Le Parnasse contemporain/1876/Le Présent de noces

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 145-147).




RAOUL GINESTE

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LE PRÉSENT DE NOCES

I


Au milieu des joyaux étincelants et lourds
Dont elle allait parer sa gorge demi-nue,
Elle vit un bouquet qu’une main inconnue,
Avait mis là, parmi la soie et le velours.

Or ce bouquet, formé de fleurs presque fanées,
Rien qu’à le voir serrait le cœur ; les nénuphars,
Les glaïeuls maladifs, fils des matins blafards,
Les lys, penchés sur leurs tiges déracinées,

Entouraient les pavots qui charment les douleurs,
Les safrans que l’on voit scintiller dans les herbes
Et les dalhias lourds, dont les fraises superbes
Étalent au soleil leurs sanglantes couleurs.


Et ces fleurs avaient comme un parfum de souffrance ;
Elles semblaient narrer un bonheur écroulé,
La main qui les cueillit en ayant exilé
Tout emblème d’amour heureux ou d’espérance ;

Elles semblaient, dernier présent de quelque amant,
Juste à l’heure où la vierge allait devenir femme,
Être la plainte triste et navrante d’une âme
Qui seule avait gardé la foi d’un doux serment.

Alors, se souvenant, la blonde fiancée,
Rêveuse, contempla le bouquet, puis le prit,
Et, comme un vieux refrain, surgit dans son esprit
Le roman oublié de la saison passée.

Et, quand pour respirer le parfum de ces fleurs
Elle approcha sa bouche infidèle et rosée,
En croyant effleurer des gouttes de rosée,
Sans pleurer elle apprit le goût amer des pleurs.


II


Au temps de notre amour, par les beaux soirs d’été,
Par les soirs embaumés, pleins d’ineffables charmes,
Un étrange désir m’a souvent tourmenté ;
C’était de voir tes yeux profonds s’emplir de larmes.


Car j’eusse recueilli, dans un amer baiser,
Les perles de cristal lentement égrenées,
Avec l’espoir mystique et fervent d’apaiser
L’ardeur que ne pourront assouvir les années.

Mais ton regard si pur ne s’est jamais voilé ;
Il rayonnait avec la splendeur souveraine
Et le calme fatal de l’azur étoilé,
Et rien n’en a troublé la cruauté sereine.

Or, voici qu’aujourd’hui tes yeux cerclés de noir
Trahissent sans pitié les pleurs de l’insomnie ;
Et voici que ton front se penche, sans espoir,
Comme pour attester ce que ta fierté nie ;

Voici qu’une implacable et muette langueur
Te mine sourdement et voici que les fièvres
Ont effacé les plis du sourire moqueur,
Du sourire orgueilleux qui trônait sur tes lèvres.

Ton rêve s’est cassé les ailes, lourdement,
Et tu pleures ton rêve, ô chère inoubliée !…
Te souvenant peut-être alors de cet amant
Des bras de qui tu t’es follement déliée.

Tu pleures nuits et jours, sans te plaindre, tout bas ;
Et l’époux qui n’a pas deviné tes alarmes,
Lui qui n’a jamais su t’aimer ne viendra pas
Boire en un long baiser l’amertume des larmes.