Le Procès des Fleurs du mal/Jugement

Collectif
Texte établi par Gaston Lèbre, avocat à la cour de Paris, A. Chevalier-Marescq (p. 387).

Le Tribunal rendait son jugement en ces termes :

En ce qui touche le délit d’offense à la morale religieuse, attendu que la prévention n’est pas établie, renvoie les prévenus des fins des poursuites ;

En ce qui touche la prévention d’offense à la morale publique et aux bonnes mœurs :

Attendu que l’erreur du poète dans le but qu’il voulait atteindre et dans la route qu’il a suivie, quelque effort de style qu’il ait pu faire, quel que soit le blâme qui précède ou qui suit ses peintures, ne saurait détruire l’effet funeste des tableaux qu’il présente au lecteur, et qui, dans les pièces incriminées, conduisent nécessairement à l’excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur ;

Attendu que Baudelaire, Poulet-Malassis et de Broise ont commis le délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ;

Savoir : Baudelaire en publiant, Poulet-Malassis et de Broise, en publiant, vendant et mettant en vente à Paris et à Alençon l’ouvrage intitulé : Les Fleurs du Mal, lequel contient des passages ou expressions obscènes ou immorales.

Que lesdits passages sont contenus dans les pièces portant les numéros 20, 30, 39, 80, 81 et 87 du recueil ;

Vu l’article 8 de la loi du 17 mai 1819, l’article 26 de la loi du 26 mai 1819 ;

Vu également l’article 463 du Code pénal ;

Condamne Baudelaire à 300 francs d’amende ; Poulet-Malassis et de Broise chacun à 100 francs d’amende ;

Ordonne la suppression des pièces portant les numéros 20, 30, 39, 80, 81 et 87 du recueil[1] ;

Condamne les prévenus solidairement aux frais.



  1. XX, Les bijoux : La très chère était nue… ; XXX, Le léthé : Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde… ; XXXIX, À celle qui est trop gaie : Ta tête, ton geste, ton air Sont beaux comme un beau paysage… ; LXXX, Lesbos : Mère des jeux latins et des voluptés grecques… ; LXXXI, Femmes damnées : À la pale clarté des lampes languissantes… ; LXXXVII, Les métamorphoses du vampire : La femme cependant de sa bouche de fraise…