Le Puits de la vérité/Le Grand Prix

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 44-45).



LE GRAND PRIX



Pas celui d’Auteuil, celui de l’Académie. Où en serions-nous, grands dieux ! si on décernait à de simples romanciers et autres poètes des prix de cent mille balles ? Le grand prix littéraire de l’Académie française, comme celui de l’académie Goncourt, dont il est une imitation, ne s’élève pas à des chiffres fantastiques ; il ne dépasse pas le taux confortable des encouragements académiques. Je ne connais pas le dernier lauréat et beaucoup d’écrivains, pourtant familiers avec la nouvelle littérature, ne le connaissent pas davantage. Ce n’est pas une raison pour qu’il n’ait pas de génie et je ne me prononcerai pas sur ce point encore obscur pour moi. J’aime mieux me mettre pour un instant à sa place et rêver qu’après mon premier livre, on m’envoie dix mille francs et force compliments avec. Je crois que j’aurais été très surpris, d’autant plus que la mode en ce temps-là était plutôt de railler les jeunes gens que de les exalter. Cela valait peut-être mieux : cela formait des caractères plus fermes, habitués à ne compter que sur eux-mêmes, portés à se défendre plus qu’à solliciter. La rudesse des débuts vaut mieux que tant de dorures, même précaires. Un jeune homme qui ne commence pas sa carrière dans un état d’hostilité envers les autorités littéraires officielles, risque de ne pas connaître cet esprit d’indépendance qui, seul, fait naître les œuvres grandes ou belles. Voilà un écrivain qui ne pourra pas décemment se moquer de l’esprit académique. On lui impose une reconnaissance qui se traduira peut-être en imitations, en déférences, en platitudes. Souhaitons-lui assez de force de caractère pour mépriser, s’ils le méritent, ceux qui se croient, à si bon compte, ses bienfaiteurs.


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