Le Secrétaire intime/Chapitre 16

Le Secrétaire intime
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XVI.

Quintilia le fit appeler le lendemain matin. Elle avait l’air si heureux et si bon, que Saint-Julien se sentit tout disposé à suivre les conseils de Spark.

« J’ai des lettres à te dicter, lui dit-elle en lui tapant doucement l’épaule d’un air familier. Assieds-toi là et prends ta meilleure plume. »

Julien s’assit. La montre fatale était toujours sur le bureau ; il se sentit un mouvement de rage contre ce fâcheux accusateur, et feignant de la pousser gauchement avec son coude, il la jeta par terre.

La princesse s’en aperçut à peine ; et quand il la ramassa en s’excusant de l’avoir brisée, elle parut fort indifférente à cet accident.

« Ginetta, dit-elle, emporte ma montre, que ce maladroit de Julien vient de casser. Il est décidé que je ne puis pas la garder, et qu’il lui arrivera toujours malheur. Fais-la raccommoder et garde-la pour toi. »

Julien regarda la princesse attentivement. Elle était aussi parfaitement calme que le jour où elle avait regardé en face M. Dortan sans paraître le reconnaître. Mais il lui sembla que la Ginetta rougissait un peu. Était-ce de plaisir d’avoir la montre, ou perdait-elle contenance devant tant d’audace ?

Julien sentit la sienne augmenter, comme il lui arrivait toujours dans ses moments d’émotion ; et regardant alternativement la princesse et sa suivante :

« La signora Gina, dit-il, connaît peut-être à Paris un horloger habile à qui elle pourra confier la réparation de cette montre !

— Pourquoi à Paris ? dit la princesse ; nous avons d’excellents horlogers à Venise. »

Elle n’avait pas changé de visage, et la Gina semblait être redevenue impénétrable. Saint-Julien insista obstinément.

« Si la signora Gina veut bien le permettre, c’est moi qui me chargerai de la réparation, puisque c’est moi qui ai causé le dommage.

— Arrangez-vous ensemble, dit la princesse, cela ne me regarde plus. La montre appartient à Gina.

— Et je l’enverrai, continua Saint-Julien, à un de mes amis qui habite Paris, et qui s’appelle Charles de Dortan. »

Gina se troubla visiblement. La princesse n’y prit pas garde, et répéta le nom de Charles de Dortan.

« Je crois qu’en effet son nom est sur cette montre, dit-elle en s’adressant à Ginetta. N’est-ce pas l’ouvrier à qui tu l’as confiée à Paris, après l’avoir jetée par terre comme Julien vient de faire ?

— Oui, Madame, répondit Ginetta remise de son trouble, c’est un horloger qu’on m’a désigné comme très-habile, et qui, selon l’usage, a gravé son nom sur la boîte. »

Julien, frappé de tant d’assurance, et ne sachant plus que penser, tenta un dernier effort.

« Le hasard, dit-il, me l’a fait rencontrer à Avignon précisément le jour… »

Ginetta l’interrompit, et s’adressant à Quintilia :

« Votre Altesse ne se souvient-elle plus de cet homme qui voulait absolument lui parler ?

— Non, dit la princesse avec un sang-froid imperturbable. Que voulait-il ? ne l’avais-tu pas payé ?

— Il m’avait beaucoup priée de le recommander à Votre Altesse, à laquelle il voulait vendre une pendule à musique, mais elle était laide et de mauvais goût.

— Ah ! dit la princesse d’un ton d’indifférence et de distraction ; en ce cas, Julien, mets-toi à écrire ; et toi, Gina, laisse-nous. »

Elle semblait n’avoir pas pris le moindre intérêt à cette délicate explication, et pourtant Saint-Julien se disait : « Il y a quelque chose là-dessous. Spark lui-même aurait été frappé de la rougeur de Ginetta. » Il prit sa plume et commença sous la dictée de la princesse.

« Monsieur le duc,

« Votre personne est charmante, votre esprit supérieur et votre emploi magnifique. Je compte écrire directement à votre auguste souverain, et le remercier de vous avoir choisi pour remplir cette importante et agréable mission auprès de moi. Il m’est impossible de vous voir aujourd’hui ; et d’ailleurs j’ai besoin, pour répondre aux propositions de Votre Excellence, du plus grand calme et de la plus austère réflexion. Je craindrais de subir l’influence expansive de votre esprit en traitant de vive voix une question si grave. Après mûre délibération, je me crois donc autorisée, par ma conscience et ma volonté, à refuser positivement l’alliance qui m’est offerte. Mes opinions sont invariables sur ce point, et vous les connaissez. La liberté de fait établie par moi, souverain absolu en vertu de pouvoirs absolus, etc., etc.… »

Saint-Julien écrivit sous sa dictée plusieurs lignes qu’il aurait pu tracer de lui-même, tant il était au fait des systèmes du potentat femelle de Monteregale.

Quand il eut terminé la partie politique de cette lettre (et nous en ferons grâce au lecteur, comme d’une chose étrangère à cette histoire), il continua sous la dictée de la princesse :

« Quant à la question que Votre Excellence m’a dit tenir en réserve en cas de refus définitif de ma part, je demande en grâce qu’elle me soit exposée sur-le-champ ; car des occupations du plus grand intérêt pour moi vont me forcer à faire un petit voyage en Italie. Ce sera pour moi un grand regret que de voir abréger le séjour de Votre Excellence dans mes États, et j’aurais vivement désiré qu’il me fût permis d’en jouir plus longtemps. »

— Ajoutez les formules d’usage, dit la princesse à Saint-Julien, et puis donnez-moi votre plume. »

Quand elle eut signé et fait mettre le nom du duc de Gurck sur l’adresse, elle sonna, et le page se présenta.

« Portez cette lettre à M. de Gurck, lui dit-elle, et rapportez-moi la réponse. S’il demande à me voir, dites que c’est impossible. »

Galeotto fut frappé de l’air froid et absolu de la princesse. Il eut besoin de rassembler tout son courage pour lui faire entendre qu’il avait un message secret pour elle.

« Je n’ai pas de secrets où vous puissiez être pour quelque chose, reprit-elle sèchement. Parlez devant M. de Saint-Julien, je vous le permets. »

Le page hésita ; elle ajouta : « Je vous l’ordonne. »

Galeotto, banni des appartements particuliers depuis plusieurs jours sans en savoir la cause, avait beaucoup compté sur le moment où il lui serait permis d’approcher de la princesse. Il avait fait part à Julien de l’intention où il était de nuire au comte de Steinach, tout en feignant de le servir et tout en travaillant pour son propre compte. Mais, quoique ces projets ne fussent point un secret pour lui, il était vivement contrarié de l’avoir pour témoin de sa conduite. Rien ne paralyse la ruse comme l’œil d’un juge prêt à censurer notre maladresse ou à s’effrayer de notre perfidie.

Néanmoins il fallait parler. Il donna quelques mots d’une explication moitié plaisante, moitié mystérieuse, et finit en tirant de son sein une lettre renfermée sous trois enveloppes.

Mais Quintilia, devant qui le page avait mis un genou en terre, n’avança point la main pour recevoir la lettre, et lui ordonna de la décacheter et de la lire tout haut.

Galeotto se troubla. « M’avez-vous entendue ? répéta la princesse. »

Alors, prenant courage, Galeotto imagina de lire hardiment la lettre d’un ton pathétique et en feignant un trouble toujours croissant. C’était une déclaration d’amour du comte de Steinach, rédigée dans des termes aussi passionnés que son rang avait pu le lui permettre.

Le malin page la déclama d’une voix tremblante et comme s’il eût été frappé de l’application qu’il pouvait se faire des expressions timides et brûlantes de la lettre. Il affecta plusieurs fois de manquer de force pour achever une phrase et de tenir le papier d’une main tremblante. Enfin il joua si bien la comédie, que Saint-Julien en eût été dupe complètement sans le dernier entretien qu’ils avaient eu ensemble.

Mais la princesse ne parut émue ni de l’amour de Steinach, ni de celui que Galeotto feignait d’abriter timidement sous les ailes de la diplomatie sentimentale.

« Cela est pitoyable, » dit-elle, quand le page eut fini. Et, lui arrachant la lettre des mains, elle la jeta dans une corbeille de bambou qui était sous le bureau et dans laquelle elle avait coutume d’entasser pêle-mêle tous les papiers inutiles.

« Mais, tout mauvais que soit cet italien, ajouta-t-elle, le comte de Steinach, qui ne sait aucune langue, pas même la sienne, n’aurait jamais été capable de l’écrire. C’est vous qui avez composé ce pathos, Galeotto. » Et, sans attendre sa réponse, elle se tourna vers Julien.

— Écris sous ma dictée une autre lettre, lui dit-elle. Galeotto attendra, et les portera toutes deux à leur adresse. »

Elle lui dicta une formule de renvoi moqueuse et impertinente pour Steinach comme celle destinée à Gurck ; elle la signa de même, la cacheta et la remit en silence à Galeotto. Le page voulut faire une question ; elle lui ferma la bouche d’un regard et lui montra la porte d’un geste.

En attendant qu’il fût de retour, elle s’entretint amicalement avec Saint-Julien. Elle lui parut si franche et si bonne, qu’il céda au mouvement de son propre cœur et se sentit plus que jamais dominé par elle. Les souffrances qu’il avait éprouvées lui rendirent plus vives les joies qu’il retrouvait. Il bénit intérieurement les conseils de son ami et reprit confiance dans la vie.

Au bout d’une heure, Galeotto revint. Il s’était composé un maintien grave et froid ; mais il cachait mal le dépit qu’il éprouvait d’avoir été si rudement traité par Quintilia. Elle était naturellement brusque et emportée ; mais ordinairement elle oubliait en moins d’une heure ses ressentiments et jusqu’à la cause qui les avait produits. Cette fois pourtant, elle reçut le page aussi mal qu’elle l’avait congédié. Il voulut transmettre une réponse verbale du comte de Steinach ; elle lui dit : « Vous répondrez quand je vous interrogerai. » Puis, prenant la lettre de M. de Gurck, elle la décacheta et la passa à Julien.

« Lisez tout haut, lui dit-elle ; et vous, monsieur Galeotto de Stratigopoli, asseyez-vous au bout de la chambre et attendez mes ordres. »

Saint-Julien lut :

« Madame,

« La réponse de Votre Altesse est tellement décisive, que je croirais manquer au respect que je lui dois en insistant davantage. J’obéis à l’ordre qu’elle me donne en lui soumettant textuellement la réclamation de mon souverain.

« Un envoyé de notre cabinet, portant le titre de chevalier et le nom de Max, chargé, il y a quinze ans, de représenter le prince de Monteregale au mariage de Votre Altesse, s’est établi auprès d’elle avec le consentement de ses protecteurs. Mais ayant été rappelé au bout de quatre ans, il n’a point répondu aux ordres de sa cour, et jamais il n’a reparu. Il est sommé aujourd’hui de rendre compte de sa conduite durant cette longue absence et de se présenter devant moi, duc de Gurck, fondé de pouvoir, etc., pour me remettre certains papiers et répondre à certaines questions qui doivent décider de son identité. À défaut de cet acte de soumission de la part du chevalier Max, Votre Altesse serait sommée de donner les preuves de son décès ou de désigner le lieu de sa retraite ; et, à défaut de cette satisfaction, elle serait reconnue en état d’hostilité contre notre gouvernement, etc. »

— Fort bien, dit Quintilia. Reprenez votre plume et écrivez :

« Je ne reconnais à aucun souverain de la terre le droit de me faire une demande arbitraire ou une question absurde. Je n’ai aucun compte à rendre des actions d’autrui ; et jamais prince, petit ou grand, n’a été le gardien des étrangers résidant sur ses terres. Tout ce que je puis faire pour seconder les vœux de votre cour, c’est de vous permettre de publier et d’afficher dans mes États un ordre directement adressé au chevalier Max de la part de son souverain. S’il se rend à cet ordre, je serai charmée de voir cesser vos inquiétudes à son égard. »

Quintilia signa, cacheta, et, s’adressant au page :

« Maintenant, Monsieur, lui dit-elle, qu’avez-vous à dire de la part de M. de Steinach ?

— Le comte, au désespoir…, répondit Galeotto.

— Faites-moi grâce des phrases de M. le comte, interrompit Quintilia ; à quoi se décide-t-il ?

— Il se soumet à vos ordres.

— Quels ordres ? je lui ai donné le choix : partir ou se taire.

— Il se taira.

— À la bonne heure. Celui-là n’est que sot, et je ne veux pas l’offenser s’il ne m’y contraint pas. L’autre est un insolent. Allez porter ma lettre, et revenez. »

La princesse se remit à causer avec Julien de choses étrangères à ce qui venait de se passer. Elle avait tant de calme et de lucidité d’esprit, que Saint-Julien se déclara absurde dans ses soupçons.

Galeotto revint. Il demandait, de la part du duc de Gurck, la faveur d’un entretien particulier avant son départ.

« Nous verrons, répondit Quintilia ; c’est assez s’occuper de ces messieurs pour aujourd’hui. C’est à vous que j’ai affaire, monsieur de Stratigopoli. Voici un billet que vous porterez à mon trésorier. Il vous comptera une somme qui vous mettra en état de voyager durant quelques années. C’est, je crois, l’objet de vos désirs. Vous trouverez bon que d’ici à quelques heures je dispose pour votre remplaçant de l’appartement que vous occupez dans le palais. Pour faciliter votre départ, j’ai commandé des chevaux de poste qui viendront vous prendre ce soir, et qui vous conduiront jusqu’à la frontière. Je vous prie de garder la voiture pour continuer votre voyage. Vous désignerez vous-même la route qu’il vous plaira de prendre. Je fais des vœux pour votre avenir, et j’ai l’honneur de vous saluer. »

Galeotto, frappé de la foudre, pâlit et balbutia ; mais il vit dans les yeux de la princesse que l’arrêt était irrévocable. Il crut que Julien l’avait trahi. Incertain du parti qu’il prendrait, mais forcé d’obéir, et résolu à se venger, il s’inclina profondément et sortit sans dire un seul mot.

Saint-Julien voulut intercéder en sa faveur ; mais la princesse lui imposa silence avec douceur, et lui permit d’aller faire ses adieux au page.

Il le trouva au bas du grand escalier, et témoigna sa surprise et son chagrin avec tant de candeur, que le page en fut ébranlé.

« Si vous n’êtes pas sincère en ce moment, lui dit-il, vous êtes le premier des fourbes et le dernier des hommes. Après tout, je n’en sais rien, je ne pense pas, je crois rêver. Je ne sais ni ce qui m’arrive, ni ce que j’éprouve, ni ce que j’ai à faire.

— Il faut faire semblant d’obéir, lui dit Julien, et attendre à la frontière l’ordre de votre rappel. Il est impossible que la princesse ait des griefs sérieux contre vous. Elle se sera doutée de votre liaison avec Steinach, et elle aura voulu vous effrayer. Mais je vous justifierai de mon mieux ; Gina pleurera à ses pieds, et vous lui écrirez ; elle se laissera fléchir.

— Je ne sais pas, je ne sais pas, dit le page d’un air méfiant. Je ne sais pas si vous ne me trahissez pas ; je ne sais pas si la Gina ne me donne pas ce soir pour successeur le page de Steinach ou le chasseur de Gurck, tandis que la princesse recevra dans le pavillon mystérieux Rosenhaïm, qu’elle embrassait si tendrement cette nuit sur le seuil en l’appelant son seul amour, ou bien le duc de Gurck qui saura peut-être se faire craindre, ou le Steinach qu’elle fait semblant de rudoyer, ou le tendre Julien qui a su cacher son indignation dévote, ou qui s’est fait tolérant… Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête des autres ; j’aviserai à voir clair dans la mienne. Si vous me trompez, monsieur le secrétaire intime, ne chantez pas encore victoire. Je ne me tiens pas pour battu, et souvent les choses qui semblent m’échapper sont celles dont je suis sûr, parce qu’alors il me prend envie de m’en emparer… Attendez… Venez avec moi chez le trésorier ; je vous permets de répéter à la princesse tout ce que vous me verrez faire et dire. »

Ils entrèrent ensemble chez le trésorier, et Galeotto présenta le billet qui lui avait été remis cacheté. Lorsque le trésorier énonça la somme qu’il allait compter au jeune page, celui-ci eut un moment d’émotion. C’était beaucoup plus qu’il n’avait espéré dans sa petite ambition, et pendant un instant il abandonna l’idée singulière qui venait de le préoccuper. Mais tandis que le trésorier comptait l’argent, il se mit à marcher dans la salle avec anxiété. Cette petite fortune le mettait à même de satisfaire son goût pour les voyages, et d’aller se présenter d’une manière brillante dans quelque autre cour plus importante que celle de Monteregale. Mais, en même temps qu’il arrivait à l’accomplissement d’un vœu de plusieurs années, il renonçait à une entreprise conçue depuis quelques jours. Dans son amour pour l’intrigue, il avait caressé l’espoir de lutter avec l’expérience et ce qu’il appelait l’habileté de Quintilia. Il s’était proposé pour but de ses premières armes en ce genre d’écarter, ne fût-ce que pendant quelques jours, des rivaux plus hauts et plus arrogants que lui. L’emporter sur eux lui paraissait une satisfaction nécessaire à son amour-propre froissé. Enfin, tandis qu’une vanité cupide l’engageait à prendre l’argent et à chercher ailleurs un autre genre de succès, une vanité raffinée, un véritable dépit d’homme de cour, l’engageaient à sacrifier sa petite fortune à l’espoir incertain d’un frivole triomphe.

Ce dépit l’emporta, et au moment où le trésorier lui présenta une partie de sa fortune en or, et le reste en billets sur diverses banques étrangères qu’il avait désignées d’abord, il demanda du papier pour écrire un reçu, fit une déclaration d’amour à la princesse, et lui annonça qu’il n’avait besoin de rien au monde, puisqu’il allait mourir de chagrin ; puis il redemanda le bon signé d’elle qu’il venait de remettre au trésorier ; il le déchira, en mit les morceaux dans sa lettre, chargea le trésorier de la faire porter à Quintilia, jeta dédaigneusement les billets de banque sur la table, donna un coup de poing théâtral dans les piles d’or, et, tournant le dos au trésorier stupéfait, sortit sans emporter un écu.

Julien, qui ne vit dans cette conduite qu’un acte de fierté, trouva le mouvement très-beau et l’approuva. En même temps il mit tout ce qu’il possédait à la disposition du page.

« Je ne sais pas, je ne sais pas, répéta celui-ci, toujours sur ses gardes. Il est possible que vous soyez de bonne foi, il est possible aussi que vous me fassiez cette offre sans grand mérite. Quoi qu’il en soit, je n’ai besoin de rien ; je ne vais pas loin, et vous ne serez pas longtemps sans entendre parler de moi. Vous pouvez dire cela à Son Altesse. La frontière est à trois lieues d’ici. On peut avoir un pied sur les terres du voisin et un œil dans la résidence… Adieu, adieu. Merci de votre amitié si elle est vraie ; si elle est feinte, on saura s’en passer.

Il monta en voiture en tenant le même langage, et laissa Julien très-offensé et très-affligé de ses doutes. Il demanda à voir la princesse, et lui rapporta la conduite magnanime du page, en la suppliant de le rappeler. Mais Quintilia, qui avait déjà reçu la lettre de Galeotto par son trésorier, ne parut point touchée de cette forfanterie. « Je ne puis pas lui faire grâce, dit-elle ; cesse de me parler de lui, ce serait me déplaire en pure perte. Il t’accuse de lui avoir nui auprès de moi, mon pauvre Julien. Accepte cette injustice en châtiment de celles que tu as commises, et apprends, mon cher enfant, combien il est cruel d’être accusé quand on n’est pas coupable. »