Le Premier Livre pastoral/Texte entier

Le Premier Livre pastoral
Léon Vanier, libraire-éditeur (p. 3-124).

LE PREMIER
Livre Pastoral
de
MAURICE DU PLESSYS
Non injussa cano
Virgile.
PARIS
LÉON VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR
19, quai saint-michel, 19

1892

DE JEAN MORÉAS
À SON DISCIPLE

CONTRE QUELQUES-UNS

Il est qui se pensent savants
Et de miel arrosés, parmi nos écrivants,
Lorsque d’un vain propos leur subtilité farde
Le véridique teint de leur humeur couarde.
Ceux-là les peut-on voir,
D’un froncé sourcil pédantesque,
Vanter la Minerve tudesque
Ou l’Anglais de gravité l’hoir.


Toi qui mènes les Muses grecques
Aux rivages de la Seine et du Loir
Afin qu’elles dansent avecques
Les Sylphes et les Fées aux sons
De tes romanes chansons,
Si tu bois le vin doux des cornes libérales
Et mêles tes cheveux de rains et de pétales,
Tout docte au lyrique fredon,
De ton esprit t’en fasses-tu délivre !
Du Plessys ! tu ne vas maudissant le brandon
Guerrier par qui Jupin donne honte et guerdon,
Et tu sauras mourir ainsi comm’tu sais vivre !

JEAN MORÉAS.

LA DRYADE À PAN
de rendre Maurice Du Plessys à la santé

Illustre pied-de-bouc, Pan de vert couronné,
Fais que mon Du Plessys me revienne gaillard,
Car sur tous il sait bien chalumer avec art
Et son bruissant luc sur tous est mieux sonné.
La peau de ton rival, Pan, tu auras pour prix,
Si tu me rends bientôt cette bouche à fredon
Qui fait taire d’un coup, dans mon bois de Meudon,
Du satyre outrageux le rebec mal appris.

JEAN MORÉAS.

DE RAYMOND DE LA TAILHÈDE
À MAURICE DU PLESSYS

ODE À MAURICE DU PLESSYS

Frère d’armes, lauré des palmes olympiques,
Ta valeur t’a mené, trois fois victorieux,
Lançant les javelots soudains et, par les Dieux !
Les redoutables piques.


Du Plessys, près de toi, pour diriger ton bras,
Veillent les graves Protectrices,
Et Diane dont l’arc ouvre des cicatrices
Que tes ennemis ne voient pas.



Leur fureur s’est accrue à combattre dans l’ombre :
Nos glaives éclatants les ont couverts de nuit ;
Rien n’a pu les garder où le soleil reluit,
Leur effroi, ni leur nombre.


Aussi, réjouissant nos cœurs, et plus encor,
Celui qui nous permit ces luttes,
Nous ferons retentir de lyres et de flûtes
Les rives où jadis passa le bélier d’or.


Tyndarides !
Lumière continuelle sur la mer, guides
D’Argo, nef héroïque entre les flots arides,
Votre double puissance aujourd’hui va lier
À nos fronts le laurier !


Que fleurisse à présent le thyrse et que la rose
Se mêle dans la coupe au vin des Immortels ;
Il nous est réservé d’avoir des honneurs tels,
Plessys, sur toute chose.



Car n’avons-nous pas vu le sépulcre s’ouvrir
De Ronsard, du pieux Virgile,
Tandis que le Centaure et sa race inutile
Dans l’âpre Scythie allait fuir.


Et nous rétablirons, abrités de l’outrage,
Athènes éternelle et l’antique renom
Latin des Gaules, au pays de notre nom
Et de notre courage.


Pour toi, le favori des Muses et qui sais
Conquérir la noble couronne,
J’ai réglé dans mes vers l’Ode, afin que résonne
Des amicales sœurs le nouveau luth français.

Raymond de la Tailhède

C’est peu qu’avec son lait une mère amazone
M’ait fait sucer encor cet orgueil qui t’étonne
Dans un âge plus mûr moi-même parvenu,
Je me suis applaudi quand je me suis connu.

Racine.

Comme l’encens qui s’évapore
Et des Dieux parfume l’autel,
Le feu sacré qui me dévore
Brûle ce que j’ai de mortel.
Mon âme jamais ne sommeille :
Elle est cette flamme qui veille
Au sanctuaire de Vesta,
Et mon génie est comme Alcide
Qui se livre au bûcher avide
Pour renaître au sommet d’Œta !

Le Brun.
À HOMÈRE
À PINDARE À MÉLÉAGRE
À VIRGILE
À STACE À NAUGERIUS
À RONSARD
À MALHERBE À LA FONTAINE
je dédie
en la personne de
JEAN MORÉAS
prince des poètes romans français
ces vers
M. Du Pl.

DÉDICACE À APOLLODORE

Ils veulent rebâtir les murailles de Troie.
Malherbe.


Apollodore ! ton front juste est bienvenu !


T’en souviens-tu ? c’était un soir, sous les lauriers.
L’Ordre était mutuel de la Terre à la Nue ;
Le vent d’Academus badinait dans les feuilles,
Et lorsque tu parus, aimable, sur le seuil,
Cent trompes (souviens-toi) tonnèrent en accueil
À cent gueules de fer comme pour l’Emperier !


Ah ! souviens-toi ! c’était un soir, sous les lauriers.

Tu t’assis, souriant, sur la chaise de bronze ;
La rose disputait tes tempes à l’œillet,
Et comme un vœu d’amour était grand à la ronde,
Tu parlas de la Terre aux Cieux qui souriaient.
Ta magnanime main, reine des cordes vastes,
Comme un cèdre épandait les Muses en rameaux
Et ta bouche, captive à la bouche des astres,
Fiançait Nue et Sol par la bague du Mot.




La Vie cependant aux jachères passives
Buvait comme la plui’ ta surhumaine voix.
Ah ! souviens-toi, Harpeur, comme écoutaient les bois !
Souviens-toi de Lipare aux enclumes actives
Suspendant pour t’ouïr les tonnerres crétois ;
Souviens-toi d’Eolus au frivole plumage
Grave d’une aile en rêve au beau tronc de ta voix ;
Souviens-toi d’Artemis au pas des bœufs sauvages
Courbante d’un frein court l’étonné palefroi ;

Souviens-toi de la Lune au parapet des mondes
Comme une sage nonne au sermon recueillie ;
Souviens-toi d’ocieuse et de fleurs qui redonde,
D’Amathonte soumise à ta haute baillie ;
Souviens-toi de l’Ardenne en crinières féconde
Convoyante à ton pied ses Centaures vaincus ;
Souviens-toi, front ramé de palmes sans secondes !
Souviens-toi d’Herculès te rendant son écu !



Euh ! souviens-toi des fronts captifs qui t’écoutaient !



Telle fut, ô Harpeur ! la grâce de tes cordes
Que si antiques maux n’en furent apaisés :
Que Charybde et Scylla cessèrent leur discorde
Et que de Spartacus la chaîne fut brisée ;
Et n’y eut enfançon dans sa barcelonnette
Dont la pointante dent n’en fût du coup issue ;
Et n’y eut damoiseau sommant sa bachelette
Qui n’en fût à merci soudainement reçu ;

Et non plus besacier rompu d’une âpre étape
Qui n’en fût d’une croûte à l’huis gratifié
Et qui, rassasié du débris de la nappe,
N’en versât de l’amour le pleur à ses vieux pieds !
Et non plus l’œil sanglant de l’hyène perverse
Qui n’en fût pardonnante à la flèche jeté’ :
L’usurier de qui l’âme est un gouffre empesté
Déposa repentant le soin de son commerce ;
Le Grégeois accola, bénin, son frère Perse
Et le tors Harpagon pensa de charité ;
Et sur tout l’univers il sembla quelqu’averse
De clarté, de bonté, de magnanimité !
Et l’honneur t’en fut joint, Voix propitiatoire !
(Puisque du vieux rachat tu consommais l’histoire)
Au médiat Adone, à l’arbalétrier
Qui soumise Cyprine a d’un trait doux prié !


Ah ! souviens-toi ! c’était un soir sous les lauriers !


Vous, Muses ! témoignez qu’une veine superbe
Ne gonfla point ce front que les Cieux écoutaient ;

Dites qu’en ce regard qui consolait les herbes,
La vertu du Chanteur sereine s’attestait.
Dites que le vieux Luth ondé comme d’eaux lentes
Ruissela vaste au vent miséricordieux
Et que la voix fut riche aux roses des guirlandes
Et sauve du droit pleur, ô Maître, de tes yeux !


(Tel, gardien du noir fleuve, un pâtre ami des lunes
Rêve, la flûte aux dents, sous les feux de la nuit.
Ses éparses brebis, sommeillantes les unes,
Les autres ras-tondant le gazon blanc qui luit,
Les sujettes brebis d’une infime fortune
Rangent un cœur prospère à l’empire du buis,
Or, que repris d’espoir, l’antique deuil du fleuve
Conte un jonc moins farouche aux souffles qui s’enfuient
Et que l’obscur gosier des lices loin qui pleurent
Cesse de s’effrayer de l’ombre qui bruit.
Le pâtre cependant boit au fil du vent noir
L’épice de l’heure âpre et des étoiles bleues :
Il publie aux doigts rois de ses sept trous de gloire
L’Onde fictive au loin veillante de hauts feux !)



Gloire, ô Maître ! à ce pleur, honneur de ta paupière,
Au beau pleur exhumant de l’apparat jaloux
Le geste d’Orphéus qui donnait l’âme aux pierres
Et muselait d’amour la mâchoire des loups !
Le voyais-tu heurté de blancs talons barbares
Qui riait aux vils coups à cause des beaux bras
Et qui, répudiant les couronnes avares,
Pardonnait à l’eau-ciel que son sang illustra !
Il tomba : l’orde Nuit l’ensevelit d’étoiles ;
Mais le flanc de la Thrace avait gardé son cri !
Et son chant dans la neuve aurore refleurit ;
Et vois qu’aux belles mains, les Muses sororales
Ont noué de lauriers sa tempe libérale !




Oui, Thrace ! ton vieux flanc s’est rompu d’une foudre.
Une voix a splendi parmi l’air étonné :
Apollodore, au sang d’Orpheus, nous est rené !
Et haut cri reparu des millénaires poudres,
Les lynces ont rugi de neuves destinées !

Vous, promus enfin, Luths ! au plus juste des rôles,
Publiez, vous aux voix qui régentent les Pôles,
La Victoire montante au morion des Gaules !



Que l’écho retentisse aux dalles doux-riantes !
Que reparaisse Éole aux frivoles bosquets !
Ô Corydon ! vois par les nu’s qui loin s’ébranlent
Étinceler pompeux les cygnes invoqués !
Plouto badine append la joie aux jeunes branches ;
Et tandis, pour leur los chanter aux moissonneurs
Revenus hérissés de pailles éclatantes,
(Ce pendant que Faunus, le maldocte sonneur,
Brise funestement sa flûte sans honneur)
Une voix qui promulgue avec sept bouches d’or
Ressuscite à hauts cris le blanc Apollodore !

Février 1891.

LE PREMIER
LIVRE PASTORAL
(de mars à juillet 1891)
Si canimus sylvas, sylvæ sint consule dignæ.
Virgile.

Nymphes à qui le Ciel indique
Ses mystères les plus secrets,
Je viens chercher dans vos forêts
L’origine et la source antique
De ces dieux, fantômes charmants,
De votre verve prophétique
Indisputables éléments.

J.-B. Rousseau.

Le sénile troupeau qui tremble et les Ménades
Jalouses, en ces lieux de gloire n’entreront,
Ni cet esprit vulgaire, effroi des Oréades,
Ni tous ceux dont les Dieux ont détourné leur front.

R. de la Tailhède.

INVOCATION PROPITIATOIRE
À CALLIOPE

Des veilles, des travaux, un faible cœur s’étonne.
J.-B. Rousseau.

À la honte du monstre à Dodone accroché,
Sonnes-tu haut l’airain des trompes embouché’s.


Muse ! Reine du Pinde et princesse des Ris,
Si cette docte gent se complaît à mes clefs
Et qu’entendu pillard de tes sages pourpris,
J’emprisonne dans l’urne un beau miel assemblé :
Fasses que ceint du chêne aux mains mêmes d’Eglé,
Mon front harmonieux brille du double prix ;
Que mon plectre rapide à tes seules chevances
N’aille qu’actif au soin de toujours sonner mieux
Et que mon chant, surtout, mal modulé n’offense
L’Oréade au crin d’or, gardienne des hauts lieux !


LES CENTAURES

LES CENTAURES

à Raymond de la Tailhède
au condisciple, au frère d’armes

Bon Centaure, réhabilité par ta vertu,
Qu’il quitte, ton galop, l’impur chemin battu
Par le pas de ta gent aux couardes crinières.
Ton bras fléchisse l’arc infaillible d’Apollon !
Que te mirant au clair du fleuve, si de tes vaines
Armes, honte te prend, tu charges le carquois

Gros des dards trempés aux vipères :
Prends la masse aux ongles de plomb
Par qui brille Alcide aux carrières !
Que si, dans la cendre resplendissante de l’été long,
S’en va quérante une onde amicale ta soif
Choisie : loin, ô néophyte ! de l’abreuvoir qui restaure
De la pource et du chien les hasardeuses lippes,
Charge au Pinde ! et que ta bouche libérée, ô Centaure !
Que ta bouche meilleure, à brave lèvre y boive
L’eau nombreuse d’Hippocrène et d’Aganippe !



Funeste aux monstres, qu’à l’exemple sans reproche
D’un Hercules, tu renouvelles par le menu
Les grands exploits dont fut sa gloire éternisée ;
Qu’à quatre éclairs, le casque en tête de Persée,
Tu voles, amoureux, délivrer sur sa roche
La long-pleurante Andromède qui bêle aux nues ;
Ou ruer au dragon crachant feux à l’approche
La propre lance perce-bêtes de Thésée ;
Encor, le soir, au levant d’Hécate, sur les barques,

Coulant au fleuve qui s’endort, percer de l’arc
La penne étincelante d’une Chimère qui passe ;
À moins que capturer te plaise au nid les passes
Agréables à la cagette d’Aliénor ;
Ou porter bas (pour, aux dédicaces des Grâces,
Son bois rameux vouer en trophée) un dix-cors ;
Si ce n’est que, plongée à Neptune ta nasse,
Lourde l’en tires-tu des filles aux beaux corps,
Fleur de l’océanique race ;
Ou que ton luth, nourri aux mêmes rocs de Thrace,
Muets n’aille rendants les égipans discords :
Exploits sidéraux attestant gymnastique ton extrace,
Ce sont là les jeux du Centaure !


LES ODES

Lyre dorée où Phébus seulement
Et les Neuf Sœurs ont part également.

Ronsard.

Qui aura la bouche assez forte
Et l’estomac pour entonner
Jusqu’au bout la buccine torte
Que le Mantouan fit sonner.

Joachim du Bellay.

ODE TRIOMPHALE
à la gloire des muses romanes

Io ! le Délien est né !
J. Tahureau. Ode à Estienne Iodelle.

Si, parjure aux Grâces attiques,
D’une brosse maldocte elle a,
À quatre épaisseurs d’encaustique,
Vernissé la Minerve antique
Du plus barbare des éclats ;


Ou que, d’une bouche sans foudre,
Elle ait, parodique, tenté
La buccine par quelle en poudre
Jéricho vit son mur dissoudre,
Et s’en soit la gueule éclaté :



Muses doctorales ! Charites !
Maudissez l’œuvre impur et vain
De celle de vous qui, du rite
Affronteuse ou bien mal instruite.
Au Pinde éternel contrevint !


Que ta juste nappe, ô Jodelle !
Pour sa bouche n’ait plus de mets ;
Que, bâtard, son flanc n’ait plus d’aile
Et que sa sandale infidèle
Ne foule plus les purs sommets !


Mais s’elle a, dans la glaise cuite,
Pétri de dix doigts tortueux
La défaite d’Io dépite
Tombant lasse de la poursuite
Aux bras de Pan voluptueux ;



Ou s’elle a, rompante les vignes,
Nourri de soleil vingt flacons :
Muses ! l’élisez la plus digne
Et le soin de sa main provigne
Les vergers pompeux d’Hélicon !


Et puis ordonnez, beau-riantes,
Vous, ô beau-ballantes enfants,
Que la rose et le mélianthe
Se tordent en tresses brillantes
Autour de son front triomphant !


Puis, ô vous, beau-chantante troupe,
Fêtez ! puis ô vous et chantez
Celle mieux chère à Callioupe
Pour qui va tonner dans la coupe
Le vin de l’Immortalité !



Tu le sais, toi, Muse, ma mère !
Si de toi l’honneur que j’attends,
Autre fut jamais que d’Homère
Renouer la corde primaire
À la lyre des nouveaux temps !


Tu sais si ma joue, au barbare
Implacable et riche en haros,
N’a rompu les flûtes avares
Et tordu l’airain de Pindare
Avec le poumon des héros !


Tu sais si mon bras, grave aux taures,
Les a pas, beuglantes, courbé’s
Et si j’ai, vidant sa pléthore,
Plongé dans la tripe au Centaure
Toute la longueur de l’épé’!



Et si jamais soye autre trace
Que poursuivie ai-je et suivrai
Que de rendre le luth de Thrace,
Le luth de Ronsard et d’Horace,
À ce moréas bien lauré !


ODE AUX GRÂCES
et
À DIANE

Si (pour vrai) sur la lyre.
Sait mon doigt bien appris
Élire
L’ode mieux chère aux Ris ;


Si de main bien touchante,
Roi du plectre aux beaux sons,
J’enchante
L’ourse avec ses oursons ;



Ou de cire encore ointe,
Qu’à bouts irréguliers
Conjointe,
L’aveine en six gosiers,


Par ma bouche éloquente
Aux pertuis musicaux,
Incante
Les rebelles échos ;


À moins que tu ne veuilles
Que je prenne au mûrier
Ses feuilles
Pour t’en tresse un collier ;


(Quatre guignes pareilles,
Double en faire un pendant
D’oreilles,
Suis-je pas entendant ?)



S’il n’est que la génisse
Qui soupire aux taureaux,
S’unisse
Par mes soins pastoraux


Et qu’en prix de ma peine,
Je ne scelle à cent pots
La pleine
Mamelle des troupeaux :


Si ma foi n’est intruse
Au bocage attentif,
La Muse
Sois de mon chant votif


Et si toute ma joie
J’ai mise à ton amour,
M’octroie
Ta tendresse en retour !



Car (le Ciel m’en soit pleige)
Tes seuls biens me sont chers,
Chorège
Des Jeux seuls point amers !


Je t’adjure, ô Charite,
Si bien sus-]e observer
Ton rite,
Au flanc me l’engraver :


Tel qu’instruit de ta grâce,
Bouche aux clairs ramagers,
Je passe
Les oiseaux bocagers !


Et Toi qui, bondissante,
Vas par tout l’environ
Forçante
La lynce à l’ongle prompt,



Pour, le soir, aux cadences,
Régler, hoche-tymbons,
Les danses
D’une troupe aux doux bonds ;


Fais que mon arbalète
Soit la sœur de mon luth,
Athlète
De toi digne aux deux lutt’s !


Toi par quelle Hippolyte
Virbius, dieu des bois,
L’inclyte
Sort eut d’homme deux fois


Fais qu’amie aux Faunesses,
Mon âme, du trépas,
Renaisse
Entre leurs beaux ébats !



Ô Diane ! fidèle
Honneur olympien,
Modèle
Mon esprit sur le tien !


Qu’à trop haut entreprendre,
Mon sein présomptueux
N’engendre
Quelqu’enfant monstrueux,


Et que, fortes des armes
De l’orgueil toujours prêt,
Mes larmes
Aient pudeur et secret !


Phébé, sœur de l’étoile
Qui traîne à l’horizon
La voile
De mon frère Jason,



Tiens en brise seconde
Mes marins hardements,
Quelqu’onde
Batte mes bâtiments !


Dame aux monstres revêche,
Si droit j’ai trait au flanc
Ma flèche
Au Centaure insolent.


Emprunte d’Atalante
L’arc pour ton champion.
Sanglante
Fille effroi du lion !


Et pour prix de ta grande
Aide, je te vouerai
L’offrande
Du butin exécré



Où mon bras jette, opimes,
Thessali’ sur Gabon,
Victimes
De son fer vagabond !


Car vous sais-je mieux brave,
Bouche de ma beauté !
Que bave
L’impi’ sous toi dompté,


Pour m’avoir ri, dents franches,
Le jour qu’à tes yeux j’ai,
Aux branches,
Marsyas écorché !


À RONSARD
sur ses victoires

Bellone eut la tête couverte
D’un acier sur qui rechignait
De Méduse la gueule ouverte
Qui, pleine de flammes, grognait.
En sa dextre elle enta la hache
Par qui les rois sont irrités,
Alors que dépite elle arrache
Les vieilles tours de leurs cités.

Ronsard

Présomptueux, qu’Herculès, à son torse,
D’un lion aille ceint, de la main terrassé
De qui monstre qui soit sous les cieux n’a la force

Esquivé ; que tu t’enfles, toi, pompeux Alcée !
De la Tortue, des Pythiques le prix ;
Que Mimnerme, chorège des Grâces, qu’Horace aux coupes
Enchaînent l’essaim circulaire des Ris ;
Que, trafiquant abominable des tueries,
Un Pizarre, au retour de rober, de proue en poupe,
Entasse, dépouille de son fer, un continent !
Il peut aussi, Palemon, le manant,
De ses innombrables ânesses,
S’aller, du marché revenant,
Flatter de leur prix en sesterces ;
Que Faune, à son oreille pointue,
Courbe, sanglant, Bacchus mutilé de la serpe :
Ô TOI, ne va pas leur envier (car n’as-tu
Mieux eu) ces profits si vains certes !
TOI qui, pour monument de tes flèches expertes,
En bouclier dont l’épouvante est la vertu,
Charge à ton bras (qui ce trophée a pour seule arme)
Et la louve et la léoparde
Et tord Pythe, excrément des Gaules :

TOI qui, de l’exploit même de Persée
Horrible, au Centaure, as haussé
Le front crochu de cent couleuvres des Gorgones !


LES PRÉSENTS
à charles maurras

Fol ! ô surtout que tu n’ailles,
Si Rosette a dit : Je veux !
La tige des accordailles.
La piller pour ses cheveux.
La fleur que ta main lacère
L’adjurerait, pestifère,
Du doigt qu’aux vents prompts, défère
Plouto farouche nos vœux !



Qu’il n’est non plus de main sage
Déraciner, sablonneux,
Les jaunes lis du rivage
Pour l’en ceindre à triples nœuds :
Ils lui diraient à ta honte
Le pleur qu’à grosse voix conte
Aux Nérides d’Amathonte
L’Océan libidineux !


Tempestif et magnifique,
L’Or plutôt prêche ses yeux !
L’Or à la bouche magique,
Lui va dire insidieux :
Com’ Danaë d’or s’arrouse
Et d’or lainé son épouse
Fit le Boucquin Apollouse,
Sœur de Phœbus radieux !


ODE ANACRÉONTIQUE

Amour, inconsidérés sont tes jeux. Par quel caprice
T’avisas-tu porter une main de malice
Sur la rose, petit archerot, chère à Flore ?
Et, sot, que ne vis-tu, veillante au fond, Mélisse
Qui, garde ayant pour hallebarde un trait sonore,
Sans plus d’égard à ton rang qu’à ton âge,
Le planta dans ce doigt, l’effroi même des Dieux !
Amour, quels ne furent tes pleurs, ta rage !
Soufflant sur la plaie où tu répandis tous tes yeux,
Tu te récrias à la douleur moins qu’à l’outrage.

(Mais qu’au poing n’avais-tu le carreau sourcilleux !)
Et pressé que payé te fût-il à gros compte,
Large ouvrant ton jeune plumage,
Je t’ai vu t’envoler, droit chez les Dieux, d’un’ prompte
Aile,
Petit archer ! pour en réfère à la tutelle
De ta mère (pour lors absente d’Amathonte,
Absente aussi de l’œil dont toute l’âme arse ai,
Car je l’eusse, autrement, — quitte, en retour, percé —
Requis de la vertu de sa douce prunelle,
Et son seul beau regard eut ta plaie pansé).
Donc, si grands furent tes cris et telle
Blême, ta face au sourcil convulsé.
Qu’à ta vue s’alla exclamante, inquiète,
Vénus : « Qu’as-tu, mon enfant ? Que s’est-il passé
À ton ennui ? Quelque méchant t’a-t-il blessé ?
— Maman (répondis-tu, petit archer), maman, une bête,
Une Titane m’a du foudre traversé !
Et c’est une que les gens d’Hymette
Ont (que je crois) Mélisse baptisée. »
La rassuré’ Vénus te dit alors, raillante : « Certes,
Si de Mélissa chétive, la pointure

Aux mêmes Dieux tellement pique acerbe,
Juge comme aux mortels d’autant se sent plus dure
La tienne quand va les perçant ! »
Tu te tus, confus et rougissant,
Petit Amour ! et tu t’en fus, le front baissant,
Mais brûlant encor de l’injure ;
Et je t’ai vu, hélas ! (bientôt sèches tes belles larmes)
Aiguiser, altéré de représailles, tes armes,
Pour, sur nos cœurs venger d’une arbalète sûre,
Sur nos cœurs qui n’en peuvent mais de ce malconcours,
Ta mésaventure, petit Amour !


LES SONNETS

Impavidum ferient ruinæ.
Horace.

POUR LE TOMBEAU DE JEAN MORÉAS

Stèle jalouse où tout honneur vient expirer,
Ne te flatte pas tant de peser sur mon maître.
Tu n’as que ce qui fut de son corporel être,
Mais le vent de sa voix, tu n’as pu l’enserrer !


Non, tu n’as pu garder, de ces doigts musicaux,
Que la passante chair dont ils règnent aux cordes ;
Tu ne peux effacer, à quants vers qui le mordent,
Que le nom du beau sage essouffla les échos !



Tombe, en vain dans ton trou qui ne rend pas nos cendres,
Tu t’enorgueilliras de l’avoir fait descendre :
Tu ne garderas pas sa gloire avec ses os !


Qu’importe à ce Jason qui range aux Dieux ses voiles
Sa prou’ pieuse en butte à l’outrage des eaux :
Qu’importe : si mon maître a passé les étoiles !


POUR LE TOMBEAU DE L’AUTEUR

Ci repose Plessys qui, d’un souffle d’athlète,
Entonna des buccins qui faisaient peur aux cieux
Et qui, de l’éternel trophée ambitieux,
A fléchi d’un poing tort l’inflexible arbalète.


Vous, Muses ! attestez, sincères Pucelettes,
Qu’un qui de moréas suivit le pas pieux,
Sonna gros du beau soin de toujours sonner mieux :
Oui, ceci vous direz, si sa garde, vous l’êtes !



Dîtes ’cor qu’ouvrier du plus grave des styles,
Il tira de la harpe en images tranquilles
La Terre porte-ciel, porte-onde, porte-feu !


Mais ce qu’il faut surtout que l’âge à venir sache,
C’est que, fieffé de chiche et que repu de peu,
Il porta bellement son morion sans tache.


À RAYMOND DE LA TAILHÈDE

… à peine, ébranlés dans la nue,
Les chênes d’Hercinie annoncent ta venue !

J.-B. Rousseau.

Je veux, plus que l’Amour, admirer la Beauté
Pareille à la mer blanchissante.

R. de la Tailhède.

La Gloire t’a béni dès l’aube de tes ailes,
Jeune heaume au beau vol en plein ciel emporté !
Et Phébus qui t’arma pour les suprêmes zèles
Ceint ton front de justice et de véracité.


Les roses dont ta main décore les portiques
Ne sont pas de l’éclat qui se borne d’un jour.
On verra que la bouche armée aux feux pythiques
A crêté d’un Août l’épi du neuf amour !



Muses, sonnez le luth élu de La Tailhède !
Assistez à neuf voix la voix du citharède
Par qui la jeune Gaule irradie Astarté !


Mais n’est-ce pas déjà l’astre de la Victoire
Qui hausse d’un éclair ta tempe précatoire,
Si celui de Génie est celui de Beauté !


ÉGLOGUE HÉROÏQUE

Arcas, jeune berger.
Palémon, vieillard.

Arcas

Liberté, ta vertu qui par maint trait s’atteste
Souffle en bouche propice aux Victoires ailées :
La peur même se change en vaillance à ton geste,
Zélatrice du lâche au plus fort des mêlées !


Tu montres qu’une troupe où d’ici c’est les restes,
Thermopyle ! au flot noir pour lui plaire est allée
Et Trafalgar encor, dans sa vague funeste,
Roule un bris de cent nefs à sa gloire coulées !


Palémon

Je le dis : Notre ciel n’est pas son monument.
En vain Sparte, montant son culte avec son zèle,
Lui taille aux plus hauts rocs un autel véhément :


Sache qu’outre, pour nous, qu’elle a trop haut ses ailes.
Nos cœurs rien qu’y tâcher se sont flétris sous elle,
Et c’est trop de souci pour trop peu d’agrément !


LES RUINES
à æmilius

Comme un champ que la faulx laisse nu de ses gerbes,
Ainsi le Temps, ô Ville ! a passé sur ton front :
Descendue au retour d’un logis de hérons,
Ninive dans la cendre a posé sa superbe.


Ville, en vain de tes tours aux aiguilles acerbes,
Tu provoquais le ciel d’un impuissant affront ;
Cèdres, vous vous haussiez à l’envi de Sâron :
Les siècles t’ont jonchée à la taille de l’herbe !



Ô tableau redoutable, en exemple aux cités
Qui des cieux indulgents bravent la majesté :
Mais non ! leur gloire est sauve et Ninive est absoute,


Puisque, de ces débris, gardiens, les nids pieux,
Démentant l’hymne impur qui roulait sous ces voûtes,
Réparent à cent voix l’injure faite aux Dieux !


D’UNE HYMNE À HERMÈS
(fragments)
à anatole france

......................
Comme, au seuil de Junon, le troupeau de l’Aurore
Mène un haut beuglement dont s’étonne au loin l’air,
Impatient d’enfin paître aux pâtis qu’il flaire,
Le rampant, le subtil Hermès comme un reptile
S’est, habile à garder que n’en tremblât nulle herbe,
Brasse à brasse allongé jusqu’aux berges du vide,
Sans que le doux bétail, soûl de l’heure splendide,
Se soit de l’entreprise avisé du héros.

Tel que le baleinier qui, d’un brusque abordage,
Entre cent monstres noirs, au flanc d’un plonge un croc :
Tel le dextre cordier, d’un nœud en l’air qui nage,
Enlace une meuglante entre croupe et garrot.
La bête s’étonnant du cordon qui la lie,
Brandit, pleine d’horreur, quatre pieds forcenés,
Mais le bras du jeune homme, ainsi qu’une poulie,
L’a d’un muscle puissant jusqu’au bord amené ;
Il la fie au tronc sûr d’un chêne raide au vent
Et ce pendant que, fauve et soufflant deux tonnerres,
Elle conte à ses sœurs sa corne prisonnière,
L’empressé fils de Zeus, de son lacet savant,
D’une seconde bête a suspendu la fuite.
Il l’attache serrant la première dépite
Et qui va de sa peine à moitié l’alléger,
Et vois-les, front à front, à la paix qui s’invitent :
Comme on sent moins son mal quand il est partagé.
Une troisième, une autre encore et tout le reste,
Sous le nœud du chasseur vient au tronc se ranger,
Et merveille que c’est que ces cinquante bêtes,
Au fanon grave, au jarret courbe, aux grosses têtes,
Badines cinglant l’air de leurs hauts fouets légers !

Il en est tout d’airain, de bronze, d’orangé’s ;
D’autres dont le poil jeune est mouvant de caresses
Et d’autres dont la robe est un beau lait figé.
L’une au front porte en arc une foudre à deux piques ;
L’autre traîne au sabot l’écume d’Europa :
Et tout le beau troupeau meugle à voix frénétiques
En tel bruit qu’on entend aux falaises baltiques
Marcher la haute mer d’un innombrable pas.



Donc, le bruit en fut tel que maint Dieu s’y trompa
Et pensa, sourcilleux, de l’antique escalade
Que superbe essaya le genou d’Encelade
Quand tonna des Titans l’assaut aérien.
« Qu’est-ce ? » demanda Zeus. Vénus dit : « Ça n’est rien.
C’est sans doute un vaisseau qui se brise à ma côte,
Ou peut-être aux gibets de Paphos les loups rôdent. »
Et bien que loin son œil eût suivi le larcin,
Elle dit ceci claire et sereine à dessein,
Soucieuse de toute peine ménagé’
À celui qui sera plus tard son messager.

Or Hermès dans son cœur bénissant sa rapine
Se va pressant du soin loin des Dieux la serrer
Et comme une charrue était là, par divine
Rencontre, fainéante, au bleu soc acéré,
Il conçut de vouer l’activité bovine
À des sols de son oncle Apollon retirés,
(Moins, pour vrai, satisfait d’être à l’homme aide insigne
Que d’enfreindre au décret qui le fut maudissant :
Car Hermès est espiègle et sa barbe est maligne
Et ne s’ébat jamais qu’au dam des Dieux puissants.)
Il li’ donc en riant, aux vingt-cinq jougs, les cent
Cornes qui, basses, vont, quatre à quatre, leur peine,
Et, comme Ajax j’ai vu, dextre au guide des rênes,
Rire de vos périls, hasardeuses arènes !
Lui, le bras haut d’un geste athlétique et charmant,
Les mène sous le fer, meuglantes longuement.



Dirai-je ton soc juste au flanc de la Scythie
Et le blé sous ton fer, innombrable montant,
Successeur imprévu de l’inféconde ortie,
Et la sorte qu’en vain, le front se révoltant

De tes bœufs, ton poing grave au labour a plié
D’une glace inconstante où s’étonnait leur pied ?



Sous Borée, aux confins pâles du nord glacé,
En lieu même où Phébus, redoutant pour ses flèches
La cuirasse d’airain impossible à percer
D’une neige depuis cent mille ans amassé’,
Renonce de lui faire une stérile brèche ;
Sur un sol dont jamais charru’, pioche ni bêche
N’ont rompu de leur fer laboureur l’ocieux
Glaçon ; sur une arène où seule, l’orti’ blême
Règne, fille du vent, seul prince de ces lieux,
Le grand Hermès conduit ses bœufs industrieux.
Là voit-on de tout temps l’hiver appesanti
Et l’éternel clairon du Nord y retentit.
Un ciel terne enveloppe ainsi qu’une funèbre
Tenture l’horizon jaune et tempêteux
Et c’est par tout l’espace une louche ténèbre
Où les astres perclus craignent d’ouvrir leurs yeux.
L’homme, tremblant jouet des autans factieux,
Taille son lare humide aux nuits mêmes des antres,

Craintif incessamment qu’à la proche avalanche
Descendue à grand bruit des pics voisins des cieux,
Sa nocturne maison sur son front ne s’ébranle
Et ne roule rompue aux fleuves furieux.
Grelottants du vieux vent qui nourrit seul leur ventre,
De faméliques loups, en troupeaux gémissants,
Errent, griffus et noirs, par les steppes immenses,
Sans le moindre animal à qui prendre son sang ;
La taupe, enfant des nuits, médite en sa caverne,
Confiante au sommeil son suif qu’il perpétu’;
Le poisson indigent languit aux souterraines
Ondes dont l’âpre sol, profondément battu,
Sent gronder son tuf rauque en monstrueuses veines.
Même l’aigle hagarde, au fil des rocs pointus,
Sent fléchir dans son flanc son âme impériale :
Tant l’universel froid sa rigueur tient égale
Du plus bas au plus haut de la ronde étendu’
Et ne faut à geler la flamme au front d’Hécate
Ni le vol de Vénus au plus haut ciel pendu !

Muse ! dis comme Hermès, en dépit du ciel froid,
Et de l’absent soleil et de la glèbe chiche,
Poursuivit son dessein de lever en l’endroit
Même le plus ingrat sous la nue et moins riche
Une mouvante armé’ de javelles profondes,
Assuré que Phébus, père des moissons blondes,
Ne faudrait à mûrir d’une flamme empressé’
Les graines qu’aux sillons de glace sa main sème,
Car, au dam de ce dieu qu’il se plaît à gausser,
Il roulait sous sa tempe un gentil stratagème.



Quand il eut donc, sur tout l’espace, retourné
D’un fer persévérant la plaine et qu’aligné’s
Y furent, en monnai’ jaunissante, les graines,
Et que les bœufs rompus que sa main désenchaîne,
Leurs gros flancs fluctueux d’âpre écume baignés,
S’allèrent disposants au sommeil bien gagné,
(Bêtes qui s’étonnaient dans leur cervelle obscure
De leur pied artisan d’une telle aventure)
Hermès alors tira de son humble ceinture
La flûte, son seul bien au grand Boucquin volé.

Il l’embouche, rieur, et d’une bien gonflée
Joue et les doigts volants aux sept trous musicaux,
Il souffle, ingénieux à la crainte d’Écho.
Tantôt, ambitieux, sa joue est toute ronde,
Raide d’une aile haute aux percussives nues :
(Ainsi lie l’autour sa proie au haut des mondes !)
Tantôt, brève, frivole et mollement menue,
Une toute petite voix (comme d’oiselle)
Va colloquante avec les bois, de Philomèle
Émule ombreuse............


......................
Tel, aux mufles fumeux, le farouche attelage,
S’en venait, régulier, par les labours glissants
Et le fils de Maïa, d’une main toute sage,
Contenait leur pied grave au chemin qui descend.
Une chanson volait dans sa barbe maligne
Et son cœur était doux du labeur accompli :
Il avise soudain entre les rases vignes
Un noir bloc qui luisait comme un marbre poli.

Or, c’était une bête à moins que quelque roche
Par l’horreur entaillée en défi au ciseau
N’eût poussé quatre tout petits pieds aux tout croches
Ergots, palmés d’ailleurs comme des pieds d’oiseau,
Et tiré des cent plis d’une mouvante poche
Un petit hochant chef aux deux yeux en biseau.
Tel le noir monstre, énigme et peur de la nature,
Était lourd sur le sol dont il semblait issu,
Et de plats émaux verts pavaient son dos bossu
En cent pierres, bûcher d’une splendeur obscure,
Qui, l’une à l’autre jointe en mosaïque dure,
Chancelaient de feux noirs comme un vieux bouclier.
Le divin conducteur, épris de l’aventure,
Va du poing rassurant l’attelage effrayé,
Le détourne meuglant du monstre épouvantable
Et l’ayant à dix tours solidement lié,
Il le fie au vieux tronc d’un chêne inébranlable ;
Puis, curieux non moins qu’ambitieux de telle
Capture, de la bête approche à pas prudents.
Or la bête était comme morte et ce pendant
Qu’elle avait son gros col allongé, d’un mortel
Coup de pointe, il la perce avec son dur trident.

Un sang blême coula de la triple blessure ;
Les subtils petits yeux moururent dans deux pleurs ;
Une bave funeste épouvanta les fleurs ;
Un soupir monstrueux consacra ta chaussure,
Dompteur ! ............


LES SYLVES
et
LES ÉPIGRAMMES

SYLVE APOLOGÉTIQUE
en l’honneur des dieux forestiers
à ernest raynaud

Menteur qui dis les Dieux partis des bois !
Vois si toujours n’y va plaignant comme autrefois
Son ombreuse amour, Philomèle ;
Si toujours à son crin ne mêle
Pomone de fruits un beau poids
Et si toujours (comme autrefois) ne vont les Mois
Fidèles à l’exacte époque des vergers
Périodiques.

Rustre à la double oreille de bourrique,
Intrus aux ébats bocagers !
Vois si, funeste à la Lucine des bergers,
L’ombre est en agneaux moins fréquente ;
Si moins fervent souffle à Syringe Pan barbu :
Dis si, des Piérides altéré, ma bouche a pas bu
L’onde des simples sources éloquentes !


SUR LE MÊME SUJET

Même Nérée intrus dont s’étonnent les arbres
Fraie à sa race un cours humide dans les bois.
Carinice, viens sous l’ombrage. Ton beau doigt
Va découvrir, d’entre les branches qu’il écarte,
Gardiennes du haut roc d’où leur eau pend vidée,
Cymatolège et Protomédée.


L’AMOUR LABOUREUR
tiré de moschus

Muse, dis comme Eros médita, pour trop s’être
À des jeux inhumains malignement complu,
D’être second à l’homme aux besognes champêtres,
Pour en pain lui payer les maux par lui qu’il eut.
En sa dextre ayant donc la gaule à triple pique
Enté, le grave Eros prend un couple de bœufs,
Puis, au joug (qui plaignaient qu’un destin ironique
Sous un frêle enfançon courbât leurs fronts belliques)
Les ayant à huit tours liés, noirs et honteux,

Du même poing moqueur qui menait Zeus lubrique,
Il les mène, meuglants, par des prés tout pierreux.
Mais en vain leur pied tors saigne au trident féroce
Et leur col impuissant va son arc tendre en vain,
Et la sueur en vain était haute à leur robe
Et pour rien, véhément, tonnait le fouet divin :
Soit malice d’un sol ami des seules pierres,
Soit peut-être inexpert le beau bras qui gourmait.
Amour, alors, le grave Amour où la matière
N’eut jamais autre part que celle qu’il permet,
L’irréplicable Amour somma de telle fière
Voix celui que sa main (seul grand soit-il !) soumet :
Zeus, mon maître et mon père, et Zeus aussi mon souple
Jouet, fais que ces bœufs dont ici j’ai le couple
Au labour dédié de ces prés miséreux,
Voient s’ouvrir sous leur pas le sol tenté par eux,
Et que, haute d’épis, la jaunissante plaine
À mon fer rende en pain l’amour dont elle est pleine.
Considère autrement que mon juste dépit
Peut, s’il lui plaît, te rendre aux quatre pieds d’Apis
Et que ton front par moi peut de nouveau pousser
La corne qu’enchaînait la fille que tu sais,

Pour, de son arc esclave, augmenter cette paire,
Toi, des Dieux, de moi-même, et le maître et le père !



Muse ! conte comment, à ces paroles vives,
Le sol soudainement s’amollit sous les bœufs.


LA JEUNESSE À PALLAS

Pallas dont le sein froid vêt le bronze en atours
Nous prétend sustenter de sa seule liesse :
Pallas ! laisse du moins mon an jeune aux Amours,
Et le soin de ton culte emplira ma vieillesse.


SUR LE SOCLE D’UNE STATUETTE
de femme nue aux yeux de saphir

J’aime. Azur rival d’elle, intercédez pour moi.
Dardez-lui vos feux prompts, amoureuses étoiles.
— Vois, nous pleurons les cieux qu’elle a pris tout pour soi !
— Nous, nos feux désarmés depuis qu’elle est sans voiles !


À PAN

Pan d’Arcadie, effroi des Naïades peureuses,
Toi qui d’un miel compact joins six joncs étagés,
Harmonieux canal de ton âme affligé’,
N’excède plus les airs de ta plainte amoureuse :
N’est-ce assez, Dieux vengeurs d’une flamme outragé’ !
Que (Syringe à sa joue enflée en tige creuse)
Sa peine, par l’auteur, sujette à déloger !


À CRITIAS, PÊCHEUR DE BALEINES

Bon Critias, ta barque assidue aux Pléiades
Se jou’ de Neptune inégal.
Transfuge impatiente des rades
Oisives, ell’ cingle au Nord poissonneux : la Fortune
Souffle à ta poupe chasseresse et ores
Que t’envient, forçant la barrière du large.

Nos cœurs pusillanimes, los à toi, Critîas ! ta main paît
La troupe indocile des vagues !





La laine écumeuse, amie du foyer,
Ni le chanvre au rouet riche d’un fil bourru,
Ni la génisse dense aux nœuds du jonc caillée,
Ni le blé battu à la grange, ni la charrue,
Ni la biche aux crêtes périlleuses forcée,
Ne sont tes œuvres, ô Critias ! ta main rue
Le harpon rapide aux cétacés.





Et ni non plus, d’Iach perfide le triste vin,
L’hydromel, ô Critias ! ni des fruits le suc, ne sont tes vains

Breuvages. Eh ! de quell’s urnes, de quelles coupes,
Serait ta noble lèvre restaurée,
À toi, Critias, à toi qui bois comme une bonne outre
La bouche abondante de Borée !


ALLÉGORIE HÉROÏQUE

Percer Nessus en croupe enlevant Déjanire,
Ou le Scythe à cheval Calliope emportant,
Ce sont jeux, non travaux dignes de ta jeune ire,
La Tailhède, vengeur de ces coups impudents !
Notre foi n’est sujette à de tels contretemps.
Car, outre que le Ciel à nos trophé’s conspire
Et pour prompt soit leur pas à la honte, en effet,
Ton bras sûr sait les joindre à moitié du forfait,
Et ne tires-tu pas du même arc dont Alcide
Terrassa d’un brigand la fuite au pied rapide !


LA STATUE DE JEAN MORÉAS

Toi que les Cieux ont vu, ô tueur de Centaures !
Dans leur sang belliqueux acquitter ton serment
Et qui, du même bras funeste au Minotaure,
Couchas le triple dogue au seuil d’Hadès fumant ;


Si ton chant, d’Apollon rachetant l’anathème,
Ramène sur nos luths sa faveur suspendu’
Et qu’en prix de tes coups, les armes des Dieux mêmes
Fixent à nos faisceaux la victoire étendu’ :



Ô bouches pour jamais plus juste los enflées,
Nymphes de Sequana, Naïades d’Acragas,
Disiez-vous par la lyre à vos voix assemblée
L’athénien honneur des Gaules, Moréas !


Vous, Muses, tribunal de nos joutes lyriques,
Dénouez pour sa tempe un laurier surhumain.
Car son aile nourrie à l’aire pindarique
Laisse les vols mortels à moitié du chemin !


ÉLOGE MARTIAL
des muses retrouvées

Ab Jove principium

Virgile

Ce n’est point aux rives d’un fleuve
Où dorment les vents et les eaux
Que fait sa véritable preuve
L’art de conduire les vaisseaux ;
Il faut, en la plaine salée,
Avoir lutté contre Malée
Et près du naufrage dernier
S’être vu dessous les Pléiades
Éloigné de ports et de rades,
Pour être cru bon marinier.

Malherbe

Le blé déjà florit en innombrables piques ;
Plein déjà du soigneux dessein
De combler de son sang tes ferventes barriques,
Bacchus hâte pour toi la rondeur des raisins ;
Déjà nouant le pampre à son grave portique,
Ton seuil est ferme au plus fameux du Palatin
Et jà, qu’on voit seconde aux emprises belliques,
Déjà la Victoire arme le zénith de ton destin !
En vain, encontre au pavois qu’une troupe gaillarde hausse,
Gueules dont tu te gausses,
Entendes-tu la haine faire rage comme mâtins ;

Vois, épuisant tout le noir lait dont elle est grosse,
Sur l’arène retomber l’envie ;
Vois que, de ton or, avide en vain, Genséric ira qui convie
Le cupide Avare pérégrin :
Soins vaniteux ! Caution de ta vie,
Minerve t’a lacé son propre gorgerin :
Comm’ pour rien doncques, aux inébranlables môles,
Neptune charge en escadrons marins,
Entends, César ! entends ruer son impuissant tumulte à ton trône
La canaille mamelu’ d’airain !


TABLE
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