Les ChâtimentsHetzel-QuantinO.C. tome 4 (p. 233-236).


I

LE SACRE

SUR L’AIR DE MALBROUK


Dans l’affreux cimetière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dans l’affreux cimetière
Frémit le nénuphar.

Castaing lève sa pierre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Castaing lève sa pierre
Dans l’herbe de Clamar,

Et crie et vocifère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !

Et crie et vocifère :
— Je veux être césar !

Cartouche en son suaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Cartouche en son suaire
S’écrie ensanglanté :

— Je veux aller sur terre.
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux aller sur terre,
Pour être majesté !

Mingrat monte à sa chaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Mingrat monte à sa chaire
Et dit, sonnant le glas :

— Je veux, dans l’ombre où j’erre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux, dans l’ombre où j’erre
Avec mon coutelas,

Être appelé : mon frère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Être appelé : mon frère
Par le czar Nicolas !

Poulmann, dans l’ossuaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !

Poulmann dans l’ossuaire
S’éveillant en fureur,

Dit à Mandrin : — Compère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dit à Mandrin : — Compère,
Je veux être empereur !

— Je veux, dit Lacenaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux, dit Lacenaire,
Être empereur et roi !

Et Soufflard déblatère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Et Soufflard déblatère,
Hurlant comme un beffroi :

— Au lieu de cette bière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Au lieu de cette bière,
Je veux le Louvre, moi

Ainsi, dans leur poussière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Ainsi, dans leur poussière,
Parlent les chenapans.

— Çà, dit Robert Macaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !

— Çà, dit Robert Macaire,
Pourquoi ces cris de paons ?

Pourquoi cette colère ?
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Pourquoi cette colère ?
Ne sommes-nous pas rois ?

Regardez, le saint-père,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Regardez, le saint-père,
Portant sa grande croix,

Nous sacre tous ensemble,
Ô misère, ô douleur, Paris tremble !
Nous sacre tous ensemble
Dans Napoléon trois !


Jersey, juillet 1853.