Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeQuartLivre/14

Alphonse Lemerre (Tome IIp. 320-322).

Continuation des Chiquanous daubbez en la maison de Basché.

Chapitre XIIII.



Quatre iours après un aultre ieune, hault, & maigre Chiquanous alla citer Basché à la requeste du gras Prieur. A son arrivée feut soubdain par le portier recongneu, & la campanelle sonnée. Au son d’icelle tout le peuple du chasteau entendit le mystère. Loyre poitrissoit sa paste, sa femme belutoit la farine. Oudart tenoit son bureau, les gentilzhomes iouoient à la paulme. Le seigneur Basché iouoit aux troys cens troys avecques sa femme. Les damoiselles iouoient aux pingres, les officiers iouoient à l’imperiale, les paiges iouoient à la mourre à belles chinquenauldes. Soubdain feut de tous entendu, que Chiquanous estoient en pays. Lors Oudart se revestit. Loyre & sa femme prendre leurs beaulx acoustremens. Trudon sonner de sa flutte, batre son tabourin, chascun rire, tous se preparer, & guantelets en avant. Basché descend en la basse court. Là Chiquanous le rencontrant, se meist à genoux davant luy, le pria ne prendre en mal, si de la part du gras Prieur il le citoit : remonstra par harangue diserte comment il estoit persone publicque, serviteur de Moinerie, appariteur de la mitre Abbatiale : prest à en faire autant pour luy, voyre pour le moindre de sa maison, la part qu’il luy plairoyt l’exploicter & commender.

Vrayement, dist le seigneur, ià ne me citerez, que premier n’ayez beu de mon bon vin de Quinquenays, & n’ayez assisté aux nopces que ie foys præsentement. Messire Oudart faictez le boyre tresbien, & refraischir : puys l’amenez en ma salle. Vous soyez le bien venu.

Chiquanous bien repeu & abbreuvé entre avecques Oudart en salle, en laquelle estoient tous les personaiges de la farce en ordre, & bien deliberez. A son entrée chascun commença soubrire. Chiquanous rioit par compaignie, quand par Oudart feurent sus les fiansez dictz motz mysterieux, touchées les mains, la mariée baisée, tous aspersez d’eaue beniste. Pendent qu’on apportoit vin & espices, coups de poin commencèrent trotter. Chiquanous en donna nombre à Oudart. Oudart soubs son suppellis avoit son guantelet caché : il s’en chauffe comme d’une mitaine. Et de daubber Chiquanous, & de drapper Chiquanous : & coups des ieunes guanteletz de tous coustez pleuvoir sus Chiquanous.

Des nopces, disoient ilz, des nopces, des nopces : vous en soubvieine.

Il feut si bien acoustré que le sang luy sortoit par la bouche, par le nez, par les aureilles, par les œilz. Au demourant courbatu, espaultré, & froissé teste, nucque, dours, poictrine, braz, & tout. Croyez qu’en Avignon on temps de Carneval les bacheliers oncques ne iouèrent à la Raphe plus melodieusement, que feut ioué sus Chiquanous. En fin il tombe par terre. On luy iecta force vin sus la face : on luy atacha à la manche de son pourpoinct belle livrée de iaulne & verd : & le mist on sus son cheval morveulx. Entrant en l’isle Bouchard, ne sçay s’il feut bien pensé & traicté tant de sa femme, comme des Myres du pays. Depuis n’en feut parlé.

Au lendemain cas pareil advint, pource qu’on sac & gibbessière du maigre Chiquanous n’avoit esté trouvé son exploict. De par le gras Prieur feut nouveau Chiquanous envoyé citer le Seigneur de Basché, avecques deux Records pour sa sceureté. Le Portier sonnant la campanelle, resiouyt toute la famile, entendens que Chiquanous estoit là. Basché estoit à table, dipnant avecques sa femme & gentilzhomes. Il mande querir Chiquanous : le feist asseoir près de soy : les records près les damoiselles, & dipnèrent tresbien & ioyeusement. Sus le dessert Chiquanous se lève de table : præsens & oyans les Records cite Bahscé : Basché gracieusement luy demande copie de sa commission. elle estoit ià preste. Il prend acte de son exploict : à Chiquanous & ses Records feurent quatre escuz Soleil donnez : chascun s’estoit retiré pour la farce. Trudon commence sonner du tabourin. Basché prie Chiquanous assister aux fiansailles d’un sien officier, & en recepvoir le contract, bien le payant & contentent. Chiquanous feut courtoys. Desguainna son escriptoire, eut papier promptement, ses Records près de luy. Loyre entre en salle par une porte : sa femme avecques les damoiselles par aultre, en acoustremens nuptiaulx. Oudart revestu sacerdotalement les prend par les mains : les interroge de leurs vouloirs : leurs donne sa benediction sans espargne d’eaue beniste. Le contract est passé & minuté. D’un cousté sont apportez vin & espices : de l’aultre, livrée à tas blanc & tannée, de l’aultre sont produictz guanteletz secretement.