Hetzel (p. 105-118).

IX


La direction prise par M. Stepark le faisait passer par le nord de la ville, tandis que ses agents, deux à deux, traversaient les quartiers du centre. Le capitaine Haralan et moi, après avoir atteint l’extrémité de la rue Étienne Ier, nous suivîmes le quai le long du Danube.

Le temps était couvert. Les nuages grisâtres et boursouflés chassaient rapidement de l’Est. Sous la fraîche brise, les embarcations donnaient une forte bande en sillonnant les eaux jaunâtres du fleuve. Des couples de cigognes et de grues, faisant tête au vent, jetaient des cris aigus. Il ne pleuvait pas, mais les hautes vapeurs menaçaient de se résoudre en averses torrentielles.

Excepté dans le quartier commerçant, rempli à cette heure de la foule des citadins et des paysans, les passants étaient rares. Cependant, si le chef de la police et ses agents fussent venus avec nous, cela aurait pu attirer l’attention, et mieux valait s’être séparés en quittant la Maison de Ville.

Le capitaine Haralan continuait à garder le silence. Je craignais toujours qu’il ne fût pas maître de lui et qu’il ne se livrât à quelque acte de violence s’il rencontrait Wilhelm Storitz. Aussi regrettais-je presque que M. Stepark nous eût permis de l’accompagner.

— Un quart d’heure nous suffit pour atteindre, au bout du quai Batthyani, l’angle occupé par l’hôtel Roderich. Aucune des fenêtres du rez-de-chaussée n’était encore ouverte, pas plus que celles des chambres de Mme Roderich et de sa fille. Quel contraste avec l’animation de la veille !

Le capitaine Haralan s’arrêta, et ses regards s’attachèrent un instant à ces persiennes closes. Un soupir s’échappa de sa poitrine, sa main esquissa un geste menaçant, mais il ne prononça pas une parole.

Le coin tourné, nous remontâmes le boulevard Tékéli, et nous fîmes halte près de la maison Storitz.

Un homme se promenait devant la porte, les mains dans les poches, en indifférent. C’était le chef de police. Le capitaine Haralan et moi nous le rejoignîmes ainsi qu’il était convenu.

Presque aussitôt, apparurent six agents en bourgeois, qui, sur un signe de M. Stepark, se rangèrent le long de la grille. Avec eux se trouvait un serrurier, réquisitionné pour le cas où la porte ne s’ouvrirait pas.

Les fenêtres de la maison Storitz étaient fermées comme d’habitude. Les rideaux du belvédère, tirés intérieurement, rendaient les vitres opaques.

« Il n’y a personne, sans doute, dis-je à M. Stepark.

— Nous allons le savoir, me répondit-il. Mais je serais étonné que la maison fût vide. Voyez cette fumée qui s’échappe de la cheminée, à gauche.

En effet, un filet de vapeur fuligineuse s’échevelait au-dessus du toit.

— Si le maître n’est pas chez lui, ajouta M. Stepark, il est probable que le domestique est là, et, pour nous ouvrir, peu importe que ce soit l’un ou l’autre.

À part moi, étant donnée la présence du capitaine Haralan, j’eusse préféré que Wilhelm Storitz fût absent et même qu’il eût quitté Ragz.

Le chef de la police fit résonner le heurtoir fixé à l’un des panneaux de la grille. Puis nous attendîmes que quelqu’un parût ou que la porte fût ouverte de l’intérieur.

Une minute s’écoula. Personne. Second coup de heurtoir…

— On a l’oreille dure dans cette maison, murmura M. Stepark.

Puis, se retournant vers le serrurier :

— Faites, dit-il.

Cet homme, choisit un outil dans son trousseau. Le bec-de-cane seul étant engagé dans la gâche, la porte céda sans difficulté.

Le chef de police, le capitaine Haralan et moi, nous entrâmes dans la cour. Quatre des agents nous accompagnaient, tandis que les deux autres restaient à l’extérieur.

Au fond, un perron de trois marches montait à la porte d’entrée de l’habitation, fermée comme celle de la grille.

M. Stepark heurta deux fois avec sa canne.

Il ne fut pas répondu. Aucun bruit ne se fit entendre à l’intérieur de la maison.

Le serrurier gravit les degrés du perron et introduisit une de ses clefs dans la serrure. Il était possible que celle-ci fût fermée à plusieurs tours, et même que les verrous eussent été poussés en dedans, si Wilhelm Storitz, ayant aperçu les agents, voulait les empêcher d’entrer.

Il n’en fut rien. La serrure joua. La porte s’ouvrit aussitôt.

— Entrons, dit M. Stepark.

Le corridor était éclairé à la fois par l’imposte grillagé ménagé au-dessus de la porte, et, au fond, par le vitrage d’une seconde porte donnant accès dans le jardin.

Le chef de police fit quelques pas Dans ce corridor, et cria d’une voix forte :

— Y a-t-il quelqu’un ici ?

Pas de réponse, même quand cet appel eut été jeté une seconde fois. Aucun bruit à l’intérieur de cette maison. À peine si, en prêtant l’oreille, en y appliquant toute notre attention, nous crûmes percevoir comme une sorte de glissement dans une des chambres latérales… Mais c’était une illusion, sans doute.

M. Stepark s’avança jusqu’au fond du corridor. Je marchais derrière lui, et le capitaine Haralan me suivait.

Un des agents était resté de garde sur le perron de la cour.

La porte ouverte, on put d’un coup d’œil parcourir tout le jardin. Il était enclos de murs sur une superficie d’environ deux à trois mille toises. Une pelouse, qui n’avait pas été fauchée depuis longtemps, et dont les hautes herbes traînaient, à demi flétries, en occupait le centre. Tout autour courait une allée sinueuse bordée de taillis fort épais. Au delà de ces taillis on apercevait des arbres élevés, plantés sans doute le long des murs, et dont les têtes devaient dominer l’épaulement des fortifications.

Tout dénotait l’incurie et l’abandon.

Le jardin fut visité. Les agents n’y découvrirent personne, bien que les allées fussent marquées de pas récents.

Les fenêtres, de ce côté, étaient closes de contrevents, sauf la dernière du premier étage, par laquelle s’éclairait l’escalier.

— Ces gens-là ne devaient pas tarder à rentrer, fit observer le chef de police, puisque la porte était simplement tirée et non fermée à double tour… à moins qu’ils n’aient eu l’éveil, et qu’ils n’aient pris la clef des champs.

— Vous pensez qu’ils ont pu savoir ?… répliquai-je. Non, je m’attends plutôt à ce qu’ils reviennent d’un instant à l’autre.

M. Stepark secoua la tête d’un air de doute.

— D’ailleurs, ajoutai-je, cette fumée qui s’échappe de l’une des cheminées prouve qu’il y a du feu quelque part.

— Cherchons le feu, répondit le chef de police.

Après avoir constaté que le jardin était désert comme la cour, et que personne n’y était caché, M. Stepark nous pria de rentrer dans la maison, et la porte du corridor fut refermée derrière nous.

Ce corridor desservait quatre pièces. De l’une d’elles, du côté du jardin, on avait fait la cuisine. Une autre n’était à vrai dire que la cage de l’escalier qui montait au premier étage, puis au grenier.

Ce fut par la cuisine que la perquisition débuta. Un des agents alla ouvrir la fenêtre et en repoussa les contrevents, percés d’une étroite ouverture en losange, qui ne laissait pas pénétrer assez de jour.

Rien de plus simple, de plus rudimentaire que le mobilier de cette cuisine, — un fourneau de fonte, dont le tuyau se perdait sous l’auvent d’une vaste cheminée, de chaque côté une armoire, au milieu une table, deux chaises paillées et deux escabeaux de bois, divers ustensiles accrochés aux murs, dans un angle, une horloge au tic-tac régulier, et dont les poids indiquaient qu’elle avait été remontée de la veille.

Dans le fourneau brûlaient, encore quelques morceaux de charbon qui produisaient la fumée vue du dehors.

— Voici la cuisine, dis-je, mais le cuisinier ?…

— Et son maître ?… ajouta le capitaine Haralan.

— Continuons nos recherches, répondit M. Stepark.

Les deux autres chambres du rez-de-chaussée, qui prenaient jour sur la cour, furent visitées successivement. L’une, le salon, était garnie de meubles d’un travail ancien, en vieilles tapisseries d’origine allemande très usées par place. Sur la tablette de la cheminée à gros chenets de fer, reposait une pendule rocaille d’assez mauvais goût. Ses aiguilles arrêtées et la poussière étalée sur le cadran indiquaient qu’elle ne servait plus depuis longtemps. À l’un des panneaux, en face de la fenêtre, était appendu un portrait dans son cadre ovale, avec ce nom, dans un cartouche : Otto Storitz.

Nous regardions cette peinture, vigoureuse de dessin, rude de couleurs, signée d’un artiste inconnu, une véritable œuvre d’art

Le capitaine Haralan ne pouvait détacher ses yeux de cette toile.

Pour mon compte, la figure d’Otto Storitz me causait une impression profonde. Était-ce la disposition de mon esprit qui m’y poussait ?… Ou plutôt ne subissais-je pas, à mon insu, l’influence du milieu ?… Quoi qu’il en soit, ici, dans ce salon abandonné, le savant m’apparaissait comme un être fantastique. Avec cette tête puissante, cette chevelure en broussaille, ce front démesuré, ces yeux d’une ardeur de braise, cette bouche aux lèvres frémissantes, il me semblait que le portrait était vivant, qu’il allait s’élancer hors de son cadre, et s’écrier d’une voix venue de l’autre monde :

Il me semblait que le portrait était vivant…

« Que faites-vous ici ?… Quelle audace est la vôtre de troubler mon repos ! »

La fenêtre du salon, fermée de persiennes, laissait passer la lumière. Il n’avait pas été nécessaire de l’ouvrir, et, dans cette pénombre relative, peut-être le portrait gagnait-il en étrangeté et nous impressionnait-il davantage.

Le chef de police parut frappé de la ressemblance qui existait entre Otto et Wilhelm Storitz.

— À la différence d’âge près, me fit-il observer, ce portrait pourrait être aussi bien celui du fils que celui du père. Ce sont les mêmes yeux, le même front, la même tête placée sur de larges épaules. Et cette physionomie diabolique !… On serait tenté de les exorciser l’un comme l’autre.

— Oui, répliquai-je, cette ressemblance est surprenante.

Le capitaine Haralan semblait cloué devant cette toile, comme si l’original eût été devant lui.

— Venez-vous, capitaine ? lui dis-je.

Nous passâmes de ce salon dans la chambre voisine, en traversant le corridor. C’était le cabinet de travail, très en désordre. Des rayons de bois blanc, encombrés de volumes non reliés pour la plupart, des ouvrages de mathématiques, de chimie et de physique principalement. Dans un coin, plusieurs instruments, des appareils, des machines, des bocaux, un fourneau portatif, quelques cornues et alambics, divers échantillons de métaux dont quelques-uns m’étaient inconnus, tout ingénieur que je sois. Au milieu de la pièce, sur une table chargée de papiers et d’ustensiles de bureau, trois ou quatre volumes des œuvres complètes d’Otto Storitz. À côté de ces volumes, un manuscrit. En me penchant, je pus constater que ce manuscrit, signé également de ce nom célèbre, était relatif à une étude sur la lumière. Papiers, volumes et manuscrit furent saisis et mis sous scellés.

La perquisition faite dans ce cabinet ne donna aucun autre résultat qui pût être de nature à nous édifier. Nous allions donc en sortir, lorsque M. Stepark aperçut sur la cheminée une fiole de forme bizarre en verre bleuté.

Fut-ce pour obéir à un sentiment de curiosité ou à ses instincts de policier, M. Stepark avança la main pour prendre cette fiole afin de l’examiner de plus près. Mais il est à croire qu’il fit un faux mouvement, car la fiole, qui était posée sur le bord de la tablette, tomba au moment où il allait la saisir et se brisa sur le carreau.

Une liqueur très fluide de couleur jaunâtre s’en échappa. Extrêmement volatile, elle se réduisit aussitôt en une vapeur d’une odeur singulière que je n’aurais pu comparer à aucune autre, mais faible en somme, car notre odorat n’en fut que peu affecté.

— Ma foi, dit M. Stepark, elle est tombée à propos, cette fiole.

— Elle renfermait, sans doute, quelque composition inventée par Otto Storitz, dis-je.

— Son fils doit en avoir la formule, et il saura bien en refaire, répondit M. Stepark.

Puis, se dirigeant vers la porte :

— Au premier étage, dit-il, en recommandant à deux de ses agents de rester dans le corridor.

Au fond, en face de la cuisine, se trouvait la cage d’un escalier à rampe de bois, dont les marches craquaient sous le pied.

Sur le palier s’ouvraient deux chambres contiguës, dont les portes n’étaient point fermées à clef, et il suffit d’en tourner le bouton de cuivre pour s’y introduire.

La première, au-dessus du salon, devait être la chambre à coucher de Wilhelm Storitz. Elle ne contenait qu’un lit de fer, une table de nuit, une armoire à linge en chêne, une toilette montée sur pieds de cuivre, un canapé, un fauteuil de gros velours, et deux chaises. Pas de rideaux au lit, pas de rideaux aux fenêtres, un mobilier, on le voit, réduit au strict nécessaire. Aucun papier, ni sur la cheminée, ni sur une petite table ronde placée dans un angle. La couverture était encore défaite à cette heure matinale, mais que le lit eût été occupé pendant la nuit, nous ne pouvions que le supposer.

Toutefois, en s’approchant de la toilette, M. Stepark observa que la cuvette contenait de l’eau avec quelques bulles savonneuses à sa surface.

— À supposer, dit-il, que vingt-quatre heures se fussent écoulées depuis que l’on s’est servi de cette eau, les bulles seraient dissoutes. D’où je conclus que notre homme a fait sa toilette ici-même, ce matin, avant de sortir.

— Aussi est-il possible qu’il rentre, répétai-je, à moins qu’il n’aperçoive vos agents.

— S’il voit mes agents, mes agents le verront, et ils ont ordre de me l’amener. Mais je ne compte guère qu’il se laisse prendre.

En ce moment, on entendit un bruit comme le craquement d’un parquet mal assujetti sur lequel on marche. Ce bruit semblait venir de la pièce à côté, au-dessus du cabinet de travail.

Il existait une porte de communication entre la chambre à coucher et cette pièce, ce qui évitait de revenir au palier pour passer de l’une à l’autre.

Avant le chef de police, le capitaine Haralan s’élança d’un bond vers cette porte, l’ouvrit brusquement…

Mais nous nous étions trompés. Il n’y avait personne.

Il était possible, après tout, que ce bruit fût venu de l’étage supérieur, c’est-à-dire du grenier par lequel on accédait au belvédère.

Cette seconde chambre était encore plus sommairement meublée que la première, un cadre tendu d’une sangle de forte toile, un matelas très aplati par l’usage, de gros draps rugueux, une couverture de laine, deux chaises dépareillées, un pot à eau et une cuvette de grès sur la cheminée dont l’âtre ne renfermait pas la moindre parcelle de cendres, quelques vêtements d’étoffe épaisse accrochés aux patères d’un portemanteau, un bahut, ou plutôt un coffre de chêne, qui servait à la fois d’armoire et de commode, et dans lequel M. Stepark trouva du linge en assez grande quantité.

Cette chambre était évidemment celle du vieux serviteur Hermann. Le chef de police savait d’ailleurs, par les rapports de ses agents, que si la fenêtre de la première chambre à coucher s’ouvrait quelquefois pour l’aération, celle de cette seconde chambre donnant aussi sur la cour demeurait invariablement fermée. On put le constater matériellement en examinant l’espagnolette, d’un jeu très difficile, et les ferrures des persiennes, mangées de rouille.

En tout cas, ladite chambre était vide, et pour peu qu’il en fût ainsi du grenier, du belvédère et de la cave située sous la cuisine, c’est que, décidément, le maître et le serviteur avaient quitté la maison et peut-être avec l’intention de n’y plus rentrer.

— Vous n’admettez pas, demandai-je à M. Stepark, que Wilhelm Storitz ait pu être informé de cette perquisition ?

— Non, à moins qu’il n’ait été caché dans mon cabinet, monsieur Vidal, ou dans celui de son Excellence, lorsque nous causions de cette affaire !

— Quand nous sommes arrivés sur le boulevard Tékéli, il est possible qu’ils nous aient aperçus.

— Soit ! mais comment seraient-ils sortis ?

— En gagnant la campagne par derrière.

— Ils n’auraient pas eu le temps de passer par dessus les murs du jardin, qui sont très élevés, et, de l’autre côté, d’ailleurs, c’est le fossé des fortifications qu’on ne peut franchir.

L’opinion du chef de police était donc bien que Wilhelm Storitz et Hermann étaient déjà hors de la maison avant que nous y fussions entrés.

Nous sortîmes de cette chambre par la porte du palier. À l’instant précis où nous attaquions la première marche pour monter au second étage, nous entendîmes tout à coup l’escalier réunissant le premier au rez-de chaussée craquer fortement, comme si quelqu’un l’eût monté ou descendu à pas rapides. Presque aussitôt, il y eut un bruit de chute suivi d’un cri de douleur.

Nous nous penchâmes sur la rampe, et nous aperçûmes un des agents restés en surveillance dans le couloir qui se relevait en se frottant les reins.

— Qu’y a-t-il, Ludwig ? interrogea M. Stepark.

L’agent expliqua qu’il se tenait debout sur la deuxième marche de l’escalier, quand son attention avait été attirée par les craquements que nous avions entendus. En se retournant alors brusquement pour en reconnaître la cause, il est à supposer qu’il avait mal calculé ses mouvements, car, ses deux talons glissant à la fois, il était tombé à la renverse, au grand dommage de ses reins. Cet homme ne pouvait s’expliquer sa chute. Il eût juré qu’on lui avait tiré ou poussé les pieds, pour lui faire faire perdre l’équilibre.

Il eût juré qu’on lui avait tiré ou poussé les pieds.


Mais cela n’était pas admissible, puisqu’il était seul au rez-de-chaussée, avec son collègue resté en surveillance à la porte principale donnant sur la cour.

— Hum !… fit M. Stepark d’un air soucieux.

En une minute, le second étage fut atteint.

Cet étage ne comprenait que le grenier qui s’étendait d’un pignon à l’autre, éclairé par d’étroits vasistas ménagés dans la toiture, et il fut aisé de constater d’un coup d’œil que personne ne s’y était réfugié.

Au centre, une échelle assez raide conduisait au belvédère qui dominait les combles, et à l’intérieur duquel on s’introduisait par une trappe qui basculait au moyen d’un contre-poids.

— Cette trappe est ouverte, fis-je observer à M. Stepark, qui avait déjà mis un pied sur l’échelle.

— En effet, monsieur Vidal, et il vient par là un courant d’air. D’où ce bruit que nous avons entendu. La brise est forte aujourd’hui, et la girouette crie à la pointe du toit.

— Cependant, répondis-je, on eût dit plutôt un bruit de pas.

— Qui donc aurait marché, puisqu’il n’y a personne ?

— À moins que là-haut, monsieur Stepark ?…

— Dans cette niche aérienne ?…

Le capitaine Haralan écoutait les propos échangés entre le chef de police et moi. Il se contenta de dire en indiquant le belvédère :

— Montons.

M. Stepark gravit le premier les échelons, en s’aidant d’une grosse corde qui pendait jusqu’au plancher.

Le capitaine Haralan d’abord, moi ensuite, nous grimpions après lui. Il était probable que trois personnes suffiraient à remplir cet étroit lanterneau.

En effet, ce n’était qu’une sorte de cage carrée de huit pieds sur huit, et haute d’une dizaine.

Il y faisait assez sombre, bien qu’un vitrage fût établi entre les montants solidement encastrés dans les poutres du faîtage.

Cette obscurité tenait à ce que d’épais rideaux de laine étaient rabattus, ainsi que nous l’avions remarqué du dehors. Mais, dès qu’ils furent relevés, la lumière pénétra largement à travers le vitrage.

Par les quatre faces du belvédère, le regard pouvait parcourir tout l’horizon de Ragz. Rien ne gênait la vue, plus étendue qu’à la terrasse de l’hôtel Roderich, moins toutefois qu’à la tour de Saint-Michel et au donjon du Château.

Je revis de là le Danube à l’extrémité du boulevard, la cité se développant vers le Sud, dominée par le beffroi de la Maison de Ville, par la flèche de la cathédrale, par le donjon de la colline de Wolkang, et autour, les vastes prairies de la puszta, bordée de ses lointaines montagnes.

J’ai hâte de dire qu’il en fut du belvédère comme du restant de la maison. On n’y trouva personne. Il fallait que M. Stepark en prît son parti, cette descente de police ne donnerait aucun résultat, et on ne saurait rien encore des mystères de la maison Storitz.

J’avais pensé que ce belvédère servait peut-être à des observations astronomiques et qu’il renfermait des appareils pour l’étude du ciel. Erreur. Pour tout meuble, une table et un fauteuil en bois.

Sur la table, se trouvaient quelques papiers, et, entre autres, un numéro de la gazette qui m’avait appris, à Buda-Pest, le prochain anniversaire d’Otto Storitz. Ces papiers furent saisis, comme les précédents.

Sans doute, c’était ici que le fils se reposait, au sortir de son cabinet de travail, ou, plus exactement, de son laboratoire. Dans tous les cas, il avait lu cet article, qui était marqué, de sa main évidemment, par une croix à l’encre rouge.

Soudain une violente exclamation se fit entendre, une exclamation de surprise et de colère.

Le capitaine Haralan avait aperçu, sur une tablette fixée à l’un des montants, une boîte en carton qu’il venait d’ouvrir…

Et qu’avait-il retiré de cette boîte ?…

La couronne nuptiale enlevée pendant la soirée des fiançailles à l’hôtel Roderich !