La nymphe conduit l’amoureux Poli-
phile en d’autres endroits fort beaux où il aperçoit d’innombrables jeunes filles célébrant et fêtant vivement le triomphe de Vertumne et de Pomone autour d’un autel sacré. Puis ils parviennent à un temple merveilleux dont Poliphile décrit en partie l’architecture. Il raconte comme quoi, sur un avis de la prêtresse, la nymphe éteignit sa torche, avec de nombreuses cérémonies, en lui déclarant qu’elle était sa Polia, et comme quoi, en compagnie de la présidente du sacrifice, elle invoqua les trois Grâces devant le divin autel.



omme je ne pouvais déjà plus lutter contre la violence des armes célestes, et l’élégante nymphe en ayant profité pour conquérir amoureusement sur moi, son misérable amant, une irrévocable domination, elle me conduisit, suivant ses pas mesurés, vers un endroit spacieux. Il était contigu à la vallée encaissée et fleurie, ceinte de collines où des sommets décorés et des coteaux plantés de vigne bornant le littoral en fermaient les entrées et entouraient cette région d’or pleine d’incroyables agréments. Ces collines étaient couvertes de bois sauvages d’une remarquable densité, encore que les arbres y eussent été disposés dans un ordre agréable. C’étaient l’if de Corse et celui d’Aecæ[1], le pinastre infructueux et résineux, les pins élevés[2], les sapins droits dont les branches pendent négligemment et résistent au poids, le mélèze inflammable, le laryx spongieux. L’air y était tiède, et les nymphes Oréades[3] y cultivaient, tout en fête, ces aimables collines. C’est là que nous nous dirigeâmes, par la plaine verte et fleurie. Brûlé du feu d’amour, j’allais près de la nymphe insigne qui me servait de guide. Nous marchions entre les hauts cyprès, les larges hêtres, entre les chênes verdoyants garnis abondamment de leurs fruits nouveaux encupulés, arbres chers et agréables à Jupiter l’altitonnant ; nous marchions entre les rouvres durs à l’écorce rugueuse, entre les épineux genévriers éternellement verts, entre les frêles coudriers, entre les frênes aux minces baguettes, entre les lauriers garnis de baies, les chênes comestibles, les charmes noueux et les tilleuls qu’inquiétait le souffle frais du suave zéphyr se jouant dans les tendres rameaux qu’il secouait doucement.

Tous ces arbres n’étaient pas plantés serrés, mais ils l’étaient à distance voulue, et tous, dûment distribués à l’endroit convenable pour le bon aspect, étaient on ne peut plus convenables à la vue avec leur frondaison printanière. Les nymphes campagnardes fréquentaient ces lieux. Les dryades errantes, au petit corps agile entouré de tiges feuillues souples et tordues, au large front couvert de leurs cheveux pendants, s’y trouvaient de compagnie avec les faunes cornus à la tête couronnée de légers roseaux et de férule pleine de moelle, ceints des feuilles aiguës du pin, ainsi qu’avec les satyres agiles, sautants et lascifs. Tous solennisaient les féeries faunesques, sortis de cet aimable bois sacré au feuillage plus tendre et plus vert que ne fut, je le pense, la forêt de la déesse Féronie[4] quand elle reverdit, alors que ses habitants voulurent, à cause de l’incendie qui la dévora, transporter ailleurs l’image de la déesse[5].

Nous parvînmes en un lieu où étaient de vastes espaces carrés bordés par des routes larges et droites se coupant à angles droits, garnies de cynacanthes[6] ou épines, de genévriers nains et de buis très-fournis taillés très-également à hauteur de mur, enfermant les carrés contenant des fleurs et des prairies humides. J’admirai, à chaque intersection, de hauts palmiers victorieux d’où pendaient, sortis de leur écorce, d’abondants régimes de dattes, les unes noires, les autres rouges et un grand nombre jaunes, telles qu’on n’en trouverait pas dans l’Égypte arrosée. Le palmier dit Dabla[7], chez les Arabes scénites[8], n’en portait peut être point de pareilles, et Jéricho, d’aventure, n’en produisait pas non plus. Ces palmiers alternaient avec des citronniers et des orangers très-verts, des pommiers, des pistachiers, grenadiers, cognassiers, myrtes en arbre, néfliers, sorbiers et autres en quantité, très-nobles et féconds en fruits, au milieu des champs nouvellement reverdis.

Là, sur la verdure des prés fleuris, sous les ombres fraîches, j’aperçus, en multitude compacte, une grande

foule de gens qu’on n’a pas accoutumé de voir souvent réunis et qui se réjouissaient, vêtus, à la mode champêtre, de peaux de faon couvertes de taches blanches pareilles à des gouttes de peinture ; quelques-uns étaient couverts d’étoffes à poils ras, d’autres portaient sur la chair nue des feuilles de colocase[9], de bananier, du grand tussilage et autres feuillages variés avec des fleurs et des fruits. Ils avaient des chaussures faites avec des feuilles d’oseille, ils étaient couronnés de fleurs et célébraient leur fête en proie à des transports religieux, applaudissant et jubilant. Telles étaient les Hamadryades[10] et les chanteuses d’Hyménées couronnées de fleurs odorantes, dansant avec vénération et gaîment audevant et autour de Vertumne[11] fleuri, au front ceint de roses pourprées et jaunes, le giron plein de fleurs parfumées amies de la saison que ramène le Bélier laineux[12]. Il était assis triomphant sur un chariot fort antique, tiré par quatre faunes cornus enchaînés de guirlandes de feuilles nouvelles, en compagnie de sa bien-aimée femme Pomone[13], couronnée de fruits et laissant pendre la masse de ses très-blonds cheveux. Elle était assise aussi. À ses pieds se trouvait une chantepleure en terre cuite ; sa main tenait une cornucopie toute pleine de fleurs et de fruits mêlés à du feuillage. En avant du char, près des faunes qui le traînaient, une femme élevait au bout d’une lance un trophée composé de fourches, sarcloirs et faucilles liés ensemble, avec cette inscription sur un cartouche :

INTEGERRIMAM CORPORVM VALETVDINEM, ET STABILE ROBVR, CASTASQVE MENSARVM DELICIAS, ET BEATAM ANIMI SECVRITATEM CVLTORIBUS MEIS OFFERO[14].

L'autre portait un trophée de germes et de rejetons verdissants attachés à des instruments ruraux. Toutes sautaient selon un rite antique, applaudissant, tournant

et retournant solennellement autour d'un autel sacré quadrangulaire établi religieusement au milieu du pré touffu et fleuri, arrosé de très-claires fontaines. Cet autel, orné de moulures recherchées, d'une faîture excellente, était en marbre blanc et lustré, admirablement sculpté.

Sur chacune des faces était une représentation incroyable d’une élégante image presque en ronde bosse. La première montrait une très-belle Divinité aux tresses flottantes, couronnée de roses et autres fleurs, à la fine tunique se moulant sur les beaux membres qu’elle revêtait. De la main droite elle jetait pieusement des roses et des fleurs diverses au-dessus d’un autel à sacrifice fait d’un très-antique chytropode[15] d’où s’échappait une légère flamme. De l’autre main elle portait un rameau de myrte odorant garni de ses baies. À côté d’elle se tenait souriant un très-joli petit enfant ailé, muni de ses insignes offensifs. Il y avait aussi deux colombes. Aux pieds de cette figure était inscrit :

FLORIDO VERI. S.

Sur la face voisine, je vis une admirable sculpture représentant une demoiselle à l’aspect virginal trahissant une majesté de matrone qui faisait le plus grand honneur à l’ouvrier. Elle était couronnée d’épis, en habit de nymphe, tenant de la main droite une cornucopie plein de grain mûr et, de l’autre, trois chaumes garnis, chacun, d’un épi barbelé. À ses pieds gisait une gerbe liée avec ces mots :

FLAVÆ MESSI. S.

Sur la troisième face se voyait une effigie nue qui apparaissait rendue avec une façon et un art admirables. C’était un enfant couronné de grappes de raisin, au rire lascif. Il tenait de la main gauche une touffe de pampres fructifiés, et, de l’autre, une cornucopie pleine de grappes, de feuilles de vigne et de vrilles pendant par-dessus les bords. Au pied de cette image était un bouc velu, avec cette inscription gravée :

MVSTVLENTO AVTVMNO, S.

La dernière face avait une belle sculpture d’une image royale à l’aspect robuste et rigide, qui tenait un sceptre dans la main gauche et regardait vers le ciel au milieu d’un air obscur, troublé et orageux. De l’autre main elle touchait un nuage de grêle. Derrière elle l’air paraissait pluvieux et nébuleux. Elle était vêtue d’une couverture de peau appliquée sur le nu et chaussée de sandales antiques. Au-dessous était cette inscription :

HYEMI AEOLLAE. S.

Pour ce noble travail le remarquable artiste avait soigneusement choisi le marbre qui, fort blanc, était veiné de noir à l'endroit requis, afin d'imiter l'air obscur et nébuleux avec la chute de la grêle. Sur la plate-forme de cet autel s'élevait le rude simulacre du Dieu des jardins[16] avec tous ses attributs convenables et appropriés. Une coupole, établie et soutenue sur quatre pieux fichés dans le sol, recouvrait et ombrageait ce mystérieux autel. Ces pieux étaient soigneusement revêtus de feuillages garnis de fleurs et de fruits. Le comble était tout fleuri. Entre chaque pieu, au bord de chaque entre-baîllement de la couverture, pendait une lampe allumée, ainsi que des ornements en feuilles de clinquant, lesquelles, agitées de temps en temps par les fraîches brises printanières, haussaient avec une crépitation métallique. Tantôt les assistants jetaient religieusement, et selon un fort ancien rite campagnard, en manière de libations, quelques bulles ou ampoules de verre emplies du sang d'un âne immolé[17], de lait chaud ou de vin pur éclatant, qui crevaient en laissant échapper leur contenu. Tantôt ils lançaient des fruits, des fleurs et des feuilles, tout joyeux et festoyants. Tantôt ils promenaient, avec une antique cérémonie silvestre, l’image du vieux Janus[18] à la tête garnie de fleurs tressées et enlacées, chantant, sur un rhythme champêtre, des vers Thalassiens[19], Hyménéens[20] et Fescenniens[21], jouant de leurs instruments agrestes en grande joie et triomphe, célébrant leur culte en dansant, sautant, applaudissant solennellement, aux sons perçants des voix féminines. Aussi de tels rites consacrés, de semblables fêtes ne me causèrent pas moins de plaisir, ne me charmèrent et ne m’étonnèrent pas moins que les précédents triomphes ne m’avaient rempli d’admiration.

Avançant quelque peu, allant, avec un plaisir extrême, toujours de l’avant, j’eus lieu d’admirer encore, aux bords des claires fontaines disséminées dans les gracieuses prairies à l’herbe touffue, sous les bois pleins d’ombre, la danse des Napées[22] humides, les ébats des plaisantes Naïades et les chants des Néréides de la mer. Quelques-unes étaient revêtues de peau de veau marin que n’atteint pas la colère du suprême Jupiter. Elles portaient des corbeilles d’écorce à mettre des vivres remplies de fruits et de fleurs, venues qu’elles étaient du littoral sablonneux, et elles amusaient leur oisiveté à des fêtes diverses. Beaucoup tenaient en main des thyrses verts chargés à leur sommet de fleurs d’oranger aux feuilles souples, de roses d’Égypte jaunes, de roses de Perse, de narcisse ; ainsi que des bouquets de grenadier et d’odorant aneth. Avec elles se trouvaient Pan l’Arcadien, dieu des forêts, les Silvains demi-dieux des montagnes, les nymphes des bois[23] et d’autres encore, ainsi que Zéphyr en compagnie de Chloris[24] sa bien-aimée à laquelle il avait concédé l’empire des fleurs. Grand nombre de pasteurs se démenaient chantant, experts à jouter avec des chansons, et, la houlette en main, ils louaient ensemble, jubilant, applaudissant, en fête, en jeux, en ébattements, sur de très vieux instruments faits de pipeaux et de roseaux, sur des flûtes en cornet aux sons étranges, fabriquées d’écorce enroulée en forme de scytale[25], l’amoureux et tout-puissant Jupiter ; ils célébraient et glorifiaient la sainte culture des champs, accomplissant très-dévotement les féeries floréales.

Aussi je laisse croire, à qui peut en pensée se le représenter, le voluptueux plaisir que je ressentis. Donc, je voyageais tout comblé d’une incroyable joie. Ma très-gracieuse compagne et moi nous poursuivîmes notre heureux itinéraire, notre amoureuse promenade à deux. Comme parfois je détournais mes regards de l’objet dont provenaient leur douce domination, leurs chaînes, et leur quasi-confiscation, voilà que, regardant par-dessus les tendres chevelures et les vertes cimes des arbres balancés, j’aperçus un pinacle élevé qui m’apparut posé sur un faîte arrondi. J’estimai qu’il était peu distant du rivage au doux murmure situé dans la direction où me conduisait l’aimable nymphe ; rivage vers lequel les sources tombantes et jaillissantes, qui circonscrivaient la vallée, s’écoulaient du pied des riches collines et des coteaux couverts en partie de prés, en partie de bois, et couraient, d’un côté comme de l’autre, avec des eaux très-rapides, en formant de transparents canaux au lit de sable et de gravier. Bientôt, outre ledit pinacle, je vis un dôme éminent et superbe qui me parut recouvert de plomb pâli. Il portait à son sommet une lanterne octogonale garnie de colonnes, et, par-dessus, un autre dôme qui supportait huit piles quadrangulaires couvertes d’un comble en forme de balustre, duquel s’élançait une flèche ayant à son sommet une boule très-ronde, remarquablement brillante, d’un or éclatant. La vue m’en fut très-agréable et ne m’inspira pas médiocrement le désir de la considérer de plus près, à mon aise, pensant avec raison que c’était là un très grand et fort antique monument. Aussi étais-je sur le point de prier ma bonne conductrice de vouloir bien m’y mener, encore que nous allassions tout droit dans cette direction. Mais je réprimai ce désir, disant en moi-même : « Hélas ! je n’ose demander cette chose vers laquelle je suis aiguillonné et vivement poussé, cette chose qui me tient si violemment à cœur, que je désire si ardemment et avant tout, cette chose que je crois capable, si elle m’était accordée, de faire de moi le plus satisfait des amants. Or si, tout en suffoquant, je réprime et condamne, en ma faiblesse, cette pensée inconsidérée, ne trouvant de soulagement à une si longue torture qu’en me repaissant des soupirs de mon cœur, comment donc oserais-je implorer une faveur qui m’est bien moins chère ? Hélas ! cœur agité, cœur partagé qui ne m’appartiens plus entièrement, comment suis-tu si volontiers l’oiseau de proie qui dévore ton existence ! Ce cœur, enveloppé de ses liens lascifs, en proie à ses pensées coupables, cause en mon sein enflammé une palpitation sans fin. Il est pareil au triste cœur du faisan que le cruel faucon oblige à s’envoler de la cime des arbres ! » Ainsi poursuivant, agité par des réflexions nouvelles, notre marche mesurée, tout en causant abondamment avec ma nymphe qui m’entretenait des merveilles que, par une grâce divine, il m’était permis de contempler, nous parvînmes enfin près du rivage sonore que baignaient les ondes plaisantes de la mer agitée. En cet endroit, situé dans une assiette charmante, nous nous trouvâmes en face d’un ancien temple d’un art architectural des plus ornés, d’un travail antique de la plus grande richesse, somptueusement bâti et consacré à la Vénus physique.

Ce temple sacré était construit architectoniquement, en un rond habilement inscrit dans une figure carrée tracée sur une aire parfaitement nivelée. Son diamètre donnait la mesure de sa hauteur. En ce cercle, établi sur le sol, était inscrit un second carré. Le diamètre de ce cercle, à partir de l’extrémité d’un des côtés du carré jusqu’au centre[26], était divisé en cinq parties égales, plus une sixième supplémentaire au delà du centre ; ce qui donnait le rayon d’un nouveau cercle[27] dans lequel le très-docte architecte avait enfermé l’ensemble du temple. Cette excellente construction, ce superbe édifice avait été élevé dans un exact rapport des mesures et proportions tant des parois d’enceinte, de l’épaisseur des murs, des piliers extérieurs, que de l’espace compris entre une circonférence et l’autre, c’est-à-dire entre la première paroi et la colonnade ou péristyle entourant l’espace libre voûté. En menant ensuite dix rayons du centre à la circonférence il fut établi, sur les parties égales obtenues par les intersections de ces rayons sur ladite circonférence, autant d’arcades superposées à des colonnes de marbre serpentin. Contre le pilier solide soutenant deux arcades départies de côté et d’autre et formant la cloison circulaire intérieure, se dressait en saillie, sur une largeur de deux pieds, une colonne Corinthienne ciselée et polie, d’une hauteur égale à celle d’une colonne Ionique, c’est-à-dire mesurant neuf fois son diamètre, en deçà du chapiteau qui était de bronze. La colonne était en porphyre brillant. Elle soutenait l’architrave unie à la frise ainsi qu’à la corniche qui couraient au-dessus du sommet de l’arc ou travée courbe.

L’archivolte, sa frise et sa corniche surplombaient le nu de la colonne de porphyre par une projection accommodée à la demande de la perpendiculaire. La base et le chapiteau de la colonne étaient de fin métal doré au feu, très-brillant ; son entasis[28] ou corpulence était exacte. Cette disposition en saillie était régulièrement observée pour toutes les colonnes de porphyre parfaitement de niveau et semblables. Elles reposaient chacune sur un piédestal approprié à l’effet de la colonnade. Mais l’illustre architecte, pour donner un plus grand dégagement au pavé, avait fait les arcades à jour.

Les arcs, posant leurs extrémités au-dessus des colonnes en ophite arrondies et polies au tour par le frottement, s’appuyaient sur l’entablement accoutumé ou bandeau établi au-dessus des chapiteaux, afin d’avoir une solide assiette. Cet entablement n’était pas en airain, pour le mieux des ornements ondulés des chapiteaux. Sous la base était établi un demi-piédestal sur lequel portait solidement chaque colonne d’ophite.

Quant aux colonnes Corinthiennes, elles reposaient fermement sur un piédestal de forme demi-cylindrique relié on ne peut mieux de côté et d’autre aux demi-piédestaux des colonnes d’ophite. Ce premier piédestal était formé par le moyen de deux carrés, dont le côté égalait le diamètre de la base de la colonne Corinthienne ; il était de proportion sesquialtère[29], fort convenablement disposé quant aux détails ; moulures, tores, gueules, nervures, cimaises et autres lignes tant du haut que du bas, dûment liées avec celles des piédestaux dégagés ci-dessus dits.

Chacun des arcs[30] était élégamment décoré de sa clef faite de petits enfants avec des feuillages fleuris allant de côté et d’autre. Dans chaque triangle formé par les arcs étincelait, comme un miroir, un rond en jaspe versicolore excellemment entouré d’une ondoyante bordure de fleurs brillamment dorées.

Contre le pilier soutenant les arcs opposés l’un à l’autre, derrière la colonne Corinthienne, un pilastre cannelé formait une saillie d’un tiers. Il avait sa base posant sur le pavé et s’appuyait contre la cloison qui divisait les arcs, ayant en face de lui, contre la dernière cloison, un pilastre en tout semblable.

La mesure de l’intervalle entre ces piliers était donnée par les rayons menés du centre à la circonférence sur la ligne des piliers de la cloison extérieure. Au-dessus du demi-chapiteau des pilastres courait un bandeau circulaire d’un gracieux travail.

Les demi-piédestaux cylindriques et ceux des colonnes d’ophite étaient en alabastrite éclatant. Ils étaient ornés de festons en reliefs d’abondants feuillages garnis de fruits d’une grande blancheur, tels que nèfles et têtes de pavots, festons qui se renflaient vers le milieu et qui, vers leurs extrémités, laissaient pendre des rejetons variés attachés à de certains anneaux joliment ornés.

Au-dessous de la bande circulaire ci-dessus mentionnée[31], entre l’un et l’autre pilastres cannelés appartenant à la première paroi, se trouvait une fenêtre rectangulaire formée d’un carré et demi, ainsi qu’il est requis pour les temples antiques. L’ouverture ou jour de cette fenêtre était garnie, avec beaucoup d’art, d’une lame diaphane de pierre de Ségovie[32] qui ne craint pas la vétusté. On comptait huit de ces fenêtres, parce que l’entrée de ce temple en occupait une partie, et que, directement en face du pronaos[33], une autre partie était affectée à recevoir la porte aux battants dorés de l’enceinte réservée ou sacré sanctuaire surajouté, dont la description, pour plus de commodité, sera donnée ultérieurement.

Adossés aux pilastres placés à l’intérieur du mur d’enceinte, les piliers extérieurs faisaient une saillie égale à l’épaisseur de la muraille. Leur largeur était déterminée par les intersections des rayons sur la circonférence. Cette largeur des piliers était divisée en trois parties : on en accordait une aux pilastres, les deux autres, de côté et d’autre, étaient accordées aux côtières destinées à soutenir un arc engagé dans le mur et allant d’un pilastre à l’autre. La saillie de ces pilastres, divisée en trois, donnait une partie à celle que formait l’arc au-dessus du plan du mur uni, et dépassait des deux autres tiers les côtières et les arcs engagés dans l’épaisseur du mur solide[34].

Les architectes recherchés préconisaient cette élégante observance, et pour ne pas donner au mur une telle épaisseur que les fenêtres en fussent obscurcies, et par une précaution intelligente pour la solidité du massif aussi bien que de ses parties saillantes, et pour la grâce extérieure.

Cette arcature se déroulait en arcs arrondis dans un ensemble excellent du même module, bien et dûment joints et partout établis le long du mur qu’ils entouraient joliment, lequel mur, entre chaque arc, présentait le même aspect.

Dans l’intervalle nu entre chaque pilier, ou mieux dans l’espace compris sous chaque arc, sur le restant de la muraille, était placée la fenêtre. L’arc se maintenait à la même distance du pilastre que de la première corniche circulaire qui courait, à l’extérieur, au-dessous de la première toiture. On comptait dix piliers, ossature de l’édifice, autant d’arcs engagés dans le massif et saillants sur le mur extérieur, moins un à la partie de l’édifice où était appliqué le sanctuaire[35].

Ce sanctuaire, ladite grande corniche l’embrassait entièrement et le reliait avec le temple. La toiture s’élevait au-dessus de ce cordon. C’était un dôme sans ouverture et indépendant du grand.

Revenons maintenant à la ceinture de l’intérieur courant au-dessus de la colonnade ou péristyle qui soutenait l’architrave, plus la frise et la corniche formant saillie à la rencontre des colonnes de porphyre. Sur la plate-forme de ces saillies de la corniche se dressaient des demi-pilastres cannelés en ophite de premier choix, dont les demi-chapiteaux supportaient une corniche aux remarquables moulures, et à partir de laquelle prenait naissance l’inflexion de la haute coupole.

Dans l’entre-deux de ces pilastres, je vis des fenêtres de bonne proportion, placées fort à propos et obturées par des lames de Bologne en Gaule[36].

Elles étaient construites par l’habile sectateur des Muses, en des champs dorés dans lesquels j’admirai, réparties proportionnellement et en divisions égales, de superbes peintures en mosaïque représentant la propriété et l’effet de chaque mois de l’année, les opérations du soleil à la rencontre du Zodiaque et les opérations de la lune au-devant du soleil, les phases mensuelles de cette même lune se renouvelant cornue, demi-pleine et pleine, sa révolution embrassant le mois entier, celle que fait le soleil en son parcours, les équinoxes, les solstices d’hiver et d’été, le cercle des vicissitudes du jour et de la nuit, le quadruple mouvement des saisons, enfin la nature des étoiles fixes et des étoiles errantes avec leurs effets. Il me sembla qu’une œuvre d’un tel art avait dû être dirigée par les très-habiles mathématiciens Pétosiris[37] et Nécepsos[38]. À observer de telles choses, l’observateur était amené, avec un plaisir extrême, aux plus rares et aux plus admirables spéculations, sans compter l’excellent spectacle qui lui était offert des fictions élégantes, de la belle distribution des figures, de la peinture achevée tant par les colorations que par les ombres qui, rendant dignement et à propos le modelé des corps et l’effet lumineux, en présentaient l’aspect louable et plaisant à la perception de l’esprit. Cette œuvre méritait d’être considérée autant que n’importe quoi. Dans un compartiment était écrit avec élégance, en caractères antiques, la signification des sujets énoncés plus haut. Ces espaces contenus entre les demi-pilastres étaient enfermés dans des moulures sculptées d’un fort beau travail.

Les parois étaient revêtues de nombreuses plaques rapportées, aux formes variées, artistement incrustées et de prix, du mieux que l’imagination du fécond architecte avait su en faire l’application à une construction aussi magnifique. On ne fit peut-être rien de semblable au temple de Jupiter Ammon. Au-dessus de la rangée des colonnes Corinthiennes résidait Apollon jouant de la lyre, et, tout autour du vaisseau, chacune sur un piédestal convenable, étaient établies, d’un seul bloc de pierre pilates[39], dans des attitudes et avec des mouvements appropriés, au grand honneur du sculpteur, les Muses taillées d’une façon exquise, dressées sur les saillies que formait la corniche au delà de tout le cordon circulaire.

L’immense coupole décelait plutôt une œuvre divine qu’un spécimen du génie humain. Mais si, toutefois, elle était de main d’homme, on n’eût pu ne pas demeurer stupéfait en sa présence, ni ne pas traiter d’ambitieuse une telle tentative de l’art de fonte menée à bien par un esprit mortel.

Effectivement, en considérant sa vaste étendue, on s’apercevait, comme je le vis d’ailleurs, qu’elle était coulée d’un seul jet de métal. Je demeurai dans une admiration extraordinaire, halluciné, et taxant cela d’impossibilité. Cette œuvre de bronze n’était formée rien moins que d’une vigne qui prenait naissance en de très-beaux vases d’airain placés perpendiculairement au-dessus de la rangée des pilastres. Elle disséminait de tous côtés ses branches, sarments et vrilles qui s’enroulaient et se tortillaient en des nœuds pleins de grâce, suivant la courbure de la coupole, avec une densité convenable de rameaux feuillus après lesquels grimpaient des petits enfants s’essayant à saisir des oiseaux voletant, le tout admirablement sculpté à faire envie à la nature, les interstices demeurant à jour. Ces travaux étaient exécutés dans une proportion telle, que, du sol, ils apparaissaient de grandeur naturelle ; le tout brillamment revêtu d’or fin. Les ouvertures, c’est-à-dire les interstices entre les feuilles, les fruits et les êtres vivants, étaient très-convenablement fermées par des plaques de cristal aux colorations variées, semblables aux gemmes les plus brillantes.

La convenance d’une construction parfaite et le complément de l’harmonie exigent que tout cordon intérieur soit répété au dehors. Les piliers extérieurs reposaient sur une base continue ou stylobate, sise au-dessus de trois marches inégales qui entouraient complètement le bas de l’édifice et étaient posées de niveau sur le sol de façon à venir à la hauteur du pavé intérieur. Au-dessus de ces marches régnait l’aréobate ou mieux stylobate en manière de base ornée de tores, nacelles, bandeaux, gorges et quarts de rond, courant autour du temple ainsi qu’autour du sanctuaire, en formant une très-belle ceinture dont la moulure la plus basse avançait d’un pied humain sur le nu des piliers. Ces piliers étaient perforés, à l’intérieur, de canaux et pertuis, afin de recevoir l’eau des pluies et de les introduire dans le sol où elles s’engouffraient à l’aide de tuyaux excellemment joints. Car, dans les édifices élevés en plein air, il ne doit y avoir ni gouttières ni gargouilles. D’abord parce que la chute en pourrait être dangereuse, et puis, parce que celui qui pisse trop près de ses pieds gâte sa chaussure et la salit. Il faut donc éviter cet inconvénient. Les gargouilles à découvert sont cause que l’eau, dans sa chute, creuse le sol ; et si celle-ci rencontre une résistance en tombant sur une dalle de pierre, elle rejaillit d’autant plus contre les pieds de l’édifice et éclabousse le mur.

Ce n’est jamais sans grave inconvénient, ni sans danger pour les murailles que l’eau, chassée par la force du vent, vient à se répandre contre elles. Cette eau les moisit, les rend terreuses et, pénétrant par les fenêtres, creuse et ronge toutes les moulures. L’aspersion de l’eau fait croître, dans les joints, les mauvaises herbes, cotylédon[40], cymbalaire, adiante, digitale, pariétaire, polypode, cela jusqu’à produire des arbrisseaux même, tels que le figuier sauvage ; c’est la ruine du mur dont ils disjoignent les parois et les rongent par le fait de leurs racines multiples et renouvelées.

La hauteur de la première muraille était donnée par celle du sommet de l’épaisseur[41] des travées courbes ou arcs reposant sur la colonnade, hauteur arrivant au niveau de la ligne sise derrière les colonnes Corinthiennes où commençait le comble écaillé de l’édifice. Au sommet de cette muraille, sur le bandeau supérieur de la corniche circulaire, était creusé un petit canal contre le bord duquel s’arrêtait le toit penché couvert d’écaillés en airain doré. La partie la plus élevée de ce comble prenait naissance contre la voûte, au-dessus même de la corniche interne, y compris sa travée et sa frise. Dans ce petit canal creusé au sommet du mur extérieur, à même l’épaisseur de la grande corniche, les eaux pluviales qui ruisselaient le long du toit penché, s’engouffraient dans les tuyaux ménagés à l’intérieur des piliers. Les pluies recueillies s’y précipitaient jusqu’au bas. Là, reçues dans des conduits cachés sous terre, elles s’écoulaient dans la citerne. Cette citerne étant munie d’un puisard par lequel disparaissait le superflu de l’eau, dont il ne restait que le nécessaire aux besoins du culte.

La face des pilastres extérieurs était décorée en perfection de candélabres, feuilles, fruits, fleurs, oiselets et autres travaux variés et précieux enfermés entre des moulures d’un dessin excellent. Ces pilastres étaient continués au delà de l’arête du mur[42], d’une hauteur égale à celle de la partie surélevée au delà de la corniche intérieure, sur laquelle étaient posés les piédestaux qui supportaient les Muses, c’est-à-dire jusqu’à la hauteur de la couronne, à partir de laquelle commençait la grande voûte arrondie, en sorte que, de ce point à la cime des piliers, il y avait une inclinaison égale à celle de la toiture couverte d’écaillés en tuiles dorées comme ne le furent point par Catulus[43] celles du Capitole, non plus que l’imbrication du dôme du Panthéon[44].

Entre les fenêtres placées dessous la coupole et le derrière de la surélévation des pilastres, s’appuyait, établi au niveau de la corniche du mur extérieur, un arc-boutant largement ouvert, ayant les mêmes moulures que les travées[45]. Ses extrémités portaient tant du côté du mur que du côté du pilier[46] sur un demipilastre entré dans le mur et sortant d’un tiers, contre le pilastre d’ophite[47] adossé à l’intérieur, ainsi que sur un autre situé derrière le pilier extérieur surélevé.

À la face antérieure de ces piliers exhaussés étaient des niches ou châsses posées perpendiculairement au-dessus du chapiteau du pilastre[48]. Devant ces niches étaient placées des statues d’une grande noblesse, dans des attitudes variées. Sur la face de droite et sur celle de gauche de ce pilier surélevé, on voyait les mêmes sculptures que celles qui ornaient la face antérieure du pilastre situé dessous, et dont le sommet était de niveau avec la saillie de l’arc extérieur[49].

Le bas de l’ensemble des lignes par-dessus lequel régnait le dehors de la coupole[50] tombait sur le demi-pilastre[51] avec toute la réunion des moulures qui constituait la ceinture menée au-dessous du dôme, et c’est sur ce bas même que l’arc-boutant faisait résistance. Cette ceinture formait un couronnement orné d’échines ou oves au larmier concave ; elle était garnie de quintefeuilles entre leurs arêtes et se montrait parfaite dans l’ensemble de ses moulures.

La coupole reposait, à son point de départ, sur cette ceinture ou couronnement dans l’épaisseur de laquelle était creusé un canal où les eaux, s’écoulant du dôme, allaient s’ingurgitant avec rapidité par les canaux ménagés dans les piliers.

Sur le rampant de la voûte, jusque sur le dessus du pilastre, s’étendait, couvrant tout l’arc-boutant, un cuir ou cartouche qui formait deux volutes en sens inverse. L’une se contournait en dedans contre le dôme, l’autre en dehors contre le pilier. Dans les spirales des volutes naissaient des caroubes ou des grains de fève ou de lupin, sortant de leur gousse. Le dessus de ce cartouche était couvert de gracieuses écailles. Sur la volute contournée en dedans rampait, en tombant sur la partie infléchie écaillée, une feuille d’artichaut. Ces volutes en forme d’escargot s’obtiennent tout bellement à l’aide du compas. On fixe la branche stable de l’instrument, et l’on trace un demi-cercle, puis, posant cette branche stable sur un point pris entre le centre et l’extrémité du demi-cercle[52], on trace de ce point un autre demi-cercle soudé à l’extrémité du premier ; en continuant l’opération et en prenant alternativement un de ces deux points pour centre, on mène cette figure avec justesse.

Enfin, sur la plate-forme de chacun des piliers surélevés, était établi un candélabre en aurichalque brillant d’une façon admirable. L’orifice en était ouvert dans la forme d’une conque. Des matières inconsumables y brûlaient, sans cesse, d’un feu perpétuel que le vent ni la pluie ne pouvaient éteindre. Chacun de ces merveilleux candélabres, d’une grosseur pareille et bien proportionnée, avait des anses à l’avenant.

D’une anse à l’autre[53] allait, pendante, retenue admirablement, une guirlande nouée et renouée en plusieurs endroits, faite de feuillages, de fleurs et de fruits divers, renflée, selon la coutume, dans le milieu de son inflexion, garnie de liens et fouillée à jour. Sur la rosace, au milieu du renflement, là où se croisaient les rubans, reposait un aigle plein d’animation et de fierté, les ailes étendues, qui, vu du sol, apparaissait superbement doué de la perfection naturelle. Il était de la même matière que les candélabres, bien lesté, creux et fondu avec une très-mince surface. Le feuillage, les beaux fruits et les petites fleurs, ainsi que les autres travaux, étaient rendus on ne peut plus délicatement. Le soffite de l’intérieur du temple, entre la colonnade et le mur[54], était peint, avec beaucoup d’art, de couleurs bien associées.

En traitant de la hauteur, ce n’est pas avoir tout dit que d’avoir émis seulement cette règle : qu’un temple rond s’élève d’une quantité égale à celle de son diamètre. Mais, pour être en règle, il faut savoir trouver la hauteur de la ceinture sise au-dessus du péristyle, c’est-à-dire la ligne supérieure de la corniche. En effet, menant une ligne du centre du premier cercle tracé à sa circonférence, cette ligne donnera la hauteur demandée. En divisant le diamètre en six parties égales, si l’on en prend quatre, elles donneront la hauteur du cordon au-dessus[55].

La règle déterminant la pente du toit incliné ne saurait être négligée. On prend la mesure de l’intervalle entre un mur et l’autre où se doit poser le comble incliné ; de cette mesure, on forme deux carrés ; en tirant une diagonale à travers les deux carrés, on obtient la belle pente.

Partout la symétrie de cette admirable fabrique avait été disposée élégamment par l’illustre architecte, avec des cordons correspondants on ne peut plus en concordance, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. On pourrait, par tout l’ensemble, constater la plus convenable régularité des détails, et retrouver, grâce aux figures tracées sur le sol, la hauteur des murs qui se dressaient là sans la moindre obliquité, sans aucune surface rectiligne, retrouver la moindre partie de leur épaisseur, la moindre ligne, jusqu’à la moindre rognure, sans erreur aucune. Ô temps infortuné que le nôtre ! Faut-il qu’une si belle et si noble invention — pour en parler en termes convenables – soit ignorée des modernes ! Aussi que nul ne s’imagine que les travées, frises, couronnements, bases, chapiteaux, colonnes et demi-colonnes, pavés, incrustations, parois, charpente, assemblage quelconque, dimensions et divisions furent accusés sans qu’il y ait eu trace des habiles, des superbes génies antiques bien étudiés et digérés. Que dire de la parfaite polissure des marbres que ne rendrait pas l’écume de l’étain brûlé joint au plomb calciné[56] ?

Au centre du temple s’élevait une ouverture en forme de puits, une citerne fatidique, ornée tout à l’entour d’un chœur de nymphes bien disposé, sculpté en bosse. Il n’y manquait que la vie. Il était traité excellemment en alabastrite, aussi bien que la sculpture en était capable ; les draperies et les voiles étaient flottants.

Au milieu du sommet de l’intérieur de la haute coupole, à l’endroit de la clef de voûte, régnait circulairement une épaisse couronne de feuilles appartenant à la vigne en métal ci-dessus décrite.

Ces feuilles, dans le fond de la voûte, se terminaient en un mutuel et parfait enroulement, du mieux qu’on le peut imaginer. Elles se contournaient en un cercle égal à celui que formait au-dessus le vase renversé à long col[57]. L’espace entouré par cette couronne était occupé par la tête vipérine de la furieuse Méduse, fondue artistement en même matière que la coupole. Cette tête, ceinte de serpents agglomérés, à la bouche vociférante, à l’air fou, au front plissé, se tenait perpendiculairement au-dessus du centre de la citerne. Des deux coins de sa bouche sortait un anneau d’où pendait une chaîne forgée qui descendait d’aplomb sur l’orifice du puits.

Cette chaîne, entièrement d’or fin, se terminait, à son extrémité inférieure, par un anneau pris dans un autre fixé au milieu du creux d’une coquille renversée, — c’est-à-dire l’ouverture en bas — et dont le fond, au-dessus, se terminait en une pointe fine munie d’un anneau. À bord de la circonférence inférieure d’un diamètre d’une coudée étaient fixés quatre petits anneaux dans lesquels se prenaient quatre menus crochets d’où pendaient autant de chaînettes. Celles-ci tenaient encore, suspendu horizontalement, un plateau circulaire sur la circonférence supérieure duquel reposaient quatre images de jeunes filles monstrueuses à la chevelure défaite, au front ceint d’objets précieux en fonte. Chacune de ces jeunes filles, se fendant à l’endroit de sa partie sexuelle, écartait ses cuisses charnues terminées en antiques feuillages d’acanthe. Ces feuillages, allant en sens opposé, se retournaient l’un vers l’autre contre les hanches ou flancs, et se joignaient par une attache serrée contre les ailes des harpies et contre la chaînette. Ces ailes étaient fixées aux épaules. À l’endroit où les révolutions des feuillages se rencontraient, entre l’une et l’autre jeune fille, était soudé, par derrière, un crochet ouvert. Ces feuillages, appuyés l’un contre l’autre, se retournaient en sens inverse, et, entre eux deux, à l’endroit où ils étaient liés, s’élevaient quelques épis aux grains à demi-décortiqués. Au-dessous des attaches étaient pratiquées quatre fentes retenant quatre anneaux munis de quatre crochets d’où pendaient autant de chaînettes qui tenaient suspendue la merveilleuse lampe de forme sphérique mesurant une brasse de tour. Dans le milieu du plateau circulaire ci-dessus dit, se trouvait une ouverture arrondie entourée de quatre autres diamétralement opposées entre chaque

demoiselle ; leur circonférence n’atteignait pas deux palmes. Dans ces quatres pertuis pénétraient quatre vases ronds et creux que leurs bords maintenaient, cela avec un tel art que toute leur panse arrondie sortait en dessous du plateau complètement dégagée et brillante. Ces lampes, œuvre incomparable, étaient creusées dans des pierres précieuses, une en rubis balais[58], l’autre en saphir, la troisième en émeraude et la dernière en topaze.

Quant à la grande lampe, dont il a été parlé plus haut, en très-pur cristal, elle était sphérique à ce point que le tour n’eût pu lui donner une plus grande justesse. Finement gravée, elle était d’un travail exquis, d’une incroyable facture. Contre son orifice elle avait quatre petites anses distribuées fort à propos et par lesquelles elle était attachée. Son orifice avait une demi-brasse d’ouverture. Un vase en forme d’urinal ou

de courge, également en cristal très-pur, était introduit par cette bouche, cela si régulièrement que la lumière brûlait juste au beau milieu de la lampe. Tout l’intérieur de la grande lampe était empli d’esprit de vin passé cinq fois à la distillation. C’est ce que me fit supposer l’effet produit, car tout le corps sphérique semblait être enflammé, la lumière se trouvant placée au point précis du milieu. Aussi la vue ne pouvait-elle fixer que malaisément cette lumière non plus que le Soleil. La lampe était d’une substance admirablement transparente et très-mince. On voyait, grâce à cela, que le liquide d’une combustion inextinguible contenu dans le vase en forme de concombre était extrêmement limpide. C’est ce même liquide qui brûlait dans les quatre lampes ci-dessus décrites, et les belles colorations des pierres précieuses se reflétaient dans la grande lampe et la refléchissaient de même, produisant une lueur perpétuelle et vacillante par tout le vaisseau du temple, sur le miroir des marbres très-polis. Le Soleil, après la pluie, ne peint pas aussi bien Iris. Mais la merveille qui, par-dessus tout, donnait le plus à penser c’est la gravure que le sculpteur plein d’art avait creusée d’une façon visible à l’entour de la panse de la lampe de cristal. C’était une intaille représentant, admirablement adapté à l’objet, un combat d’enfants montés sur de rudes et rapides dauphins aux queues en spirales, se livrant à des mouvements et prenant des attitudes rendant bien une lutte enfantine. Il semblait que Nature elle-même eût fait cette œuvre qui paraissait être en relief et non en creux ; cela, rendu si merveilleusement que mes yeux étaient contraints de se détacher quelque peu de la vue si délectable de la nymphe qui me guidait. La lumière, en vacillant, communiquait à cette gravure l’apparence du mouvement.

Pour finir avec cette magnifique structure de temple, il me reste à dire brièvement qu’elle était bâtie de marbre augustal[59] en partie, et en partie du marbre précité[60], le tout parfaitement joint sans ferrure ni attache d’aucune sorte, avec des recherches de sculpture que notre siècle non-seulement ne pourrait exécuter, mais qu’il n’imaginerait même pas. Psammitique l’Égyptien n’éleva pas un temple semblable au dieu Apis[61].

Sous les bases des pilastres, dont la partie inférieure formait, ainsi que la ligne supérieure contenant les chapiteaux, un lien continu, courait en rond, sur le pavé très-égalisé, un ruban ou bande en porphyre très-fin, large autant que la projection du carré de chaque base. À cette bande était juxtaposée une autre en ophite, sans qu’on en aperçût presque la séparation. Sous les piédestaux des colonnes était établie, dans toute l’étendue de leur épaisseur, une bande circulaire, en porphyre, accostée de deux bandes en serpentin, formant le même circuit que le péristyle. Il en était de même autour de la citerne où régnait, dans le pavé, une bande en porphyre et une autre en ophite. Le demeurant de ce pavé superbe était fait d’une admirable incrustation de menus morceaux, œuvre de mosaïque en pierres fines, encadrant élégamment des cercles de dix ronds ménagés en autant de compartiments et mesurant chacun un pied de diamètre. La couleur et l’espèce du marbre étaient assorties de deux en deux, sur une même ligne[62]. Deux étaient en jaspe rouge agréablement parsemé de taches variées ; deux en pierre d’azur remplie de très-petites étincelles d’or dont quelques-unes plus larges, plus brillantes et plus espacées ; deux en jaspe vert veiné de calcédoine avec des macules rouges et jaunes ; deux en agate striée de veines de lait ondulées et fondues ; deux, enfin, étaient en très-limpide calcédoine. Les figures circulaires décroissaient à mesure que les lignes se rétrécissaient vers la citerne.

Sous la partie couverte d’une toiture, l’incrustation en mosaïque de l’aire représentait des feuillages, des animaux, des fleurs soigneusement peints à l’aide de petits morceaux de pierre taillés et égalisés sur leurs bords par le frottement de l’un contre l’autre. Zénodore[63] de Pergame n’apporta pas un art tel dans ses pavements, et tel ne fut pas le lithostrote[64] de Præneste au temple de la Fortune. Mais revenons au sommet du dôme magnifique au-dessus de la voûte de la surprenante coupole. En même métal doré d’or fin s’élevaient, en perfection, huit colonnes cannelées en manière de tubes, c’est-à-dire creuses. Elles avaient un noble soubassement et étaient séparées dans tout le pourtour, par l’interposition d’un fenestrage, avec de petits arcs allant d’une colonne à l’autre et posant sur des côtières adjacentes. Au-dessus de ces colonnes, d’une composition et d’un dessin en harmonie sesquialtère, tournaient la travée, la frise et la corniche formant des projections à l’aplomb des colonnes et supportant un dôme couvert d’écailles. Sur chacune de ces projections à l’aplomb des colonnes, je vis posée la statue d’un vent dont la nature était rendue avec élégance. Chacune de ces statues, les ailes étendues attachées aux épaules, était fixée sur une tige ou pivot mobile, tournant avec art. De quelque côté que vînt le vent, l’un des huit chapeaux de ces statues s’en trouvait poussé et faisait que la face de l’image se tournait du côté opposé au souffle.

Sur le sommet du petit dôme susdit, se dressaient encore huit petits pilastres hauts de deux carrés parfaits. Un vase à long col se trouvait posé sur eux l’ouverture en bas. Le tout, d’une mesure exquise, se montrait aux spectateurs dans une proportion mathématique.

Au-dessus de la panse de ce vase renversé à long col, — je le désigne ainsi à cause de sa forme — panse garnie dans tout son pourtour de bardeaux fermement découpés, était plantée une tige en même métal. Cette tige, à son point de départ, était large comme la base du vase et allait s’amincissant à mesure. Parvenue à une hauteur égale à celle de la moitié du vase, elle portait une grosse boule creuse artistement fondue avec elle. Sur le dessus de cette boule était une ouverture arrondie, de plus quatre trous étaient percés dans sa partie basse. En y réfléchissant je compris qu’il y avait là une pensée prévoyante de l’artiste, afin que l’eau des pluies ou que les glaces ne l’empêchassent pas de faire son office, et pour lui en éviter le poids. Par l’ouverture supérieure, la tige en fuseau passait à distance des bords et se terminait en une pointe aiguë. Elle avait, depuis le point de départ intérieur jusqu’au sommet, une longueur égale à celle de l’espace compris entre le fond du vase et la boule.

À l’extrémité de la tige était fixée une lune d’airain formant une tranche d’un huitième de la boule, autant qu’on pouvait s’en apercevoir, et dirigeant ses cornes vers le ciel. Dans l’échancrure ou sinus de cette lune était posé un aigle aux ailes étendues. Immédiatement sous la lune étaient établies quatre boucles solides qui retenaient quatre chaînettes également du même métal, coulées en airain qu’elles étaient, comme tout l’édifice, afin de montrer le génie fécond du sculpteur. On peut s’imaginer à quelle subtile recherche se dut livrer un fondeur habile pour entreprendre de couler une chaîne entière sans avoir recours à la soudure. Pour cela, il fit un moule approprié, divisé en quatre parties, et, laissant au centre un passage libre, il y jeta le premier anneau ; réunissant en une seule toutes les parties incomplètes, et ainsi de suite, à l’infini, il est facile de fondre les anneaux l’un après l’autre.

Ces chaînettes tombaient également sur le milieu de la boule d’airain. Chacune, à son extrémité, retenait un grelot en même métal, fendu depuis le milieu jusqu’en bas et contenant, à l’intérieur, une bille d’acier fin, susceptible de rendre un tintement. Ces grelots, agités selon le vent qui soufflait, frappaient contre le corps de la boule immobile et, confondant harmonieusement le tintement de la bille avec le son de la boule en métal, produisaient une grande sonorité agréable et douce.

C’était une conception antique retrouvée à grand effort de pensée. Le son produit dépassait peut-être celui des chaînes pendantes et des vases d’airain placés au sommet du temple de Jérusalem, afin d’en faire fuir les oiseaux.

Il reste, en dernier lieu, à donner la règle qui fasse bien comprendre la dimension de ce célèbre temple. Le mur percé de huit fenêtres avait une épaisseur d’un pied et demi. Celui de la nef, ou partie tournante, en avait autant ; autant aussi les piliers dont la saillie, abstraction faite de la corniche, prenait le quart de toute cette épaisseur[65] qui, par tous côtés, trois pieds.

Quant à la porte de ce temple saint et stupéfiant, elle était établie sur le devant, de forme et d’œuvre entièrement Dorique, en jaspe excellent. Sur le fronton, à son sommet, s’étalait cette inscription en majuscules Grecques antiques de fin or : ΚΥΛΟΠΕΡΑ[66].

Les battants dorés de cette porte étaient garnis d’un ornement en métal très-poli, d’un travail percé à jour fort beau, et cela d’autant qu’on n’en saurait faire d’un éclat semblable ni d’un plus parfait poli. Ces battants fermaient à l’aide d’un verrou extérieur que ma nymphe conductrice n’eût osé faire mouvoir avant qu’il n’ait été tiré par la prêtresse divine de ce temple sacré et vénéré ou par ses acolytes portant des flambeaux, vierges très-parées au nombre de sept. Ces vierges saintes aidaient consciencieusement dans son ministère la prêtresse magique des sacrifices et la servaient avec zèle dans les choses sacrées. À celle-ci seulement convenait, en toute justice, de conférer le droit d’entrée. Ayant présenté nos respects à ces vierges, elles les agréèrent avec bonté, familiarité et bonne grâce. Puis, ayant entendu exposer le motif de la venue de ma nymphe conductrice, ainsi que celui de la mienne, elles nous firent, aimables et charmantes, avec des visages épanouis, monter avec elles, jusqu’à la superbe porte, par les sept marches de porphyre scellées au soubassement circulaire de ces propylées élégants et magnifiques.

Là nous trouvâmes un noble reposoir ou palier fait d’un carré de pierre très-noire, inattaquable, telle qu’on n’en saurait trouver dans la région Euganéenne[67] ; pierre bien dressée, d’un brillant poli et encadrée de belles incrustations. Elle était placée au-devant du seuil sacré et tout ciselé des portes délicates, dont les tableaux étaient ornés, à leurs intersections, de conques de Vénus, et formés des moulures les plus belles qui aient été jamais offertes au plaisir des yeux humains.

Les vierges firent halte en cet endroit, nous de même. La sainte prêtresse se mit en prière. Nous nous inclinâmes respectueusement, ma nymphe et moi. J’ignorai ce qu’elles se dirent. Mais, comme je tenais la tête baissée, je portai aussitôt mes yeux rapides et curieux sur la blancheur incomparable, sur la belle forme des jolis pieds de la nymphe, ma compagne. Je vis une partie de sa jambe à découvert ; car, grâce au léger mouvement qu’elle fit, la fente étroite de sa robe vint à remuer et un pan se souleva au souffle vivifiant et non détesté de Borée.

Alors il se dégagea, dans ma mémoire réchauffée, la surprise de voir que, la lumière désagrégeant naturellement la puissance de la vue, la blancheur de ce bel objet pût, en me procurant tant de plaisir, attirer à elle et réunir tout mon pouvoir visuel, le retenir, avec un extrême agrément, lié, captif, englué, et l’occuper entièrement. Mais la sainte dame ayant fini de réciter ses sincères et dévotes prières aux dieux Forculus[68] et Limentinus[69], ainsi qu’à la Déesse Cardinea[70], la belle nymphe se mit debout, comme j’avais encore les yeux fixés avec persistance sur son voluptueux mouvement, et certes je n’eusse pas quitté mon attitude si la fine étoffe ne fût revenue couvrir ces délices divines.

Après quoi, le verrou ayant été tiré par la dame porteuse du simpule[71], les portes jumelles résonnèrent, non pas avec un bruit strident ni un son grave, mais avec un murmure pénétrant et agréable qui se repercuta par la voûte du temple. Je le remarquai et en reconnus la cause en m’apercevant que chacun de ces lourds ventaux était muni d’un petit cylindre tournant sur un axe fixé dans la partie inférieure, et qui, en roulant sur une pierre polie et bien égalisée de très-dur ophite, rendait, par le frottement, cet agréable tintement.

En outre, je demeurai bien naturellement stupéfait de voir que les ventaux s’ouvraient d’eux-mêmes, sans aucune impulsion étrangère.

Là, n’admirant plus rien d’autre, je m’arrêtai pour découvrir si lesdits ventaux étaient mus ainsi tout à coup, doucement et à propos par quelque contre-poids ou par tout autre moyen. J’en vins à admirer une conception divine. Dans la partie où les portes se joignaient l’une à l’autre pour former la fermeture à languette[72], à l’intérieur, était fixée, en plein métal très-poli, une lame de fin acier. Puis, sur une largeur égale au tiers de la hauteur, en excellent aimant Indien presque pareil au diamant, ami de Calysto[73], profitable aux yeux des hommes[74], mortel au scordion[75], favorable singulièrement aux navigateurs, se montraient deux tables bleues, — ainsi qu’il convient que soit cette substance — lisses, brillantes, très-proprement scellées dans l’épaisseur du marbre formant l’ouverture, c’est-à-dire dans cette partie contiguë aux antes de cette porte du plus bel art.

Donc, par la puissance attractive de l’aimant, les lames d’acier étaient attirées et, par conséquent, les portes s’ouvraient d’elles-mêmes avec une lenteur tempérée. C’était là une œuvre excellente, non-seulement pour charmer la vue, mais encore pour suggérer une réflexion subtile et sans fin. Sur la table d’aimant sise à la droite de l’entrée était gravé, en antiques lettres Latines, ce mot célèbre de Virgile : TRAHIT SUA QVEMQVE VOLVPTAS[76]. Sur la table du côté gauche, je vis cette élégante inscription en vieilles majuscules Grecques : ΠΑΝ ΔΕΙ ΠΟΙΕΙΝ ΚΑTΑ ΤΗΝ ΑΥΤΟΥ ΦΥΣΙΝ. Ce qui veut dire en Latin : À chacun il convient de faire selon sa nature[77].

Mes yeux eussent dû, après, être curieusement stimulés par la magnificence d’un si grand temple, par l’étendue de cette miraculeuse coupole céleste, par l’exactitude remarquable des autres parties, d’un art

superbe et magnifique, d’une conception divine, d’une main d’œuvre inouïe, aux moulures admirables, à l’aspect étonnant, d’une construction merveilleuse ; mais j’admirai bien davantage les ravissantes beautés de ma nymphe divine qui enchaînait mes regards et détenait toute mon âme. Elle parvenait à détourner ma vue de toutes ces exquises parties, elle me captivait, me contraignait à la contempler avec stupeur, avec émerveillement. Que le lecteur me pardonne si je n’ai pas convenablement décrit cet édifice dans ses moindres parties.

Ainsi donc, la prêtresse sacrée pénétra dans le temple avec la noble et superbe nymphe. Je les suivis obstinément avec toutes les autres saintes demoiselles, dont l’abondante chevelure tombait gracieusement le long de leur cou blanc comme le lait. Leur premier vêtement était teint de la pourpre la plus rare ; par-dessus était une mince tunique tissue des fils du gossimpinos[78], plus courte que la robe de dessous. Pieuses et enjouées, elles me conduisirent devant l’orifice fatidique de la mystérieuse citerne, dans laquelle ne pénétrait d’autre eau que celle qui, ruisselant sur le comble du temple par les gouttières et les chéneaux, s’engouffrait dans les conduits ménagés au centre des piliers percés, sans endommager la construction.

La grande prêtresse fit un signe aux vierges ; elles se rendirent avec elle dans un sanctuaire secret et nous demeurâmes seuls tous trois. Bientôt la prêtresse et les vierges revinrent gravement. La première de celles-ci portait un livre contenant le rituel ; il était recouvert d’un velours de soie bleue, aux fermoirs faits de cordons en or, décoré d’une broderie relevée en bosse de perles très-rondes, figurant une colombe envolée. Chacune de ces nymphes avait sa belle tête couronnée de fleurs variées. La seconde portait deux très-fines subucules[79] frangées, plus deux tutules[80] de pourpre. La troisième avait la sainte muriés[81] en un vase d’or. La quatrième tenait la sécespite[82] au long manche d’ivoire rond et solide, muni d’une virole d’argent et d’or et garni de clous en cuivre de Chypre ; elle portait encore un præféricule[83]. La cinquième soutenait une lépiste[84] en hyacinthe très-précieuse, remplie d’eau de fontaine ; la sixième portait une mitre dorée aux riches lemnisques pendants, copieusement ornée partout de précieuses et brillantes gemmes. Devant toutes ces vierges marchait une prêtresse enfant qui portait un cierge non allumé, fait de blanche et pure cire vierge. Toutes ces tendres pucelles dressées aux rites sacrés et divins, attentives à leur ministère, on ne peut plus versées dans la discipline Étrusque, aptes aux sacro-saints exercices, rompues à l’observance des antiques institutions, se présentèrent devant la prêtresse pontificale en grande révérence et fidèle religion.

Alors, avec une extrême dévotion, selon un vieux rite, la prêtresse magicienne prit un tutule et, serrant dedans ses cheveux, posa dessus la mitre superbe au sommet de laquelle elle ajusta le voile très-fin qui recouvrit son corps sacré.

Elle donna le second tutule, ainsi que l’autre voile, à la nymphe qui en orna, sans retard, sa tête blonde et posa dessus le voile. Ces deux voiles, dans la partie froncée, étaient retenus par un surprenant et gai saphir très-pur et très-coloré, celui de la grande prêtresse par un anachite.

Celle-ci, religieusement parée de la sorte, me fit approcher aussitôt de l’orifice de la mystérieuse citerne ; là, ayant reçu une petite clef d’or, elle ouvrit le puits fermé avec une pieuse observance. La petite servante remit le cierge blanc à la vierge qui avait porté la mitre. La prêtresse suprême s’avança, prit avec vénération le livre du rituel et l’ouvrit. Elle se mit à lire

quelque peu du texte en langue Étrusque, puis, prenant scrupuleusement le sel sacré[85], elle le jeta de la main droite, avec de nombreuses formes sacerdotales, dans la citerne sonore. Ensuite elle fit allumer le cierge pur que portait la vierge.

Cela fait, elle commanda que la nymphe retournât sa torche ardente et l’introduisît, la flamme en bas, dans le milieu même de l’orifice, puis lui tint ce propos, en l’interrogeant : « Ma fille, que demandes-tu, que désires-tu ? » La nymphe répondit : « Sainte prêtresse, je demande, pour celui-ci, la grâce que nous puissions parvenir ensemble au royaume de la divine Mère et boire à cette source sacrée. Et toi, mon fils, que demandes-tu ? » Je lui répondis : « Quant à moi, très-sainte Dame, non-seulement je

demande, en suppliant, d’obtenir la grâce de la Mère suprême, mais encore, et surtout, je la conjure de faire que j’obtienne celle que j’ai jugée d’avance être ma Polia, que je ne sois plus livré par elle au cruel supplice des doutes amoureux. »

La prêtresse divine me dit : « — Prends donc, mon fils, cette torche allumée par ses mains pures, et, tout en la tenant, dis, sincèrement, par trois fois ainsi :

» De même que l’eau fraîche éteindra cette torche ardente, que le feu d’amour rallume son cœur changé en pierre et en glace. »

Ayant dit, avec le rite consacré, les propres paroles que l’hiérophante m’avait ordonné de proférer, toutes les vierges prêtresses, expertes en leur vénérable ministère, répondirent : « Ainsi soit-il. » À la dernière fois, elle me commanda de plonger ma torche allumée dans la froide citerne.

En moins de temps que je n’en mis à accomplir son saint commandement, prenant la précieuse lépiste d’hyacinte par une cordelette d’or et de soie verte et cramoisie[86] destinée à cet office, l’hiérophante la plongea dans la citerne, en retira de l’eau bénite et l’offrit religieusement à la nymphe seulement. Celle-ci la but avec une dévotion empressée ; immédiatement après quoi la prêtresse hiératique referma soigneusement, au moyen de la petite clef d’or, le couvercle de la citerne ; puis, lisant, au-dessus, les prières efficaces et saintes, ainsi que les exorcismes, commanda aussitôt à la nymphe de dire par trois fois ces paroles devant moi : « Que la divine Cythérée exauce ton vœu et que son fils propice se repaisse de moi. » Les vierges répondirent : « Ainsi soit-il. »

Ces cérémonies religieusement accomplies, la nymphe, pleine de respect, se prosterna aux pieds chaussés de sandales de pourpre, brodées d’or, ornées de nombreuses pierreries, de la prêtresse qui la fit aussitôt se relever et lui donna un saint baiser. La nymphe, après, se retournant vers moi dont le courage renaissait, en belle et paisible contenance, avec un aspect rempli de piété, me dit ainsi, tout en poussant un chaud soupir du fond de son cœur enflammé : « Très-souhaité, très-cher Poliphile, ton ardent, ton excessif désir, ton amour fidèle et persévérant me retirant du chaste collége, m’ont totalement conquise et m’ont contrainte à éteindre ma torche. Désormais, bien que tu soupçonnasses depuis longtemps qui je suis, et malgré que, jusqu’à présent, je ne me sois pas découverte, — ce qui n’a pas été sans un grand trouble pour moi de te tenir la chose ainsi cachée et de dissimuler si longtemps, — sache-le, je suis cette Polia que tu aimes tant. Il est bien juste qu’un amour semblable et si méritoire soit exempt de vicissitude et jouisse d’une réciprocité et d’une préoccupation équivalentes. C’est pourquoi me voici toute préparée à tes souhaits enflammés, c’est pourquoi je sens s’accroître et flamber en moi le feu qu’allume ton fervent amour. Me voici donc, moi le but de tes amers et fréquents soupirs ; me voici, très-cher Poliphile, comme un salutaire remède offert à tes graves et fâcheuses douleurs ; me voici, compagne absolue de tes peines acerbes et amoureuses, pour y participer totalement ; me voici prête à éteindre de mes larmes l’incendie de ton cœur ; me voici résolue à mourir pour toi, t’appartenant tout entière. » Alors, pour arrhes de ces promesses, me servant contre elle, m’embrassant et m’accolant, elle me donna un pénétrant et savoureux baiser, divinement succulent. Ses yeux, pareils à des astres, pleins de douceur singulière, répandirent des perles nombreuses en guise de larmes. Si bien, qu’à ces caressantes paroles, d’une saveur et d’un charme délicieux, je me jetai à ses pieds tout enflammé, tout altéré, je m’épanchai tout inondé des pleurs les plus doux et les plus amoureux.

La présidente des sacrifices, elle-même, ainsi que les autres assistantes, touchées d’une émotion particulière, ne se purent tenir de verser quelques petites larmes, et de pousser quelques petits soupirs bien tendres.

Ma langue stérile et desséchée ne put rassembler ni trouver des paroles convenables, pour exprimer, si peu même que j’eusse pu le souhaiter, ce qu’éprouva mon cœur embrasé par les douces flammes qui l’enveloppaient tout entier. Je demeurai tel qu’un homme frappé d’oubli[87]. Enfin ces actions saintes et amoureuses, ces cérémonies rituelles terminées, après avoir été accomplies avec une si singulière et si précieuse douceur,

avec un si incroyable plaisir, j’eus la sensation de mourir subitement de joie.

L’hiérophante me dit : « Donnons suite, Poliphile, aux sacrifices secrets qui suivent notre début sacré. » Alors, tous ensemble, nous nous portâmes gravement vers le sanctuaire arrondi couvert d’une coupole aveugle, situé juste en face des portes de ce temple magnifique auquel il était contigu et relié artistement. Sa construction était d’une facture très-antique et inaccoutumée, tout en pierre phengite[88] soigneusement équarrie, bâtisse admirable dont la toiture en coupole arrondie était formée d’un seul morceau de la dite pierre. Le sanctuaire de l’île Chemmis[89] en Égypte, n’offrit pas une semblable merveille, non plus que celui si fameux de Ravenne. Cette pierre phengite est d’une qualité si miraculeuse, qu’encore que ce temple fût sans fenêtres et que sa coupole fût aveugle, qu’il n’eût des portes qu’en or, il ne laissait pas, cependant, que d’être clairement illuminé. C’est là un secret que la mère Nature a soustrait à notre connaissance et c’est de là que cette pierre tire son nom[90].

Deux vierges, qui avaient été congédiées et s’en étaient allées par ordre, revinrent au milieu du sanctuaire, apportant avec une piété sincère, l’une deux cygnes mâles d’une entière blancheur, oiseaux favorables dans les auspices, ainsi qu’une petite urne antique pleine d’eau de mer, l’autre une paire de blanches colombes aux pattes liées par un ruban de soie cramoisi, posées sur une corbeille[91] en jonc pleine de roses merveilles et de coquilles d’huîtres, qu’elles déposèrent avec dévotion et vénération sur une anclabris[92] sacrée et carrée établie en deçà des battants dorés.

Puis ayant refermé les portes d’or, elles firent leur entrée. Pour moi je m’arrêtai sur le seuil saint et révéré. Fixant mes yeux attentifs sur l’objet tant aimé, je vis la monitrice ordonner à ma Polia, vraie Myropolia[93], de s’agenouiller sur le somptueux pavé, ce qu’elle fit en s’inclinant avec une sincère dévotion. Ce pavé était admirable, tout composé, en disposition circulaire, de pierres précieuses formant, d’une façon délicate, des nœuds multiples et élégants, cela proprement, sans confusion. C’était un travail fait de petit morceaux, une incrustation disposée en feuillages verdoyants, en fleurs, oiselets et autres animaux, selon l’opportunité du coloris charmant de ces brillantes pierres précieuses. Cette mosaïque de gemmes, parfaitement unie, reflétait l’image de ceux qui pénétraient dans le temple.

C’est sur ce pavé que ma Polia, invitée à le faire, découvrit religieusement ses genoux de lait et s’agenouilla pleine de grâce. Ses genoux étaient beaux comme la Miséricorde ne s’en vit jamais dédier. Aussi demeurai-je en suspens, attentif, les lèvres muettes. Et voulant ne point interrompre les saintes offrandes, souiller les actions propitiatoires, distraire les prières solennelles, le mystérieux office, troubler les cérémonies des autels, je dus incarcérer les intempestifs soupirs de mon robuste et brûlant amour.

À cette heure, Polia se tenait humblement agenouillée devant un très-saint autel, d’un fort beau travail, établi au milieu du sanctuaire et brillant d’une flamme divine.

Je le décrirai succinctement, ayant admiré en lui une conception d’une facture inaccoutumée. Le bas de cet autel, assis sur un degré de marbre, consistait en une pierre circulaire autour de laquelle courait une

rangée de feuilles en forme d’oreilles, puis venait un bandeau poli, excellemment orné de caulicoles et dont le bord se terminait en une cordelette, nervure ou réglet, le tout occupant le bloc de pierre entier. Au départ du feuillage était posée une autre cordelette que séparait d’une semblable un trochile modérément creusé, puis venait une petite corniche. Au-dessus se tenait un bandeau droit qui se renversait en arrière avec une faible gorge et se terminait contre la superficie plane et unie. Au centre de cette superficie se dressait une tige cannelée dont la partie inférieure s’élargissait sur le plan de la plate-forme en s’évasant proportionnellement. En divisant en trois le diamètre inférieur de cette tige, une partie s’attribuait à l’élévation du bas de la tige, et deux parties à celle du haut ornée de canaux en spirale, tandis que la partie basse demeurait lisse. Cette tige était surmontée d’un plateau rond et renversé, dont la circonférence se projetait au niveau des bords extrêmes du trochile de la base. Le circuit de ce plateau était décoré d’une cimaise inclinée en arrière, sur laquelle un remarquable feuillage formait une excellente petite couronne parfaitement polie. Dans le cercle qu’enfermait cette couronne reposait l’ouverture d’une fleur élégante, dont les lèvres du calice s’adaptaient à la superficie plane, et qui se divisait en quatre charmantes feuilles d’acanthe d’un aspect très-satisfaisant. Au bas de cette fleur, sur la gorge renversée, courait un feuillage artistement sculpté, et, sur le culot de cette même fleur, par-dessus des moulures appropriées, se montrait un pommeau rond traité d’une façon exquise. Sur ce pommeau était posée une patène antique d’or pur, aux bords assez larges, quelque peu creusée, autour de l’orbe de laquelle des diamants et des escarboucles incomparables, d’une incroyable grosseur, de forme pyramidale, étaient admirablement disposés. Il faut que devant cela s’abaissent et la coupe du très-fort Hercule[94], et le canthare de l’enjoué Bacchus[95], et le carchèse[96] dédié à l’immortel Jupiter.

Contre la marge du dessous du plateau renversé, à égale distance de ses bords, s’appliquaient quatre anses partant du trochile auquel elles tenaient. Leurs volutes tournaient, l’une sous le plateau, l’autre sur le trochile, mordant sur la pierre déclive du bas, avec un

enroulement de colimaçon. Ces anses se mouvementaient, retournant sous le plateau où elles s’engageaient en décrivant une agréable inflexion, avec une extrémité renversée et l’autre relevée.

Ce merveilleux morceau de sculpture était fait d’un seul bloc de jaspe très-fin, aux couleurs nombreuses, mêlées le mieux du monde ; il était pourvu, dans quelque partie que ce soit, de moulures exquises à ne pas le croire. Certes, une telle œuvre n’avait pas été taillée par la force du ciseau, mais elle était rendue admirablement par un moyen inconnu.

À partir de la marche en marbre jusqu’à la naissance de la tige, exclusivement, la mesure était d’une coudée. La tige avait la même proportion. Le demeurant, jusqu’à la patène en or, mesurait un pied et demi. Puis, en quatre parts, et allant d’une volute supérieure à l’autre, pendaient des fils d’or traversant un chapelet de longs rubis balais, de fulgurants saphirs et de vertes émeraudes perforées. Ces pierreries formaient un gracieux et sympathique assemblage alterné de couleurs ; elles étaient mêlées à des perles énormes, hors de prix, comme Octave n’en offrit pas à Jupiter Capitolin[97].

Au-dessous des bords de la patène en or pendaient perpendiculairement des pierres rondes et percées, au travers desquelles passait un fil d’or qui les tenait suspendues en les attachant à un anneau passé dans une agrafe libre. On comptait sept pierres ainsi traversées par le fil d’or, dont le bout était terminé par un floquet élégant, aux brins formés de fils variés et emmêlés tant de soie que d’or et d’argent. D’un anneau à l’autre courait encore un fil d’or traversant des gemmes disposées de la même manière et dans le même ordre que dessus, mais au nombre de neuf, dont la rangée, par le fait de la pesanteur, s’incurvait dans le milieu. La patène d’or, à l’intérieur comme à l’extérieur, était richement décorée d’un excellent bas-relief représentant des petits enfants, des petits monstres, des fleurs et des feuillages, avec un art superbe et admirable.

Donc, devant l’autel très-sacré ci-dessus décrit, autel d’une valeur et d’un travail incroyables, la petite prêtresse attentive, sur un signe, se présenta aussitôt devant Polia prête au sacrifice, en tenant respectueusement le livre du rituel ouvert. Toutes les vierges, sauf la grande prêtresse, s’agenouillèrent prosternées sur le pavé somptueux brillant de pierres précieuses. Alors j’entendis Polia, d’une voix tremblante de dévotion et suppliante, invoquer les trois Grâces divines en lisant cette prière :

« Ô joyeuse Aglaé, ô verdoyante Thalie, ô Euphrosine ! Grâces divines, filles chéries du grand et altitonnant Jupiter et d’Eurynome[98], suivantes dociles et servantes fidèles de l’amoureuse Déesse, quittez, bienveillantes et toutes ensemble, les ondes de la source Acidalie[99] à Orchomène en Béotie, quittez votre heureux séjour où vous entourez le trône vénéré d’Apollon. En tant que Grâces divines, soyez-moi propices, aidez pleinement à mes prières, afin que la Déesse touchée se montre à moi sous son divin aspect et dans sa vénérable Majesté, afin qu’elle agrée mes religieuses offrandes, mes vœux, mes sacrifices et toutes mes supplications avec une tendresse maternelle. »

La pieuse, la sincère oraison terminée, toutes les vierges répondirent en chantant : — « Ainsi soit-il. » Or, ayant écouté respectueusement et dans un recueillement religieux, ayant compris clairement cette prière, je demeurai l’esprit tendu. Me rappelant tout, je considérais ces mystères avec un soin scrupuleux, avec un œil investigateur. Agenouillé, moi aussi, je remarquais la pratique habile que possédait la divine prêtresse de ces antiques cérémonies sacrées, mais, par-dessus tout, j’étais frappé de la grâce et de la promptitude avec lesquelles Polia se mettait au fait d’une pareille et si grave mystagogie ; toutefois, je me tenais fort attentif à tout ce qui devait s’en suivre.


FIN DU TOME PREMIER
  1. Il veut dire de la Pouille. Aecæ, Αἶκαι, ville d’Apulie, plus tard Troja, mentionnée par Polybe (III, 88), et par Tite-Live (XXIV, 20).
  2. Sans doute les pins parasols.
  3. Nymphes des montagnes.
  4. Divinité Étrusque, présidait aux bois. On lui connaissait trois bois sacrés ; le premier en Etrurie entre Veïes et le Tibre, au champ de Capena sur le mont Soracte ; (Tite-Live, XXVII, 4). Le second également en Etrurie entre Luna et Pises, sur le fleuve Vesidius ; le troisième à Terracine ou Anxur au Latium. (Virgile, Énéide, VIII, 364.)
  5. Voyez Tite-Live I, 30. — Horace, Satir., I, 5, 24. — Virgile, Énéide, VII, 800. — Pline, II, 55, 56, etc.
  6. Eglantier (κυνάκανθα, épine de chien), plante qui, selon Pline, engendrait les cantharides.
  7. Ou Dabula, sorte de palmier dont Juba déclare les dattes d’une saveur bien au-dessus de celles de toutes les autres espèces.
  8. De σκηνῆtαι, Arabes scenitæ, ainsi nommés de leurs tentes σκηνάομαι, dresser sa tente). (Pline, V. 24.)
  9. Espèce d’Arum, d’Égypte, Cyamus. (Pline, XI, 15.)

    Mixtaque ridenti colocasia fundet acantho.

    (Virg. Églog., IV, 20.)
  10. De ῾άμα, ensemble et δρῦς chêne, arbre ; nymphes des bois naissant et mourant avec l’arbre même qu’elles habitent.
  11. Dieu Romain qui préside au changement des saisons, à vertere.
  12. La première des douze maisons du Soleil qui, entrant dans ce signe du Zodiaque, chasse l’hiver et ramène le printemps.
  13. Divinité Romaine des fruits.
  14. J’offre à mes sectateurs la santé parfaite du corps, la stable vigueur, les chastes délices de la table, et l’heureuse sécurité de l’esprit.
  15. De χυτρόπους, vase ayant des pieds, sorte de marmite. (Vulgate, Lévit., XI, 35.)
  16. Priape, fils de la nymphe Chioné, ou, suivant d'autres, de Vénus et de Bacchus revenant vainqueur de l'Inde.
  17. On immolait un âne à Priape souvenir de ce que ce dieu en avait mis à mort l'âne de Silène qui, par son braiement intempestif, le troubla dans son aventure avec la nymphe Lotis. (Ovide, Fast. I, v. 439.)
  18. Dieu de la Paix que les Romains disaient fils de Cœlus et d’Hécate.
  19. Le Talasio, talassio, talasius ou talassius était un mot que les Romains criaient lorsque l’épouse entrait dans la maison de l’époux ; il correspondait au cri Hymen, hymenæe ; suivant Servius (ad Æneid., I, 655), il viendrait du nom d’un des acteurs du rapt des Sabines nommé Talassius et dont se serait réclamée une d’elles pour échapper au simple soldat qui l’avait ravie. Suivant Plutarque (Romul. quæstio. Rom.) il viendrait de τοῦς ταλάρους, déformé en τοῦς τάλάσους, signifiant corbeille à mettre la laine, symbole du travail intérieur. Suivant d’autres, enfin, de θάλασσα, la mer, parce que le sel stimule Vénus.
  20. Chant nuptial.

    Hymen o Hymenæe, Hymen ades o Hymenæe !

    (Catulle, LXII, 5.)
  21. Suivant Servius, de Fescennia, ville d’Étrurie, où naquit un genre de poésie barbare, obscène et gai qu’on chantait en de certaines fêtes et surtout aux noces. Festus fait dériver ce nom à fascino. On l’appelait aussi vers Saturnien. Ennius le remplaça par l’hexamètre. Le pied fescennien se nomme amphimacrus et se compose d’une longue, d’une brève et d’une longue.
  22. De νάπος et νάπη, bois, forêt, nymphes bocagères.
  23. Drymode, de Δρυμώδης, silvosa ; c’était l’ancien nom de l’Arcadie. (Pline, IV, 6.)
  24. De Κλωρòς, vert. Épouse de Zéphyr, un des quatre vents cardinaux. Déesse dont les Romains ont fait Flora.

    Chloris eram, quæ Flora vocor, corrupta Latino
    Nominis est nostri litera Græca sono.

    (Ovide, Fast., V. 195).
  25. C’est-à-dire faites d’une bande d’écorce roulée en spirale. La scytale (σκυτάλη, bâton) était un instrument cryptographique en usage chez les Lacédémoniens. C’était un bâton cylindrique sur lequel on enroulait en spirale une bande de cuir. On écrivait sur cet appareil ainsi disposé ; après qu’on avait déroulé cette bande, on n’avait plus qu’une série de lettres sans suite dont on rétablissait l’ordre en l’en- roulant de nouveau sur un cylindre de même calibre. (Aul. Gell. XVII, 9, 3.)}}
  26. Il veut dire un rayon du cercle inscrit, ou plutôt une demi-diagonale du carré le contenant.
  27. Ce cercle circonscrit le premier, ayant avec un lui un centre commun.
  28. Les Grecs nommaient Ἕντασις, le renflement du milieu des colonnes.
  29. C’est-à-dire une demi-fois plus haut que large. Voici une note de l’architecte Vénitien Tommaso Temanza en ses Vite de piu celebri architetti et scultori Veneziani, 1778, page 20, vita di Polifilo. « Supposons le diamètre de la colonne de trois pieds, donc celle du piédestal sera de six pieds. De là, la plinthe de la base de la de la colonne devra mesurer de front quatre pieds. (Attendu que ses deux saillies doivent mesurer chacune un sixième de diamètre, c’est-à-dire six onces.) Quatre pieds, ce sera même gros pour le tronc du piédestal ; quatre en largeur et six en hauteur, pour ce dernier, est en raison sesquialtère. De cette seule observation on comprend à quel point Poliphile a été exact dans ses descriptions. »
  30. Archivoltes.
  31. Celle qui courait au-dessus des chapiteaux des pilastres adossés à la dernière cloison circulaire.
  32. Pierre spéculaire dont la meilleure venait de Cappadoce et de Ségobrica (Ségovie) dans l’Espagne citérieure. Pline vante la blanche : mira… perpetiendi soles rigoresque : nec senescit… C’est du mica dont étaient faites encore au XVIIIe siècle les vitres des vaisseaux. Senèque parle de la pierre spéculaire (Ep. 60.)

    Hibernis objecta notis specularia puros
    Admittunt soles et sine fæce dies.

    (Martial, VIII. 14.)
  33. De πρò, avant, et ναòσ, temple (Pronaum), portique antérieur.
  34. Temanza, dans une note (vita di Polifilo), fait remarquer, à propos de ce passage, cité tout entier, qu’il a suivi lui-même cette règle dans la construction de l’église de Sainte-Marie-Madeleine à Venise.
  35. Cela ne faisait donc que neuf arcs.
  36. Je crois qu’il faut entendre la Gaule Cisalpine. Pline cite le territoire de Bologne comme recélant de la pierre spéculaire. (XXXVI, 3). La pierre tendre qu’on extrayait de la Gaule Belgique était de l’ardoise (ibid.).
  37. Petosiris, mathématicien qui vivait sous le règne de Necepsos.

    Capiendo nulla videtur
    Aptior ora cibo, nisi quam dederit Petosiris.

    (Juvénal, sat. VI, v. 378.)
  38. Roi d’Égypte et célèbre astrologue (Jul. Firmicus, IV, 16.)

    Quique Magos docuit mysteria vana Necepsos.

    (Ausone.)
  39. Espèce de pierre dont parle Caton au cinquième livre des Origines : Lapis candidior, quam Pilates. (Festus)
  40. Nombril de Vénus.
  41. Il veut dire la clef de l’arc ou de l’archivolte.
  42. C’est-à-dire que les piliers étaient continués au-dessus de la corniche circulaire et de la corniche des pilastres.
  43. C. Lutacius Catulus, qui fut blâmé de tout son siècle pour avoir fait dorer les tuiles d’airain du Capitole. (Pline, XXXIII, 3.) Ce fut Constance II qui fit enlever cette toiture dorée du Panthéon.
  44. La corniche qui soutenait le dôme, au-dessus des fenêtres.
  45. Il veut dire les arcs.
  46. Entre la surélévation du second mur du temple et le derrière du pilier extérieur prolongé.
  47. Pilastres situés au-dessus des colonnes Corinthiennes en porphyre et soutenant la seconde corniche intérieure sur lesquels reposait la coupole.
  48. Le grand pilastre extérieur partant de la dernière marche jusqu’à la grande corniche extérieure de la première enceinte.
  49. La clef des arcs extérieurs allant d’un pilastre à l’autre.
  50. Le dôme.
  51. Le demi-pilastre sur lequel portait l’arc-boutant dont l’autre extrémité reposait sur un semblable établi derrière le pilier exhaussé de l’extérieur.
  52. Sur un même diamètre.
  53. C’est-à-dire de l’anse d’un candélabre à celle de l’autre.
  54. Le péristyle circulaire recouvert du toit en forme d’appentis garni d’écaillés dorées.
  55. La seconde corniche intérieure sur laquelle repose la coupole.
  56. Mélange qui, à la fonte, donne l’émail blanc.
  57. Il veut parler de la lanterne affectant la forme d’un vase à gargoule renversé.
  58. Variété de corindon, en Latin balacius, venant de Balaschan près Samarcande.
  59. Marbre trouvé à fleur de terre, pour la première fois sous le règne d’Auguste. (Pline, XXXVI, 7.)
  60. Alabastrite, sorte de marbre onyx. (Pline, XXXVI, 8.)
  61. Psamétik. Il éleva le portique du temple de Vulcain à Memphis et construisit la tour d’Apis, dans laquelle on nourrissait le Dieu dès qu’il s’était manifesté. (Herodote, II, 153.)
  62. C’est-à-dire, probablement à l’extrémité de chaque diamètre.
  63. Il confond Zénodore avec Sosus qui fit, à Pergame, le carrelage nommé ἀσάρὼτος οἷκος, ou maison non balayée, parce qu’il avait représenté en mosaïque des débris de mets tels que ceux qu’on balaye après un festin. (Pline, XXXVI, 25.)
  64. Λιθόστρωτος, pavé en mosaïque. Scylla fit faire celui du temple de la Fortune à Præneste.
  65. L’épaisseur du mur, plus celle de la colonnade.
  66. Κύλλον πήρα. Éminence avec une fontaine et un temple d’Aphrodite, sur l’Hymette, en Attique. (Aristote, selon le grammairien Hesychius.)
  67. Le territoire de Padoue, aux pieds des collines Euganéennes. (Lucain, VII, 92.)
  68. Ou Foriculus, Dieu qui présidait aux portes.
  69. Dieu qui présidait aux seuils.
  70. Déesse qui présidait aux gonds.
  71. Simpulum et non simpula, comme l’écrit Colonna, sorte de calice dans lequel s’offrait le vin (κύαθος) dans lequel s’offrait le vin des sacrifices. (Festus). (Varron, de Lingua Latina, IV, 26.)
  72. C’est ce que nous nommons battant à double feuillure.
  73. Prise ici pour le Nord, parce qu’elle forme dans le ciel la constellation de la Grande Ourse.
  74. Pline, XXXVI, 16.
  75. Ou scordetis, découverte, dit-on, par Mithridate qui, selon Lenæus, l’aurait décrite. Le père Hardouin décide que c’est la stachys de Dioscoride (III, 120.)
  76. Églog. II, v. 65.
  77. Colonna qualifie de Latin la langue Italienne.
  78. Ou gossympinos et gossampinos, arbre cotonnier que Pline rapporte venir abondamment dans la grande et la petite Tylos, îles du golfe Persique (Pline, XII. 10, 11). Il y a dans notre texte cette transcription fautive gosapine, peut-être est-ce pour Gossipion qui diffère du gossimpinos en ce que la graine est beaucoup moins grosse, c’est le coton d’Egypte. (Pline, XIX, 1.)
  79. Tunique de dessous. (Varron, apud Non. XIV, 36.)
  80. Bonnet des flamines. (Varron, de Ling. Lat. VI.)
  81. Sel consacré dont se servaient les Vestales. (Festus.)
  82. Couteau des prêtres flamines dont notre auteur emprunte exactement la description à Festus.
  83. Vase sans anses servant aux sacrifices faits à Ops consivia ou la Terre. (Festus in Opima.)
  84. Vase aplati comme une conque, en terre ou en airain. (Varron apud Non. XV, 35.)
  85. Muriés.
  86. Cramoisi voulait dire, autrefois, teint deux fois ; pourtant le Dictionnaire de Nicot lui donne déjà le sens de rouge.
  87. Epilesia, mot que Colonna forme d’επιλησις.
  88. Pierre trouvée du temps de Néron, en Cappadoce, fort blanche et dure, veinée de roux, transparente, dont ce prince fit reconstruire le temple de la Fortune Seja. (Suétone, vit. Domit. XIV.)
  89. Ou Chembis, île située dans un lac, près de Buto sur la bouche Sebennytique du Nil, portant un temple d’Apollon avec des jardins, et que les Égyptiens affirmaient être flottante. (Hérodote, II, 156. — Mela, II, 10.)
  90. De φέγγος, splendeur.
  91. Gartallo dans le texte, pour Cartallo, de Cartallus, expression qui se trouve dans la Vulgate (Jérémie.)
  92. Table destinée au ministère divin, mot que Festus, verb. Escariæ, dérive de Anclare, exhaurire, ministrari.
  93. Colonna joue sur les mots, soit de myropola, marchand de parfums, soit de myropolium, officine ou boutique de parfums, soit de myrobolan, de μύρον parfum et βάλανος gland. Fruit parfumé d’un arbre d’Égypte dont on faisait un onguent recherché pour la chevelure à cause de son odeur. Le populaire en a fait une expression superlative.

    Quod nec Virgilius, nec carmine dixit Homerus,
    Hoc ex unguento constat et ex balano.

    (Martial, XIV, 57.)
  94. Syphus, coupe propre à Hercule. La coupe d’Hercule contenait trois lagynes ; c’est après l’avoir vidée qu’Alexandre tua Clitus. (Senèque, Epist. 83). On faisait en Béotie des syphes en argent qu’on nommait héracléotiques. (Athénée, Deipnos. XI.)
  95. Coupe propre à Bacchus.

    Et gravis attrita pendebat cantharus ansa.

    (Virgile, Egl. VI, 14.)
  96. Ainsi nommé par analogie avec la hune d’un mât : vase allongé un peu resserré dans son milieu, avec des anses qui s étendaient jusqu’à son fond. Phérécide, liv. II, et Hérodore d’Héraclée, rapportent, au dire d’Athénée, que Jupiter, ayant joui d’Alcmène, lui donna un carchèse pour prix de cette jouissance. (Deipnos. XI.)
  97. L’auteur confond Jupiter avec Vénus, à laquelle Octave donna pour être placée à ses oreilles, dans le Panthéon, la perle de Cléopâtre sciée en deux. (Macrobe, Saturn. II, 13). Jules César dédia à Vénus Génitrix, dans son temple, une cuirasse couverte de perles pêchées sur les côtes de l’île de Bretagne (Pline, IX, 35), où les huîtres perlières étaient, paraît-il, abondantes, témoin ce vers de Marbodeus :

    Gignit et insignes antiqua Britannia baccas.

    (De lapid. pret. 61.)
  98. Fille de l’Océan et de Téthys, mère des Grâces : Aglaé, d’'αγλαίζω, je réjouis, j’orne ; Thalie, de θαλλω, je verdoie, je fleuris ; Euphrosine, de εύφρωσίνος, gaie.
  99. Source consacrée à Aphrodite et bain des Grâces.

    At memor ille
    Matris Acidaliæ…

    (Virgil., Énéide, I, 726.)