Le Puits de la vérité/Pour s’en aller



POUR S’EN ALLER !



J’ai appris avec plaisir, avec un plaisir mélancolique, que la crémation était en progrès parmi nous. C’est un goût qui m’a pris sur le tard, à la suite d’une cérémonie de ce genre à laquelle je n’ai pas assisté sans émotion. On ne comprend guère que l’Église catholique soit réfractaire à ce mode funéraire, qui semble au contraire avoir été imaginé pour elle et pour répondre à ses paroles liturgiques : « Tu es cendre et tu retourneras en cendre. » Cendre et fumée. J’étais resté en dehors du monument et je ne quittais pas des yeux la fumée qui n’est pas seulement symbolique, mais bien réelle, bien épaisse et bien noire. C’était fort impressionnant de voir un être s’en aller ainsi, disparaître à jamais dans les espaces, sous le soleil éternel. C’est moins sombre que l’enfouissement, cela éveille des idées moins funèbres et il me semble que cela s’allierait mieux avec l’idée d’immortalité avec laquelle beaucoup d’humains n’ont pas encore rompu. Mais il faudrait, pour donner toute sa grandeur à cette dernière scène, qu’elle puisse se passer en plein air, comme dans les funérailles de jadis, que les assistants ne fussent pas entassés dans une salle sans caractère et d’ailleurs souvent trop étroite. Il est certain que ce système réclame encore bien des perfectionnements. Il est trop lent, il exalte la douleur au lieu de l’assoupir, comme les chants liturgiques dont la grandeur est incomparable, mais peut-être que sa décence et sa simplicité l’emportent sur tout. Puis son antiquité le rend vénérable. Il n’y a de fâcheux que son vocabulaire. Four crématoire, quelle expression ! Voilà évidemment qui n’attirera pas à l’incinération la clientèle des gens de théâtre. Maintenant on me dira que ceci ou cela… Je sais, il vaut mieux n’y pas penser. C’est assez mon avis.


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