Le Symbolisme/Conclusion

Jouve et Cie, éditeurs (p. 389-400).




CINQUIÈME PARTIE




CONCLUSION




LE BILAN DU SYMBOLISME
CE QU’IL A APPORTÉ D’ORIGINAL A LA LITTÉRATURE FRANÇAISE


L’avenir dira si le symbolisme a produit des écrivains comparables aux protagonistes des écoles qui l’ont précédé dans la littérature française. Les génies ou les talents qu’il peut compter sont encore trop près de nous pour que la critique leur soit équitable. Mais il reste possible d’établir exactement le bilan du symbolisme et par là de préciser son rôle dans les lettres françaises.

Malgré la diversité des expériences enregistrées, l’unité de but y est assez sensible pour permettre de résumer les résultats obtenus.

Le symbolisme a tenté une quadruple réforme : réforme poétique, réforme prosodique, réforme syntaxique, réforme lexicographique.

En ce qui concerne la première réforme, il a complété l’œuvre du romantisme, du réalisme et du naturalisme. Ces écoles avaient étudié les rapports de l’âme avec le monde objectif, celle-ci avec la nature, celles-là avec les phénomènes de la vie quotidienne. Le symbolisme observe de quelle manière vibre le cœur du poète sous le choc de l’Inconnaissable. Épris du mystère et de l’infini, les poètes de la jeune école les pourchassent où ils les supposent embusqués, Verlaine et Rimbaud dans la perversité et le mysticisme, Mæterlinck dans la métaphysique, Ghil dans la science, Cros Corbière et Laforgue dans l’ironie, Kahn dans la prosodie, Mallarmé dans la phraséologie, Moréas et l’école romane dans la lexicologie. Partout où il a cru pouvoir saisir l’Infini, le symboliste a dressé sa lyre. Le moindre souffle du mystère en a fait vibrer les cordes, instinct, sensibilité, raison. Les sons rendus ont eu des intensités différentes, mais tous ont traduit la présence de l’Inconnu. De leur concours une chanson nouvelle est née dont le charme étrange a surpris les hommes, parce qu’il leur indiquait que, dans sa course éternelle vers la vérité, l’humanité venait de franchir un obstacle considérable, qu’après avoir longtemps désespéré de trouver une issue, elle repartait enfin pour une carrière dont les bornes échappaient au regard.

Transporté d’allégresse à cause des espaces immenses à parcourir, le poète a cru nécessaire d’accommoder ses instruments de travail aux difficultés de la tâche. Dans l’industrie la fonction crée l’organe. L’ouvrier adapte les instruments qu’il possède à la besogne nouvelle, et, s’il ne le peut, il invente des appareils spéciaux. Devait-il ici en aller autrement ? Au jugement des symbolistes le changement d’inspiration appelait ou la transformation de l’outillage habituel ou la création d’un matériel approprié. Ce fut la raison d’une révolution de forme consécutive à la révolution de fond.

En matière de prosodie, l’adaptation du vers classique aboutit au vers libéré, mais la césure abolie, le jeu des muettes sublimé, la rime assagie, l’assonance admise au droit de cité, tout cela n’était que des demi-mesures. Théoriquement l’outil retrempé ne vaut pas l’outil neuf : on créa le vers libre.

L’ancien procédé de composition classique, essentiellement conforme à l’ordre logique rendait mal la complexité synthétique dans laquelle se révèlent les phénomènes de l’Inconscient. On en bouleversa l’économie ; par souci d’adaptation on exhuma des tournures que l’âge avait condamnées, on chercha dans les balbutiements de la syntaxe des ressources qui bientôt furent insuffisantes, jusqu’au jour où, lassé de tant de résurrections impuissantes, on se décida à faire entendre à la fois dans le chant poétique toutes les cordes de la lyre. Euterpe prêta ses flûtes à Polymnie et Mallarmé orchestra des poèmes comme Wagner des opéras.

Les deux temps de crise qui agitent la syntaxe traversent également le vocabulaire. Les archives lexicographiques se métamorphosent en Pactole qui inonde littéralement la fin de ce dernier siècle. A l’envi, le latin et le grec marient leurs sources de vocables, jusqu’au jour où cette rénovation philologique apparaît fort au-dessous du labeur qu’on lui réclame. Alors l’école romane cède le pas à l’instrumentation verbale et Moréas s’efface devant René Ghil.

Il y a donc dans le symbolisme un parti de Girondins et un parti de Jacobins. Les réformateurs ouvrent la brèche, les révolutionnaires y passent pour dynamiter les remparts.

Que vaut l’œuvre des uns et des autres ? Quelle est exactement la portée de la besogne accomplie ?

La réforme poétique est d’une importance capitale. Elle apporte en effet à la poésie lyrique un thème nouveau. La Nature, l’Amour et la Mort sont les thèmes traditionnels du lyrisme. La littérature française tout entière repose pour ainsi dire sur ces trois sujets fondamentaux. Les poètes les ont plus ou moins traités suivant la civilisation au milieu de laquelle ils évoluaient, c’est-à-dire suivant les préoccupations générales de leur siècle. Il est évident que l’Amour et la Mort sont les deux problèmes qui ont le plus violemment retenu la curiosité d’une humanité primitive. La Nature, telle qu’on la voit s’épanouir chez les précurseurs des Romantiques, n’a mérité qu’après ces deux thèmes l’attention des écrivains. Alors que l’Amour et la Mort préoccupent les premiers poètes de notre histoire littéraire, la Nature n’apparaît dans le chant lyrique qu’à la fin du xviiie siècle, avec les Rousseau, les Bernardin de Saint-Pierre et les Chateaubriand. Le romantisme achève de lui donner toute son ampleur. Les maîtres de l’école la conduisent même aux confins du panthéisme. La Nature chez eux s’assimile à la Divinité. Dieu, comme auteur des êtres et des choses, vivifie leur inspiration, mais il n’y figure encore que comme grand architecte de l’univers. Il faut aller jusqu’aux derniers poèmes de la Légende des siècles pour y rencontrer la notion de l’Infini. Quelques néo-romantiques commencent à confondre Dieu avec la force obscure qui environne le monde et le presse de tous côtés. Mais les symbolistes gardent exclusivement le mérite d’avoir ajouté à la perception de l’infini le sentiment de l’inconscient, l’idée du Mystère. De la nature, à Dieu, et à l’infini, le poète, grâce à eux, arrive à contempler l’immense inconnu devant lequel l’humanité écarquille en vain les yeux. L’inconnaissable est aujourd’hui thème lyrique au même titre que l’Amour, la Mort et la Nature. Par là, les symbolistes ouvraient à l’inspiration des routes qu’aucun voyageur n’avait encore foulées. Ils renouvelaient le lyrisme en l’élargissant ; ils transformaient l’esthétique en offrant à l’art des matériaux absolument neufs. Ils découvraient l’Inconscient ; ils le proclamaient objet de poésie. Ils arrachaient l’homme à la terre et le jetaient dans l’élément métaphysique.

Leur originalité comme leur bonheur est relativement aux autres réformes d’un intérêt beaucoup plus contestable.

La réforme prosodique abonde moins en avantages qu’en inconvénients. Ici l’apport du symbolisme est d’un côté le vers libéré de l’autre le vers libre. Le vers libéré n’est qu’un vers classique dont on a nuancé la mesure, sensibilisé le rythme ; on a multiplié les coupes, mais là-dessus aucun symboliste n’a dépassé les maîtres du classicisme. Tout bien examiné Verlaine ne va guère plus loin que Molière et que La Fontaine. On a assagi la rime ; mais la rime riche n’est pas le fait des classiques. Il n’y aurait là qu’un retour à l’ancienne coutume si par un effet de régression exagérée l’assonance n’eût pris la place de la rime suffisante. Verlaine, du reste, en permettant de la substituer à la rime, défend d’établir sur elle une prosodie tyrannique. Le vers libéré n’a qu’un mérite, celui d’avoir rénové les mètres impairs. En un certain sens l’usage classique paraît bien ici avoir donné des indications précises. Les alexandrins à rimes féminines n’ont-ils pas treize pieds tandis que les mêmes vers à rimes masculines n’en compte que douze ? N’est-ce pas la preuve que le mètre impair était une nécessité qui dès le début de notre métrique numérique s’imposait au poète pour varier le rythme ? Verlaine a donc cédé au besoin traditionnel de l’oreille en introduisant à l’intérieur du vers un rythme que les anciens conservaient pour marquer en fin de mesure un changement de cadence. Il n’y a d’ailleurs pas d’autre explication à la succession de rimes d’un sexe identique dans le même morceau. Ou bien le poète coupe une série masculine par une série féminine et alors la brusque transformation des consonances finales rend plus sensible l’imparité du rythme, ou bien il prolonge les rimes de sexe pareil jusqu’à la fin du poème, et, dans ce cas, il tire de l’absence absolue des rimes du sexe opposé un effet à peu près identique à celui qui découle de la présence multipliée du rythme impair à l’intérieur du vers. Quelles que soient ces licences, elles sont acceptables, car en dépit d’elles, le vers reste reconnaissable comme vers, et il y a loin de cette évolution forcée d’une forme classique un peu sénile au chaos excessif du verslibrisme.

Celui-ci entend changer les lois fondamentales de notre métrique ? Elle ne sera plus syllabique, mais rythmique. Au nom de quel principe ? De la fantaisie personnelle du poète. Soit ! Qui permettra pourtant de distinguer le vers de la prose ? La prose cessera-t-elle d’être rythmée pour que le vers conserve le privilège d’une harmonie musicale. Et si l’harmonie du vers ne doit pas différer de l’harmonie de la prose, à quoi bon le vers et la prose ? Si l’on maintient la distinction des genres, il faut être logique, reconnaître que le vers est le résultat d’une habitude lentement formée par les siècles, que la métrique numérique repose sur les principes rythmiques les plus compréhensibles à la masse, qu’y vouloir substituer des habitudes nouvelles ou une musique plus savante que populaire, c’est ravir à la poésie ce par quoi elle est le plus universel, la mélodie facile qui fixe l’image, la sensation ou l’idée. L’erreur du verslibrisme a été de croire que la métrique basée sur la rime était l’œuvre d’un virtuose expert en acrobaties harmoniques. Or, la rime a été rendue nécessaire par la faiblesse même de l’accent tonique. Elle fait partout son apparition avec la décadence de l’idiome. La rime surgit dans le latin avec le Dies Iræ, c’est-à-dire à une époque de basse latinité. Quoi d’étonnant que le français, latin fortement affaibli, ait conservé ce moyen d’accentuation dans le genre où le rythme devait être obligatoirement sensible ! Les autres licences du verslibrisme procèdent d’une observation non moins hâtive. Il autorise le hiatus ; mais pourquoi les meilleurs écrivains, même dans leurs ouvrages en prose, s’efforcent-ils d’éviter ce heurt inopiné de syllabes partout où l’usage n’a pas endormi les susceptibilités de l’oreille, s’il n’y a pas là un élément contraire à la force persuasive du rythme ? Il nie dans certains vocables l’importance de l’e muet ; mais il a contre lui les règles de la prosodie musicale qui, loin de considérer les muettes comme des quantités négligeables, en fait souvent le temps fort de la mesure. Il absout les vers myriapodes sans remarquer que le rejet suffit à transformer l’alexandrin classique en vers de quarante pieds et plus, si telle est la fantaisie du poète. D’ailleurs les verslibristes n’ont-ils pas pour la plupart aujourd’hui fait justice de ces réformes plus typographiques que prosodiques. Le vers pour être vers doit jouir d’une cadence élémentaire, perceptible à toutes les oreilles. Une poésie qu’on ne peut apprécier qu’à la condition de connaître la valeur des muettes enclitiques ou proclitiques, des syllabes fortes, des syllabes faibles et des syllabes zéro, n’est plus une poésie, c’est un jeu de savant. Il en est de même pour toute composition basée sur l’art d’allonger ou d’abréger à volonté certaines syllabes. Cet art-là est forcément plus personnel, plus arbitraire, plus fictif que général et que réel. Or, le poète doit flatter avec ses vers une habitude ancestrale. Il n’a de chance d’être compris que s’il ne combat pas ouvertement cette habitude, s’il la modifie tout en sacrifiant à ses exigences. Faites entendre au pâtre des Cévennes, accoutumé aux mélopées traînantes des montagnes, les morceaux du Tannhauser, il n’y verra que tohu-bohu : la beauté demande une certaine accoutumance. On n’en connaît tout le prix qu’après une éducation préparatoire. C’est pourquoi le verslibrisme restera longtemps un essor malheureux. Il est impossible de donner à la foule l’éducation variée qui serait nécessaire pour lui permettre d’apprécier les lyrismes éminemment subjectifs de chaque poète. L’art veut être et doit être universel. La masse peut trouver plaisir à des modifications progressives de la foi poétique ; elle restera toujours hostile à des transformations radicales. Aussi, tandis que le vers libéré flatte son goût du nouveau, le vers libre lui paraît-il un non-sens. Elle accepte l’un comme une conquête légitime du symbolisme, elle rejette l’autre comme une erreur de théorie et un excès de pratique.

La réforme syntaxique ne tient pas compte davantage de la réalité historique. Sous prétexte de nécessité synthétique elle s’insurge directement contre l’évolution, elle est une réaction contre le progrès. A l’origine en effet la poésie et la musique n’étaient pas séparées. Mais parce que leur union nuisait au développement de l’une et de l’autre, elles ont été contraintes d’obéir à leur tour à la loi de division du travail et de se cantonner désormais dans un domaine approprié. La musique et la poésie ne poursuivent pas des buts identiques. L’une exprime sous la forme synthétique les sensations complexes dont notre âme est le théâtre incessant. L’autre a précisément pour tâche de jeter la clarté dans ces ténèbres. Elle a mission d’éclairer l’inconscience de notre conscience. Son flambeau est l’analyse. C’est donc aller contre la finalité essentielle de la poésie que lui supposer des instruments de travail dont elle ne peut connaître l’usage. Autant vaudrait donner au laboureur l’épée du soldat et lui assurer que pour retourner la terre le glaive est préférable à la charrue. Une pareille conception de la syntaxe française a pour corollaires deux paradoxes. Elle suppose que les constructions synthétiques sont dans les langues un signe de perfection ; elle affirme a priori que tous les vocables équivalent à des harmoniques. La construction synthétique indique au contraire la jeunesse d’un idiome. Le fait est facile à vérifier. La langue française a mis plusieurs siècles à s’évader de la période synthétique, et à l’heure présente la langue allemande tend à s’adjuger à son tour les bénéfices de l’ordre logique. Rétablir les tournures que la pratique des siècles a condamnées, n’est-ce pas nier délibérément le travail de sélection qui au cours du temps s’exerce aussi bien sur les idiomes que sur les espèces naturelles ? Quant à confondre sans restriction les mots et les sons musicaux, rien en phonétique n’autorise des affirmations aussi absolues. Sans doute quelques vocables sont de pures onomatopées notées et conservées par l’écriture. Mais si les interjections et les bruits imitatifs sont le plus souvent la matière première des racines, ils sont loin d’être uniquement celle des mots, sinon comment expliquer l’extrême diversité des idiomes parmi l’espèce humaine. En réalité les mots sont la représentation graphique d’une idée ou d’une sensation et cette représentation est forcément conventionnelle. Qu’il s’y rencontre de certaines analogies entre le son et la pensée exprimée, rien de moins contestable, mais de là à ériger en système un phénomène accidentel, il ne manque pas de présomption antiscientifique ! Le symbolisme a donc failli à la vérité historique quand il a tenté de confondre à nouveau deux arts voisins qui par raison vitale avaient consenti jadis un divorce profitable. Reste il est vrai la traduction par des termes concrets d’images abstraites ! C’est assurément là un procédé propre à étendre la compréhension d’une langue. Mais sur ce point les symbolistes n’ont qu’exagéré des habitudes familières aux auteurs les plus anciens. Dans la réforme syntaxique, il ne demeure donc à l’honneur du symbolisme que de demi-résurrections. Il a rappelé avec insistance que l’harmonie imitative était un des moyens les plus féconds d’évocation poétique. Il a, après d’autres classiques, marié l’abstrait et le concret en concrétisant le premier, en abstractisant le second.

La réforme lexicographique aboutit à un échec presque aussi complet. C’est une ambition commune aux novateurs de vouloir enrichir la langue de vocables pittoresques ou d’expressions inédites. Mais l’expérience a tôt fait de guérir cette ardeur. Entend-on restaurer les mots endormis dans le passé, on se leurre en supposant que le langage vit ou meurt aux ordres de telle ou telle volonté. Une langue est un organisme que le temps a mis à l’épreuve. L’usage n’a sauvé de l’océan des mots que les termes qui répondaient à un besoin immédiat dans les conditions de clarté et de rapidité particulières à l’idiome. Les autres ont été jugés inutilisables. Ils n’ont pu soutenir l’épreuve du parler quotidien et ils sont tombés dans l’oubli. On peut avoir quelque succès à les tirer de leur sommeil, si le peuple, ayant contracté de nouvelles habitudes, rencontre dans ces fantômes le graphique adéquat à ses idées présentes. Toutefois l’aventure ne manque pas d’aléa. Le peuple crée les mots dont il a besoin presque instinctivement sans se demander si le passé renferme ou non ce qu’il cherche. Des érudits peuvent faire effort pour l’amener à adopter d’anciens vocables. Il s’y résigne le plus souvent à contre-cœur. En matière de langue comme en matière de commerce, la foule n’aime pas les « rossignols ». Le développement de la philosophie, de la science et de l’économie politique suffit à enrichir un idiome. La besogne des archéologues est quasi inutile. On ne comprend pas ou on comprend mal, et d’instinct on va au plus simple, au plus usuel, au terme sur lequel il n’y a pas d’équivoque. Cette remarque, qui vaut pour les termes, vaut plus encore pour les expressions ou les épithètes. Pouquoi voulez-vous qu’un écrivain du xxe siècle s’exprime comme Ronsard, Jodelle ou Rabelais ? La langue porte le reflet de la civilisation. Le Français d’aujourd’hui n’a ni les habitudes, ni le goût des Français du moyen âge. Il s’exprime autrement. S’il est sensible à des trouvailles heureuses, il reste froid devant ces exhumations qui lui rappellent peut-être quelque chose du passé, mais qui ne répondent à rien de la vie présente. Les romanistes l’ont compris sans doute, mais après des expériences qui tachent encore leur renommée. Le temps avait une fois condamné l’œuvre des grands rhétoriqueurs. Les symbolistes ont éprouvé que l’évolution s’applique aussi au langage et que les mots sont, comme les hommes, fils de leur siècle. Ils n’ont pu compenser cette erreur qu’en étendant le sens des vocables en usage, et par cette extension que l’habitude a encore à sanctionner, il peut arriver qu’ils aient ajouté aux qualités expressives de la langue ; mais la fortune d’un néologisme dépend souvent du talent de son auteur et ceci est déjà le secret de demain.

En définitive, l’œuvre du symbolisme comporte un échec honorable et une victoire grosse de profit.

Son synthétisme de forme englobe beaucoup d’audaces juvéniles, peu de résultats fructueux.

Par contre son synthétisme d’inspiration a préservé notre littérature d’un suicide dans les marais scatologiques. Il a pour elle ouvert la voie des espaces infinis. Obsédés par l’exemple des romantiques, les symbolistes ont eu tort de croire que le changement du thème poétique entraînait nécessairement une révolution dans la prosodie, la grammaire et le vocabulaire. Ils conservent néanmoins le privilège d’avoir créé le lyrisme métaphysique, d’avoir retrouvé la véritable fonction de l’art qui est, à force de sincérité, de fixer en beauté les conquêtes de l’humanité sur l’Inconscient. « Travaille, dit le symbolisme au poète. Il n’y a pas de méthodes, il n’y a pas de règles. Il y a l’Infini et le cri de ton cœur pour en dévoiler le mystère. » Le symbolisme a donc été une école d’espérance et de liberté, nullement un atelier de technique. Hardis explorateurs, mais colons inexpérimentés, voilà ses adeptes. Ils ont donné accès aux terres que d’autres ensemenceront. Cela suffit à marquer leur place dans l’histoire des lettres françaises.