Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeQuartLivre/50

Alphonse Lemerre (Tome IIp. 444-446).

Comment par Homenaz nous feut monstré l’archetype d’un Pape.

Chapitre L.



La messe parachevée Homenaz tira d’un coffre près le grand autel un gros fatraz de clefz, desquelles il ouvrit à trente & deux claveures & quatorze cathenatz une fenestre de fer bien barrée au dessus dudict autel, puys par grand mystère se couvrit d’un sac mouillé, & tirant un rideau de satin cramoisy nous monstra une imaige paincte assez mal, scelon mon advis, y toucha un baston longuet, & nous feist à tous baiser la bouche.

Puys nous demanda. Que vous semble de ceste imaige.

C’est (respondit Pantagruel) la ressemblance d’un Pape. Ie le congnois à la thiare, à l’aumusse, au rochet, à la pantophle.

Vous dictez bien (dist Homenaz). C’est l’idée de celluy Dieu de bien en terre, la venue duquel nous attendons devotement, & lequel esperons une foys veoir en ce pays. O l’heureuse & desirée tant attendue iournée. Et vous heureux & bien heureux qui tant avez eu les astres favorables, que avez vivement en face veu & realement celluy bon Dieu en terre, duquel voyant seulement le portraict, pleine remission guaignons de tous nos pechez memorables : ensemble la tierce partie avecques dixhuict quarantaines des pechez oubliez. Aussi ne la voyons nous que aux grandes festes annueles.

Là disoit Pantagruel, que c’estoit ouvraige tel que les faisoit Dædalus. Encores qu’elle feust contrefaicte, & mal traicte, y estoit toutesfoys latente & occulte quelque divine energie en matière de pardons.

Comme, dist frère Ian, à Seuillé les coquins souppans un iour de bonne feste à l’hospital, & se vantans l’un avoir celluy iour guaingné six blancs, l’aultre deux soulz, l’aultre sept carolus, un gros gueux se ventoit avoir guaigné troys bons testons. Aussi (luy respondirent ses compaignons) tu as une iambe de Dieu. Comme si quelque divinité feust absconse en une iambe toute sphacelée & pourrye.

Quand (dist Pantagruel) telz contes vous nous ferez, soyez records d’apporter un bassin. Peu s’en fault que ie ne rende ma guorge. User ainsi du sacré nom de Dieu en choses tant hordes & abhominables ? fy, i’en diz fy. Si dedans vostre moynerie est tel abus de parolles en usaige, laissez le là : ne le transportez hors les cloistres.

Ainsi (respondit Epistemon) disent les medicins estre en quelques maladies certaine participation de divinité. Pareillement Neron louoit les champeignons, & en proverbe Grec les appelloit viande des Dieux : pource que en iceulx il avoit empoisonné son prædecesseur Claudius empereur Romain.

Il me semble (dist Panurge) que ce portraict fault en nos derniers Papes. Car ie les ay veu non aumusse, ains armet en teste porter, thymbré d’une thiare Persicque, Et tout l’empire Christian estant en paix & silence, eulx seulz guerre faire felonne & trescruelle.

C’estoit (dist Homenaz) doncques contre les rebelles, Hæreticques, protestans desesperez, non obeissans à la saincteté de ce bon Dieu en terre. Cela luy est non seulement permis & licite, mais commendé par les sacres Decretales : & doibt à feu incontinent Empereurs, Roys, Ducz, Princes, Republicques & à sang mettre, qu’ilz transgresseront un iota de ses mandemens : les spolier de leurs biens, les deposseder de leurs Royaulmes, les proscrire, les anathematizer, & non seulement leurs corps, & de leurs enfans & parens aultres occire, mais aussi leurs ames damner au parfond de la plus ardente chauldière qui soit en Enfer.

Icy (dist Panurge) de par tous les Diables, ne sont ilz hæreticques comme feut Raminagrobis, & come ilz sont parmy les Almaignes, & Angleterre. Vous estez Christians triez sus le volet.

Ouy vraybis, dist Homenaz, aussi serons nous tous saulvez. Allons prendre de l’eaue beniste, puys dipnerons.