Le Rat qui s’est retiré du monde


Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinTroisième partie : livres vii, viii (p. 20-23).

III.

Le Rat qui s’eſt retiré du monde.



LEs Levantins en leur legende
Diſent qu’un certain Rat las des ſoins d’icy bas,
Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du tracas.
La ſolitude eſtoit profonde,

S’étendant par tout à la ronde.
Noſtre hermite nouveau ſubſiſtoit la dedans.
Il fit tant de pieds & de dents
Qu’en peu de jours il eut au fond de l’hermitage
Le vivre & le couvert ; que faut-il davantage ?
Il devint gros & gras ; Dieu prodigue ſes biens
A ceux qui font vœu d’eſtre ſiens.
Un jour au devot perſonnage
Des deputez du peuple Rat
S’en vinrent demander quelque aumône legere :
Ils alloient en terre étrangere
Chercher quelque ſecours contre le peuple chat ;
Ratopolis eſtoit bloquée :

On les avoit contraints de partir ſans argent,
Attendu l’eſtat indigent
De la Republique attaquée.
Ils demandoient fort peu, certains que le ſecours
Seroit preſt dans quatre ou cinq jours.
Mes amis, dit le Solitaire,
Les choſes d’icy bas ne me regardent plus :
En quoy peut un pauvre Reclus
Vous aſſiſter ? que peut-il faire,
Que de prier le ciel qu’il vous aide en cecy ?
J’eſpere qu’il aura de vous quelque ſoucy.
Ayant parlé de cette ſorte,
Le nouveau Saint ferma ſa porte.
Qui deſignay-je à voſtre avis
Par ce Rat ſi peu ſecourable ?
Un Moine ? non, mais un Dervis ;

Je ſuppoſe qu’un Moine eſt toûjours charitable.