Le Temple de l’amour

Au Théâtre de la Foire Saint-Germain

« Le Temple de l’Amour »

Un acte, en vers, d’Émilienne d’Alençon

Le dernier spectacle du Théâtre en plein air de la Foire Saint-Germain comprenait deux créations inspirées l’une de l’actualité en art et en sport, l’autre de la poésie tout simplement. L’œuvre poétique un fervent cantique à l’Amour, ingénieusement dialogué a été composée par Mme Émilienne d’Alençon. Fort bien dites par M. Jean Weber et Mlle Dagmar-Gérard, ces strophes ont été écoutées avec plaisir par un public vite conquis. Les voici dans leur intégralité :

ELLE

Amour, tu m’as trahie et je t’ai tout donné.
Mon désir sans limite et mon rêve étonné.
Et ma voix qui, selon les heures différentes,
Était tantôt plaintive et tantôt délirante.

Je t’avais fait le don des milliers de baisers
Que les vents du matin sur ma bouche ont posés ;
J’avais tourné vers toi mes yeux pleins de mystère,
Agrandis par l’amour des choses de la terre.

J’avais cueilli, sans me lasser, de l’aube au soir,
Tous les bouquets multicolores de l’espoir.
Par les profonds élans de mon âme enivrée,
Et par ma vie, amour, je t’étais consacrée.

Tu m’as trahie, abandonnée. Ingrat amour,
Tu m’as pris la lumière et la beauté du jour,
Celle qui t’honorait avec toute son âme
Est, par toi, la plus triste entre toutes les femmes.

Ma demeure est muette et mon seuil est glacé,
Et le présent n’est plus qu’un reflet du passé.
Je revois dans la chambre où mes rêves s’endorment
Les souvenirs défunts et les anciennes formes.

Je me dis : j’étais là, je frôlais ses cheveux,
Là, je baisais sa bouche et j’effleurais ses yeux,
Là, je pressais son cou dans une longue étreinte
Et je le voyais mieux près de la lampe éteinte.

Tu m’as trahie, amour, je suis seule, j’ai froid,
Je vois finir chaque journée avec effroi
Je vois passer la nuit et se traîner les heures
Et le jour revenir avec un cœur qui pleure.

Amour, à mes sanglots tu n’as rien répondu.
Je t’implore, rends-moi les chers bonheurs perdus,
Ce soir, ma voix blessée éperdument t’appelle,
Je fleurirai ton temple ainsi qu’une chapelle.

Je ferai sous les pas de ton corps bien-aimé,
Un chemin qui sera de roses parfumé.
Je veux rire et chanter quand l’aurore se lève.

Rends-moi tous les soleils et rends-moi tous les rêves,
Mais j’ai beau supplier et te rendre les bras,
Amour, tu m’as trahie et tu ne réponds pas.

L’AMOUR

Non. Je m’éveille au bruit de la source des larmes,
Et j’accours dès qu’on a prié ;
Si mon carquois porte des armes,
Mon cœur renferme aussi le lys de la pitié.

Les dieux m’ayant donné deux ailes voltigeantes,
Je m’enfuis trop souvent, mais je reviens toujours.
S’il perdait son humeur changeante,
L’amour ne serait plus l’Amour !

Mais si, du haut du ciel, j’entends le cri sincère
De la véritable douleur,
Vite, je redescends sur terre,
Pour apaiser le mal que j’ai fait dans les cœurs.

Enfant qui trembles sous tes voiles,
J’ai le moyen de te guérir :
Le bonheur des humains est semblable aux étoiles ;
Il s’éteint quelquefois, mais ne peut pas mourir,

Quand la tempête aux dents cruelles,
Saccage le nid d’un oiseau,
L’oiseau meurtri, sachant qu’il lui reste des ailes,
Sur un arbre plus grand refait un nid plus beau.

Dis-moi pourquoi ton âme penche,
Et pourquoi ta lèvre gémit ?
Dans mon temple aux colonnes blanches,
Je t’écoute comme un ami.

ELLE

Celui que j’adorais avait un cœur léger,
Et tous ses mots étaient de jeunes messagers
Que l’on voyait partir pour de lointains voyages ;
Ils ne revenaient pas rapporter le message !

Un soir, hélas ! il prit ma tête entre ses mains,
Je compris que cette heure était sans lendemain ;
Je savais, quand ses yeux souriaient sans rien dire,
Le vide mensonger caché dans son sourire !

Quand il murmurait : « Je t’aimerai toujours »,
Je savais ce que peut durer un tel amour ?
Celui que j’adorais avait une âme folle,
Et sa folie était dans toutes ses paroles.

Quelquefois sans raison, il riait, il pleurait,
D’autres fois en silence il me considérait…
Son ombre était sur moi comme un grand bonheur sombre,

En partant, il m’a tout repris, même son ombre !
Et je souffre et n’ai plus d’espérance ici-bas :
Il a gardé mon cœur, lui qui n’en avait pas…

L’AMOUR

Qu’importent les souvenirs tristes,
Et l’amertume, et la rancœur,
Pourvu qu’une flamme subsiste,
Parmi les cendres du bonheur !

Quand ta voix maudit et blasphème
Les belles heures d’autrefois,
Ta voix pourtant reste la même.
Pleine de jeunesse et de foi !

Au moment terrible où l’on doute
Si la nuit va jamais finir,
On voit poindre, au bord de sa route,
L’astre éclatant de l’avenir !

Oh ! ne regrette pas tes plaintes !
Tu frissonnais : Voici l’été ;
Ton lit désert, ta lampe éteinte
Ruisselleront de mes clartés !

Tu croyais, faible et tendre femme,
Ton grand cœur désormais perdu !
On croit donner toute son âme,
Mais il vous en reste encor plus !

Car le cœur, ô pleureuse blonde,
— Sache-le pour te consoler, —
Est le seul trésor de ce monde
Que personne ne peut voler.

ELLE

Amour, mon voile tombe et mes yeux te sourient,
J’étais une fleur morte, et tu me rends la vie ;
Tu ranimes soudain par tes mots caressants,
Au jardin de mon corps, les roses de mon sang.
Et je vois à cette heure où mon tourment s’efface,
Un soleil inconnu rayonner sur ma face !

L’AMOUR

Tu m’as compris. Lève le front. Regarde-moi.
Mes yeux sont la seule lumière,
Je suis le roi des dieux, je suis le Dieu des rois,
Le maître absolu de la terre !

Sans moi, l’homme mourrait de faim,
Les demeures resteraient closes
Et nul n’écouterait parler, dans les jardins,
Le rossignol avec la rose !

C’est par moi que les chaudes nuits
Roulent des langueurs et des fièvres.
C’est par moi que la bouche a la saveur d’un fruit,
C’est par moi que les fruits ont la douceur des lèvres.

Aime donc ! Va glaner les gerbes d’ici-bas,
Aime sans trêve. Que t’importe !
Qu’ils sont beaux les pays que l’on ne connaît pas.
Frappe à tous les volets, frappe à toutes les portes !

Je te donne la clef des cœurs,
La clef des champs, la clef du monde :
Pourvu que l’espoir te seconde,
Tu rencontreras ton Bonheur !

Bientôt, ce soir, demain peut-être,
Eblouie et joignant les mains,
Tu verras à quelque fenêtre
Le visage charmant de ton nouveau destin…

Alors, oubliant tes alarmes,
Le front plus léger et plus lourd,
Tu sauras quel bienfait peuvent donner les larmes
Quand ce sont des larmes d’amour.

ELLE

Adieu donc, Amour. Je contemple,
Avant de suivre mon chemin,
Ton temple adorable, seul temple
Où l’on n’implore pas en vain.

Je me souviens de tes paroles,
Et comme frissonnait ta voix.

Voudras-tu me guérir encore ?
Auras-tu pitié de mes maux ?
Entendrai-je ta voix d’aurore
M’apaiser avec d’autres mots ?

L’AMOUR

Va, sois tranquille. Je demeure ;
Tu me retrouveras toujours,
Car toutes les amours ne meurent
Que pour ressusciter l’Amour.

Émilienne d’Alençon.