Le Programme jacobin

Le Programme jacobin
Revue des Deux Mondes3e période, tome 56 (p. 43-76).
LE
PROGRAMME JACOBIN


I.

Rien de plus dangereux qu’une idée générale dans des cerveaux étroits et vides : comme ils sont vides, elle n’y rencontre aucun savoir qui lui fasse obstacle ; comme ils sont étroits, elle ne tarde pas à les occuper tout entiers. Dès lors, ils ne s’appartiennent plus, ils sont maîtrisés par elle ; elle agit en eux et par eux ; au sens propre du mot, l’homme est possédé. Quelque chose qui n’est pas lui, un parasite monstrueux, une pensée étrangère et disproportionnée vit en lui, s’y développe et y engendre les volontés malfaisantes dont elle est grosse. Il ne prévoyait pas qu’il les aurait ; il ne savait pas ce que contient son dogme, quelles conséquences venimeuses et meurtrières vont en sortir. Elles en sortent fatalement, tour à tour, sous la pression des circonstances, d’abord les conséquences anarchiques, maintenant les conséquences despotiques. Arrivé au pouvoir, le jacobin apporte avec lui son idée fixe; dans le gouvernement comme dans l’opposition, cette idée est féconde, et la toute-puissante formule allonge dans un nouveau domaine la file pullulante de ses anneaux multipliés.


II.

Suivons ce déroulement intérieur et remontons, avec le jacobin, aux principes, au pacte primordial, à l’institution de la société. Il n’y a qu’une société juste, celle qui est fondée sur « le contrat social, » et « les clauses de ce contrat, bien entendues, se réduisent toutes à une seule, l’aliénation totale de chaque individu, avec tous ses droits, à la communauté... chacun se donnant tout entier, tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les biens qu’il possède font partie[1]. » Nulle exception, ni réserve. Rien de ce qu’il était ou avait auparavant ne lui appartient plus en propre; ce que désormais il est ou il a ne lui est dévolu que par délégation. Ses biens et sa personne sont maintenant une portion de la chose publique. S’il les possède, c’est de seconde main ; s’il en jouit, c’est par octroi. Il en est le dépositaire, le concessionnaire, l’administrateur, rien de plus[2]. En d’autres termes, il n’est à leur endroit qu’un gérant, c’est-à-dire un fonctionnaire semblable aux autres, nommé à titre précaire et toujours révocable par l’État qui l’a commis. « Comme la nature donne à chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres, le pacte social donne au corps social un pouvoir absolu sur tous les siens. » Souverain omnipotent, propriétaire universel, l’État exerce à discrétion ses droits illimités sur les personnes et sur les choses; en conséquence, nous, ses représentans, nous mettons la main sur les choses et sur les personnes; elles sont à nous, puisqu’elles sont à lui.

Nous avons confisqué les biens du clergé, environ 4 milliards; nous confisquons les biens des émigrés, environ 3 milliards[3]. Nous confisquons les biens des guillotinés et des déportés : il y a là des centaines de millions; on les comptera plus tard, parce que la liste reste ouverte et va s’allongeant tous les jours. Nous séquestrons les biens des suspects, ce qui nous en donne l’usufruit : encore des centaines de millions; après la guerre et le bannissement des suspects, nous devons saisir la propriété avec l’usufruit : encore des milliards de capital[4]. En attendant, nous prenons les biens des hôpitaux et autres établissemens de bienfaisance, environ 800 millions ; nous prenons les biens des fabriques, des fondations, des instituts d’éducation, des sociétés littéraires ou scientifiques : autre tas de millions[5]. Nous reprenons les domaines engagés ou aliénés par l’Etat depuis trois siècles et davantage : il y en a pour 2 milliards[6]. Nous prenons les biens des communes jusqu’à concurrence de leurs dettes. Nous avons déjà reçu par héritage l’ancien domaine de la couronne et le domaine plus récent de la liste civile. De cette façon, plus des trois cinquièmes[7] du sol arrivent entre nos mains, et ces trois cinquièmes sont de beaucoup les mieux garnis; car ils comprennent presque toutes les grandes et belles bâtisses, châteaux, abbayes, palais, hôtels, maisons de maîtres, et presque tout le mobilier de luxe ou d’agrément royal, épiscopal, seigneurial et bourgeois, meubles de prix, vaisselle, bibliothèques, tableaux, objets d’art accumulés depuis des siècles. — Notez encore la saisie du numéraire et de toutes les matières d’or et d’argent ; dans les seuls mois de novembre et de décembre 1793, cette rafle met dans nos coffres 3 ou 400 millions[8], non pas d’assignats, mais d’espèces sonnantes. Bref, quelle que soit la forme du capital fixe, nous en prenons tout ce que nous pouvons, probablement plus des trois quarts. — Reste la portion qui n’est point fixe et périt par l’usage, à savoir les objets de consommation, les fruits du sol, les approvisionnemens de toute espèce, tous les produits de l’art et du travail humain qui contribuent à l’entretien de la vie. Par « le droit de préemption » et par le droit de « réquisition, » « la république devient propriétaire momentanée de tout ce que le commerce, l’industrie et l’agriculture ont produit et apporté sur le sol de la France ; » « toutes les denrées et toutes les marchandises[9] » sont à nous avant d’être à leur détenteur. Nous enlevons chez lui ce qui nous convient; nous le payons avec du papier qui ne vaut rien; souvent nous ne le payons pas du tout. Pour plus de commodité, nous saisissons les choses directement et à l’endroit où elles sont, les grains chez le cultivateur, les fourrages chez l’herbager, les bestiaux chez l’éleveur, le vin chez le vigneron, les peaux chez le boucher, les cuirs chez le tanneur, les savons, les suifs, les sucres, les eaux-de-vie, les toiles, les draps et le reste chez le fabricant, l’entrepositaire et le marchand. Nous arrêtons les voitures et les chevaux dans la rue ; nous entrons chez l’entrepreneur de messageries ou de roulage et nous vicions ses écuries ; nous emportons les batteries de cuisine pour avoir du cuivre ; nous mettons les gens hors de leur chambre pour avoir des lits ; nous leur ôtons le manteau des épaules et la chemise du dos ; nous déchaussons en un jour 10,000 particuliers dans une seule ville[10]. En cas de besoin public, dit le représentant Isoré, « tout appartient au peuple, et rien aux individus. »

En vertu du même droit, nous disposons des personnes comme des choses. Nous décrétons la levée en masse et, ce qui est plus étrange, nous l’effectuons, au moins sur plusieurs points du territoire et pendant les premiers mois ; eu Vendée et dans les départemens du Nord et de l’Est, c’est bien toute la population mâle et valide, tous les hommes jusqu’à cinquante ans que nous poussons par troupeaux contre l’ennemi[11]. Nous enrôlons ensuite une génération entière, tous les jeunes gens de dix-huit à vingt-cinq ans, presque un million d’hommes : peine de mort contre quiconque manque à l’appel ; il est assimilé aux émigrés, ses biens sont confisqués, ses père, mère, ascendans traités en suspects, partant incarcérés et leurs biens séquestrés[12]. — Pour armer, habiller, chauffer, équiper nos recrues, il nous faut des ouvriers : nous convoquons au chef-heu les armuriers, les forgerons, les serruriers, tous les tailleurs, tous les cordonniers du district, « maîtres, apprentis et garçons[13] ; » nous mettons en prison ceux qui ne viennent pas ; nous installons les autres par escouades dans les maisons publiques, et nous leur distribuons la tâche; il leur est interdit de rien fournir aux particuliers; désormais les cordonniers de France ne fabriqueront plus que pour nous, et chacun d’eux, sous peine d’amende, nous livrera tant de paires de souliers par décade. — D’autre part, le service civil n’est pas moins important que le service militaire, et il est aussi urgent d’approvisionner le peuple que de le défendre. C’est pourquoi nous mettons « en réquisition tous ceux qui contribuent à la manipulation, au transport et au débit des denrées et marchandises de première nécessité[14], » notamment des combustibles et des subsistances, bûcherons, charretiers, flotteurs, meuniers, moissonneurs, batteurs en grange, vignerons, faucheurs, laboureurs, « gens de la campagne » de toute espèce et de tout degré. Ils sont nos manœuvres, nous les faisons marcher et travailler sous peine de prison et d’amende. Plus de paresseux, surtout quand il s’agit de la récolte ; nous menons aux champs la population entière d’une commune ou d’un canton, y compris « les oisifs et les oisives[15] ; » bon gré mal gré, ils moissonneront sous nos yeux, en bande, chez autrui comme chez eux, et rentreront indistinctement les gerbes dans le grenier public.

Mais tout se tient dans le travail, depuis l’œuvre initiale jusqu’à l’œuvre finale, depuis la matière la plus brute jusqu’au produit le plus élaboré, depuis le grand entrepreneur jusqu’au détaillant infime; quand on a mis la main sur le premier anneau de la chaîne, il faut aussi la mettre sur le dernier. A cela encore la réquisition suffit : nous l’appliquons à toutes les besognes; chacun est tenu de continuer la sienne, le fabricant de fabriquer, le commerçant de commercer, même à son détriment, parce que, s’il y perd, le public y gagne, et qu’un bon citoyen doit préférer à son profit privé l’avantage public[16].— En effet, quel que soit son office, il est dans son office un employé de la communauté; partant celle-ci peut, non-seulement lui prescrire, mais lui choisir sa tâche ; elle n’a pas besoin de le consulter, il n’a pas le droit de refuser. C’est pourquoi nous nommons ou nous maintenons les gens, même malgré eux. aux magistratures, aux commandemens, aux emplois de tout genre ; ils ont beau s’excuser ou se dérober, ils resteront ou deviendront généraux, juges, maires, agens nationaux, conseillers municipaux, commissaires de bienfaisance ou d’administration[17], à leur corps défendant. Tant pis pour eux si la charge est onéreuse ou dangereuse, s’ils n’ont pas le loisir nécessaire, s’ils ne se sentent pas les aptitudes requises, si le grade ou la fonction leur semble un acheminement vers la prison ou la guillotine ; quand ils allèguent que l’emploi est une corvée, nous leur répondons qu’ils sont les corvéables de l’état. — Telle est désormais la condition de tous les Français et aussi de toutes les Françaises. Nous forçons les mères à mener leurs filles aux séances des sociétés populaires. Nous obligeons les femmes à parader et à défiler en groupes dans les fêtes républicaines; nous allons prendre les plus belles dans leurs maisons pour les habiller en déesses antiques et pour les promener sur un char en public ; parfois même nous en désignons de riches pour épouser des patriotes[18] : il n’y a pas de raison pour que le mariage, qui est le plus important des services, ne soit pas, comme les autres, mis en réquisition. Aussi bien nous entrons dans les familles, nous enlevons l’enfant, nous le soumettons à l’éducation civique. Nous sommes pédagogues, philanthropes, théologiens, moralistes. Nous imposons de force notre religion et notre culte, notre morale et nos mœurs. Nous régentons la vie privée et le for intérieur ; nous commandons aux pensées, nous scrutons et punissons les inclinations secrètes, nous taxons, emprisonnons et guillotinons, non-seulement les malveillans, mais encore « les indifférens, les modérés, les égoïstes[19]. » Nous dictons à l’individu, par-delà ses actes visibles, ses idées et ses sentimens intimes ; nous lui prescrivons ses affections comme ses croyances, et nous refaisons, d’après un type préconçu, son intelligence, sa conscience et son cœur.


III.

Rien d’arbitraire dans cette opération ; car le modèle idéal est tracé d’avance. Si l’État est omnipotent, c’est pour régénérer les hommes, et la théorie qui lui confère ses droits lui assigne en même temps son objet.

En quoi consiste cette régénération de l’homme ? — Considérez un animal à l’état domestique, le chien ou le cheval. Maigre, battu, lié ou enchaîné, il y en a mille exploités et surmenés contre un qui se prélasse et mourra de gras fondu. Et chez tous, gras ou maigres, l’âme est encore plus gâtée que le corps. Un respect superstitieux les courbe sous leur fardeau ou les fait ramper devant leur maître. Serviles, paresseux, gourmands, débiles, incapables de résister aux intempéries, s’ils ont acquis les misérables talens de l’esclavage, ils en ont contracté les infirmités, les besoins et les vices. Une croûte d’habitudes ineptes et d’inclinations perverses, une sorte d’être factice et surajouté a recouvert chez eux la nature première. — Et d’autre part, la meilleure portion de leur nature première n’a pu se développer faute d’emploi. Séparés les uns des autres, ils n’ont point acquis le sentiment de la communauté ; ils ne savent pas, comme leurs frères des savanes, s’assister entre eux et subordonner l’intérêt de l’individu à l’intérêt du troupeau. Chacun tire à soi, nul ne se soucie des autres, tous sont égoïstes, les instincts sociaux ont avorté. — Tel est l’homme aujourd’hui : une créature défigurée qu’il faut restaurer, une créature inachevée qu’il faut parfaire. Aussi notre tâche est double : nous avons à démolir et nous avons à construire ; nous dégagerons d’abord l’homme naturel pour édifier ensuite l’homme social.

L’entreprise est immense et nous en sentons l’immensité. « Il faut, dit Billaud-Varennes[20], recréer en quelque sorte le peuple qu’on veut rendre à la liberté, puisqu’il faut détruire d’anciens préjugés, changer d’antiques habitudes, perfectionner des affections dépravées, restreindre des besoins superflus, extirper des vices invétérés. » Mais l’entreprise est sublime, car il s’agit de « remplir les vœux de la nature[21], d’accomplir les destins de l’humanité, de tenir les promesses de la philosophie. » — « Nous voulons, dit Robespierre[22], substituer la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel esprit, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à la politesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie. » Nous ferons cela, tout cela, coûte que coûte. Peu importe la génération vivante; nous travaillons pour les générations futures. « L’homme obligé de s’isoler du monde et de lui-même jette son ancre dans l’avenir et presse sur son cœur la postérité innocente des maux présens[23]. » Il sacrifie à son œuvre sa vie et la vie d’autrui. « Le jour où je serai convaincu, écrit Saint-Just, qu’il est impossible de donner au peuple français des mœurs douces, énergiques, sensibles, inexorables pour la tyrannie et l’injustice, je me poignarderai. » — « Ce que j’ai fait dans le Midi, dit Baudot, je le ferai dans le Nord : je les rendrai patriotes; ou ils mourront, ou je mourrai. » — « Nous ferons un cimetière de la France, dit Carrier, plutôt que de ne la pas régénérer à notre manière. » — En vain, des esprits aveugles ou des cœurs dépravés voudraient protester; c’est parce qu’ils sont aveugles ou dépravés qu’ils protestent. En vain, l’individu alléguerait ses droits individuels; il n’en a plus : par le contrat social qui est obligatoire et seul valable, il a fait abandon de tout son être; n’ayant rien réservé, « il n’a rien à réclamer. » Sans doute, quelques-uns regimberont, parce que, chez eux, le pli contracté persiste et que l’habitude postiche recouvre encore l’instinct originel. Si on déliait le cheval de meule, il recommencerait à tourner en rond; si on déliait le chien du bateleur, il se remettrait sur ses pattes de derrière; pour les rendre à leur allure spontanée, il faudrait les secouer rudement. Pareillement, il faudra secouer l’homme pour le rendre à son attitude normale. Mais en ceci nous n’avons point de scrupules[24], car nous ne le courbons pas, nous le redressons; selon le mot de Rousseau, « nous le forçons à être libre; » nous lui conférons le plus grand des bienfaits que puisse recevoir une créature humaine; nous le ramenons à la nature et nous l’amenons à la justice. C’est pourquoi, maintenant qu’il est averti, s’il s’obstine à résister, il devient criminel et digne de tous les châtimens[25], car il se déclare rebelle et parjure, ennemi de l’humanité et traître au pacte social.


IV.

Commençons par nous figurer l’homme naturel; certainement aujourd’hui l’on a peine à le reconnaître; il ne ressemble guère à l’être artificiel que nous rencontrons à sa place, à la créature déformée par un régime immémorial de contrainte et de fraude, serrée dans son harnais héréditaire de superstitions et de sujétions, aveuglée par sa religion et matée à force de prestiges, exploitée par son gouvernement et dressée à force de coups, toujours à l’attache, toujours employée à contresens et contre nature, quel que soit son compartiment, haut ou bas, quelle que soit sa mangeoire, pleine ou vide, tantôt appliquée à des besognes serviles, comme le cheval abruti qui, les yeux bandés, tourne sa meule, tantôt occupée à des parades futiles, comme le chien savant qui, paré d’oripeaux, déploie des grâces en public[26]. Mais supprimez par la pensée les oripeaux, les bandeaux, les entraves, les compartimens de l’écurie sociale, et vous verrez apparaître un homme nouveau, qui est l’homme primitif, intact et sain d’esprit, d’âme et de corps. — En cet état, il est exempt de préjugés, il n’a pas été circonvenu de mensonges, il n’est ni juif, ni protestant, ni catholique; s’il essaie de concevoir l’ensemble de l’univers et le principe de choses, il ne se laissera pas duper par une révélation prétendue, il n’écoutera que sa raison; il se peut que, parfois, il devienne athée, mais presque toujours il se trouvera déiste. — En cet état, il n’est engagé dans aucune hiérarchie, il n’est point noble ni roturier, ouvrier ni patron, propriétaire ni prolétaire, inférieur ni supérieur. Indépendans les uns des autres, tous sont égaux, et, s’ils conviennent de s’associer entre eux, leur bon sens stipulera comme premier article le maintien de l’égalité primordiale. — Voilà l’homme que la nature a fait, que l’histoire a défait et que la révolution doit refaire[27]. Sur les deux enveloppes de bandelettes qui le tiennent entortillé, sur la religion positive qui comprime et fausse son intelligence, sur l’inégalité sociale qui fausse et mutile sa volonté[28], on ne peut frapper trop fort; car, à chaque coup que l’on porte, on brise une ligature, et à chaque ligature que l’on brise, ou restitue un mouvement aux membres paralysés.

Suivons le progrès de l’opération libératrice. — Aux prises avec l’institut ecclésiastique, l’Assemblée constituante, toujours timide, n’a su prendre que des demi-mesures ; elle a entamé l’écorce, elle n’a osé porter la hache jusque dans l’épaisseur du tronc. Confiscation des biens du clergé, dissolution des ordres religieux, répression de l’autorité du pape, à cela se réduit son œuvre ; elle a voulu établir une église nouvelle et transformer les prêtres en fonctionnaires assermentés de l’état, rien de plus. — Comme si le catholicisme, même administratif, cessait d’être le catholicisme ! Comme si l’arbre malfaisant, une fois marqué au sceau public, devait perdre sa malfaisance ! On n’a pas détruit la vieille officine de mensonges, on en a patenté une autre à côté d’elle, en sorte qu’au lieu d’une on en a deux. Avec ou sans l’étiquette officielle, elle fonctionne dans toutes les communes de France, et, comme par le passé, distribue impunément sa drogue au public. Voilà justement ce que nous ne pouvons tolérer. — À la vérité, nous avons à garder les apparences, et, en parole, nous décréterons de nouveau la liberté des cultes[29]. Mais, en fait et en pratique, nous détruirons l’officine et nous empêcherons le débit de la drogue ; il n’y aura plus de culte catholique en France, pas un baptême, pas une confession, pas un mariage, pas une extrême-onction, pas une messe : nul ne fera ou n’écoutera un sermon, personne n’administrera ou ne recevra un sacrement, sauf en cachette et avec l’échafaud ou la prison en perspective. — À cet effet, nous procédons par ordre. Pour l’église qui se dit orthodoxe, point d’embarras ; ses membres, ayant refusé le serment, sont hors la loi : on s’exclut d’une société quand on en répudie le pacte ; ils ont perdu leur qualité de citoyens, ils sont devenus de simples étrangers, surveillés par la police. Et comme ils propagent autour d’eux la désaffection et la désobéissance, ils ne sont pas même des étrangers, mais des séditieux, des ennemis déguisés, les auteurs d’une Vendée diffuse et occulte. Nous n’avons pas besoin de les poursuivre comme charlatans, il suffit de les frapper comme rebelles. À ce titre, nous avons déjà banni de France les ecclésiastiques insermentés, environ quarante mille prêtres, et nous déportons ceux qui n’ont pas franchi la frontière dans le délai fixé ; nous ne souffrons sur le sol français que les sexagénaires et les infirmes, et encore à l’état de détenus et de reclus ; peine de mort contre eux, s’ils ne viennent pas eux-mêmes s’entasser dans la prison de leur chef-lieu ; peine de mort contre les bannis qui rentrent ; peine de mort contre les receleurs de prêtres[30]. Par suite, faute de clergé orthodoxe, il n’y aura plus de culte orthodoxe ; la plus dangereuse des deux manufactures de superstition est fermée. Afin de mieux arrêter le débit de la vénéneuse denrée, nous punissons ceux qui la demandent comme ceux qui la fournissent, et nous poursuivons ; non-seulement les pasteurs, mais encore les fanatiques du troupeau ; s’ils ne sont pas les auteurs de la rébellion ecclésiastique, ils en sont les l’auteurs et les complices. Or, grâce au schisme, nous les connaissons d’avance et, dans chaque commune, leur liste est faite. Nous appelons fanatiques tous ceux qui repoussent le ministère du prêtre assermenté, les bourgeois qui l’appellent intrus, les religieuses qui ne se confessent pas à lui, les paysans qui ne vont pas à sa messe, les vieilles femmes qui ne baisent pas sa patène, les parens qui ne veulent pas de lui pour baptiser leur nouveau-né. Tous ces gens-là et ceux qui les fréquentent, proches, alliés, amis, hôtes, visiteurs, quels qu’ils soient, hommes ou femmes, sont séditieux dans l’âme et, partant, suspects. Nous leur ôtons leurs droits électoraux, nous les privons de leurs pensions, nous les chargeons de taxes spéciales, nous les internons chez eux, nous les emprisonnons par milliers, nous les guillotinons par centaines : peu à peu le demeurant se découragera et renoncera à pratiquer un culte impraticable[31]. — Restent les tièdes, la foule moutonnière qui tient à ses rites ; elle les prendra où ils seront, et, comme ils sont les mêmes dans l’église autorisée que dans l’église réfractaire, au lieu d’aller chez le prêtre insoumis, elle ira chez le prêtre soumis. Mais elle ira sans zèle, sans confiance, souvent même avec défiance, en se demandant si ces rites, administrés par un excommunié, ne sont pas maintenant de mauvais aloi. Une telle église n’est point solide, et nous n’aurons besoin que d’une poussée pour l’abattre. Nous discréditerons de tout notre effort les prêtres constitutionnels ; nous leur interdirons le costume ecclésiastique, nous les obligerons par décret à bénir le mariage de leurs confrères apostats ; nous emploierons la terreur et la prison pour les contraindre à se marier eux-mêmes; nous ne leur donnerons point de répit qu’ils ne soient rentrés dans la vie civile, quelques-uns en se déclarant imposteurs, plusieurs en remettant leurs lettres de prêtrise, le plus grand nombre en se démettant de leurs places[32]. Privé de conducteurs par ces désertions volontaires ou forcées, le troupeau catholique se laissera aisément mener hors de la bergerie, et, pour lui ôter la tentation d’y rentrer, nous démolirons le vieil enclos. Dans les communes où nous sommes maîtres, nous nous ferons demander par les jacobins du lieu l’abolition du culte, et nous l’abolirons d’autorité dans les autres communes par nos représenlans en mission. Nous fermerons les églises, nous abattrons les clochers, nous fondrons les cloches, nous enverrons les vases sacrés à la monnaie, nous briserons les saints, nous profanerons les reliques, nous interdirons l’enterrement religieux, nous imposerons l’enterrement civil, nous prescrirons le repos du décadi et le travail du dimanche. Point d’exceptions : puisque toute religion positive est une maîtresse d’erreur, nous proscrirons tous les cultes; nous exigerons des ministres protestans une abjuration publique; nous défendrons aux juifs de pratiquer leurs cérémonies ; nous ferons « un autodafé de tous les livres et signes du culte de Moïse[33]. » Mais, parmi les diverses machines à jongleries, c’est la catholique qui est la pire, la plus hostile à la nature par le célibat de ses prêtres, la plus contraire à la raison par l’absurdité de ses dogmes, la plus opposée à l’institution démocratique puisque chez elle les pouvoirs se délèguent de haut en bas, la mieux abritée contre l’autorité civile, puisque son chef est hors de France. C’est donc sur elle qu’il faut s’acharner ; même après Thermidor, nous prolongerons contre elle la persécution, petite et grande; jusqu’au consulat, nous déporterons et nous fusillerons des prêtres, nous renouvellerons contre les fanatiques les lois de la Terreur, « nous entraverons leurs mouvemens, nous désolerons leur patience ; nous les inquiéterons le jour, nous les troublerons la nuit, nous ne leur donnerons pas un moment de relâche[34]. » Nous astreindrons la population au culte décadaire ; nous la poursuivrons de notre propagande jusqu’à table ; nous changerons les jours de marché pour que nul fidèle ne puisse acheter du poisson les jours maigres. — Rien ne nous tient plus à cœur que cette guerre au catholicisme ; aucun article de notre programme ne sera exécuté avec tant d’insistance et de persévérance. C’est qu’il s’agit de la vérité ; nous en sommes les dépositaires, les champions, les ministres, et jamais serviteurs de la vérité n’auront appliqué la force avec tant de détail et de suite à l’extirpation de l’erreur.


V.

À côté de la superstition, il est un autre monstre à détruire, et de ce côté aussi l’Assemblée constituante a commencé l’attaque. Mais, de ce côté aussi, faute de courage ou de logique, elle s’est arrêtée après deux ou trois coups faibles. Interdiction des armoiries, des titres de noblesse et des noms de terre, abolition sans indemnité des redevances que le seigneur prélevait à titre d’ancien propriétaire des personnes, permission de racheter à prix débattu les autres droits féodaux, limitation du pouvoir royal, voilà tout ce qu’elle a fait pour rétablir l’égalité naturelle ; ce n’est guère. Avec des usurpateurs et des tyrans, on doit s’y prendre d’autre façon ; car leur privilège est à lui seul un attentat contre les droits de l’homme. En conséquence, nous avons détrôné le roi et nous lui avons coupé la tête[35] ; nous avons supprimé sans indemnité toute la créance féodale, y compris les droits que les seigneurs prélevaient à titre de propriétaires fonciers et de bailleurs simples ; nous avons livré leurs personnes et leurs biens aux revendications et aux rancunes des jacqueries locales ; nous les avons réduits à émigrer ; nous les incarcérons s’ils restent ; nous les guillotinons s’ils rentrent. Elevés dans des habitudes de suprématie et persuadés qu’ils sont d’une autre espèce que le commun des hommes, leur préjugé de race est incorrigible ; ils sont incapables d’entrer dans une société d’égaux ; nous ne pouvons trop soigneusement les écraser ou du moins les tenir à terre[36]. D’ailleurs, par cela seul qu’ils ont vécu, ils sont coupables : car ils ont primé, commandé sans droit, et, contre tous les droits, abusé de l’homme; ayant joui de leur rang, il est juste qu’ils en pâtissent. Privilégiés à rebours, ils seront traités comme les gens sans aveu l’étaient sous leur règne, ramassés par la police avec leurs familles, expédiés au centre, emprisonnés en tas, exécutés en masse, à tout le moins expulsés de Paris, des ports, des villes fortes, internés, obligés chaque jour de se présenter à la municipalité, privés des droits politiques, exclus des fonctions publiques, « des sociétés populaires[37], des comités de surveillance, des assemblées de commune et de section. » Encore sommes-nous indulgens; puisqu’ils sont notés d’infamie, nous devrions les assimiler aux galériens et les embrigader pour les faire travailler aux routes[38]. « La justice condamne les ennemis du peuple et les partisans de la tyrannie parmi nous à un esclavage éternel[39]. »

Mais cela ne suffit pas ; car, outre l’aristocratie de rang, il en est d’autres auxquelles l’Assemblée constituante n’a pas touché[40], notamment l’aristocratie de fortune. De toutes les souverainetés, celle que le riche exerce sur les pauvres est la plus pesante. En effet, non-seulement, au mépris de l’égalité, il consomme plus que sa part dans le produit du travail commun, et il consomme sans produire; mais encore, au mépris de la liberté, il peut à son gré fixer les salaires, et, au mépris de l’humanité, il fixe toujours le plus bas qu’il peut. Entre lui et les nécessiteux il ne se fait jamais que des contrats iniques. Seul détenteur de la terre, du capital et de toutes les choses nécessaires à la vie, il impose ses conditions que les autres, dépourvus d’avances, sont obligés d’accepter sous peine de mourir de faim ; il exploite à sa discrétion des besoins qui ne peuvent attendre, et profite de son monopole pour maintenir les indigens dans l’indigence. C’est pourquoi, écrit Saint-Just[41], « l’opulence est une infamie ; elle consiste à nourrir moins d’enfans naturels ou adoptifs qu’on n’a de mille livres de revenu. » « Il ne faut pas, dit Robespierre, que le plus riche des Français ait plus de 3,000 livres de rente. » Au-delà du strict nécessaire, nulle propriété n’est légitime ; nous avons le droit de prendre le superflu où il se trouve, non-seulement aujourd’hui, parce que nous en avons besoin aujourd’hui pour l’État et pour les pauvres, mais en tout temps, parce que le superflu en tout temps confère au possesseur un ascendant dans les contrats, une autorité sur les salaires, un arbitraire sur les subsistances, bref une suprématie de condition pire que la prééminence du rang. Ainsi ce n’est pas seulement aux nobles, c’est aux bourgeois riches ou aisés[42], c’est aux gros propriétaires et capitalistes que nous en voulons; nous allons démolir de fond en comble leur féodalité sournoise[43]. — D’abord, et par le seul jeu des institutions nouvelles, nous empêchons le rentier de prélever, comme à son ordinaire, la meilleure part dans les fruits du travail d’autrui ; les frelons ne mangeront plus chaque année le miel des abeilles. Pour en arriver là, il n’y a qu’à laisser agir les assignats et le cours forcé. Par la dépréciation du papier-monnaie, le propriétaire ou capitaliste oisif voit son revenu fondre entre ses mains : il ne touche plus que des valeurs nominales. Au 1er janvier, son locataire lui verse en fait un demi-terme au lieu d’un terme ; au 1er mars, son fermier s’acquitte envers lui avec un sac de grains[44] ; l’effet est le même que si nous avions rédigé à nouveau tous les contrats et réduit de moitié, des trois quarts et davantage, l’intérêt de l’argent prêté, le loyer des maisons louées, le bail des terres tenues à ferme. — Pendant que le revenu du rentier s’évapore, son capital s’effondre, et nous y aidons de notre mieux. S’il a des créances sur d’anciens corps ou établissemens civils ou religieux, quels qu’ils soient, pays d’états, congrégations, compagnies, instituts, hôpitaux, nous lui retirons son gage spécial, nous convertissons son titre en une rente sur l’État, nous associons bon gré mal gré sa fortune privée à la fortune publique, nous l’entraînons dans la banqueroute universelle vers laquelle nous conduisons tous les créanciers de la république[45]. — Au reste, pour le ruiner, nous avons des moyens plus directs et plus prompts. S’il est émigré, et il y a des émigrés par centaines de mille, nous confisquons ses biens ; s’il est guillotiné ou déporté, et il y a des guillotinés ou déportés par dizaines de mille, nous confisquons ses biens ; s’il est « reconnu ennemi de la révolution[46], » et « tous les riches font des vœux pour la contre-révolution[47], » nous séquestrons ses biens, nous en percevons l’usufruit jusqu’à la paix, nous en aurons la propriété après la guerre ; usufruit et propriété, en tous les cas, l’état hérite ; c’est tout, au plus si parfois nous accordons un secours momentané à la famille ; elle n’a pas même droit à des alimens.

Impossible de mieux déraciner les fortunes. Quant à celles que nous ne renversons pas d’un seul coup, nous les abattons par pièces, et contre elles nous avons deux haches. — D’un côté, nous décrétons en principe l’impôt progressif, et sur cette base nous établissons l’impôt forcé[48]. Nous séparons dans le revenu le nécessaire de l’excédent ; nous limitons le nécessaire à un millier de francs par tête ; selon que l’excédent est plus ou moins grand, nous en prenons le quart, le tiers, la moitié, et, passé 9,000 francs, le tout : au delà de sa mince réserve alimentaire, la plus opulente famille ne gardera que 4,500 francs de rente. — De l’autre côté, par les taxes révolutionnaires, nous tranchons à vif dans les capitaux ; nos comités et nos proconsuls de province en prélèvent arbitrairement ce qui leur convient, 300, 500 et jusqu’à 1,200,000 francs[49], sur tel banquier, négociant ou bourgeois, sur telle veuve, et payables dans la semaine; tant pis pour la personne taxée si elle n’a pas la somme ou ne trouve pas à l’emprunter; nous la déclarons suspecte, nous la mettons en prison, ses biens sont séquestrés, l’État en jouit à sa place. En tout cas, même lorsqu’elle a payé, nous la forçons à remettre en nos mains ses espèces d’or et d’argent, parfois contre assignats, parfois gratis; désormais le numéraire doit circuler et les métaux précieux sont en réquisition[50]; chacun délivrera ce qu’il a d’argenterie. Et que nul ne s’avise de cacher son magot : vaisselle, diamans, lingots, or et argent monnayé ou non monnayé, tout trésor « qu’on aura découvert ou qu’on découvrira enfoui dans la terre ou caché dans les caves, dans l’intérieur des murs, des combles, parquets ou pavés, âtres ou tuyaux de cheminée et autres lieux secrets[51], » est acquis à la république, avec prime d’un vingtième en assignats pour le dénonciateur. Comme d’ailleurs, avec le numéraire et les métaux précieux, nous réquisitionnons le linge, les lits, les habits, les provisions, les vins et le reste, on peut imaginer l’état d’un hôtel, surtout lorsque nous y avons logé : c’est comme si l’incendie y eût passé; le capital mobilier y a péri ainsi que l’autre. A présent qu’ils sont détruits tous les deux, il faut empêcher qu’ils ne se reforment. — A cet effet, nous abolissons en principe le droit de tester[52], nous prescrivons dans toute succession le partage égal et forcé[53], nous y appelons les bâtards au même titre que les enfans légitimes ; nous admettons la représentation à l’infini « pour multiplier les héritiers et morceler les héritages[54] ; » nous réduisons la quotité disponible au dixième en ligne directe et au sixième en ligne collatérale; nous défendons de rien donner aux personnes dont le revenu excède 1,000 quintaux de blé; nous établissons l’adoption, « institution admirable » et républicaine par essence, a puisqu’elle amène sans crise la division des grandes propriétés. » Déjà, dans la Législative, un député disait que « l’égalité des droits ne peut se soutenir que par une tendance continuelle vers le rapprochement des fortunes[55]. » Nous avons pourvu à cela dans le présent, et nous y pourvoyons aussi dans l’avenir. Il ne restera rien des énormes excroissances qui suçaient la sève de la plante humaine; en quelques coups brusques, nous les avons amputées, et la machine lente que nous installons à demeure en rasera les dernières fibres, si elles parviennent à repousser.


VI.

Par cette restauration de l’homme naturel, nous avons préparé l’avènement de l’homme social. Il s’agit maintenant de former le citoyen, et cela n’est possible que par le nivellement des conditions. Dans une société bien constituée, « il ne faut ni riches ni pauvres[56]. » Nous avons déjà détruit l’opulence qui corrompt; il nous reste à supprimer l’indigence qui dégrade. Sous la tyrannie des choses, aussi lourde que la tyrannie des hommes, l’homme tombe au-dessous de lui-même; on ne fera jamais un citoyen d’un malheureux condamné à demeurer valet, mercenaire ou mendiant, à ne songer qu’à soi et à sa subsistance quotidienne, à solliciter vainement de l’ouvrage, à peiner douze heures par jour sur un métier machinal, à vivre en bête de somme et à mourir à l’hôpital[57]. Il faut qu’il ait son pain, son toit et toutes les choses indispensables à la vie, qu’il travaille sans excès, anxiété ni contrainte, « qu’il vive indépendant, qu’il se respecte, qu’il ait une femme propre, des enfans sains et robustes[58]. » La communauté doit lui garantir l’aisance, la sécurité, la certitude de ne pas jeûner, s’il devient infirme, et de ne pas laisser, s’il meurt, sa famille à l’abandon. — « Ce n’est pas assez, dit Barère[59], de saigner le commerce riche, de démolir les grandes fortunes, il faut encore faire disparaître du sol de la république... L’esclavage de la misère. » Plus de mendians, « plus d’aumônes, plus d’hôpitaux. » — « Les malheureux, dit Saint-Just[60], sont les puissances de la terre, ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernemens qui les négligent; » ils ont droit à la bienfaisance nationale[61]... Dans une démocratie qui s’organise, tout doit tendre à élever chaque citoyen au-dessus du premier besoin, par le travail, s’il est valide ; par l’éducation, s’il est enfant; par les secours, s’il est invalide ou dans la vieillesse. » Et jamais moment ne fut si propice. « Riche de domaines, la république calcule, pour l’amélioration du sort des citoyens peu fortunés, les milliards que les riches comptaient pour la contre-révolution... Ceux qui ont voulu assassiner la liberté l’ont enrichie. » — « Les biens des conspirateurs sont là pour les malheureux[62]. » — Que le pauvre prenne en toute sécurité de conscience : ce n’est pas une aumône, mais « une indemnité » que nous lui apportons; nous ménageons sa fierté en pourvoyant à son bien-être et nous le soulageons sans l’humilier. « Nous laissons les travaux de charité aux monarchies ; cette manière insolente et vile d’administrer les secours ne convient qu’à des esclaves et à des maîtres ; nous y substituons la manière grande et large des travaux nationaux ouverts sur tout le territoire de la république[63]. » Nous faisons dresser dans chaque commune « l’état des citoyens sans propriété aucune » et « l’état des biens nationaux non vendus; » nous divisons ces biens en petits lots; nous les distribuons « sous forme de ventes nationales » aux indigens valides; nous donnons, « à titre d’arrentement, » un arpent à tout chef de famille qui a moins d’un arpent en propre; « nous rattachons ainsi tous les citoyens à la propriété et à la patrie; nous restituons à la terre des bras oisifs et robustes, et des familles perdues ou amollies dans les ateliers et dans les villes. » — Pour les cultivateurs ou artisans vieux et infirmes, pour les mères, femmes et veuves indigentes d’artisans ou cultivateurs, nous aurons dans chaque département un « grand livre de la bienfaisance nationale; » nous y inscrirons, par chaque millier d’habitans, quatre cultivateurs, deux artisans, cinq femmes, mères ou veuves; chacun des inscrits sera pensionné par l’État comme un soldat mutilé : les invalides du travail sont aussi respectables que ceux de la guerre. — Par-delà ces privilégiés de la pauvreté, c’est toute la classe pauvre que nous assistons et que nous relevons, non-seulement les treize cent mille indigens que l’on compte en France[64], mais encore tous ceux qui, n’ayant presque pas d’avances, vivent au jour le jour du travail de leurs mains. Nous avons décrété[65] que le trésor public, au moyen d’un impôt sur les grandes fortunes, « fournirait à chaque commune ou section les fonds nécessaires pour proportionner le prix du pain au taux des salaires. » Nos représentans en province imposent aux riches l’obligation u de loger, nourrir et vêtir tous les citoyens infirmes, vieillards, indigens, orphelins de leurs cantons respectifs[66]. » Par le décret sur l’accaparement et par l’établissement du maximum, nous mettons à la portée des pauvres tous les objets de nécessité première. Nous les payons quarante sous par jour pour assister aux assemblées de section et trois francs par jour pour être membres des comités de surveillance. Nous recrutons parmi eux l’armée révolutionnaire[67]; nous choisissons parmi eux les innombrables gardiens des séquestres : de cette façon, les sans-culottes par centaines de mille entrent dans les services publics. — Enfin voici les misérables tirés de la misère ; chacun d’eux aura maintenant son champ, son traitement ou sa pension : « dans une république bien ordonnée, personne n’est sans quelque propriété[68]. » Désormais, entre les particuliers, la différence du bien-être sera petite; du maximum au minimum, il n’y aura qu’un degré, et l’on trouvera dans toutes les maisons à peu près le même ménage, un ménage réduit et simple, celui du petit propriétaire rural, du fermier aisé ou de l’artisan-maître, celui de Rousseau à Montmorency, celui du vicaire savoyard, celui de Duplay, le menuisier chez qui loge Robespierre[69]. Plus de domesticité : « il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie[70]. » — « Celui qui travaille pour un citoyen est de sa famille et mange avec lui[71]. » — Par cette transformation des conditions basses aux conditions moyennes, nous rendons la dignité aux âmes, et du prolétaire, du valet, du manœuvre, nous commençons à dégager le citoyen.


VII.

Deux obstacles principaux empêchent le civisme de se développer, et le premier est l’égoïsme. Tandis que le citoyen préfère la communauté à lui-même, l’égoïste se préfère même à la communauté. Il ne songe qu’à son intérêt propre, il ne tient pas compte des besoins publics, il ne voit pas les droits supérieurs qui priment son droit dérivé. Il suppose que sa propriété est à lui sans restriction, ni condition, il oublie que, s’il lui est permis d’en user, ce ne peut jamais être au détriment d’autrui[72]. Ainsi font à présent, même dans la classe moyenne ou basse, les possesseurs d’objets nécessaires à la vie. Plus le besoin croît, plus ils haussent leurs prix; bientôt ils ne consentent à vendre qu’a un taux exorbitant; bien pis, ils cessent de vendre et entassent leurs produits ou leurs marchandises, dans l’espoir qu’en attendant ils vendront encore plus cher. Par là ils spéculent sur les nécessités d’autrui, ils empirent la misère générale, ils deviennent des ennemis publics. Ennemis publics, presque tous les agriculteurs, industriels et commerçans le sont aujourd’hui, les petits comme les gros, fermiers, métayers, maraîchers, cultivateurs de tout degré, et aussi les artisans maîtres, les boutiquiers, notamment les débitans de vin, les boulangers et les bouchers. « Tous les marchands sont essentiellement contre-révolutionnaires et vendraient leur parie pour quelques sous de bénéfice[73]. Nous ne souffrirons pas ce brigandage légal. Puisque « l’agriculture[74] n’a rien fait pour la liberté et n’a cherché qu’à grossir ses profits, » nous la mettrons en surveillance et, s’il le faut, en régie. Puisque «le commerce est devenu une espère de tyran avare, » puisqu’il « s’est paralysé lui-même, » et que « par une sorte de dépit contre-révolutionnaire, il a négligé la fabrication, la manipulation et l’envoi des diverses matières, » nous déjouerons les calculs de sa barbare arithmétique, nous le purgerons du levain aristocratique et corrupteur qui le tourmente Nous faisons de l’accaparement « un crime capital[75], nous appelons accapareur celui qui dérobe à la circulation des marchandises ou denrées de première nécessité, » et « les tient enfermées dans un lieu quelconque sans les mettre en vente journellement et publiquement ». Peine de mort contre lui si dans la huitaine, il n’a pas fait sa déclaration ou s’il a fait une déclaration fausse. Peine de mort pour le particulier qui garde chez lui plus de pain qu’il n’en faut pour sa subsistance[76]. Peine de mort contre le cultivateur qui ne porte pas chaque semaine ses grains au marché. Peine de mort contre le marchand qui n’affiche pas le contenu de son entrepôt ou ne tient pas sa boutique ouverte. Peine de mort contre l’industriel qui ne justifie pas de la manipulation quotidienne de ses matières ouvrables. Quant aux prix, nous intervenons d’autorité entre le vendeur et l’acheteur; pour tous les objets qui, de près ou de loin, servent à nourrir, abreuver, chauffer blanchir, chausser et vêtir les hommes, nous fixons un prix extrême ; nous incarcérons quiconque offre ou demande au-delà. Peu importe qua ce taux, le marchand ou l’industriel ne fasse pas ses frais si après l’établissement du maximum il ferme sa manufacture ou abandonne son commerce, nous le déclarerons suspect ; mous l’enchaînons a sa besogne, nous l’obligeons à perdre. — Voilà de quoi rogner les griffes aux bêtes de proie, grandes et petites.

Mais les griffes repoussent, et peut-être, au lieu de les couper, vaudrait-il mieux les arracher tout à fait. Quelques-uns d’entre nous y ont déjà songé : on appliquerait à tous les objets le droit de préemption; « on établirait dans chaque département des magasins nationaux où les cultivateurs, les propriétaires, les manufacturiers seraient obligés de déposer, à un prix modéré, qu’ils recevraient à l’instant, l’excédent de leur consommation de toute espèce de marchandises. La nation distribuerait les mêmes marchandises aux commerçans en gros, en conservant un bénéfice de 6 pour 100 Le bénéfice du commerçant en gros serait fixé à 8 pour 100 et celui du détaillant à 12 pour 100<ref> Journal des débats de la société des jacobins, n° 532, 20 brumaire an II. Plan du citoyen Dupré, présenté à la Convention par une députation de la société des Arcis. — Dauban, Paris en 1794, p. 483, projet analogue au précédent, présenté au comité de Salut public pour la société jacobine de Montereau ; thermidor an. II.<//ref>. » De cette façon, les agriculteurs, les industriels et les marchands deviendraient tous des commis de l’État, appointés par une prime ou par une remise ; ne pouvant plus gagner beaucoup, ils ne seraient plus tentés de gagner trop ; ils cesseraient d’être cupides, et bientôt ils cesseraient d’être égoïstes. — Au fond puisque l’égoïsme est le vice capital, et que la propriété individuelle en est l’aliment, pourquoi ne pas supprimer la propriété individuelle ? Nos extrêmes logiciens, Babeuf en tête, vont jusque-là, et Saint-Just[77] semble de cet avis. Il ne s’agit pas de décréter la loi agraire; la nation se réserverait le sol et partagerait entre les individus, non les terres, mais les fermages. Au bout du principe, on entrevoit un ordre de choses où l’État, seul propriétaire foncier, seul capitaliste, seul industriel, seul commerçant, ayant tous les Français à sa solde et à son service, assignerait à chacun sa tâche d’après ses aptitudes et distribuerait à chacun sa ration d’après ses besoins. Ces divers plans inachevés flottent encore dans un brouillard lointain; mais leur objet commun apparaît déjà en pleine lumière. « Tout ce qui tend à concentrer les passions humaines dans l’abjection du moi personnel doit être rejeté ou réprimé[78] ; » il s’agit de détruire les intérêts particuliers, d’ôter à l’individu les motifs et les moyens de s’isoler, de supprimer les préoccupations et les ambitions par lesquelles il se fait centre aux dépens du véritable centre, bref de le détacher de lui-même pour l’attacher tout entier à l’État.

C’est pourquoi, outre l’égoïsme étroit par lequel l’individu se préfère à la communauté, nous poursuivons l’égoïsme élargi par lequel l’individu préfère à la communauté le groupe dont il fait partie. Sous aucun prétexte, il ne doit se séparer du tout ; à aucun prix, on ne peut lui permettre de se faire une petite patrie dans la grande; car il frustre la grande de tout l’amour qu’il porte à la petite. Rien de pis que le fédéralisme politique, civil, religieux, domestique; nous le combattons sous toutes ses formes[79]. En cela, l’Assemblée constituante nous a frayé la voie, puisqu’elle a dissous les principaux groupes historiques ou naturels par lesquels des hommes se séparaient de la masse et faisaient bande à part, provinces, clergé, noblesse, parlemens, ordres religieux et corps de métier. Nous achevons son œuvre, nous détruisons les églises, nous supprimons les compagnies littéraires ou scientifiques, les instituts d’enseignement ou de bienfaisance, et jusqu’aux compagnies financières[80]. Nous proscrivons « l’esprit de localité, » départemental ou communal ; nous trouvons « odieux et contraire à tous les principes que, parmi les municipalités, les unes soient riches et les autres pauvres, que l’une ait des biens patrimoniaux immenses et l’autre seulement des dettes[81]. » Nous mettons ces dettes à la charge de la nation. Nous prenons le blé des communes et des départemens riches pour nourrir les communes et les départemens pauvres. Nous faisons aux frais de l’état les ponts, les routes et les canaux de chaque district ; « nous centralisons[82] d’une façon large et opulente le travail du peuple français. » Nous ne voulons plus d’intérêts, souvenirs, idiomes et patriotismes locaux. Entre les individus il ne doit subsister qu’un lien : celui qui les attache au corps social; tous les autres, nous les brisons ; nous ne souffrons pas d’agrégat particulier; nous défaisons de notre mieux le plus tenace de tous : la famille. «A cet effet, nous assimilons le mariage aux contrats ordinaires : nous le rendons fragile et précaire, aussi semblable que possible à l’union libre et passagère des sexes : il sera dissous à la volonté des deux parties et même d’une seule des parties, après un mois de formalités et d’épreuve ; si, depuis six mois, les époux sont séparés de fait, le divorce sera prononcé sans aucune épreuve ni délai ; les époux divorcés pourront se remarier ensemble. D’autre part, nous supprimons l’autorité maritale : puisque les époux sont égaux, chacun d’eux a des droits égaux sur les biens communs et sur les biens de l’autre ; nous ôtons au mari l’administration, nous la rendons « commune » aux deux époux. Nous abolissons « la puissance paternelle ; » « c’est tromper la nature que d’établir ses droits par la contrainte... Surveillance et protection, voilà tous les droits des parens[83]>. » Le père ne dirige plus l’éducation de ses enfans ; c’est l’État qui s’en charge. Le père n’est plus le maître de ses biens ; la quotité dont il dispose par donation ou testament est infime ; nous prescrivons le partage égal et forcé. — Pour achever, nous prêchons l’adoption, nous effaçons la bâtardise, nous conférons aux enfans de l’amour libre ou de la volonté arbitraire les mêmes droits qu’aux enfans légitimes. Bref nous rompons le cercle fermé, le groupe exclusif, l’organisme aristocratique que, sous le nom de famille, l’égoïsme et l’orgueil avaient formé. — Dès lors les affections et les obéissances ne se dispersent plus en frondaisons vagabondes; les mauvais supports auxquels elles s’accrochaient comme des lierres, castes, églises, corporations, provinces, communes ou familles, sont ruinés et rasés; sur le sol nivelé, l’Etat seul reste d» bout et offre seul un point d’attache ; tous ces lierres rampans vont s’enlacer en un seul faisceau autour du grand pilier central.


VIII.

Ne leur permettons pas de s’égarer, conduisons-les, dirigeons les esprits et les âmes, et pour cela enveloppons l’homme de nos doctrines. Il lui faut des idées d’ensemble, avec les pratiques quotidiennes qui en dérivent; il a besoin d’une théorie qui lui explique l’origine et la nature des choses, qui lui assigne sa place et son rôle dans le monde, qui lui enseigne ses devoirs, qui règle sa vie, qui lui fixe ses jours de travail et ses jours de repos, qui s’imprime en lui par des commémorations, des fêtes et des rites, par un catéchisme et un calendrier. Jusqu’ici la puissance chargée de cet emploi a été la religion, interprétée et servie par l’Église; à présent ce sera la raison, interprétée et servie par l’État. — Là-dessus, plusieurs des nôtres, disciples des encyclopédistes, font de la raison une divinité et lui rendent un culte; mais, manifestement, ils personnifient une abstraction, leur déesse improvisée n’est qu’un fantôme allégorique; aucun d’eux ne voit en elle la cause intelligente du monde; au fond du cœur, ils nient cette cause suprême, et leur prétendue religion n’est que l’irréligion affichée ou déguisée. — Nous écartons l’athéisme, non-seulement comme faux, mais encore et surtout comme dissolvant et malsain[84]. Nous voulons une religion effective, consolante et fortifiante ; c’est la religion naturelle, qui est sociale autant que vraie. « Sans elle[85]. comme l’a dit Jean-Jacques, il est impossible d’être bon citoyen... L’existence de la divinité, la vie à venir, la sainteté du contrat social et dès lois, » voilà tous ses dogmes ; « on ne peut obliger personne à les croire; mais celui qui ose dire qu’il ne les croit pas se lève contre le peuple français, le genre humain et la nature. » En conséquence, nous décrétons « que le peuple français reconnaît l’existence de l’être suprême et l’immortalité de l’âme. » Cette religion toute philosophique, il importe maintenant de l’implanter dans les cœurs. Nous l’introduisons dans l’état civil, nous ôtons le calendrier à l’Église, nous le purgeons de toutes les images chrétiennes; nous faisons commencer l’ère nouvelle à l’avènement de la république, nous divisons l’année d’après le système métrique, nous nommons les mois d’après les vicissitudes des saisons, « nous substituons partout les réalités de la raison aux visions de l’ignorance, les vérités de la nature au prestige sacerdotal[86], » la décade à la semaine, le décadi au dimanche, les fêtes laïques aux fêtes ecclésiastiques[87]. Chaque décadi, par une pompe solennelle et savamment composée, nous faisons pénétrer dans l’intelligence populaire l’une des hautes vérités qui sont nos articles de foi, nous glorifions, par ordre de dates, la Nature, la Vérité, la Justice, la Liberté, l’Égalité, le Peuple, le Malheur, le Genre humain, la République, la Postérité, la Gloire, l’Amour de la patrie, l’Héroïsme et les autres vertus. Nous célébrons en outre les grandes journées de la révolution, la prise de la Bastille, la chute du trône, le supplice du tyran, l’expulsion des girondins. Nous aussi, nous avons nos anniversaires, nos saints, nos martyrs, nos reliques, les reliques de Chalier et de Marat[88], nos processions, nos offices, notre rituel[89] et le vaste appareil de décors sensibles par lesquels se manifeste et se propage un dogme. Mais le nôtre, au lieu d’égarer les hommes vers un ciel imaginaire, les ramène vers la patrie vivante, et, par nos cérémonies comme par notre dogme, c’est le civisme que nous prêchons.

S’il importe de le prêcher aux adultes, il importe encore plus de l’enseigner aux enfans; car les enfans sont plus aisés à modeler que les adultes. Sur ces âmes encore flexibles, nous avons toutes nos prises, et, par l’éducation nationale, « nous nous emparons de la génération qui naît[90]. » Rien de plus nécessaire et rien de plus légitime. « La patrie, dit Robespierre[91], a le droit d’élever ses enfans ; elle ne peut confier ce dépôt à l’orgueil des familles ni aux préjugés des particuliers, alimens éternels de l’aristocratie et d’un fédéralisme domestique qui rétrécit les âmes en les isolant. » Nous voulons que « l’éducation soit commune et égale pour tous les Français, » et « nous lui imprimons un grand caractère analogue à la nature de notre gouvernement et à la sublimité des destinées de notre république. Il ne s’agit plus de former des messieurs, mais des citoyens. » Nous obligeons[92] les instituteurs et les institutrices à produire un certificat de civisme, c’est-à-dire de jacobinisme. Nous fermons leur école s’ils enseignent « des préceptes ou des maximes contraires à la morale révolutionnaire, » c’est-à-dire conformes à la morale chrétienne. Les enfans apprendront à lire dans la Déclaration des droits et dans la Constitution de 1793. On fabriquera[93] des manuels et catéchismes républicains à leur usage. « On leur fera connaître les traits de vertu qui honorent le plus les hommes libres, et particulièrement les traits de la révolution française les plus propres à élever l’âme et à les rendre dignes de l’égalité et de la liberté. » On louera ou l’on justifiera devant eux le 14 juillet, le 10 août, le 2 septembre, le 21 janvier, le 31 mai. On les conduira[94] aux séances des municipalités, des tribunaux et « surtout des sociétés populaires; » « dans ces sources pures, ils puiseront la connaissance de leurs droits, de leurs devoirs, des lois, de la morale républicaine, » et, à leur entrée dans le monde, ils se trouveront imbus de toutes les bonnes maximes. — Par-delà leurs opinions politiques, nous façonnons leurs habitudes pratiques. Nous appliquons en grand le plan d’éducation tracé par Jean-Jacques[95]. Nous ne voulons plus de freluquets lettrés; à l’armée, « le muscadin crève dès la première campagne[96] ; » il nous faut des jeunes gens capables de résister aux privations et à la fatigue endurcis, comme Emile, « par un métier pénible, » et par les exercices du corps. Sur cette partie de l’éducation, nous n’avons encore que des projets ; mais la concordance des ébauches suffit pour manifester le sens et la portée de notre principe. « Tous les enfans sans distinction et sans exception, dit Lepelletier de Saint-Fargeau[97], les garçons de cinq à douze ans, les filles de cinq à onze ans, sont élevés en commun aux dépens de la république; tous sous la sainte loi de l’égalité, recevront mêmes vêtemens, même nourriture, même éducation, mêmes soins, « dans des internats distribués par cantons et contenant chacun de quatre à six cents élèves « Les élèves seront pliés tous les jours et à tous les instans sous le joug d’une règle exacte... Ils seront couchés durement, leur nourriture sera saine mais frugale, leur vêtement commode, mais grossier » Point de domestiques : les enfans se servent eux-mêmes, et, en outre servent les vieillards et les infirmes logés avec eux ou auprès d’eux. « Dans l’emploi de la journée, le travail des mains sera la principale occupation, tout le reste sera accessoire. » Les filles apprendront à filer, à coudre, à blanchir; les garçons seront cantonniers, bergers, laboureurs, ouvriers; les uns et les autres travailleront à la tâche, soit dans les ateliers de l’école, soit dans les champs et les manufactures du voisinage; on louera leur temps aux industriels et aux cultivateurs des environs. — Saint-Just précise et serre encore davantage[98]. « Les enfans mâles sont élevés depuis cinq jusqu’à seize ans pour la patrie. Ils sont vêtus de toile dans toutes les saisons, ils couchent sur des nattes et dorment huit heures Ils sont nourris en commun et ne vivent que de racines, de fruits, de légumes, de laitage, de pain et d’eau. Ils ne mangent point de viande avant seize ans accomplis... Depuis dix ans jusqu’à seize ans, leur éducation est militaire et agricole. Ils sont distribués en compagnies de soixante; six compagnies font un bataillon; les enfans d’un district forment une légion ; ils s’assemblent tous les ans au chef-lieu, y campent et y font les exercices de l’infanterie dans des arènes préparées exprès ; ils apprennent aussi les manœuvres de la cavalerie et toutes les évolutions militaires. Ils sont distribués aux laboureurs dans les temps des moissons. A partir de seize ans, « ils entrent dans les arts », chez un laboureur, artisan, négociant ou manufacturier, qui devient « leur instituteur » en titre, et chez qui ils sont tenus de rester jusqu’à vingt et un ans, « à peine d’être privés du droit de citoyen pendant toute leur vie[99]. » « Tous les enfans conserveront le même costume jusqu’à seize ans ; de seize jusqu’à vingt et un ans, ils auront le costume d’ouvrier ; de vingt et un à vingt-cinq ans, celui de soldat, s’ils ne sont pas magistrats. » — Déjà, par un exemple éclatant, nous rendons visibles les conséquences de la théorie ; nous fondons « l’Ecole de Mars[100] ; » nous choisissons dans chaque district six jeunes gens de seize à dix-sept ans et demi « parmi les enfans des sans-culottes ; » nous les appelons à Paris « pour y recevoir, par une éducation révolutionnaire toutes les connaissances et les mœurs d’un soldat républicain. » « Ils seront formé à la fraternité, à la discipline, à la frugalité, aux bonnes mœurs, à l’amour de la patrie et à la haine des rois. » « Nous parquerons ces trois ou quatre mille jeunes gens aux Sablons, dans une enceinte de palissades dont les intervalles sont garnis de chevaux de frise et de sentinelles[101]. » Nous les logeons sous la tente ; nous les nourrissons de pain noir, de lard rance et d’eau vinaigrée ; nous les exerçons au maniement des armes ; nous les faisons parader dans les fêtes nationales ; nous les échauffons par des harangues patriotiques. Supposez tous les Français sortis d’une école semblable, et nous trouverons dans chaque adulte la sobriété, l’énergie, le patriotisme d’un Spartiate ou d’un Romain.

Déjà, sous la pression de nos décrets, le civisme entre dans les mœurs, et des signes manifestes annoncent de toutes parts la régénération publique. « Le peuple français, dit Robespierre[102] » semble avoir devancé de deux mille ans le reste de l’espèce humaine ; on serait même tenté de le regarder, au milieu d’elle, comme une espèce différente. En Europe, un laboureur, un artisan est un animal dressé pour les plaisirs d’un noble ; en France, les nobles essaient de se transformer en laboureurs et en artisans, et ne peuvent pas même obtenir cet honneur. » Par degrés, toutes les pratiques de la vie courante prennent le tour démocratique. Défense aux détenus riches d’acheter des douceurs ou de se procurer des commodités particulières; ils mangent avec les détenus pauvres la même pitance à la même gamelle[103]. Ordre aux boulangers de ne fabriquer qu’une qualité de pain, le pain gris dit pain d’égalité, et, pour recevoir sa ration, chacun fait queue à son rang dans la foule. Aux jours de fête, chaque particulier descend ses provisions et dîne en famille avec ses voisins dans la rue[104] ; le décadi, tous chantent ensemble et dansent pêle-mêle dans le temple de l’Etre suprême. Les décrets de la Convention et les arrêtés des représentans imposent aux femmes la cocarde républicaine ; l’esprit public et l’exemple imposent, aux hommes la tenue et le costume des sans-culottes ; on voit jusqu’aux muscadins porter moustaches, cheveux longs, bonnet rouge, carmagnole, sabots ou gros souliers[105]. Personne ne dit plus à personne monsieur ou madame ; citoyen ou citoyenne sont les seuls titres permis, et le tutoiement est de règle. Une familiarité rude remplace la politesse monarchique; tous s’abordent en égaux et en camarades. Il n’y a plus qu’un ton, un style, une langue : les formules révolutionnaires font le tissu des discours comme des écrits ; il semble que les hommes ne puissent plus penser qu’avec nos idées et nos phrases. Les noms eux-mêmes sont transformés, noms des mois et des jours, noms des lieux et des monumens, noms de baptême et de famille : saint Denis est devenu Franciade, Pierre-Gaspard devient Anaxagoras, Antoine-Louis devient Brutus ; Leroi, le député, s’appelle Laloi; Leroy, le juré, s’appelle Dix-Août. — A force de façonner ainsi les dehors, nous atteindrons le dedans, et, par le civisme extérieur, nous préparons le civisme intime. Tous les deux sont obligatoires, mais le second encore plus que le premier ; car il est « le principe fondamental[106], le ressort essentiel qui soutient et fait mouvoir le gouvernement démocratique et populaire. » Impossible d’appliquer le contrat social si chacun n’en observe pas fidèlement la première clause qui est l’aliénation totale de soi-même à la communauté. Il faut donc que chacun se donne tout entier, non-seulement de fait, mais aussi de cœur, et se dévoue au bien public. Or, le bien public est la régénération de l’homme telle que nous l’avons définie. — Aussi le véritable citoyen est celui qui marche avec nous. Chez lui comme chez nous, les vérités abstraites de la philosophie commandent à la conscience et gouvernent la volonté ; il part de nos dogmes et les suit jusqu’au bout ; il en tire toutes les conséquences que nous en tirons, il approuve tous nos actes, il récite notre symbole, il observe notre discipline, il est jacobin croyant et pratiquant, jacobin orthodoxe, sans tache ou soupçon d’hérésie ou de schisme. Jamais il n’incline à gauche vers l’exagération, ni à droite vers l’indulgence ; sans précipitation ni lenteur, il chemine dans le sentier étroit, escarpé, rectiligne, que nous lui avons tracé : c’est le sentier de la raison; puisqu’il n’y a qu’une raison, il n’y a qu’un sentier. Que nul ne s’en écarte : des deux côtés sont des abîmes. Suivons nos guides, les hommes à principes, les purs, surtout Couthon, Saint-Just, Robespierre; ils sont des exemplaires de choix, tous coulés dans le vrai moule ; c’est dans ce moule unique et rigide que nous devons refondre tous les Français.


H. TAINE.

  1. Ce texte et les suivans sont extraits de Rousseau (Contrat social). Cf. L’Ancien Régime, livre III, ch. IV, 303, 306, 321, 327.
  2. L’ascendant de cette idée est si universel et si précoce qu’on la trouve énoncée par Mirabeau à la séance du 10 août 1789. (Buchez et Roux, II, 257.) « Je ne connais que trois manières d’exister dans la société : il faut y être mendiant, voleur ou salarié. Le propriétaire n’est lui-même que le premier des salariés. Ce que nous appelons vulgairement sa propriété n’est autre chose que le prix que lui paie la société pour les distributions qu’il est chargé de faire aux autres individus par ses consommations et ses dépenses : les propriétaires sont les agens, les économes du corps social. »
  3. Rapport de Roland, 6 janvier 1793, et de Cambon, 1er février 1793.
  4. Buchez et Roux, XXXI, 311. Rapport de Saint-Just, 8 ventôse an II, et décret conforme.
  5. Décret du 13 brumaire au II. Rapport de Cambon, 1er février 1793. Cambon évalue les seuls biens de l’ordre de Malte et des collèges à 400 millions.
  6. Moniteur, XVIII, 419 et 486. Rapports de Cambon, 22 brumaire et 1er frimaire an II. «Commençons par nous emparer des domaines engagés, nonobstant les lois précédentes. »
  7. Cf. l’Ancien Régime, p. 18.
  8. Mallet-Dupan, Mémoires, II, 19. — Moniteur, XVIII, 565. (Rapport de Cambon, 4 frimaire an II.) Sur l’invitation de la société populaire de Toulouse, le département de la Haute-Garonne a ordonné à tous ceux qui possédaient des objets d’or ou d’argent de les porter aux caisses de leurs districts pour être échangés contre des assignats. Cet arrêté a produit jusqu’à ce jour, dans les caisses de Toulouse, environ 1,500,000 ou 1,600,000 livres en or et en argent. De même à Montauban et ailleurs. «Plusieurs de nos collègues ont même décerné la peine de mort contre ceux qui n’apporteraient pas leur or et leur argent dans un temps donné. »
  9. Moniteur, XVIII, 320 (séance du 11 brumaire an II), paroles de Barère, rapporteur.
  10. Archives nationales, AFII, 92 (Arrêté de Taillefer, 3 brumaire an II, à Villefranche-l’Aveyron). —De Martel, Étude sur Fouché'', 368 (Arrêté de Fouché, Collot d’Herbois et Delaporte ; Lyon, 21 brumaire an II). — Moniteur, XV, 384 (Séance du 19 brumaire). Lettre de Barras et Fréron, datée de Marseille. — Moniteur, XVIII, 513 (Arrêtés de Lebas et Saint-Just à Strasbourg, 24 et 25 brumaire an II). — Lettre d’Isoré au ministre Bouchotte, 4 novembre 1793 (Legros, la Révolution telle qu’elle est.) — Le principe de toutes ces mesures a été posé par Robespierre, dans son discours sur la propriété (24 avril 1793) et dans sa déclaration des droits adoptée à l’unanimité par la société des Jacobins (Buchez et Roux, XXVI, 93 et 130).
  11. Rousset, les Volontaires, p. 234 à 254.
  12. Décret du 22 novembre 1793. — Mêmes rigueurs dans l’arrêté du Directoire du 18 octobre 1798.
  13. Moniteur, XIX, 631. Décret du 14 ventôse an II. — Archives nationales, DSI, 10. Arrêté des représentans Delacroix, Louchet et Legendre ; Pont-Audemer, 14 frimaire an II. — Moniteur, XVIII, 622. Décret du 18 frimaire an II.
  14. Décret du 15-18 floréal an II. Décret du 29 septembre 1793 (Énumération de quarante objets de première nécessité). — L’article 9 décrète trois jours de prison contre les ouvriers et fabricans qui « se refuseront, sans causes légitimes, à leurs travaux ordinaires. » — Décrets des 16 et 20 septembre 1793, et décret du 11 septembre, articles 16, 19, 20 et 21.
  15. Archives nationales, AFII, III. Arrêté du représentant Ferry; Bourges, 23 messidor an II. — Ibid., AFII, 106. Arrêté du représentant Dartigoyte Auch, 18 prairial an II.
  16. Décret du 11 brumaire an II, art. 7.
  17. Gouvion Saint-Cyr, Mémoires sur les campagnes, de 1792 à la paix de Campo-Formio, I, 91-109. « L’avancement, que tout le monde craignait à cette époque... » Ib., 229. « Les hommes qui avaient quelques moyens s’éloignaient avec obstination de toute espèce d’avancement. » — Archives nationales, DSI 5. Mission du représentant Albert dans l’Aube et la Marne, et notamment l’arrêté d’Albert, Châlons, 7 germinal an III, avec les nombreuses pétitions des juges et officiers municipaux qui sollicitent leur remplacement. — Lettre du peintre Gosse (publiée dans le Temps du 31 mai 1882), très curieuse pour montrer les misères de la vie privée pendant la révolution. « Mon père fut nommé commissaire de bienfaisance et commissaire pour l’habillement des troupes ; au moment de la terreur, il eût été bien imprudent de refuser un emploi. — Archives nationales, FT, 3,485. Affaire de Girard Toussaint, notaire à Paris, « tombé sous le glaive de la loi, du 9 thermidor an II. » Girard, très libéral pendant les premiers temps de la révolution, avait été président de sa section en 1789, mais, après le 10 août, il s’était tenu coi. Le comité de la section des Amis de la patrie, « considérant que le citoyen Girard... ne s’est montré que dans les temps où la cour et Lafayette dominaient les sans-cullottes, » que, « depuis la révolution de l’égalité, il a privé de ses lumières ses concitoyens, ce qui est un crime en révolution, reconnaît le dit citoyen suspect à l’unanimité » et arrête « qu’il sera conduit au Luxembourg. »
  18. Ludovic Sciout, Histoire de la constitution civile du clergé, IV, 131, 135, arrêtés de Dartigoyte et de Pinat. — Recueil de pièces authentiques servant à l’histoire de la révolution à Strasbourg, t. I, p. 230. (Discours de Schneider à Barr pour marier le patriote Funck.) — Il paraît que Schneider faisait mieux encore et pour son propre compte. (Ibid., 317)
  19. Buchez et Roux, XXIX, 160. (Rapport de Saint-Just. 10 octobre 1793.) « Vous avez à punir, non-seulement les traîtres, mais les indifférens mêmes ; vous avez à punir quiconque est passif dans la république et ne fait, rien pour elle. »
  20. Buchez et Roux, XXXII, 338. Rapport à la Convention sur la théorie du gouvernement démocratique, par Billaud-Varennes (20 avril 1794).
  21. Buchez et Roux, XXXI, 270. Rapport de Robespierre sur les principes qui doivent guider la Convention nationale dans l’administration intérieure de la république, 5 février 1794. Cf. dans l’Ancien Régime, 289-301, les idées de Rousseau; celles de Robespierre n’en ont que le décalque.
  22. Ibid., 270. — La prétention de réformer les sentimens des hommes se retrouve dans tous les programmes. Ibid., 305 (Rapport de Saint-Just, 26 février 1794). « Notre but est de créer un ordre de choses tel qu’une pente universelle vers le bien s’établisse, et que les factions se trouvent lancées tout d’un coup sur l’échafaud. » — Ibid., 337. (Rapport de Saint-Just, 13 mars 1794.) « Nous ne voyons qu’un moyen d’arrêter le mal, c’est de mettre enfin la révolution dans l’état civil et de faire la guerre à toute espèce de perversité, comme suscitée parmi nous à dessein d’énerver la république. »
  23. Ibid., XXXV, 276. (Institutions, par Saint-Just.)— Ibid., 281. — Moniteur, XVIII, 343. (Séance des Jacobins, 13 brumaire an II, discours de Baudot.)
  24. Buchez et Roux, XXIX, 142. (Discours de Jean-Bon Saint-André à la Convention, 25 septembre 1793.) « On dit que nous exerçons un pouvoir arbitraire, on nous accuse d’être despotes. Despotes, nous!.. Ah ! sans doute, si c’est le despotisme qui doit faire triompher la liberté, ce despotisme est la régénération politique. » On applaudit. — Ibid. XXXI, 276. (Rapport de Robespierre, 17 pluviôse an II.) On a dit que la terreur est le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés... Le gouvernement de la révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. »
  25. Ibid., XXXII, 253. Décret du 20 avril 1794. « La Convention déclare qu’appuyée sur les vertus du peuple français, elle fera triompher la république démocratique et punira sans pitié ses ennemis. »
  26. Dans cette peinture de l’ancien régime, l’emphase et la crédulité du temps débordent en exagérations colossales. Buchez et Roux, XXXI, 300. (Rapport de Saint-Just, 26 février 1794.) « En 1788, Louis XVI fit immoler huit mille personnes de tout sexe et de tout âge à Paris dans la rue Meslay et sur le Pont-Neuf. La cour renouvela ces scènes au champ de Mars. La cour pendait dans les prisons; les noyés qu’on ramassait dans la Seine étaient ses victimes. Il y avait quatre cent mille prisonniers; on pendait par an quinze mille contrebandiers, on rouait trois mille hommes ; il y avait dans Paris plus de prisonniers qu’aujourd’hui... Parcourez l’Europe; il y a dans l’Europe quatre millions de prisonniers dont vous n’entendez pas les cris. » Ibid., XXVI, 432. (Discours de Robespierre, 10 mai 1793.) « Jusqu’ici l’art de gouverner n’a été que l’art de dépouiller et d’asservir le grand nombre au profit du petit nombre, et la législation le moyen de réduire ces attentats en système. »
  27. Buchez et Roux, XXXII, 353. (Rapport de Robespierre à la Convention, 7 mai 1794.) « La nature nous dit que l’homme est né pour la liberté, et l’expérience des siècles nous montre l’homme esclave. Ses droits sont écrits dans son cœur et son humiliation dans l’histoire. »
  28. Ibid., 372. « Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des piètres! Je ne connais rien de semblable à l’athéisme comme les religions qu’ils ont faites ! » — Déjà, dans la Constituante, il voulait que l’on défendît au père d’avantager un enfant. « Vous n’avez rien fait pour la liberté si vos lois ne tendent à diminuer, par des moyens efficaces et doux, l’inégalité des fortunes. » (Hamel, I, 403.)
  29. Décret du 18 frimaire an II. Notez les restrictions : « La Convention, par les dispositions précédentes, n’entend déroger en aucune manière aux lois ni aux précautions de salut public contre les prêtres réfractaires ou turbulens, ou contre ceux qui tenteraient d’abuser du prétexte de la religion pour compromettre la cause de la liberté Elle n’entend pas, non plus, improuver ce qui a été fait jusqu’à ce jour en vertu des arrêtés des représentans du peuple, ni fournir à qui que ce soit le prétexte d’inquiéter le patriotisme et de ralentir l’essor de l’esprit public. »
  30. Décrets du 27 mai et du 26 août 1792, du 18 mars, du 20 avril et du 20 octobre 1793, du 11 avril et du 11 mai 1794. Ajoutez (Moniteur, XIX, 697) le décret portant confiscation des biens des ecclésiastiques « qui se sont déportés volontairement ou l’ont été nominativement, qui sont reclus comme vieillards ou infirmes, ou qui ont préféré la déportation à la réclusion. » — Ibid., XVIII, 492 (séance du 2 frimaire). Discours de Forestier. « Quant à la prêtrise, la continuation de son exercice est devenue une honte et même un crime. » — Archives nationales, AFII, 36. Arrêté de Lequinio, représentant du peuple dans la Charente-Inférieure, la Vendée et les Deux-Sèvres, Saintes 1er nivôse an II. « Afin que la liberté des cultes existe dans toute la plénitude, il est défendu à qui que ce soit de prêcher ou d’écrire pour favoriser quelque culte ou opinion religieuse que ce puisse être. » Notamment, « il est expressément défendu à tout ci-devant ministre, de quelque culte qu’il soit, de prêcher, écrire ou enseigner la morale, sous peine d’être regardé comme suspect et, comme tel, mis sur-le-champ en état d’arrestation. » « Tout homme qui s’avise de prêcher quelques maximes religieuses que ce puisse être est, par cela seul, coupable envers le peuple. Il viole… l’égalité sociale, qui ce permet pas qu’un individu puisse élever publiquement ses prétentions idéales au-dessus de celles de son voisin. »
  31. Ludovic Sciout, Histoire de la constitution civile du clergé, t. III et IV, passim. Jules Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le Doubs, t. III, IV, V et VI, notamment la liste des déportés, guillotinés, internés et reclus, à la fin de ces volumes.
  32. Ordre du jour de la convention, 17 septembre 1792; circulaire du conseil exécutif, 22 janvier 1793 ; décrets de la convention, 19 juillet, 12 août, 17 septembre, 15 novembre 1793. — Ludovic Sciout, III. chap. XV et suivans, IV, chap. I à VII. — Moniteur, octobre et novembre 1793, passim. (23 novembre, arrêté de la Commune de Paris pour fermer toutes les églises.) — Sur la terreur des prêtres constitutionnels je donnerai seulement les deux pièces suivantes (Archives nationales, F7’, 31167) : « Le citoyen Pontard, évêque du département de la Dordogne, logé dans la maison de la citoyenne Bourbon, faubourg Saint-Honoré, n° 66, instruit qu’il y a dans le journal nommé le Républicain un article portant qu’il s’est tenu une assemblée de prêtres dans ladite maison, atteste qu’il n’en a aucune connaissance ; que tous les préposés à la garde des appartemens sont dans le sens de la révolution; que, s’il avait lieu de suspecter un pareil fait, il délogerait à l’instant même, et que, s’il est possible d’apercevoir quelque motif à pareil bruit, c’est le mariage qu’il projette avec la nièce du citoyen Caminade, excellent patriote, capitaine de la 9e compagnie de la section des Champs-Élysées, mariage qui va achever de faire tomber le fanatisme dans son département, à moins que ce ne fût l’ordination d’un prêtre à la sans-culotte qu’il fit hier dans la chapelle, autre trait qui est dans le sens de la révolution. Peut-être est-il nécessaire d’ajouter qu’il a été visité par un de ses curés actuellement à Paris, qui est venu le prier de seconder son mariage. Ledit curé s’appelle Greffier-Sauvage; il est encore à Paris et se dispose à se marier en même temps que lui. A part ces motifs, qui ont pu donner lieu à quelques propos, le citoyen Pontard ne voit rien qui puisse établir le moindre soupçon. Au reste, il est un patriote si franc du collier qu’il ne demande pas mieux que d’être instruit de la vérité pour embrasser sans aucune considération la voie révolutionnaire. Il signe sa déclaration en promettant de la soutenir en tout temps, par ses écrits comme par sa conduite. Il offre les deux numéros de son journal qu’il vient de faire imprimer à Paris, pour qu’on y voie la teneur de ses principes. — A Paris, le 7 septembre 1793, l’an II de la république, une et indivisible. F. Pontard, évêque de la république au département de la Dordogne. « — Dauban, la Démagogie en 1793, p. 557. Arrestation du représentant Osselin, lettre de son frère, curé de Saint-Aubin, au comité de la section Mutins Scævola, 20 brumaire an II. « A l’exemple de Brutus et de Mutius Scævola, je foule aux pieds les sentimens dont j’idolâtrais mon frère. O divinité des républicains ! ô vérité! tu connais l’incorruptibilité de mes intentions. » (Et ainsi de suite, pendant cinquante-trois lignes.) « Voilà mes sentimens. Je suis fraternellement, Osselin, ministre du culte à Saint-Aubin. — P.-S. — C’est en allant satisfaire un besoin de la nature que j’ai sçu cette affligeante nouvelle. » (Il a rhétoriqué tant qu’il a trouvé des phrases ; à la fin, idiot de peur, le cerveau vide, il raconte ce dernier détail comme preuve qu’il n’est pas complice.)
  33. Recueil de pièces authentiques servant à l’histoire de la révolution à Strasbourg, II, 299. (Arrêté du district.)
  34. Ludovic Sciout, IV, 426 (Instruction envoyée par le directoire aux commissaires nationaux, frimaire an IV.) — Ibid., ch. X à XVIII. — Ibid., IV, 688. Arrêté du Directoire, 14 germinal an VI. — « Les administrations municipales fixeront à des jours déterminés de chaque décade les marchés de leurs arrondissemens respectifs, sans qu’en aucun cas l’ordre qu’elles auront établi puisse être interverti sous prétexte que les marchés tomberaient à des jours ci-devant fériés, Elles s’attacheront spécialement à rompre tout rapport des marchés aux poissons avec les jours d’abstinence désignés par l’ancien calendrier. Tout individu qui étalera ses denrées ou marchandises dans les marchés hors des jours fixés par les administrations municipales, sera poursuivi devant le tribunal de police comme ayant embarrassé la voie publique.» — Les thermidoriens restent aussi anticatholiques que leurs prédécesseurs; seulement ils désavouent la persécution ouverte et comptent sur la pression lente. (Moniteur, XIII, 523. Discours de Boissy d’Anglas, 3 ventôse an III.) « Surveillez ce que vous ne pouvez empêcher; régularisez ce que vous ne pouvez défendre... Bientôt on ne connaîtra que pour les mépriser ces dogmes absurdes, enfans de l’erreur et de la crainte, dont l’influence sur l’esprit humain a été si constamment nuisible... Bientôt la religion de Socrate, de Marc Aurèle et de Cicéron sera la religion du monde. »
  35. Moniteur, XIV, 646. Procès du roi ; discours de Robespierre : « Le droit de punir le tyran et de le détrôner, c’est la même chose. » — Discours de Saint-Just : « La royauté est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer… On ne peut régner innocemment. »
  36. Épigraphe du journal de Marat : Ut redeat miseris, abeat fortuna superbis.
  37. Buchez et Roux, XXXIII, 323 (Rapport de Saint-Just, 26 germinal an II, et décret du 26-29 germinal, art. 4, 13, 15). Ibid., 215.
  38. Buchez et Roux, XXIX, 166 (Rapport de Saint-Just,10 octobre 1793). «Ce serait le seul bien qu’ils auraient fait à la patrie... Il serait juste que le peuple régnât à son tour sur ses oppresseurs et que la sueur baignât l’orgueil de leur front. »
  39. Ibid., XXXI, 309. (Rapport de Saint-Just, 8 ventôse an II.)
  40. Ibid., XXVI, 435. (Discours de Robespierre sur la Constitution, 10 mai 1793.) « Qu’étaient nos usages et nos prétendues lois, sinon le code de l’impertinence et de la bassesse, où le mépris des hommes était soumis à une espèce de tarif et gradué suivant des règles aussi bizarres que multipliées? Mépriser et être méprisé, ramper pour dominer, esclaves et tyrans tour à tour, tantôt à genoux devant un maître, tantôt foulant aux pieds le peuple, telle était notre ambition à tous tant que nous étions, hommes bien nés ou hommes bien élevés, gens du commun ou gens comme il faut, hommes de loi ou financiers, robins ou hommes d’épée. » — Archives nationales, F7 31167 (Rapport de l’observateur Charmont, 10 nivôse an II). « L’effigie de Boileau, qui était au collège de Lisieux, a été descendue parmi les statues de saints qu’on a retirées de leurs niches. Ainsi plus de distinctions : les saints et les auteurs sont rangés dans la même classe. »
  41. Buchez et Roux, XXXV, 206. (Institutions, par Saint-Just.) — Meillan, Mémoires, p. 17.
  42. Archives nationales, F7 4437. Adresse de la société populaire de Calvisson (Gard), 7 messidor an II. « Les bourgeois, les marchands, les gros propriétaires ont toute la prétention des ci-devans. La loi ne fournit aucun moyen de dessiller les yeux des gens du peuple sur le compte de ces nouveaux tyrans. La société désirerait qu’on attribuât au tribunal révolutionnaire le droit de condamner à une détention momentanée cette classe d’individus orgueilleux. Le peuple verrait qu’ils ont commis un délit et reviendrait de l’espèce de respect qu’il a pour eux. » En note, de la main de Couthon : « Au jugement des commissions populaires. »
  43. Gouverneur-Morris, lettre du 4 janvier 1796. « Les capitalistes en France ont été détruits pécuniairement par les assignats et physiquement par la guillotine. » Buchez et Roux, XXX, 26. (Notes écrites par Robespierre en juin 1793). « Les dangers intérieurs viennent des bourgeois... Quels sont nos ennemis? Les hommes vicieux et les riches. »
  44. Récit de M. Silvestre de Sacy (23 mai 1873). Son père avait une ferme rapportant 4,000 francs par an ; le fermier lui offrit 4,000 francs en assignats ou un cochon M. de Sacy choisit le cochon.
  45. Buchez et Roux, XXXU, 441. (Rapport de Cambon sur l’institution du grand livre de la dette publique, 15 août 1793.)
  46. Ibid., XXXI, 311. Rapport de Saint-Just, 26 février 1794, et décret conforme adopté à l’unanimité. Voir notamment article 2. — Moniteur, 12 ventôse an II (séance des Jacobins, discours de Collot d’Herbois). « La Convention a dit qu’il fallait que les détenus prouvassent qu’ils avaient été patriotes depuis le 1er mai 1789. Lorsque les patriotes et les ennemis de la révolution seront parfaitement connus, alors les propriétés des premiers seront inviolables et sacrées, et celles des derniers seront confisquées au profit de la république. »
  47. Buchez et Roux, XXVI, 455 (séance des Jacobins, 10 mai 1793, discours de Robespierre.) — Ibid., XXXI, 393 (rapport de Saint-Just, 26 février 1794.) « Celui qui s’est montré l’ennemi de son pays n’y peut être propriétaire. Celui-là seul a des droits dans notre patrie, qui a contribué à l’affranchir, »
  48. Buchez et Roux, XXXI, 93 et 130. (Discours de Robespierre sur la propriété, et déclaration des droits adoptée par la société des Jacobins.) — Décret du 3 septembre 1793 (articles 13 et 14).
  49. Moniteur, XXII, 719, Rapport de Cambon, 6 frimaire an II.) A Bordeaux, Raba a été condamné à 1,200,000 francs d’amende, Péchotte à 500,000, Martin-Martin à 300,000. Cf. Rodolphe Reuss, Séligmann Alexandre, ou les Tribulations d’un Israélite de Strasbourg.
  50. Ibid., XVIII, 486. (Rapport de Cambon, 1er frimaire an II.) « Les égoïstes qui, il y a quelque temps, avaient peine à payer, même en assignats, les domaines nationaux qu’ils avaient acquis de la république, nous apportent aujourd’hui leur or. Des receveurs généraux des finances qui avaient enfoui leur or sont venus offrir, en paiement de ce qu’ils doivent à la nation, des lingots d’or et d’argent. Ils ont été refusés, l’Assemblée ayant décrété la confiscation de ces objets. »
  51. Décret des 7-11 mars 1794.
  52. Décret du 23 brumaire an II. — Sur les taxes et confiscations en province, voir par M. de Martel, Étude sur Fouché et Pièces authentiques servant à l’histoire de la révolution à Strasbourg. Et plus loin le détail de cette opération à Troyes. — Meillan, 90: « A Bordeaux, les commerçans étaient hautement taxés en raison non de leur incivisme, mais de leur opulence. »
  53. Moniteur, XVIII, 274, décrets du 4 brumaire, et Ibid., 305, décret du 9 brumaire an II, pour établir le partage égal des successions, avec effet rétroactif jusqu’au 14 juillet 1789. Les bâtards adultérins sont exceptés, et le rapporteur Cambacérès regrette cette exception fâcheuse.
  54. Fenet, Travaux du code civil. (Rapport de Cambacérès sur le premier projet du Code civil, 9 août 1793). Le rapporteur s’excuse de n’avoir pas ôté au père toute quotité disponible. « Le comité a cru qu’une telle obligation blesserait trop des habitudes sans aucun avantage pour la société, sans aucun profit pour la morale. D’ailleurs, nous nous sommes assurés que les propriétés seraient toujours divisées. » — Sur les donations entre-vifs. « Il répugne à l’idée de bienfaisance que l’on puisse donner à un riche. Il répugne à la nature que l’on puisse faire de pareils dons, lorsqu’on a sous les yeux l’image de la misère et du malheur. Ces considérations attendrissantes nous ont déterminés à arrêter un point fixe, une sorte de maximum qui ne permet pas de donner à ceux qui l’ont atteint. »
  55. Moniteur, XII, 730, 730 (22 juin 1792), discours de Lamarque, — Au reste, ce principe se retrouve partout. « L’égalité de fait (est) le dernier but de l’art social. » (Condorcet, Tableau des progrès de l’esprit humain, II, 59. — « Nous voulions, écrit Baudot, appliquer à la politique l’égalité que l’Évangile accorde aux chrétiens. » (Quinet, Révolution française, II, 407.)
  56. Buchez et Roux, XXXV, 296. (Paroles de Saint-Just). — Moniteur, XVIII, 505. Arrêté de la commune de Paris, 3 frimaire an II. « La richesse et la pauvreté doivent également disparaître du régime de l’égalité. »
  57. Ibid., XXXV, 296. (Institutions, par Saint-Just.) « Un homme n’est fait ni pour les métiers, ni pour l’hôpital, ni pour les hospices : tout cela est affreux. — Ibid., XXXI, 312, (Rapport de Saint-Just, 8 ventôse an II.) «Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux sur le territoire français!.. Le bonheur est une idée neuve en Europe. »
  58. Buchez et Roux, XXXV, 296. (Institutions par Saint-Just.)
  59. Moniteur, XX, 444. (Rapport de Barère, 22 floréal an II.) « La mendicité est incompatible avec le gouvernement populaire. »
  60. Ibid., XIX, 568. (Rapport de Saint-Just, 8 ventôse an II.)
  61. Ibid., XX, 448. (Rapport de Barère, 22 floréal.)
  62. Ibid., XIX, 568. (Rapport de Saint-Just, 8 ventôse, et décret du 13 ventôse.) « Le comité du salut public fera un rapport sur les moyens d’indemniser tous les malheureux avec les biens des ennemis de la révolution. »
  63. Ibid., XIX, 484. (Rapport de Barère, 21 ventôse an II.) — Ibid., XX, 445. (Rapport de Barère, 22 floréal an II.) — Décrets sur es secours publics, 28 juin 1793, 25 juillet 1793, 2 frimaire et 22 floréal an II. — Au reste, le principe était proclamé dans la constitution de 1793. « Les secours publics sont une dette sacrée; la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur présentant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. » — Archives nationales, AFII, 37, le caractère de cette mesure est exprimé très nettement dans la circulaire suivante du Comité du Salut public aux représentans en mission dans les départemens; ventôse an II. « Un grand coup était nécessaire pour terrasser l’aristocratie. La Convention nationale a frappé. L’indigence vertueuse devait rentrer dans la propriété que les crimes avaient usurpée sur elle. La Convention nationale a proclamé ses droits. Un état général de tous les détenus doit être envoyé au comité de sûreté générale chargé de prononcer sur leur sort. Le Comité de Salut public recevra le tableau des indigens de chaque commune pour régler l’indemnité qui leur est due. Ces deux opérations demandent la plus grande célérité et doivent marcher de front. Il faut que la terreur et la justice portent sur tous les points à la fois. La révolution est l’ouvrage du peuple, il est temps qu’il en jouisse. »
  64. Moniteur, XX, 449. (Rapport de Barère, 22 floréal an II.)
  65. Décret du 2-5 avril 1793.
  66. Moniteur, XVIII, 505. Arrêté de Fouché et Collot d’Herbois, daté de Lyon et communiqué à la commune de Paris, 3 frimaire an II. — De Martel, Étude sur Fouché 132. Arrêté de Fouché en mission dans la Nièvre, 19 septembre 1793 « Il sera établi dans chaque chef-lieu de district un comité de philanthropie qui est autorisé à lever sur les riches une taxe proportionnée au nombre des indigens. »
  67. Décret du 2-5 avril 1793. « Il sera formé dans chaque grande commune une garde de citoyens choisis parmi les moins fortunés. Ces citoyens seront armés et salariés aux frais de la république. »
  68. Moniteur, XX, 449. (Rapport de Barère, 22 floréal an II.)
  69. Moniteur, XIX, 689. (Rapport de Saint-Just, 23 ventôse an II.) « Nous vous parlâmes du bonheur; ce n’est point le bonheur de Persépolis que nous vous offrîmes; c’est celui de Sparte et d’Athènes dans leurs beaux jours, le bonheur de la vertu, celui de l’aisance et de la médiocrité, le bonheur qui naît de la jouissance du nécessaire sans superfluité, ou la volupté d’une cabane et d’un champ fertilisé par vos mains. Une charrue, une chaumière à l’abri du froid, une famille à l’abri de la lubricité d’un brigand, voilà le bonheur. »
  70. Buchez et Roux, XXXI, 402. (Constitution de 1793.)
  71. Ibid., XXIV, 310. (Institutions, par Saint-Just.)
  72. Buchez et Roux, XXVI, 93 et 131. Discours de Robespierre sur la propriété (24 avril 1793), et déclarations des droits adoptée par la société des jacobins. — Mallet-Dupan, Mémoires, I, 401. (Discours d’une députation du Gard.) « Les richesses réelles n’appartiennent en toute propriété à aucun membre distinct du corps social, non plus que les pernicieux métaux frappés aux coins monétaires. »
  73. Moniteur XVIII, 452. (Discours d’Hébert aux jacobins, 26 brumaire an II). Un Séjour en France de 1792 à 1795, 218. (Amiens, 4 octobre 1794.) « Comme j’attendais ce matin à la porte d’une boutique, j’écoutais un mendiant qui marchandait une tranche de citrouille. Ne pouvant s’accorder sur le prix avec la revendeuse, il lui dit qu’elle était « gangrenée d’aristocratie. — Je vous en défie, » répondit-elle. Mais tout en parlant, elle devint pâle et ajouta : « Mon civisme est à toute épreuve… Mais prends donc ta citrouille. — Ah ! te voilà bonne républicaine ! » dit le mendiant. »
  74. Moniteur, XVIII, 320. (Séance du 4 brumaire an II. Rapport de Barère) — Meillan, 17 (déjà avant le 31 mai) : « La tribune ne retentissait que du reproche d’accaparement, et tout homme était accapareur qui n’était pas réduit à vivre de sa journée ou d’aumône. »
  75. Décrets du 11 et du 29 septembre 1793, décrets du 26 juillet 1793, du 11 brumaire et du 6 ventôse an II.
  76. Moniteur, XVIII, 359. « Du 16 brumaire an II, condamnation à mort de Pierre Goudier, âge de trente-six ans, agent de change, demeurant à Paris, rue Bellefond, convaincu d’avoir accaparé et caché chez lui une grande quantité de pain, afin de faire naître la disette au sein de l’abondance. »
  77. Buchez et Roux, XXXV, 212. (Institutions, par Saint-Just.)
  78. Buchez et Roux, XXXI, 273. (Rapport de Robespierre, 16 pluviôse an II.)
  79. Moniteur XIX, 653. (Rapport de Barère, 21 ventôse an II.) « Vous devez dans toutes vos institutions apercevoir et combattre le fédéralisme comme votre ennemi naturel... Un grand établissement central pour tous les travaux de la république est un moyen efficace contre le fédéralisme. » — Buchez et Roux, XXXI, 351 et XXXII, 316. (Rapport de Saint-Just, 23 ventôse et 26 germinal an II.) « L’immoralité est un fédéralisme dans l’état civil... Le fédéralisme civil, en isolant toutes les parties de l’État, a tari l’abondance. »
  80. Décret du 26-29 germinal an II. « Les compagnies financières sont et demeurent supprimées. Il est défendu à tous banquiers, négocians et autres personnes quelconques de former aucun établissement de ce genre sous aucun prétexte et sous quelque dénomination que ce soit. »
  81. Mémoires de Carnot, par son fils, I, 278. (Rapport de Carnot.) « Ce n’est pas là vivre en famille. — S’il y a des privilèges locaux, il y en aura bientôt d’individuels, et l’aristocratie des lieux entraînera l’aristocratie des habitans. »
  82. Moniteur, XIX, 683. (Rapport de Barère, 21 ventôse an II.) Ce rapport est à lire tout entier, si l’on veut bien comprendre l’esprit communiste et centralisateur des jacobins.
  83. Fenet, Travaux du code civil, 105. (Rapport de Cambacérès, 9 août 1793 et 9 septembre 1794.) — Décrets du 20 septembre 1793 et du 4 floréal an II (sur le divorce.) — Cf. les Institutions de Saint-Just. (Buchez et Roux, XXXV, 302.) « L’homme et la femme qui s’aiment sont époux ; s’ils n’ont point d’enfans, ils peuvent tenir leur engagemens secret. »
  84. Buchez et Roux, XXXII, 364. (Rapport de Robespierre, 18 floréal an II.)
  85. Ibid., 385. Discours d’une députation de jacobins à la convention, 27 floréal an II.
  86. Buchez et Roux, XXXI, 415. (Rapport de Fabre d’Églantine, octobre 1793.) — (Grégoire, Mémoires, I, 341). « Le calendrier nouveau fut inventé par Romme pour détruire le dimanche; c’était son but, il me l’a avoué. »
  87. Ibid., XXXII, 274. (Rapport de Robespierre, 18 floréal an II.) «Les fêtes nationales sont une partie essentielle de l’éducation publique.. Un système de fêtes nationales est le plus puissant moyen de régénération. »
  88. Ibid., XXVIII, 345. Le cœur de Marat, placé sur un autel au club des cordeliers, fut l’objet d’un culte. — (Grégoire, Mémoires, I, 341.) « Dans quelques écoles, on faisait faire le signe de la croix au nom de Marat, Lazowski, etc.
  89. De Martel, Étude sur Fouché, 137. fête de l’inauguration du buste de Brutus à Nevers. — Ibid., 222. Fête civique à Nevers pour honorer la valeur et les mœurs. — Dauban, Paris en 1704. Programme de la fête de l’Etre suprême à Sceaux.
  90. Mot de Rabaut Saint-Étienne.
  91. Buchez et Roux, XXXII, 373. (Rapport de Robespierre, 18 floréal an II.) — Danton avait émis exactement la même opinion, appuyée des mêmes argumens, dans la séance du 22 frimaire an II. (Moniteur, XVII, 654.) « Les enfans appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parens. Qui me répondra que ces enfans, travaillés par l’égoïsme des pères, ne deviendront pas dangereux pour la république? Et que doit nous importer la raison d’un individu devant la raison nationale?.. Qui de nous ignore les dangers que peut produire cet isolement perpétuel? C’est dans les écoles nationales que l’enfant doit sucer le lait républicain... La république est une et indivisible. L’instruction publique doit aussi se rapporter à ce centre d’unité. »
  92. Décret du 30 vendémiaire et du 7 brumaire an II. — Cf. Sauzay, VI, 252, sur l’application de ces décrets en province.
  93. Albert Duruy, l’Instruction publique et la Révolution, 164 à 172 (extraits de divers alphabets et catéchismes républicains). — Décret du 29 frimaire an II, section I, art. 1, 83, section II, art. 2, section III. art. 6 et 9.
  94. Moniteur, XVIII, 653. (Séance du 22 frimaire, discours de Bouquier, rapporteur.)
  95. Moniteur, XVIII, 351-359. (Séance du 15 brumaire an II, rapport de Chénier.) « Vous avez fait des lois ; faites des mœurs… Vous pouvez appliquer à l’instruction publique et à la nation entière la marche que J.-J. Rousseau a suivie pour Emile. »
  96. Parole de Bouquier, rapporteur. (Séance du 22 frimaire an II.)
  97. Buchez et Roux, XXIV, 57. Plan de Lepelletier Saint-Fargeau, lu par Robespierre à la Convention, le 13 juillet 1793. — Ibid., 35, projet de décret par le même.
  98. Ibid., XXXV, 229. (Institutions, par Saint-Just.)
  99. Buchez et Roux, XXXI, 261. (Séance du 17 nivôse.) Le comité présente la rédaction définitive des décrets sur l’instruction publique, et la Convention adopte l’article suivant : « Les jeune gens qui, au sortir des écoles du premier degré d’instruction, ne s’occupent pas du travail de la terre, seront tenus d’apprendre une science, art ou métier utile à la société. Sinon arrivés à l’âge de vingt ans, ils seront pour dix ans privés des droits de citoyen, et la même peine sera appliquée à leur père mère, tuteur ou curateur. »
  100. Décret du 13 prairial an II.
  101. Langlois, Souvenirs de l’Ecole de Mars.
  102. Buchez et Roux, XXXII, 355. (Rapport de Robespierre, 18 floréal an II.)
  103. Moniteur, XVIII, 326. (Séance de la Commune, 11 brumaire an II.) Le commissaire annonce qu’à Fontainebleau et autres lieux, « il a fait établir le régime d’égalité dans les prisons et maisons d’arrêt, où le riche et le pauvre sa partagent les mêmes alimens. » — Ibid., 210. (Séance des jacobins, 29 vendémiaire an II, discours de Laplanche sur sa mission dans le Gers.) « Des prêtres avaient toutes leurs commodités dans les maisons de réclusion; les sans-culottes couchaient sur la paille dans les prisons. Les premiers m’ont fourni des matelas pour les derniers. » — Moniteur, XVIII, 445. (Séance de la Convention, 26 brumaire an II.) « La Convention décrète que la nourriture des personnes détenues dans les maisons d’arrêt sera frugale et la même pour tous, le riche payant pour le pauvre. »
  104. Archives nationales. (AFII, 37, arrêté de Lequinio, Saintes, 1er nivôse an II.) « Dans toutes les communes, tous les citoyens sont invités à célébrer le jour de la décade par un banquet fraternel qui, servi sans luxe et sans apprêts,.. fasse oublier à l’homme de peine les fatigues et à l’indigent la misère qu’il éprouve, qui porte dans l’âme du pauvre et du malheureux le sentiment de l’égalité sociale et l’élève à toute la hauteur de sa dignité, qui étouffe dans le riche jusqu’au plus léger sentiment d’orgueil, et jusqu’au germe de hauteur et d’aristocratie dans le fonctionnaire public. »
  105. Archives nationales, AFII, II, 4e. (Arrêté du 25 floréal an II.) « Le Comité de salut public invite David, représentant du peuple, à lui présenter ses vues et ses projets sur les moyens d’améliorer le costume national actuel, et de l’approprier aux mœurs républicaines et au caractère de la révolution. » — Ibid. (Arrêté du 5 prairial an II,) peur faire graver et colorier à 20,000 exemplaires le modèle de costume civil, et à 6,000 exemplaires les trois modèles de costumes militaire, judiciaire et législatif.
  106. Buchez et Roux, XXXI, 271. (Rapport de Robespierre, 17 pluviôse an II. « Ce sentiment sublime suppose la préférence de l’intérêt public à tous les intérêts particuliers ; d’où il résulte que l’amour de la patrie suppose encore ou produit toutes les vertus. » « Comme l’essence de la République ou de la démocratie est l’égalité, il s’ensuit que l’amour de la patrie embrasse nécessairement l’amour de l’égalité. » « L’âme de la république est la vertu, l’égalité. »