolonger avec un extrême déplaisir, a observé jusqu’ici la plus stricte neutralité. Il n’ignorait pas cependant l’épuisement produit par une aussi longue guerre. Il ignorait encore moins les efforts faits par d’autres puissances pour engager le Mexique à se réconcilier avec le Texas à des conditions qui, en modifiant les institutions particulières du Texas, réagiraient d’une manière fâcheuse sur les États-Unis, et pourraient menacer sérieusement l’existence de cette heureuse union. Il n’ignorait pas non plus que, quoique les gouvernemens étrangers pussent désavouer toute intention de détruire les analogies qui existent entre la constitution du Texas et celle des États-Unis, cependant l’un d’entre eux, et le plus puissant de tous, n’a pas hésité à déclarer son opposition bien décidée à la plus remarquable de ces analogies, et son intention d’user de toutes les occasions favorables pour conseiller au Mexique d’adopter, comme base de ses négociations avec le Texas, l’abolition de cette particularité de ses institutions domestiques, et d’en faire une des conditions de la reconnaissance d’indépendance. »

Après cette allusion détournée à l’existence de l’esclavage au Texas, le président récapitule les motifs qui ont déterminé sa conduite, et il insiste encore sur ce point, que les États-Unis n’ont d’autre alternative que d’accepter le Texas, ou de le voir se jeter dans les bras d’une autre puissance, c’est-à-dire de l’Angleterre. Quant au passage que nous venons de citer, ce qui le rend remarquable, ce sont les allusions qu’il contient à une dépêche de lord Aberdeen. À la fin de l’année dernière, le bruit se répandit que l’Angleterre cherchait à acquérir le Texas, et le prédécesseur de M. Calhoun, M. Upshur, crut devoir demander à ce sujet des explications au ministre anglais, M. Pakenham, qui lui transmit en réponse une note datée du 26 décembre 1843, dont voici les points principaux : « … La Grande-Bretagne a reconnu l’indépendance du Texas, et par suite elle désire voir cette indépendance définitivement et formellement reconnue, surtout par le Mexique… Nous sommes convaincus que la reconnaissance du Texas par le Mexique tournera à l’avantage des deux pays, et comme nous prenons intérêt à la prospérité de tous deux, et à leur rapide accroissement en puissance et en richesse, nous avons été des premiers à presser le gouvernement mexicain de reconnaître l’indépendance du Texas. Quant au Texas, nous avouons notre désir d’y voir l’esclavage aboli comme partout ailleurs, et nous serions heureux si la reconnaissance de ce pays par le Mexique était accompagnée d’un engagement pris par le Texas d’abolir l’esclavage à tout évènement, et à des conditions convenables, dans toute l’étendue de la république ; mais quoique nous ayons le désir ardent, et que nous regardions comme un devoir de provoquer un semblable résultat, nous n’irons pas, contre tout droit, et par une usurpation déplacée d’influence, intervenir auprès d’aucune des deux parties pour assurer l’adoption d’un pareil plan. Nous conseillerons, mais nous ne chercherons ni à contraindre ni à contrôler, contre tout droit, la conduite d’aucune des deux parties… La Grande-Bretagne ne désire exercer sur le Texas qu’une influence égale à celle de toutes les autres nations. Ses vues se bornent au commerce, elle n’a ni la pensée ni l’intention de chercher à agir directement ou indirectement, dans un but politique, sur les États-Unis au moyen du Texas. La Grande-Bretagne, comme les États-Unis le savent bien, n’a jamais cherché à jeter des germes de désaffection ni de révolte dans les états à esclaves de l’Union… Nous resterons fidèles à cette sage et juste politique, et les gouvernemens des états à esclaves peuvent être certains que, tout en ne renonçant point aux efforts loyaux et honnêtes que nous avons toujours faits pour procurer l’abolition de l’esclavage dans le monde entier, nous ne prendrons jamais ni ouvertement ni en secret aucune mesure qui tende à troubler leur tranquillité intérieure. »

Ce n’était pas assez pour M. Calhoun d’avoir signé et fait présenter au congrès un traité d’annexation ; il fallait, pour atteindre le but politique qu’il se proposait, que chacun sût bien positivement que le traité n’avait été conclu que dans les intérêts des états du sud, et pour affermir l’esclavage aux États-Unis. De cette façon, la question était bien nettement posée entre le nord et le sud, entre les abolitionistes et les possesseurs d’esclaves. C’était un défi audacieux jeté aux adversaires, et en même temps un appel désespéré à tous les partisans de l’esclavage. La dépêche de lord Aberdeen fournissait à M. Calhoun une occasion naturelle d’expliquer d’une façon bien nette les motifs de sa conduite. Dans le message envoyé à un congrès où les whigs avaient la majorité, on avait dû se contenter d’insinuations pour ne pas blesser ou alarmer ceux que l’on voulait gagner. En s’adressant à un ministre étranger, le gouvernement pouvait faire connaître clairement sa pensée. D’ailleurs lord Aberdeen, malgré le ton modéré et conciliant de sa dépêche, avait avoué ou plutôt annoncé un projet qui ne tendait en réalité qu’à faire avorter indirectement le projet du gouvernement américain, et à rendre inutiles tous ses torts passés. Si le Texas devait abolir l’esclavage, autant aurait valu le laisser au Mexique. M. Calhoun a donc pu, dans sa réponse à lord Aberdeen, montrer une parfaite franchise. Il avoue que c’est par opposition à la propagande abolitoniste de l’Angleterre que le traité a été conclu ; et après avoir remercié le gouvernement anglais de l’assurance qu’il donne de ne chercher jamais à troubler la paix des états à esclaves, il continue ainsi : « Le gouvernement attache la plus haute importance à l’aveu qui lui est fait pour la première fois, que la Grande-Bretagne appelle de ses vœux et secondera de ses constans efforts l’abolition générale de l’esclavage dans tout l’univers. Tant que la Grande-Bretagne a borné sa politique à l’abolition de l’esclavage dans ses propres possessions et dans ses colonies, aucune nation n’a eu droit de s’en plaindre… Mais quand elle va plus loin et qu’elle avoue comme le but arrêté de sa politique et l’objet de ses constans efforts l’abolition de l’esclavage dans le monde entier, elle fait aux autres pays, dont le salut ou la prospérité sont mis en péril par cette politique, un devoir d’adopter telles mesures qu’ils jugeront nécessaires pour la protection de leurs intérêts. Le président des États-Unis attache une importance bien plus grande encore à l’aveu fait par lord Aberdeen, du désir qu’entretient la Grande-Bretagne de voir l’esclavage aboli au Texas, et des efforts de sa diplomatie pour y parvenir, en faisant de cette abolition une des conditions auxquelles son indépendance serait reconnue par le Mexique… Il a acquis la conviction bien arrêtée que, dans le cas où le Texas ne saurait empêcher la réalisation des vœux de la Grande-Bretagne, il en résulterait du péril pour le salut et la prospérité de l’Union. Cette conviction acquise, c’était un devoir impérieux pour le gouvernement fédéral, le représentant et le commun protecteur des états de l’Union, d’adopter en vue de la défense générale les mesures les plus efficaces pour empêcher un pareil résultat. »

Après avoir énuméré les dangers que courrait l’Union si le Texas était soumis à l’influence de l’Angleterre, et établi le droit du Texas et des États-Unis à signer le traité d’annexation, M. Calhoun aborde avec la même franchise la question de l’esclavage, et il essaie de prouver, par des chiffres d’une exactitude fort contestée, que la liberté est plus fatale aux noirs que la servitude, et qu’elle a pour conséquence leur dégradation physique et morale ; puis il conclut sans hésiter de la façon suivante : « L’expérience a prouvé que les rapports existant actuellement dans les états à esclaves entre le blanc et le noir, et d’après lesquels l’un est soumis à l’autre, s’accordent bien avec la paix et le salut de tous deux, et avec un grand développement de bonheur pour la race inférieure ; et cette même expérience a prouvé que les relations que la Grande-Bretagne cherche à substituer aux anciens rapports dans ce pays et ailleurs auraient pour résultat, sinon de faire disparaître la race inférieure par les complots auxquels elles donneraient naissance, au moins de la réduire aux dernières extrémités de la corruption et du malheur. En envisageant ainsi la question, on peut assurer que ce qu’on appelle l’esclavage est en réalité une institution politique essentielle à la paix, à la sûreté et à la prospérité des états de l’Union dans lesquels elle existe. »

Il est impossible d’être plus clair et plus net, et le parti démocratique dans ses plus mauvais jours, alors qu’il massacrait l’infortuné Lovejoy et qu’il ensanglantait les rues de New-York et de Boston, est rarement allé aussi loin que M. Calhoun : les organes les plus exaltés de ce parti faisaient appel aux passions populaires, mais je ne sais si l’on trouverait dans leurs colonnes une apologie aussi audacieuse et aussi calme de l’esclavage. Ce n’est même pas une apologie, c’est la glorification d’un crime anti-social. Malheureusement ces principes sont devenus prédominans dans le sud, et le code de Lynch y ferme la bouche à tout contradicteur. S’il arrive que, par des concessions de places, et en invoquant une alliance consacrée depuis longues années et cimentée par la communauté de principes, M. Calhoun réussisse à enlever à M. Van Buren l’appui des démocrates du nord, il pourra devenir président ou faire élire M. Tyler, ce qui reviendrait au même. En effet, en associant le nom de M. Tyler au sien dans sa lettre à lord Aberdeen, M. Calhoun lui a fait passer le Rubicon ; le président ne peut se séparer de M. Calhoun sans se condamner à un entier isolement et ruiner ce qu’il peut conserver d’espérances. En attendant, M. Calhoun a déjà obtenu le résultat qu’il avait en vue, celui de placer dans une position fausse et de compromettre vis-à-vis d’une partie de leurs amis les deux hommes qui avaient le plus de chances d’être élus, M. Van Buren et M. Clay.

Les whigs ont pour M. Van Buren une haine qui n’a d’égale que leur mépris ; cela se comprend jusqu’à un certain point de la part d’adversaires politiques ; malheureusement pour M. Van Buren, il ne jouit pas non plus d’une très grande considération dans son propre parti. On lui reproche surtout de manquer de principes arrêtés, ou plutôt de n’en avoir pas du tout, et de se laisser guider en tout par une ambition effrénée et peu scrupuleuse. Sa vie politique a été d’une mobilité extrême : il a débuté dans le parti démocratique sous les auspices de Madison, et le quitta bientôt pour Clinton, son antagoniste, qu’il abandonna à son tour. Plus tard, on le vit hésiter entre M. Adams et M. Jackson, et c’est quand il eut perdu tout espoir d’arriver jamais au premier rang dans le parti whig, qu’il se décida pour le général Jackson, auprès duquel sa souplesse, sa flexibilité, ses flatteries, lui donnèrent un avantage marqué sur M. Calhoun. C’est un homme froid, impassible et dissimulé, mais qui sait devenir caressant au besoin, d’un talent de parole assez remarquable, d’un esprit délié et fécond en ressources, mais porté vers les moyens détournés, et connaissant à fond toute la stratégie parlementaire. Ses doctrines politiques n’ont rien de tranché, il n’est point partisan décidé de l’esclavage, son opinion est subordonnée aux besoins du moment. C’est ainsi qu’en 1836, lorsqu’il fut appelé comme vice-président à départager le sénat au sujet de l’admission de l’Arkansas, il vota, quoique d’avis contraire, pour l’admission, afin de ne pas perdre les suffrages du sud, qui le portait alors à la présidence, et maintenant il se déclare contre le sud.

M. Clay est tout l’opposé de M. Van Buren. Sans parens, sans amis, il a refait deux fois sa fortune, et n’a jamais interrompu sa carrière politique. Depuis vingt ans, il est au premier rang dans le parti whig, il combat sans relâche et sans faire jamais la moindre concession. C’est un esprit entreprenant et sagace, un caractère énergique et décidé. Il a les défauts de ses qualités, son courage devient quelquefois de la témérité, et sa fermeté de l’obstination ; il a porté jusqu’à la prodigalité la négligence de ses intérêts personnels. Toutefois, par la décision de son caractère, la fécondité de son esprit, sa fidélité scrupuleuse à ses engagemens, et son dévouement entier à ses amis, il est arrivé à exercer sur les whigs un empire absolu : il les mène au combat comme une troupe bien disciplinée, et c’est à lui qu’ils doivent de s’être relevés de leurs défaites. C’est un admirable chef de parti et un orateur éminent : il parle avec une autorité et une chaleur entraînante ; Bolivar faisait lire ses discours devant l’armée chaque fois qu’il livrait bataille. Mais M. Clay est surtout remarquable comme debater, c’est-à-dire comme sachant engager, conduire et soutenir une discussion ; c’est par là qu’il est supérieur à M. Webster lui-même, le plus grand orateur de l’Amérique, mais qui a besoin d’être excité, d’être traîné à la tribune, et saisi d’une émotion profonde pour atteindre à toute la puissance de son talent.

C’est entre ces deux hommes, fort supérieurs tous les deux à M. Tyler, que le débat sérieux pour la présidence se serait engagé, si la question du Texas n’était venue se jeter à la traverse. Aussitôt qu’elle a été soulevée, de toutes parts on a voulu connaître l’opinion des deux candidats, et aucun d’eux ne pouvait se prononcer sans s’exposer à mécontenter une partie de ses amis. M. Van Buren a été élu une première fois par les hommes du sud unis aux démocrates du nord : les hommes du sud sont en grande majorité partisans de l’annexation ; il n’en est pas de même des gens du nord, même des démocrates. Les gens du sud ont fait des concessions aux démocrates pour obtenir l’appoint qui leur donne la majorité ; mais si l’annexation du Texas leur assure la majorité d’ici à quelques années, feront-ils les mêmes concessions à des alliés inutiles ? n’en profiteront-ils pas pour faire rapporter le tarif sans s’inquiéter des manufactures de New-York ou de l’Ohio, ou pour prendre toute autre mesure qui leur conviendra et qui sera fatale à l’industrie du nord ? Si le joug du sud est déjà pesant, ne deviendra-t-il pas bien plus rude, et ne vaut-il pas mieux rester maître d’obtenir toujours une faveur par la menace d’une défection ? Ce sont là les idées qui prédominent parmi les démocrates du nord : ils se résigneraient à l’annexation s’il le fallait absolument, si la cause démocratique ne pouvait être sauvée qu’à ce prix ; mais ils voudraient faire acheter cette concession le plus cher possible, ils la gardent comme un dernier enjeu : l’accorder maintenant leur paraît un sacrifice trop grand et prématuré. M. Van Buren s’est donc trouvé entre ses amis du nord et du sud ; lesquels sacrifier ? Se prononcer pour l’annexation immédiate, c’était perdre l’appui des démocrates de l’Ohio, de la Pensylvanie, peut-être même de New-York, son propre état, et cela pour n’avoir pas même aux yeux des gens du sud, le mérite de l’initiative qui resterait à M. Tyler. En outre, M. Tyler, citoyen de la Virginie, l’emporterait toujours dans cet état sur M. Van Buren ; M. Calhoun, pour les mêmes raisons, dispose des deux Carolines et de la Géorgie. M. Van Buren espérait que, quelle que fût sa décision, l’Alabama lui resterait fidèle, grace à l’influence de M. King, et la Louisiane, grace au général Jackson. Dès-lors il ne restait plus à choisir qu’entre les votes du Mississipi, de l’Arkansas, et ceux des puissans états du nord, l’Ohio, New-York et la Pensylvanie. Le choix n’était pas douteux, et M. Van Buren se détermina enfin à se prononcer avec les états du nord contre l’annexation, mais il hésita long-temps à déclarer ses sentimens. La presse démocratique du nord gardait en général le silence pour ne pas mettre à découvert la désunion du parti, et M. Van Buren se taisait également pour laisser amis et ennemis dans le doute ; seulement, il faisait répandre en Virginie le bruit qu’il était favorable à l’annexation. Les élections de la Virginie ayant tourné contre lui, il s’est décidé enfin : on se lassait de son silence ; ses adversaires s’étaient depuis long-temps prononcés, il était impossible de différer plus long-temps. Le journal officiel du parti démocratique, le Globe du 29 avril 1844, publia une lettre datée du 20, et postérieure par conséquent à la signature du traité. Cette lettre était adressée à M. Hammet, membre du congrès pour l’état du Mississipi, en réponse au désir manifesté par lui de connaître « les opinions de M. Van Buren sur la constitutionalité et la convenance d’annexer immédiatement le Texas aux États-Unis, aussitôt que le Texas aura consenti à cette mesure. » La lettre de M. Van Buren n’occupe pas moins de six colonnes des immenses journaux américains ; aussi n’essaierons-nous même pas d’en rien extraire. Elle est fort habile ; seulement M. Van Buren, selon sa coutume, cherche à dissimuler sa véritable pensée et à ne mécontenter personne. On voit, par le titre même de sa lettre, qu’il affecte de ne pas mettre en doute la convenance de l’annexation elle-même, mais de l’annexation immédiate, et de ne regarder la question que comme une question d’opportunité, et encore, après une longue série d’argumens pour et contre, il arrive à cette conclusion peu précise que, dans certaines éventualités (in certain emergencies), il agirait d’une façon, et suivrait une tout autre conduite dans d’autres circonstances. Au milieu des mille détours et de tous les ambages de ce long verbiage équivoque, on finit par entrevoir que M. Van Buren est opposé à l’annexation immédiate ; mais il pense que l’état des choses peut facilement changer, au point d’affaiblir et peut-être de détruire entièrement toutes les objections (perhaps obviate entirely all objections to it). La principale de ces objections, c’est que l’annexation entraînerait une guerre avec le Mexique, et pourrait jeter la perturbation dans les rapports des États-Unis avec les nations étrangères. Quant à la légitimité constitutionnelle de la mesure, elle ne fait pas pour lui l’ombre d’un doute, « s’il n’y a rien dans la situation ou la condition du territoire du Texas qui puisse rendre désavantageuse son admission ultérieure dans l’Union comme un nouvel état. » Remarquez encore ce mot de territoire, qui est une concession faite à ceux qui regardent déjà le Texas comme une partie de l’Union. M. Van Buren ajoute que, s’il venait à être chargé de la lourde responsabilité de la présidence, et si la question se présentait alors, il l’aborderait avec un sincère désir de lui donner la solution qu’il croirait la plus propre à activer et à assurer le bonheur du pays tout entier. Il croit, en somme, que la question aurait besoin d’être soumise au peuple ; et si le peuple se déclarait pour l’annexation, et que lui-même devînt président, il croirait alors de son devoir d’accomplir la mesure. Rien n’est moins clair, comme on voit, que les six colonnes où M. Van Buren développe ou plutôt enveloppe son opinion. Les adversaires de la mesure trouveront qu’il est beaucoup trop disposé à céder, et son système dilatoire, qui ne repose que sur les motifs allégués avant lui par M. Clay, ne satisfera nullement l’impatience des gens du sud ni les détenteurs des fonds texiens, quelque part qu’ils se trouvent, qui ont intérêt à voir la dette du Texas mise à la charge des États-Unis. M. Van Buren ne contentera ni l’une ni l’autre section de son parti, et s’il conserve ses amis du nord, ceux du sud l’abandonneront pour M. Calhoun ou M. Tyler.

M. Clay est à peu près dans la même position que M. Van Buren. Se déclarer pour l’annexation, c’est perdre l’appui du nord, et ruiner ses propres espérances ; c’est bien plus encore, car M. Clay sacrifierait ses espérances à ses principes, c’est rompre avec son propre parti. D’un autre côté, M. Clay ne peut pas condamner l’annexation en principe et la repousser absolument, parce qu’il n’est point assez fort pour se passer de l’appui du Tenessee et du Kentucky, où il compte ses partisans les plus chauds et les plus actifs, et où la cause texienne a toujours été populaire : c’est de là que sont sortis les premiers colons du Texas, et que sont parties les bandes qui ont enlevé ce pays au Mexique. On avait cherché à lui éviter l’embarras de se prononcer en mettant en avant son lieutenant, M. Webster. Celui-ci, qui n’avait rien à perdre, se déclara très nettement, dès le mois de janvier dernier, contre le principe même de l’annexation, contestant à la fois la légalité et l’utilité de la mesure. Cependant M. Clay est un homme trop loyal et trop sincère pour s’accommoder de la dissimulation, et à la première nouvelle du traité, il fit connaître son opinion par une lettre adressée au National Intelligencer (le Moniteur de l’Amérique). Par les raisons que nous avons données, il n’ose condamner en principe l’annexation, et se retranche, comme son rival, dans un système dilatoire ; mais il est beaucoup plus précis et plus net que M. Van Buren. Il s’excuse de ne s’être pas expliqué plus tôt, à cause de sa longue absence et du désir qu’il avait de ne pas ajouter inutilement un nouveau sujet de fermentation à ceux qui agitaient l’opinion publique ; puis il blâme énergiquement l’espèce de surprise faite au congrès par le gouvernement : « Je savais, dit-il, que les possesseurs de terres au Texas, les détenteurs de fonds texiens, et les spéculateurs sur ces fonds, s’occupaient activement de hâter l’accomplissement de l’annexation. Toutefois je ne croyais pas qu’une administration américaine s’aventurerait jamais jusqu’à une mesure si grave et de si haute conséquence, non-seulement en l’absence d’aucune manifestation générale de l’opinion publique, mais en directe opposition avec l’expression ferme et décidée de la désapprobation nationale. Il paraît que je m’étais trompé. À l’étonnement de toute la nation, on nous apprend maintenant qu’un traité d’annexation vient d’être conclu, et qu’on va le soumettre à l’examen du sénat. Les motifs qui me faisaient garder le silence ne subsistent donc plus, et je crois de mon devoir de soumettre au public, pour ce qu’elles valent, mes vues et mon opinion sur cette question. »

M. Clay ne condamne pas le principe de l’annexation ; mais il voudrait qu’elle pût se réaliser avec l’assentiment général des citoyens, sans faire soupçonner le caractère national, sans provoquer une guerre étrangère, sans danger pour l’intégrité de l’Union, enfin, sans donner pour le Texas un prix déraisonnable. Une concession accompagnée de telles restrictions n’a rien qui puisse alarmer les whigs. M. Clay fait ensuite l’historique de la question, et il établit que l’annexation ne peut avoir lieu sans que les États-Unis assument sur eux la guerre actuelle entre le Texas et le Mexique ; que le président n’a pas le droit d’entraîner ainsi l’Union dans une guerre ; que cette guerre peut être plus dangereuse qu’on ne croit, si le Mexique trouve des alliés en Europe ; enfin, qu’elle serait souverainement injuste, le Mexique n’ayant jamais abandonné ses droits sur le Texas. « Je ne crois pas que la faiblesse d’un pays puisse, dans aucun cas, être pour nous un motif de nous engager dans une guerre ou d’en mépriser les maux. L’honneur, la bonne foi et la justice nous obligent envers les faibles aussi bien qu’envers les forts. Et si un acte d’injustice devait être accompli envers une puissance, il serait plus compatible avec la dignité de la nation, et, à mon sens, moins déshonorant de le commettre envers un état puissant… Supposez que la Grande-Bretagne et la France, ou l’une des deux, prennent parti pour le Mexique, et déclarent dans un manifeste que leur but est d’assister un allié faible et sans appui, pour arrêter l’esprit d’envahissement et l’ambition d’une république déjà trop accrue et qui cherche de nouvelles acquisitions ; de maintenir l’indépendance du Texas à côté de celle des États-Unis ; enfin, d’empêcher la propagation de l’esclavage : — quel serait l’effet de semblables déclarations sur l’opinion du monde impartial et éclairé ? »

M. Clay subordonne donc tout au consentement du Mexique ; puis, en supposant ce consentement obtenu, il fait encore dépendre l’annexation du vœu unanime de la nation : il ne croit pas permis d’ajouter de nouveaux membres à l’Union contre le vœu d’une partie des anciens. Il n’admet pas comme motif légitime la nécessité de maintenir l’équilibre entre les états, car elle justifierait l’envahissement successif de toute l’Amérique ; il s’appuie des déclarations du ministère anglais pour traiter de fables les vues ambitieuses qu’on prête à l’Angleterre, et il croit que l’avenir le plus désirable pour l’Amérique du Nord, c’est d’être partagée en trois républiques, le Canada, les États-Unis et le Texas, qui se balanceraient et se défendraient mutuellement contre la tyrannie. Enfin il termine cette longue lettre par une conclusion fort peu équivoque : « Mon opinion peut se résumer en peu de mots : je considère l’annexation du Texas dans le moment actuel, sans le consentement du Mexique, comme une mesure qui compromet le caractère national et nous entraîne à coup sûr dans une guerre contre le Mexique et probablement avec d’autres puissances, dangereuse pour l’intégrité de l’Union, hors de propos dans la situation financière actuelle du pays, et nullement appelée par une manifestation générale de l’opinion publique. » M. Clay, pas plus que M. Van Buren, n’a réussi à satisfaire tout le monde. Le tiers-parti, c’est-à-dire les abolitionistes, lui reprochent de n’avoir pas attaqué le principe même de l’annexation, bien que les conditions qu’il met à l’annexation équivalent à une condamnation absolue, et que sa conclusion ait dû rassurer tous les whigs, qui ne sauraient sans exigence lui demander davantage. Ses amis du sud au contraire n’ont pas lieu d’être satisfaits. Toutefois, M. Clay a sur M. Van Buren cet avantage qu’il est citoyen du Kentucky, et que son élection y est une affaire d’amour-propre national. En outre, il est homme du sud, il a de nombreuses relations dans tous les états à esclaves, il est propriétaire d’esclaves lui-même ; c’est lui qui a fait autrefois les premières démarches pour l’acquisition du Texas. Comme il n’a pas condamné le principe même de l’annexation, on peut espérer qu’il subirait la mesure, si elle lui était imposée par la majorité des chambres. Enfin on avait prévu sa résolution ; c’était pour lui une nécessité de position, et l’on ne peut l’accuser d’avoir trompé l’attente de ses amis. Il est donc possible que M. Clay, tout en se prononçant plus nettement que M. Van Buren contre l’annexation, perde moins de voix que lui dans le sud.

Quel est maintenant le sort probable du traité soumis à l’approbation du sénat ? L’adoption de ce traité nous paraît impossible, et M. Tyler, en l’adressant au sénat, ne devait pas s’abuser sur le résultat. S’il n’avait fallu que la simple majorité, M. Tyler aurait pu espérer qu’en agissant activement auprès des whigs du sud, on pourrait les décider à se réunir pour une fois aux démocrates ; mais il faut les deux tiers des votes, et les whigs ont la majorité dans le sénat. Il paraît même que plusieurs démocrates, MM. Allen, Tapper, Benton, peut-être même MM. Wright et Fairfield, se sont prononcés contre le traité, et qu’un seul whig, M. Henderson, du Mississipi, a manifesté l’intention de l’appuyer. Il est donc probable que le traité sera déposé sur le bureau, c’est-à-dire ajourné indéfiniment, et peut-être même rejeté à une assez forte majorité. Dans ce cas, le président pourrait encore le faire reprendre par un des représentans de son parti comme une proposition individuelle ; pourtant, s’il a contre lui une forte majorité dans le sénat, il ne l’osera pas. D’ailleurs, je l’ai dit, il n’espérait pas faire passer le traité cette année ; il voulait seulement obliger ses adversaires à se prononcer et faire de cette question la question décisive pour les élections qui vont commencer. Or, son but est aujourd’hui complètement atteint.

Quel sera le résultat de ces élections ? c’est ce que nul ne peut prévoir encore. M. Clay aurait eu de belles chances, si la question du Texas n’avait surgi tout à coup : sa lettre lui fera perdre bien des suffrages au sud ; d’un autre côté, elle lui attachera plus que jamais tous les whigs, et lui acquerra peut-être, au nord, les suffrages de tous ceux qui sont opposés à l’annexation, même dans le parti démocratique. En outre, il ne faut pas se dissimuler que la question du Texas est venue joindre à des questions fort épineuses, celle du tarif, celle des banques, etc., et que la fermentation, qui était déjà fort grande, est devenue extrême. Bien des gens en sont sérieusement alarmés et penseront peut-être que le caractère ferme et décidé et la haute intelligence de M. Clay conviennent mieux à un temps de crise que les petites roueries diplomatiques de M. Van Buren, et la médiocrité insignifiante de M. Tyler, même sous la férule de M. Calhoun. Les élections d’états qui se sont déjà faites s’annoncent favorablement pour les whigs. Le Connecticut, où les démocrates avaient eu aux dernières élections une supériorité décidée, a élu tous les candidats whigs à une immense majorité. Les whigs ont également eu la majorité dans le Rhode-Island ; ils sont certains de l’emporter dans le Massachusets, dont la législature vient de renouveler sa pétition sur la modification de la loi électorale, et de voter les résolutions les plus énergiques contre l’annexation. Enfin, dans la Virginie elle-même, les whigs, contre toute attente, ont obtenu une légère majorité, et les démocrates élus appartiennent au parti de M. Tyler. Le résultat des élections de New-York et de l’Ohio décidera du sort de M. Clay. En attendant, la convention préparatoire de Baltimore l’a choisi à l’unanimité pour candidat des whigs à la présidence, et, selon l’usage, on a pris par compensation un homme du nord pour candidat à la vice-présidence ; le choix est tombé sur M. Frelinghuysen, de l’état de New-Jersey.

Rien n’est plus singulier que la position de M. Van Buren et ne montre mieux l’extrême mobilité des partis et de toutes choses en Amérique. Il y a six mois, il se croyait sûr de la présidence ; ses amis reprochaient hautement à M. Tyler de n’être qu’un accident et d’occuper la place qui était due à leur chef. M. Tyler, repoussé par les whigs, avait cherché, sans trop de succès, parmi les démocrates des hommes qui n’eussent pas d’engagemens étroits avec M. Van Buren, et tous ceux de ses ministres qui n’étaient pas ses amis personnels, faisaient bon marché de sa candidature. Maintenant M. Van Buren paraît impossible, et nous avons dit pourquoi. D’un autre côté, le parti démocratique se condamnera-t-il lui-même à une défaite en se divisant ? Les amis de M. Van Buren ont affecté de regarder la nomination de M. Wilson Shannon, ministre au Mexique, et surtout celle de M. King, ministre à Paris, comme une avance faite par M. Calhoun à M. Van Buren ; d’autres n’y ont vu qu’un moyen d’écarter au moment des élections deux hommes influens et considérés, de leur donner à la fois un prétexte honorable pour laisser succomber M. Van Buren, et une compensation pour la défaite de leur parti. M. Scott, M. Benton, le général Cass, ont renoncé à se mettre sur les rangs. M. Calhoun fera-t-il élire M. Tyler dans l’espoir de lui succéder, ou bien, dans la crainte d’un troisième mécompte, voudra-t-il recueillir lui-même le fruit de son œuvre, au risque de perdre les voix démocratiques de la Virginie acquises à M. Tyler ? Nous avons vu qu’il pouvait compter sur un grand nombre de voix au sud, et que l’appoint des démocrates du nord pouvait lui donner la majorité. Malheureusement ceux-ci ne paraissent pas tous favorablement disposés pour l’annexation. Dans le courant du mois de mars, la question du Texas fut introduite incidemment dans la chambre des représentans. M. Holmes, de la Caroline du sud, dit en se tournant vers les bancs des démocrates : « Je regarde les votes de ce côté de la chambre comme tous acquis à l’annexation. » Il fut accueilli par une explosion de rires qui pouvait n’avoir d’autre but que de dissimuler la secrète mauvaise humeur que cause aux démocrates le ton impérieux des hommes du sud à leur égard, mais qui pouvait indiquer aussi un commencement de défection. La convention préparatoire de Baltimore fera peut-être connaître le choix définitif du parti ; je dis peut-être, car, les whigs ayant triomphé d’avance de la division qui ne devait pas manquer d’éclater dans la réunion des démocrates, ceux-ci pourront bien ne pas vouloir leur donner cette satisfaction. S’ils ne parviennent réellement pas à s’entendre, ils chercheront à déguiser la division du parti, en réunissant par une manœuvre déjà plus d’une fois employée tous leurs suffrages sur un homme insignifiant ; et pendant que les whigs tourneront leurs attaques contre ce candidat improvisé, les meneurs du parti emploieront le temps qui restera à une dernière tentative de conciliation. Le bruit a couru aussi que, pour trancher toutes les questions de personnes, les démocrates avaient l’intention de n’exposer aucun de leurs chefs à une défaite, de laisser le champ libre à M. Clay, mais d’organiser contre son administration une opposition formidable dont l’annexation deviendrait le drapeau, et de porter M. Calhoun à la présidence aux élections de 1848. Lequel de ces plans adopteront-ils ? C’est ce que l’avenir nous apprendra[4].

Une seule chose est certaine, c’est que, si les démocrates l’emportent dans la lutte pour la présidence, l’annexation sera remise immédiatement sur le tapis et, après une résistance désespérée, le nord finira par la subir. Si M. Clay l’emporte, la question sera momentanément ajournée, mais elle ne tardera pas à être soulevée de nouveau, et après bien des luttes, le sud finira par l’arracher au nord, comme tant d’autres mesures, en menaçant de tout pousser à l’extrême. Tous les intérêts du sud sont engagés dans cette question, et je n’entends pas parler ici des détenteurs de fonds texiens, qui ne désirent l’annexation que pour voir les États-Unis garantir leurs créances, ni même des sommes immenses que les gens du sud ont englouties dans les spéculations sur les terres du Texas : je parle des intérêts généraux des états du sud.

Si le Texas demeure indépendant, une barrière infranchissable arrêtera le développement de ces états et mettra le Mexique à l’abri de leurs envahissemens. Il sera impossible d’obtenir jamais du Mexique ce qu’il a toujours refusé jusqu’à présent, un traité pour la restitution des esclaves fugitifs. Le sud sera condamné à rester éternellement placé entre deux terres libres, à la merci de chacune d’elles. L’œuvre de quinze années d’intrigues sera détruite, car à quoi bon arracher le Texas au Mexique pour ne pouvoir le prendre ? On aura perdu toute chance de le conquérir dans une guerre, on aura reculé plutôt qu’avancé. La séparation du Texas d’avec le Mexique n’était utile que comme acheminement à sa réunion aux États-Unis. Voilà pourquoi, pendant que Samuel Houston et Stephen Austin préparaient tout pour un soulèvement, le grand publiciste du parti démocratique, M. Benton, publiait, sous les pseudonymes d’Americanus et de La Salle, ses fameux essais sur la nécessité d’acquérir le Texas, essais que la presse du sud reproduisait à l’envi ; voilà pourquoi l’administration de Jackson faisait des efforts désespérés pour obtenir du Mexique la cession d’un territoire si désiré. La population du sud étouffe dans les limites de plus en plus étroites où la resserre le développement des états du nord, et pour qu’elle puisse s’étendre sans renoncer à ses habitudes, à ses mœurs, à ses institutions particulières, il faut qu’elle envahisse le Texas. Un autre intérêt en souffrance exige aussi cette acquisition, un intérêt dont la presse du sud prend la défense sans rougir, et qui est une tache pour la démocratie américaine : c’est le commerce des esclaves. L’élève et le trafic des esclaves sont devenus un commerce lucratif, et qui se fait sur une grande échelle ; or, maintenant les états du sud ont plus d’esclaves qu’il ne leur en faut, et la traite, qui a repris vigueur, fait aux spéculateurs une concurrence chaque jour plus désastreuse. Il est donc urgent d’ouvrir un nouveau marché à ce commerce ; il faut que le Texas soit colonisé par des propriétaires des esclaves, il faut que l’esclavage n’y soit jamais aboli. Le prédécesseur de M. Calhoun, M. Upshur, ne craignit pas de dire en plein sénat que, quand la Louisiane interdit l’introduction de nouveaux esclaves dans son territoire, il y eut, le jour même où la nouvelle arriva, baisse de 25 pour 100 dans le prix des esclaves en Virginie, et que ses calculs le portaient à croire que l’annexation du Texas produirait au contraire une hausse de 50 pour 100 dans tout le sud. Il appelait cela un argument en faveur de l’annexation ; mais l’argument que les gens du sud mettent le plus souvent et le plus volontiers en avant parce que leurs adversaires ne peuvent lui refuser une apparence de raison, c’est la nécessité de maintenir l’équilibre entre les deux parties de l’Union. «

« Faut-il donc, disait récemment au congrès M. Wise de la Virginie, faut-il donc que les états à esclaves soient arrêtés net sur les rives de la Sabine et voient un immense accroissement de territoire et de population dévolu aux états du nord ? Maintenant les deux partis ont dans le sénat 26 voix contre 26, mais demain l’équilibre peut être rompu. Si l’Iowa est ajouté d’un côté, la Floride le sera de l’autre ; là s’arrêteront les compensations. Admettez un nouvel état au nord, et voilà l’équilibre rompu, non pour un jour, mais à jamais, et le sud s’arrêterait à la Sabine, tandis que le nord pourrait se répandre en liberté jusqu’au-delà des montagnes Rocheuses, et emporterait en sa faveur le plateau de la balance ! »

En effet, le territoire de Wisconsin grandit rapidement et pourra bientôt réclamer son admission dans l’Union ; les gens du sud affectent de ne demander l’annexation du Texas que comme une compensation de l’admission du Wisconsin. Pourtant le territoire de Wisconsin est limité, le Texas est immense ; le congrès texien, en 1836, s’est adjugé de sa propre autorité plusieurs des provinces du Mexique, et, entre les mains des hommes du sud, ces incroyables prétentions deviendront des droits incontestables. Il est donc évident que le Texas sera divisé en plusieurs états, et cela dans un avenir très prochain, parce que la population s’y accroît avec une extrême rapidité, et les nouveaux états enfantés par le sud lui donneront dans le congrès une réelle supériorité. Si le Texas reste indépendant, c’en est fait à jamais de la suprématie du sud ; l’annexation, au contraire, c’est l’empire et pour long-temps.

Avec de semblables motifs pour désirer l’annexation, on peut être certain que les hommes du sud l’obtiendront, car ils ne reculeront devant aucune extrémité : ils feraient plutôt la conquête du Mexique tout entier, en dépit du gouvernement fédéral. Aussi les deux chefs du parti du sud, M. Holmes, de la Caroline du sud, et M. Payne, de l’Alabama, disaient-ils publiquement, il y a quelques semaines, dans la chambre des représentans, que le sud désirait avoir le Texas avec l’union, et que, s’il ne pouvait l’obtenir, il aurait alors le Texas sans l’union. Et ce n’est pas là une vaine menace ; la séparation rencontrerait sans doute au sud une forte minorité, mais elle aurait lieu, car, comme je l’ai déjà dit, l’union n’est pas populaire au sud : c’est un préjugé passé en principe qu’elle est défavorable et funeste aux véritables intérêts des états du sud. Les whigs le savent ; aussi, après avoir long-temps reculé, finiront-ils par faire le compromis le plus avantageux possible. D’ailleurs la multitude, qui n’apprécie que difficilement les raisons politiques, se laissera toujours prendre aux idées d’agrandissement, de conquête et de richesse, et la cause de l’annexation, habilement exploitée, peut devenir un jour aussi populaire au nord qu’au sud, surtout si l’on sait alarmer la jalousie nationale et envenimer la question par la supposition d’une rivalité avec l’Angleterre.

III.

Maintenant, quelles seront pour l’Union les conséquences de l’annexation du Texas ? Il y a, je le crois, dans l’adjonction de ce vaste plateau qui domine le Mexique, toute une révolution pour les États-Unis. Un des premiers résultats de l’annexation sera d’accumuler plus rapidement que jamais la population africaine sur les bords du golfe du Mexique. Cette population y affluera d’autant plus qu’une immense quantité de terres propres à la culture du tabac, de la canne et surtout du coton, s’étendent sur le littoral du Texas ; terres vierges encore, qui promettent à ceux qui les exploiteront les premiers les plus magnifiques récoltes. La tentation est déjà tellement irrésistible, que les Américains vont s’établir en foule au Texas, au prix même de leur nationalité. Il y a huit ans à peine que l’Arkansas a été admis dans l’union ; le tiers à peine de son vaste territoire est suffisamment peuplé, et cependant la moitié au moins des habitans du Texas sont sortis de cet état. Et ce ne sont pas seulement de simples particuliers qui migrent au Texas, mais des hommes considérables et tenant dans leur état un rang distingué. Le général Hamilton, qui a négocié le traité par lequel l’Angleterre a reconnu le Texas, a été gouverneur de la Caroline du sud. Plusieurs anciens membres du Congrès ont aussi renoncé à leur titre de citoyen américain ; dernièrement encore, un citoyen éminent de la Virginie, le général Ch. Fenton Mercer, a sollicité et obtenu du gouvernement texien deux concessions de terres, à la condition de s’y établir et de les coloniser. Aussi la population du Texas, qui en 1833 était d’environ vingt-deux mille ames, s’élève-t-elle en ce moment à environ trois cent mille, dont un tiers esclave. Quoique un grand nombre de ces esclaves aient été importés directement d’Afrique ou de Cuba, la plupart viennent cependant des États-Unis et surtout des anciens états à esclaves ; si le Texas devenait partie intégrante de l’Union, on verrait sa population esclave s’accroître rapidement aux dépens de celle des états dont nous parlons. C’est ainsi que la Virginie, le Maryland, le Kentucky et même peut-être les deux Carolines, verront leur population dégager de son sein l’élément noir, qui y a moins de valeur que dans les terres situées plus au sud. Les cultures auxquelles se livrent les états à esclaves épuisent rapidement la terre, d’autant plus qu’il est impossible d’employer le système des jachères et d’alterner les semailles. En outre, l’esclave cultive mal et avec négligence : il se contente de retourner la terre à la surface, au lieu de la remuer profondément, comme il le faudrait quand elle a perdu sa première vigueur ; il n’a ni la force, ni la patience, ni l’industrie nécessaire pour labourer comme on le fait en Europe ; l’homme libre seul en est capable. Les états les plus anciennement colonisés, la Virginie, le Maryland, offrent une preuve frappante de ce fait ; les terres n’y sont plus assez vierges pour soutenir le travail esclave, et les produits qu’elles donnent ne sont pas en rapport avec les frais d’entretien d’une multitude de nègres. Il en résulte que très souvent, à la mort d’un planteur, son héritier vend le mobilier et les bâtimens d’exploitation, et, abandonnant les terres paternelles, s’en va avec ses esclaves chercher au sud-ouest, dans l’Alabama, dans l’Arkansas, des terres à défricher que dans un siècle ses héritiers abandonneront à leur tour. Les terres ainsi délaissées demeurent en friche, puis se recouvrent peu à peu de forêts ; l’on peut faire souvent quinze et vingt lieues dans le Maryland et en Virginie à travers de jeunes taillis qui recouvrent la place où étaient, il y a vingt-cinq ans, des plantations florissantes. La même chose a lieu, quoique sur une moins grande échelle, dans le Kentucky et les Carolines. Quant aux propriétaires qui répugnent à émigrer à cause de leur position ou de leur âge, beaucoup ont changé d’industrie ; ils ne font cultiver la terre qu’autant qu’il est nécessaire pour la subsistance de la maison, et ils élèvent des esclaves pour les vendre ensuite dans les états situés plus au sud, où les esclaves ont une plus grande valeur ; et comme les mulâtres se vendent beaucoup mieux que les nègres, le libertinage est souvent pour ce propriétaires une spéculation lucrative. Cependant, comme c’est toujours la portion vigoureuse et jeune des esclaves que l’on vend, et que celle qui reste se reproduit beaucoup moins vite, ce commerce même, quelque odieux qu’il soit, a le salutaire effet de diminuer peu à peu la population esclave des états où il se fait. Ainsi, dans la période décennale de 1830 à 1840, le Maryland a vu sa population libre s’accroître de 9 pour 100, et sa population noire diminuer de 13 pour 100 ; dans la Virginie, la population libre s’est accrue de 7 pour 100, pendant que la population noire diminuait de 5 pour 100. Dans les Carolines, la période de 1820 à 1830 avait offert un accroissement considérable ; de 1830 à 1840, la population est restée à peu près stationnaire, puisqu’elle n’a présenté qu’un accroissement de 2 à 2 1/2 pour 100, et l’on peut conjecturer que la période de 1840 à 1850 présentera une diminution assez forte sur la population esclave. Dans le Kentucky, celle-ci a encore augmenté d’une façon assez notable, mais hors de proportion avec l’accroissement de la race blanche. Ainsi, en 1840, le Kentucky comptait 17,000 esclaves et 70,000 blancs de plus qu’en 1830, et l’on peut croire que bientôt la population noire y restera stationnaire pour décroître ensuite. Au contraire, dans les états voisins du Texas, la Louisiane, l’Alabama, le Mississipi, les esclaves se sont accrus de 58, de 124 et de 197 pour 100. On peut donc déjà, par le calcul, arriver presque à déterminer l’époque où les états dont j’ai parlé, le Maryland, la Virginie et les Carolines, deviendront libres, n’auront plus avec les états du nord que des intérêts identiques, et rétabliront ainsi l’équilibre politique, qui serait d’abord gravement compromis par l’annexation du Texas. Déjà le Maryland est un état presque entièrement whig, et nous avons eu occasion de dire que, cette année même, les whigs, à une faible majorité il est vrai, l’avaient emporté en Virginie.

L’annexation ne changerait donc pas essentiellement la condition actuelle et la situation respective des deux parties de l’Union ; mais, en donnant plus d’étendue à son territoire, elle rendrait les crises fédérales plus dangereuses, et l’on pourrait voir un jour aux prises le nord et le sud, si celui-ci, ne pouvant obtenir quelqu’une de ses demandes, ou en haine du parti abolitioniste, venait à briser le pacte fédéral. Ce qui fait la force de l’Union, ce qui en est l’élément modérateur, ce sont les grandes populations d’hommes libres qui occupent la partie supérieure de la vallée du Mississipi ; ce sont eux qui interposent leur médiation entre les états de la Nouvelle-Angleterre et les états du sud-ouest, et leur arrachent des concessions mutuelles. Ils tiennent au nord par le lien d’une origine commune et d’institutions semblables ; ils ne voudront pas s’en détacher, et ne permettront pas d’un autre côté qu’il s’élève au sud une nouvelle confédération indépendante qui leur barrerait le chemin de la mer. Aucune considération ne les fera capituler là-dessus ; communauté de langue et de mœurs, ancienne confraternité, tout cela sera immolé à ce qu’il y a de plus sacré pour l’Anglo-Américain, son intérêt, et cet intérêt exige qu’il conserve ou reprenne, fût-ce par la force des armes, la libre disposition du cours du Mississipi, des ports de Pensacola, de Saint-Augustin et de la Nouvelle-Orléans : et ainsi fera-t-il, quand il devrait, par une guerre fratricide, rejeter la population du sud sur les Florides et le Mexique. Il peut arriver un jour aux hommes du sud, pour les côtes du golfe du Mexique, ce qui est arrivé aux Anglais pour la Normandie et les provinces du littoral français. Ces provinces ont dû devenir et rester françaises, sans quoi la France n’aurait jamais atteint son légitime développement, et aurait étouffé entre l’Allemagne et l’Angleterre : les gens de l’Ohio et de l’Indiana ne sont pas plus disposés à laisser étouffer leur industrie entre les Alleghanys et les états du sud.

Comme question de politique extérieure, l’annexation du Texas a également une haute importance. Quoique l’envoyé mexicain, le général Almonte, ait signifié à M. Calhoun que, si le traité était ratifié par le sénat, il quitterait les États-Unis, et que son gouvernement regarderait cette mesure comme une déclaration de guerre, nous avons peine à croire que le Mexique entre en lutte avec les États-Unis, s’il n’a l’espoir d’être soutenu par l’Angleterre, et ce serait le Mexique qui aurait le plus à craindre d’une semblable guerre. Quand même il se résignerait à ce sacrifice, l’annexation ne serait pas moins funeste au Mexique : elle le livre tout entier aux Anglo-Américains, car il est évident qu’on lui arrachera l’une après l’autre ses meilleures provinces, comme on lui a arraché le Texas. Voici déjà plusieurs années que les Américains pensent à la Californie, qui, en augmentant le nombre des états du sud, aurait encore l’avantage de leur procurer des ports sur l’Océan Pacifique, et d’offrir aux baleiniers des états du nord des points de relâche dont ils ont besoin. En outre, dans le cas désormais assez probable du percement de l’isthme de Panama, la possession de la Californie permettrait aux Anglo-Américains de surveiller et même de commander la communication des deux Océans. Déjà plusieurs milliers de pionniers, au mépris des lois mexicaines, se sont introduits de vive force dans la Californie, et y ont formé des établissemens en dépit des réclamations des autorités nationales. Bien plus, ils se sont mis à trafiquer des terres ainsi volées, et ils ont trouvé des acheteurs. C’est en un mot la répétition de ce qui s’est fait pour le Texas. Le gouvernement américain, loin de réprimer ces actes de brigandage, les appuie en secret. Ce n’est pas tout : en novembre 1842, un faux bruit se répandit au Chili que des difficultés graves étaient survenues entre l’Union et le Mexique, que la guerre s’ensuivrait probablement, et que le Mexique venait de céder une partie de la Californie à l’Angleterre. Aussitôt le commandant de l’escadre américaine qui croisait sur les côtes du Chili, sans instructions, sans ordre, sans demander aucun renseignement, fait voile vers Monterey, le principal port et la capitale de la Californie, et s’en empare en pleine paix. La ville fut restituée au Mexique, mais le gouvernement américain refusa de révoquer le commandant Jones, et la proposition d’une enquête sur sa conduite fut rejetée dans le congrès, tous les députés du sud ayant voté contre. Enfin on a prétendu qu’aussitôt après le traité du Texas, M. Calhoun avait proposé au Mexique un traité pour l’acquisition de la Californie. Le Texas d’ailleurs, tel que l’étendent arbitrairement les gens du sud, comprend les provinces du Nouveau-Mexique, de Tamaulipas et de Coahuila, c’est-à-dire près de la moitié de l’ancienne vice-royauté du Mexique. Il est donc évident que la population hispano-mexicaine, déjà insuffisante pour couvrir son vaste territoire, sera hors d’état de résister ; qu’elle sera tôt ou tard refoulée dans l’isthme et remplacée par la race anglo-américaine. L’humanité, loin d’avoir à se réjouir de ce résultat, aura à en gémir. L’esclavage renaîtra sur une terre d’où il avait entièrement disparu, et la race africaine travaillera pour les nouveaux arrivés comme elle l’a fait autrefois pour les conquistadores. Grace au travail des esclaves, des sources métalliques qui paraissaient s’être taries se rouvriront tout à coup et couleront avec une nouvelle abondance sous la baguette magique de l’industrie anglo-américaine ; mais ce sera au prix d’un crime social que cette prospérité sera achetée, et puisse l’Union n’avoir pas à regretter un jour d’avoir perpétué l’esclavage ! L’annexation du Texas accomplie, il devient difficile de former aucune conjecture sur le sort futur de la race nègre en Amérique. Si le Texas était demeuré sous la domination mexicaine, c’est-à-dire s’il était resté un état libre, l’esclavage, par le progrès des états libres de l’Union, et par le changement qui s’opère dans les plus anciens des états à esclaves, se serait trouvé resserré dans un cercle de plus en plus étroit ; on n’aurait point eu d’inquiétude sur le sort de la race blanche, et on aurait pu espérer qu’un jour les états du sud, dans leur propre intérêt, seraient conduits à abolir l’esclavage. Maintenant il n’en sera plus ainsi : le nombre des états à esclaves dépassera celui des états libres, et si la race nègre, qui s’accroît déjà plus rapidement que les blancs au sud des États-Unis, conserve le même avantage au Mexique dans des conditions de climat encore plus favorables, les deux races seront peut-être un jour égales en forces, et laquelle triomphera dans la lutte ? Liberté dans les îles, esclavage sur les bords du golfe du Mexique, voilà la destinée la plus prochaine de la race noire. Finira-t-elle par n’avoir plus partout qu’une même condition ? la population des îles retombera-t-elle sous le joug ? celle du continent arrivera-t-elle à la liberté ? Nul ne le sait. L’Angleterre combat pour un principe, et l’Amérique pour l’autre ; et, n’osant commencer la querelle, elles en sont encore à s’observer. En attendant, l’île de Cuba est là comme la Sicile entre Carthage et Rome ; c’est là que s’établira la première lutte entre les deux principes. Une sourde fermentation y règne déjà, et se trahit de temps à autre par des complots. Les états à esclaves suivent d’un œil inquiet ce qui s’y passe, et nous pouvons citer à ce sujet des faits curieux et peu connus. Si les Anglo-Américains se montrèrent si soucieux de faire reconnaître par l’Espagne l’indépendance du Mexique, ce fut surtout dans la crainte de voir l’esprit de révolte gagner l’île de Cuba. Dans les instructions données en 1829 à M. Van Ness, ministre à Madrid, M. Van Buren lui recommande de demander la prompte reconnaissance de l’indépendance du Mexique ; en insistant sur le danger que courrait l’île de Cuba par suite de la prolongation de la guerre. « Bien des considérations, dit-il, qui tiennent à une certaine classe de notre population, font attacher, par la partie méridionale de l’Union, la plus grande importance à ce qu’aucune tentative ne soit faite dans cette île pour secouer le joug de l’Espagne. Une tentative pareille aurait pour conséquence l’émancipation d’une nombreuse population d’esclaves dont l’affranchissement ne pourrait manquer d’avoir un grand retentissement sur les côtes voisines des États-Unis. » En novembre 1829, M. Van Buren apprit que le gouvernement mexicain, d’accord avec celui d’Haïti, avait formé un plan pour opérer une révolution dans l’île de Cuba ; il écrivit à M. Butler, l’envoyé à Mexico, pour lui exprimer l’horreur que lui inspirait cette idée d’émanciper des esclaves, et lui dire que le gouvernement croyait de son devoir de prendre des mesures pour protéger les États-Unis contre l’introduction de cet esprit déplorable (this baneful spirit). Il lui recommandait de faire les plus fortes remontrances possibles contre le projet, et, au cas où elles échoueraient, de l’avertir promptement, pour que le gouvernement pût prendre des mesures énergiques. L’année dernière encore, sur le bruit qui courut que l’Angleterre offrait à l’Espagne de lui acheter Cuba, un député du sud, M. Ingersoll, s’écria que les États-Unis déclareraient la guerre à l’Angleterre plutôt que de permettre ce marché, et il fut couvert d’unanimes applaudissemens. Les états du sud, qui n’ont pas permis que l’on reconnût l’indépendance de Haïti, ne souffriront jamais que l’esclavage soit aboli dans l’île de Cuba, parce que cette île est l’asile de leurs nombreux négriers, qu’elle sert d’entrepôt pour les quinze ou vingt mille nègres qu’ils tirent chaque année d’Afrique, et surtout parce que là sont leurs postes avancés. L’Angleterre le sait bien ; avec la sagacité de la haine, n’osant encore attaquer l’esclavage dans l’Union, elle agite sans relâche l’île de Cuba, et depuis dix ans y entretient, par ses intrigues et son argent, une extrême fermentation au moyen des nègres libres qui vont et viennent de la Jamaïque à Cuba.

L’antagonisme des deux politiques à l’égard de la race noire mettra tôt ou tard l’Angleterre aux prises avec les États-Unis, et, sans les embarras actuels de la première de ces puissances, la guerre pourrait éclater à propos du Texas. L’Angleterre a vu d’abord avec chagrin la révolte du Texas ; elle a espéré long-temps que le Mexique rétablirait son autorité sur cette province, et ce n’est qu’en 1840 qu’elle s’est déterminée à reconnaître son indépendance. Une fois bien certaine que le Mexique ne pouvait reprendre le Texas, elle ne se montra pas difficile sur les conditions de la reconnaissance, trop heureuse de mettre un obstacle de plus aux projets des États-Unis, impatiens de s’incorporer le nouveau peuple. Lord Palmerston attachait une grande importance à cette mesure, et, pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article qu’il fit publier à ce sujet dans l’organe le plus considérable du parti whig, dans la Revue d’Édimbourg. Cet article est écrit d’un bout à l’autre sur le ton le plus emphatique et le plus pompeux On y présente le Texas comme un marché précieux pour les manufactures anglaises, comme une garantie contre la dépendance où se trouve l’Angleterre vis-à-vis du commerce de l’Union. Il est dur de voir de si belles espérances détruites tout à coup. Aussi, à la nouvelle du traité d’annexation le Morning-Post n’a pu retenir un cri d’alarme : « Nos relations extérieures, a-t-il dit, prennent l’aspect le plus effrayant. » Le ministère anglais, interpellé dans le parlement, a refusé de s’expliquer, sur ce motif que le traité avait besoin de l’approbation du sénat ; en réalité il voulait gagner du temps et n’osait prendre un parti. La presse anglaise été moins prudente : depuis deux mois, elle se déchaîne sans relâche contre M. Tyler et M. Calhoun. Nous n’avons point à nous occuper de cette polémique passionnée ; nous signalerons seulement, à cause de leur importance, deux articles du Times, l’un du 15, l’autre du 20 mai. Le premier de ces articles, publié le jour même où la nouvelle arriva, n’est qu’une véhémente philippique contre les institutions, la politique et le gouvernement des États-Unis : il est impossible d’être plus amer et plus insultant ; le second, sans être écrit d’un ton beaucoup plus modéré, fait l’historique de la question et la discute : il contient sans doute la pensée du gouvernement anglais. On conteste au Texas, d’après Wattel et Puffendorf, le droit d’aliéner son indépendance ; on lui conteste jusqu’à cette indépendance même, quoiqu’elle ait été reconnue par l’Angleterre ; enfin, une menace indirecte est faite au gouvernement des États-Unis. « Les Texiens ne sont pas libres, dit le Times, de renoncer à leurs droits de souveraineté sans faire réserve des engagemens qu’au nom de cette même souveraineté ils ont antérieurement contractés avec des états étrangers. Parmi les traités conclus jusqu’à présent par le Texas, il en est un qui peut mettre la question dans tout son jour : nous voulons dire le traité avec la Grande-Bretagne pour la suppression de la traite au moyen du droit mutuel de visite. Le Texas a fait solennellement toutes les concessions que les États-Unis sont encore fermement résolu à ne pas faire, et ces concessions, aussi bien que tous les autres engagemens du Texas envers des puissances étrangères, ne peuvent être détruites que du consentement de toutes les parties. Nous avons bien peur que, d’après les principes les plus incontestables du droit international, un traité par lequel tous les traités antérieurs sont d’un seul coup annulés, rompus, mis au néant, ne soit un casus belli suffisant. » Après avoir commenté avec amertume les différens articles du traité, le Times termine ainsi : « Il est difficile de traiter avec gravité ou patience cette manifestation des basses et honteuses passions qui se trahissent ici des deux côtés ; mais, quels que puisent être les motifs du traité, et quelque probable qu’en soit le rejet, les questions qu’il a soulevées pour la première fois sont intimement liées avec la stabilité de l’Union américaine, la politique commerciale des États-Unis, et la paix du monde. »

Si l’on rapproche cet article de la déclaration faite par lord Aberdeen à M. Calhoun, que l’Angleterre emploierait tous ses efforts pour que le Mexique fît de l’abolition de l’esclavage la condition sine quâ non de la reconnaissance du Texas, on peut supposer que le ministre anglais à Mexico rendra impuissans les efforts du plénipotentiaire que M. Tyler vient d’y envoyer ; et quoique le rejet du traité puisse procurer un moment de relâche à lord Aberdeen, on comprend cependant que la guerre puisse sortir de cette affaire. D’ailleurs il n’y a pas seulement une question d’humanité en jeu. Que l’esclavage renaisse au Mexique et s’étende d’une mer à l’autre, l’Angleterre, bien qu’avec regret, en prendrait son parti, si ses intérêts commerciaux n’en souffraient pas ; mais nous avons vu que l’annexation du Texas aurait pour conséquence l’envahissement successif de tout le Mexique par les Anglo-Américains. Or, il est peu de contrées avec lesquelles l’Angleterre fasse un commerce aussi lucratif ; elle est seule en possession d’exploiter ce riche et malheureux pays. Les Français en sont maintenant écartés par la haine nationale ; les Anglo-Américains en sont aussi presque entièrement exclus, et cela est pour eux un sujet de jalousie extrême. L’Angleterre se laissera-t-elle ravir un marché si avantageux ? Son intérêt nous est un sûr garant du contraire ; elle le défendrait contre tout droit et toute justice, à plus forte raison quand elle a le bonheur de trouver une fois sa cause d’accord avec celle de l’humanité.

Un autre intérêt est compromis par l’annexation. Quand la Revue d’Édimbourg faisait un si magnifique étalage du commerce que l’on pourrait faire avec le Texas, il est une considération sur laquelle elle se gardait bien d’appeler l’attention, mais à laquelle le gouvernement anglais avait sans doute songé. Supposez que le Texas devienne une république indépendante, animée d’un esprit de jalousie et d’hostilité contre les États-Unis, comme le disait la Revue d’Édimbourg, qui recommande d’y envoyer des colons anglais ; supposez d’un autre côté que l’Angleterre transporte dans l’Orégon une partie de la population du Canada, et l’étende le long des montagnes Rocheuses jusqu’au Texas : voilà le développement des États-Unis à jamais arrêté, voilà l’approche de l’Océan Pacifique à jamais interdite à l’Union. Les Anglais se trouveraient, à bien moins de frais et avec moins de risques, avoir réalisé contre les Américains indépendans ce que les officiers français tentèrent inutilement le long des bords du Mississipi contre les colonies anglo-américaines. C’est là qu’est la véritable importance de la question de l’Orégon pour les États-Unis, car de ce côté l’Union n’a pas encore à craindre de voir l’espace lui manquer ; l’Iowa et le Wisconsin n’ont que quelques milliers d’habitans ; le Michigan lui-même est loin d’être peuplé, et de ses limites jusqu’au Missouri il y a place pour plusieurs millions d’hommes. L’Angleterre ferait les plus grandes concessions de territoire pour arriver à une limitation ; mais ce que les États-Unis redoutent surtout, c’est la fixation d’une frontière : une fois que la ligne de limitation sera tracée, quand même elle serait portée au-delà des montagnes Rocheuses, adieu tout espoir d’arriver à l’Océan Pacifique, ce rêve de tout Anglo-Américain ! Aussi voilà vingt-cinq ans que les États-Unis aiment mieux s’engager à ne point coloniser l’Orégon que de conclure un traité définitif.

Enfin un dernier intérêt est compromis indirectement par l’annexation du Texas. Le motif qui fait désirer aux états du sud la possession du Texas fait désirer aux états du nord l’acquisition du Canada. On se souvient des secours multipliés que les Canadiens reçurent des États-Unis, et des efforts désespérés que dans l’affaire Mac-Leod les états du Maine et de New-York firent pour amener avec l’Angleterre une guerre dont la conséquence eût été la conquête immédiate du Canada. Si le Texas donne aux gens du sud une supériorité trop décidée, ceux du nord demanderont, avec la même chaleur que déploie aujourd’hui le sud, l’acquisition du Canada comme compensation à celle du Texas ; et s’ils ne peuvent l’obtenir, ils le prendront de force. On connaît toute la faiblesse du lien qui rattache actuellement le Canada à l’Angleterre, et le Canada français n’a pas encore pardonné à celle-ci la révolution qu’elle a opérée dans sa législation.

On le voit donc, tous les intérêts de l’Angleterre sont compromis directement ou indirectement par l’annexation du Texas, et les explications que nous venons de donner feront comprendre le ton hostile et furibond de la presse anglaise, comme la réserve pleine d’anxiété du ministère tory. Quelle est, maintenant, la conduite que doit tenir la France dans le règlement d’une question qui, comme dit le Times, compromet la paix du monde ? Aucun des intérêts matériels de la France n’y est sans doute engagé, mais il y a une question d’humanité qui réclame sa sollicitude. Représentée, d’ailleurs, par une politique ferme et prudente, la France pourrait exercer la plus haute influence, comme puissance médiatrice. La France ne doit pas souffrir que l’esclavage reparaisse sur une terre qui a été délivrée de cette souillure. Elle doit donc insister autant que possible pour que le traité qui vient d’être rejeté ne soit pas repris, ou au moins pour que le Mexique soit mis à l’abri des envahissemens ultérieurs des possesseurs d’esclaves. Comme, après tout, la cause de l’Angleterre est ici liée en partie à celle de la liberté, peut-être sera-t-il possible à la France de s’entendre avec l’Angleterre, et, tout en refusant de seconder ses vues passionnées et égoïstes, d’obtenir des États-Unis, de concert avec elle, garantie et sécurité pour l’indépendance du Mexique. Ce que l’Angleterre fera pour son commerce au nom de l’abolition de l’esclavage, la France le fera réellement et sincèrement pour la liberté.


A. Cucheval.
  1. La Revue des Deux Mondes a seule publié, dans ses livraisons du 1er mars et du 15 avril 1840, un travail sur le Texas, qui contient un récit développé de la guerre de 1836 entre l’état de Mexico et la nouvelle république. Ce récit nous dispensera de nous étendre sur les incidens de la guerre, et nous permettra de nous attacher surtout au rôle qu’a joué dans l’insurrection du Texas l’influence diplomatique des États-Unis.
  2. À la fin du XVIIe siècle, des esclaves réfugiés dans des marais infestaient la Caroline du nord. Les habitans donnèrent à l’un d’entre eux, John Lynch, un pouvoir discrétionnaire au civil et au criminel. Cet usage s’est conservé, et quand les intérêts généraux du pays paraissent menacés, les principaux habitans, réunis en commission, ont droit de juger sommairement toute personne, libre ou esclave, qui leur est dénoncée. Dans le dernier complot des esclaves, plus de cinq cents personnes furent condamnées et exécutées en deux jours.
  3. Nous croyons devoir reproduire ici quelques dispositions de ce traité, qui a été signé le 12 avril 1844, par M. Calhoun pour les États-Unis, et par MM. Van Zandt et Henderson pour le Texas : « La république du Texas, etc., agissant conformément aux désirs du peuple et de toutes les branches du gouvernement, cède aux États-Unis tous ses territoires pour être possédés par eux en toute propriété et souveraineté, et être assujétis aux mêmes règlemens constitutionnels que leurs autres territoires. La cession comprend toutes les sortes de propriétés publiques qui sont énumérées spécialement, comme terres publiques, mines, édifices publics, marine et arsenaux maritimes, etc. — Tous les titres et prétentions à des possessions légitimes qui ont été validés par le Texas seront maintenus aussi par les États-Unis. Les États-Unis prennent à leur charge et consentent à payer les dettes publiques et autres créances du Texas, émises jusqu’à ce jour, qui sont évaluées à 10 millions de dollars au plus. La somme de 350,000 dollars devra être payée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivront l’échange des ratifications. Pour le paiement du reste, jusqu’à un total qui ne pourra pas excéder 10 millions, y compris la somme précédente, on engage les terres publiques cédées par le traité et les revenus qu’on en tirera. Les lois du Texas resteront en vigueur, et tous les officiers exécutifs ou judiciaires du Texas, excepté le président, vice-président et chefs des chambres, conserveront leurs offices jusqu’à ce que d’autres arrangemens interviennent. Le traité sera ratifié, et les ratifications échangées à Washington six mois après sa date, ou plus tôt, s’il est possible. »
  4. Les derniers journaux américains nous ont appris l’élection de M. Polk à la candidature du parti démocratique. M. Polk ne s’est fait remarquer jusqu’ici que par son attachement personnel au général Jackson.